Le Drame Historique
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Le Drame Historique

  1. 94 pages
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  4. Disponible sur iOS et Android
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Le Drame Historique

À propos de ce livre

RÉSUMÉ: "Le Drame Historique" d'Émile Zola est une oeuvre qui s'inscrit dans la tradition littéraire du XIXe siècle, où l'auteur explore les tensions entre l'individu et la société à travers le prisme de l'histoire. Ce livre, bien que fictif, s'inspire des événements marquants de l'époque pour tisser une trame narrative riche en émotions et en réflexions. Zola, connu pour son approche naturaliste, s'attache à dépeindre avec une précision quasi scientifique les luttes internes et externes de ses personnages. Le récit plonge le lecteur dans un univers où les choix personnels sont constamment influencés par les forces sociales et politiques. À travers des descriptions détaillées et un style narratif immersif, Zola invite le lecteur à réfléchir sur les conséquences des actions humaines et sur la manière dont l'histoire façonne les destins individuels. Ce livre est une invitation à revisiter les événements passés avec un regard critique, tout en appréciant la complexité des motivations humaines.L'AUTEUR: Émile Zola est l'un des écrivains les plus éminents de la littérature française, né à Paris le 2 avril 1840. Il est souvent associé au mouvement naturaliste, qu'il a contribué à définir et à populariser à travers ses nombreux romans, dont la célèbre série des "Rougon-Macquart". Zola a grandi dans un milieu modeste, ce qui a profondément influencé sa vision du monde et sa sensibilité aux inégalités sociales. Après des études au lycée Saint-Louis, il a commencé sa carrière en tant que journaliste avant de se consacrer pleinement à l'écriture. Son oeuvre se caractérise par une observation minutieuse de la société et une volonté de dépeindre la réalité sans fard ni embellissement. En plus de ses romans, Zola est connu pour son engagement politique, notamment lors de l'affaire Dreyfus, où il a pris position en faveur de la justice avec son célèbre article "J'accuse...!". Son influence sur la littérature est immense, et son héritage perdure à travers ses contributions à la compréhension sociale et historique de son temps. Émile Zola est décédé le 29 septembre 1902, laissant derrière lui une oeuvre monumentale qui continue d'inspirer et de provoquer la réflexion.

