CHAPITRE 1
AU COMMENCEMENT
LA VILLE DE New Westminster (New West pour ses citoyens) s’étend sur le flanc sud-est de la péninsule de Burrard et salue le fleuve Fraser juste avant son embouchure, plus à l’ouest. Longtemps avant l’arrivée des colons européens, la population de la Première Nation Kwantlen y avait deux communautés : Skaiametl, située du côté de Surrey, au sud du fleuve, et Qayqayt, où s’élèvera plus tard New Westminster.
À l’origine, le choix du site de New Westminster est stratégique. Au début du XIXe siècle, on découvre de l’or dans le canyon du Fraser. Les gisements sont si riches, et la folie qu’ils suscitent est telle, que les habitants craignent que les mineurs américains s’emparent de leur butin. La peur d’une invasion par le sud est si grande qu’en 1858, le gouverneur colonial James Douglas réclame l’aide du gouvernement britannique. Les Royal Engineers, placés sous le commandement du colonel Richard Clement Moody, sont donc dépêchés depuis l’Angleterre pour repousser d’éventuels envahisseurs. Cent cinquante-quatre ans plus tard, TELUS entretiendra des craintes semblables à propos d’un éventuel envahisseur, un investisseur opportuniste cette fois. Si l’entreprise ne pourra compter sur le colonel Moody et son régiment, elle aura Brian Canfield et son équipe de direction.
La Colombie-Britannique est proclamée colonie au fort Langley en 1858. Pendant les mois suivants, le colonel Moody, plus haut gradé de la région, cherche le lieu idéal pour établir la capitale. Pendant quelque temps, la nouvelle ville s’appelle Queensborough, avant que la reine Victoria en personne n’ordonne qu’on la rebaptise New Westminster.
Grâce aux gisements d’or et à l’expansion des secteurs de la pêche et du bois, la croissance de l’économie locale est rapide. Les mineurs affluent dans la région pour jalonner leurs concessions. Rares sont ceux qui s’enrichissent, mais les fournisseurs de services d’appoint autour d’eux le font : hôtels, bordels, restaurants, merceries et magasins généraux en sont les grands bénéficiaires. Lors de l’union des colonies de la Colombie-Britannique et de l’île de Vancouver, en 1866, c’est New Westminster qui devient la capitale.
La croissance rapide du secteur agricole attire de nouveaux venus le long du fleuve Fraser, et la production de bois devient le secteur dominant. Le volume tiré des pêcheries est sans égal. Voie de transport de biens manufacturés et source illimitée d’hydroélectricité, le fleuve Fraser accueille sur ses rives de nombreuses usines.
En 1867, la Confédération marque la naissance du Canada. Cinq ans plus tard, la colonie de la Colombie-Britannique accède au rang de province. Dans le cadre de l’entente sur la Confédération, le gouvernement fédéral prolonge le chemin de fer du Pacifique vers l’ouest jusqu’à l’océan, un projet mené à bien en 1885. Grâce à cette nouvelle ligne, les biens industriels chargés au port de New Westminster sont transportés jusqu’à l’autre bout du Canada et au-delà. Situé le long de la rue Columbia, le centre de New Westminster prend de l’expansion, chaque semaine apportant son lot de nouvelles entreprises pour desservir le port fluvial. En 1898, un incendie ravage le centre des affaires, ne laissant que des ruines ou presque. En quelques années, cependant, le centre est reconstruit, et la croissance économique peut reprendre.
Les secteurs industriels se diversifient. Au cours des quelques décennies suivantes, la rue Columbia, que les gens d’affaires appellent « Golden Mile », accueille diverses entreprises, dont des scieries, des usines de papier, des fabriques de textile, des sociétés de transport maritime et des entreprises soutenant l’industrie minière en perte de vitesse.
Vue de la rue Columbia dans les années 1950 en regardant vers l’est (8e Rue et rue McNeely). On aperçoit l’îlot Westminster, le magasin Safeway, l’immeuble de la British Columbia Electric Railway Company et la gare du Chemin de fer Canadien Pacifique.
Comme la plupart des villes portuaires, New Westminster connaît la prospérité et offre des centaines d’emplois d’ouvrier à ses infatigables habitants.
Orra Wells Canfield compte parmi ceux qui tirent profit de la situation. Sa femme, Effie, et lui habitent New Westminster. Née à Chilliwack en 1916, Effie déménage à New West avec sa mère et ses frères et sœurs à la mort de son père, en 1920. Orra est né près de là et, ayant atteint l’âge requis, il se trouve du travail dans une scierie de Maillardville, un quartier de la ville de Coquitlam, voisine de New Westminster. Il est monteur de conduites de vapeur, un poste important puisque la vapeur est la principale source d’énergie de l’industrie à l’époque. Orra est aussi habile : il est capable de fabriquer ses propres outils à partir de morceaux de bois et de métal récupérés çà et là. Son fils, Brian, qui naît le 9 juillet 1938, hérite de ce don.
Photo d’Effie et Orra Canfield, les parents de Brian Canfield, prise en 1962.
Brian Canfield est enfant unique, et ses parents l’adorent. New Westminster est une communauté ouvrière agréable et tricotée serrée. Les gens s’entraident, surtout pendant la Deuxième Guerre mondiale, et cet aspect de la culture locale n’échappe pas au jeune Brian. Pas plus, d’ailleurs, que le caractère industriel de la ville, qui suscite son intérêt. La fascination qu’exercent sur lui la mécanique, le génie et les rouages internes des machines industrielles complexes en