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Informations

Année
2021
Imprimer l'ISBN
9782810626755
ISBN de l'eBook
9782322416424

LA COMÉDIE

I

Mes confrères en critique dramatique ont bien voulu, pour la plupart, parler de mon dernier roman, à propos de Pierre Gendron, la pièce que MM. Lafontaine et Richard viennent de donner au Gymnase. Sans accuser les auteurs de plagiat, quelquesuns ont admis certaines ressemblances entre cette comédie et l'Assommoir. Loin de moi la pensée de me montrer plus sévère. Je tiens MM. Lafontaine et Richard pour de galants hommes qui se seraient adressés à moi, s'ils avaient eu la moindre velléité de tirer une pièce de mon livre. D'ailleurs, ils ont fait dire dans la presse que Pierre Gendron était écrit avant l'Assommoir, et cela doit suffire. Certes, je ne réclame pas une enquête. Je m'estime simplement heureux que les directeurs ne se soient pas montrés plus empressés de jouer la pièce; car, dans ce cas, ce serait moi qui aurais pu être traité de plagiaire.
Seulement, la rencontre entre les deux oeuvres est vraiment prodigieuse. Il y a là un cas littéraire sur lequel je me permets d'insister, uniquement pour la curiosité du fait.
Imaginez qu'un auteur dramatique veuille tirer un drame de l'Assommoir. La grosse difficulté qu'il rencontrera sera le noeud même du drame, le ménage à trois, le retour de l'ancien amant que le mari ramène auprès de sa femme, un jour de soûlerie. Dans la vie réelle, j'ai connu des Coupeau, lentement hébétés par la boisson. Mais un romancier seul peut employer aujourd'hui de tels personnages, parce qu'il a le loisir de les analyser à l'aise et de tirer d'eux les terribles leçons de la vérité. Au théâtre, ils restent encore d'un maniement presque impossible.
Tout le problème, pour un auteur dramatique, serait donc d'accommoder Coupeau et Lantier, de façon à ce qu'ils pussent paraître devant le public, sans trop le révolter. Il faudrait, tout en gardant la situation du ménage à trois, trouver un arrangement qui maintiendrait l'aventure dans cette convention d'honnêteté scénique, hors de laquelle une pièce est fort compromise. En un mot, étant donné Gervaise, Lantier et Coupeau, il s'agirait de les conserver tous les trois, et pourtant de les rendre possibles, en modifiant légèrement les données du roman.
Eh bien, MM. Lafontaine et Richard ont trouvé une solution très agréable. J'avais songé à ces choses, avant la représentation de leur pièce, et j'ai été réellement surpris de ne pas avoir eu l'idée d'une solution aussi habile. Certainement, ce qui m'a empêché de la trouver, c'est la pensée qu'un roman transporté au théâtre doit rester entier. Mais des auteurs qui ne seraient tenus à aucun respect envers l'Assommoir, et qui préféreraient même s'en écarter un peu, n'inventeraient pas une adaptation plus adroite que Pierre Gendron. Et cela est d'autant plus miraculeux que cette comédie a été écrite avant le roman.
Voici l'adaptation. Faites que Coupeau ne soit pas marié avec Gervaise, et admettez que Coupeau, tout en connaissant Lantier, ignore ses anciens rapports avec la jeune femme; dès lors, Coupeau, qui est un honnête ouvrier, pourra ramener Lantier dans son ménage, et, de ce retour, naîtront tous les éléments dramatiques nécessaires. Gervaise, naturellement, tremblera devant Lantier et refusera avec horreur le marché de honte qu'il lui offre pour garder le silence. Quant au dénoûment, il sera aimable ou triste, selon le théâtre où l'on portera la pièce.
Mais la rencontre la plus curieuse est peutêtre que le retour de Lantier, dans le roman et dans le drame, a lieu pendant un repas de famille. Seulement, dans le roman, le repas est donné le jour de la fête de Gervaise; tandis que, dans le drame, il a lieu le jour de la fête de Coupeau.
Je n'ai pas besoin de faire remarquer les conséquences énormes que la légère modification du sujet amène au point de vue théâtral. Au lieu de cette déchéance lente du ménage, qui est le roman tout entier, on n'a plus qu'un honnête ménage d'ouvriers tyrannisé et menacé par un sacripant. Les auteurs ont même chargé Lantier en noir; ils en ont fait un assassin, que les gendarmes emmènent au dénoûment, ce qui est vraiment trop gros et noie leur oeuvre dans les eaux vulgaires du mélodrame. Quant à Coupeau et à Gervaise, ils se marient et sont heureux. On prétend, il est vrai, que la pièce était en cinq actes et qu'on l'a réduite pour les besoins du Gymnase. Je serais bien curieux de connaître les deux actes que M. Montigny a fait couper.
Et voyez le prodige, les rencontres ne s'arrêtent pas là! La fille des Coupeau, Nana, est aussi dans la pièce. Or, cette Nana était encore bien embarrassante; on pouvait, à la vérité, ne pas pousser les choses jusqu'au bout, en la ramenant au bercail, avant qu'elle eût glissé à la faute; mais elle n'en demeurait pas moins un danger, si l'on ne mettait pas à côté d'elle une consolation. Aussi Nana atelle une soeur, une demoiselle bien élevée et sans tache, grandie en dehors du milieu ouvrier, et qui, au dénoûment, épousera le patron de la fabrique où travaille Coupeau. Cela compense tout.
Je ne veux pas insister davantage. Je répète une fois encore que j'accuse le hasard seul. Il m'a paru simplement intéressant de montrer comment, sans le vouloir, MM. Lafontaine et Richard ont tiré de l'Assommoir la pièce que des hommes de théâtre auraient pu y trouver. En outre, comme j'ai accordé de grand coeur à deux auteurs dramatiques l'autorisation de porter sur les planches le sujet de mon livre, j'ai pensé que je devais me prononcer sur la question soulevée dans la presse, à propos de Pierre Gendron.
Si l'on veut maintenant mon avis tout net sur cette comédie, j'ajouterai qu'elle me plaît médiocrement. Les auteurs ont dû la baser sur une situation fausse. Toute la pièce tient sur ce fait que Gervaise a refusé d'épouser Coupeau, parce qu'elle a appartenu à Lantier, et qu'elle courbe la tête sous l'éternelle honte de cette liaison. Il faut connaître bien peu le milieu où s'agitent les personnages, pour prêter un tel sentiment à Gervaise. Dans la réalité, elle serait depuis longtemps la femme légitime de Goupeau. Seulement, comme je l'ai expliqué, si elle était sa femme, les auteurs retomberaient dans la situation embarrassante du roman, et ils ont dû choisir entre la convention théâtrale et la vérité.
Je ne parle pas du dénoûment, je sais très bien que c'est là un dénoûment imposé par le Gymnase. On se marie trop à la fin, et toute cette action terrible tombe en plein dans la confiture. Voyezvous Nana ramenée saine et sauve, comme s'il suffisait d'un tour d'escamotage pour transformer en bonne petite fille une coureuse de trottoirs, qui appartient de naissance au pavé parisien! Je voudrais que l'on sentît bien la à quel point de mensonge on a rabaissé le théâtre. Car soyez convaincus que MM. Lafontaine et Richard sont trop intelligents pour ne pas savoir euxmêmes qu'ils mentent. La vérité est qu'ils ont eu peur, et avec raison; ils se sont dit qu'ils devaient se conformer au désir du public, qui aime les dénoûments aimables.
J'arrive ainsi au singulier jugement porté par plusieurs de mes confrères qui ont vu, dans Pierre Gendron, un manifeste naturaliste au théâtre. Gomme toujours, c'est la forme, l'expression extérieure de la pièce qui les a trompés. Il a suffi que les personnages employassent quelques mots d'argot populaire, pour qu'on criât au réalisme. On ne voit que la phrase, le fond échappe.
Certes, on ne saurait trop louer MM. Lafontaine et Richard, en mettant des ouvriers en scène, de leur avoir conservé certaines tournures de langage, qui marquent la réalité du milieu. C'était déjà là une audace, et il faut les en remercier. Seulement, j'aurais voulu les voir pousser plus loin l'amour du vrai, s'attaquer aux moeurs ellesmêmes, à la réalité des faits. Leur Gendron, c'est l'éternel bon ouvrier des mélodrames; leur Louvard, c'est le traître qu'on a vu tant de fois. Les bonshommes n'ont pas changé; ils restent jusqu'au cou dans la convention. Ils commencent à parler leur vraie langue, voilà tout.
Paris a besoin d'un certain nombre de plaisanteries courantes. Que les chroniqueurs, les échotiers, tout le personnel rieur et turbulent de la petite presse, ait lancé une série de calembredaines sur le mouvement littéraire actuel, rien de plus acceptable; que l'on fasse par moquerie tenir le naturalisme dans l'argot des barrières, l'ordure du langage et les images risquées, cela s'explique, et nous tous qui défendons la vérité, nous sommes les premiers à sourire de ces plaisanteries, lorsqu'elles sont spirituelles. Mais, en France, on ne saurait croire combien est dangereux ce jeu de la raillerie. Les esprits les plus épais et les plus sérieux finissent par accepter comme des jugements définitifs les aimables bons mots de la presse légère.
Ainsi, on tend à admettre que l'argot entre comme une base fondamentale dans notre jeune littérature. On vous clôt la bouche, en disant: «Ah! oui, ces messieurs qui remplacent la langue de Racine par celle de Dumollard!» Et l'on est condamné. Vraiment! nous nous moquons bien de l'argot! Quand on fait parler un ouvrier, il est d'une honnêteté stricte, je crois, de lui conserver son langage, de même qu'on doit mettre dans la bouche d'un bourgeois ou d'une duchesse des expressions justes. Mais ce n'est là que le côté de forme du grand mouvement littéraire contemporain. Le fond, certes, importe davantage.
Par exemple, au théâtre, c'est un triomphe médiocre que de placer de loin en loin une expression populaire. J'ai remarqué que l'argot fait toujours rire à la scène, lorsqu'on le ménage habilement. Il est beaucoup plus difficile de s'attaquer aux conventions, de faire vivre sur les planches des personnages taillés en pleine réalité, de transporter dans ce monde de carton un coin de la véritable comédie humaine. Cela est même si mal commode que personne n'a encore osé, parmi les nouveaux venus, qui ne sont pourtant pas timides.
Il faut remettre l'argot à sa place. Il peut être une curiosité philologique, une nécessité qui s'impose à un romancier soucieux du vrai. Mais il reste, en somme, une exception, dont il serait ridicule d'abuser. Parce qu'il y a de l'argot dans une oeuvre, il ne s'ensuit pas que cette oeuvre appartient au mouvement actuel. Au contraire, il faut se méfier, car rien n'est un voile plus complaisant qu'une forme pittoresque; on cache làdessous toutes les erreurs imaginables.
Ce qu'il faut demander avant tout à une oeuvre, que le romancier ait cru devoir prendre la plume d'Henri Monnier ou celle de Bossuet, c'est d'être une étude exacte, une analyse sincère et profonde. Quand les personnages sont plantés carrément sur leurs pieds et vivent d'une vie intense, ils parlent d'euxmêmes la langue qu'ils doivent parler.

II

La première représentation au Gymnase de Châteaufort, une comédie en trois actes de madame de Mirabeau, m'a paru pleine d'enseignements. Pendant que le public tournait au comique les situations dramatiques, et que les critiques se fâchaient en criant à l'immoralité, je songeais qu'il y avait là un malentendu bien grand, j'aurais voulu pouvoir transformer d'un coup de baguette cette pièce mal faite en une pièce bien faite, et changer ainsi en applaudissements les rires et les indignations; car, au fond, il s'agissait uniquement d'une question de facture.
Voici, en gros, le sujet de la pièce. Le marquis de Ponteville a donné sa fille Nadine en mariage à M. de Châteaufort, un homme de la plus grande intelligence, que le gouvernement vient même de charger d'une mission diplomatique. Puis, le marquis s'est remarié avec une demoiselle d'une réputation équivoque. Mais voilà que Nadine acquiert la preuve, par une lettre, que son mari a été l'amant de sa bellemère. Le beau Châteaufort, l'homme irrésistible et magnifique, est un simple gredin. Précisément, il vient de commettre une première scélératesse. Aidé de la marquise, il a décidé le marquis à lui léguer le château de Ponteville, au détriment de Pierre, le frère aîné de Nadine. Celuici apprend tout par le notaire qui a rédigé le testament. Un singulier notaire qui, pour se venger d'avoir reçu des honoraires trop faibles, dénonce tout le monde, et apprend surtout à la marquise que Nadine a des rendezvous avec M. de Varennes, rendez vous fort innocents d'ailleurs. Dès lors, la guerre est déclarée entre les deux femmes. Madame de Ponteville accuse madame de Châteaufort d'adultère, et fait prendre par le marquis une lettre que celleci semble vouloir dissimuler. Mais justement cette lettre est celle qui révèle la liaison de Châteaufort et de madame de Ponteville. Le marquis a un coup de sang, dont il se tire pour se lamenter. Enfin Châteaufort, auquel le gouvernement vient de retirer sa mission, comprend qu'il gêne tout le monde, qu'il n'y a pas d'issue possible, et il se décide à dénouer le drame en se faisant sauter la cervelle.
Certes, je ne défends point les inexpériences ni les maladresses de la pièce. Seulement, je me demande quelle a été la véritable intention de madame de Mirabeau. A coup sûr, son idée première a dû être de mettre debout la haute figure de Châteaufort. On dit que son héros était, dans le principe, député et ambassadeur; la censure aurait diminué le personnage, en en faisant un simple diplomate, envoyé en mission particulière.
Mais l'indication suffit. On comprend immédiatement quel est le personnage, le type que l'auteur a voulu créer. Châteaufort n'est point l'aventurier vulgaire. Son nom est à lui; de plus, il a une grande intelligence, une haute situation. Sa perversion est un fruit de l'époque et du milieu. Il est la pourriture en gants blancs, l'intrigue toute puissante, l'homme public qui abuse de son mandat, le cerveau vaste qui combine le mal. Cet homme, titré, occupant une des situations politiques les plus en vue, représente donc la corruption dans les hautes classes, avec ce qu'elle a d'intelligent, d'élégant et d'abominable. Je ne sais si je me fais bien comprendre. Mais il y avait, à mon sens, une création très large à tenter avec un tel personnage. Il est de notre temps; on l'a rencontré dans vingt procès scandaleux. Il a poussé sur les décombres des monarchies; il ne peut plus avoir de pensions sur la cassette des rois, et il bat monnaie avec ses titres et ses situations officielles. Regardez autour de vous, très haut, et vous le reconnaîtrez. Je comprends donc parfaitement que madame de Mirabeau n'ait pu résister à la tentation de mettre au théâtre une figure si contemporaine et si puissamment originale.
Maintenant, le malheur est qu'elle l'a mise sans aucune prudence. Elle avait besoin d'une histoire quelconque pour employer le héros, et l'histoire qu'elle a choisie est des moins heureuses. Encore auraitelle pu s'en contenter, car les histoires en ellesmêmes importent peu. Mais il fallait alors souffler la vie à tous ces pantins, donner aux faits la profonde émotion de la vérité. J'arrive ici au vif de la question, et je demande à m'expliquer très nettement.
Le soir de la première représentation, le public riait et la critique se fâchait, aije dit. Dans les couloirs, j'entendais dire que l'immoralité de la pièce était révoltante, qu'un pareil monde n'existait pas. Surtout, c'était le langage qui blessait; des spectateurs juraient que les femmes du monde ne parlent pas avec cette crudité et ne se lancent point ainsi leurs amants à la tête. Que répondre à cela? on sourit on hausse les épaules. La brutalité est partout, en haut comme en bas. Quand les passions soufflent, les marquises deviennent des poissardes. Il n'y a que les tout jeunes gens qui se font du grand monde une idée d'Olympe, où les bouches des dames ne lâchent que des perles.
Pour mon compte,—j'ignore si j'ai l'âme plus scélérate que la moyenne du public,—je ne trouve, dans Châteaufort, pas plus de gredinerie que dans beaucoup d'autres pièces applaudies pendant cent représentations. Que voyonsnous donc d'épouvantable dans cette oeuvre? Un homme qui a eu des relations avec sa bellemère, et qui convoite les biens de son beaupère. Mais ce sont là de simples gentillesses, à côté de l'amas effroyable des noirs forfaits de notre répertoire. Je ne citerai pas les tragédies grecques, ni les mélodrames du boulevard, où l'on s'empoisonne en famille avec le plus belle tranquillité du monde. Je rappellerai simplement les oeuvres de cette année, l'Étrangère, par exemple, où le duc de Septmont se conduit en vilain monsieur, tout comme Châteaufort.
Pourquoi, en ce cas, riton et se fâcheton au Gymnase? C'est uniquement parce que l'auteur a manqué de science et d'adresse. Il aurait pu nous conter une aventure dix fois plus odieuse et nous l'imposer parfaitement, s'il avait su procéder avec art. Question de facture, rien de plus, je le répète. Le public a acclamé d'autres vilenies, sans s'en douter. Les infamies ne l'effrayent pas, la façon de présenter les infamies seule le révolte.
La grande faute de madame de Mirabeau a été de bâtir son action dans le vide. Ses personnages n'ont pas d'acte civil. On ne sait d'où ils viennent, qui ils sont, comment s'est passée leur vie jusqu'au jour où on nous les présente. Châteaufort aurait eu besoin d'être expliqué dans ses antécédents. Cette grande figure devait être complète. Un drame n'est pas un coup de tonnerre dans un ciel bleu; il faut circonstancier et amener les orages de la passion et des intérêts.
Une autre faute grave est d'avoir raidi les personnages dans une attitude. Châteaufort, à mon sens, manque surtout de souplesse. Le marquis est une ganache et la marquise une louve de mélodrame. Quant à Nadine, elle serait le seul personnage sympathique, si elle n'était pas toujours en colère. La vie a plus de bonhomie, et, même dans les crises dramatiques, il faut conserver aux personnages des échappées de repos et de détente. Une action toute nue, une abstraction pure, ne réussit au théâtre qu'à la condition d'être maniée par des mains très savantes, qui la conduisent avec une raideur de démonstration géométrique.
D'ailleurs, madame de Mirabeau est loin de manquer de talent. J'ose même confesser que son oeuvre m'a beaucoup plus intéressé que certaines pièces, jouées dans ces derniers temps, et qui ont réussi. Cela est si peu ordinaire, une belle inexpérience, parlant carrément, appelant les choses par leurs noms, allant droit devant elle sans crier gare. Il y a bien des hommes, parmi nos auteurs dramatiques, auxquels je souhaiterais l'énergie de madame de Mirabeau. Et il ne faut pas ricaner, employer le gros mot de brutalité, l'énergie reste une chose rare et belle, qu'on n'acquiert pas, et qui fait les grandes oeuvres. On ne devient pas fort, tandis que l'on peut émonder sa force et trouver un équilibre.
Dans tout cela, il y a une morale à tirer. La chute Châteaufort va être un argument de plus entre les mains de ceux qui refusent la vérité au théâtre, sous prétexte que la vérité est affligeante et que le public demande avant tout des tableaux consolants. Je les entends d'ici foudroyer les héros corrompus, déclarer que le théâtre n'est pas une dalle de dissection, réclamer des idylles qui ne contrarient pas leur digestion. Avezvous remarqué une chose? il est rare qu'un honnête homme se scandalise en face d'un coquin; ce sont les coquins euxmêmes qui crient le plus fort, comme s'ils voyaient une allusion personnelle dans le personnage qu'on leur montre.
Donc, c'est le naturalisme au théâtre qui payera une fois de plus les pots cassés. Il va être formellement conclu que toutes les plaies ne sont pas bonnes à montrer, surtout lorsqu'il s'agit des plaies du beau monde. Et l'on aura raison, dans un certain sens. Je crois qu'on peut tout dire et tout peindre, mais je commence à être persuadé aussi qu'il y a façon de tout peindre et de tout dire. Là est la solution du problème.
Ah! comme nous serions forts, si un naturaliste, sans rien perdre de sa méthode d'analyse ni de sa vigueur de peinture, naissait avec le sens du théâtre, cette adresse du métier qui escamote les difficultés au nez du public. Il n'est pas vrai, à coup sûr, que tout le théâtre soit dans le métier, comme on...

Table des matières

  1. Sommaire
  2. LE DRAME HISTORIQUE
  3. LE DRAME PATRIOTIQUE
  4. LE DRAME SCIENTIFIQUE
  5. LA COMÉDIE
  6. LA PANTOMIME
  7. LE VAUDEVILLE
  8. LA FÉERIE ET L'OPÉRETTE
  9. LES REPRISES
  10. Page de copyright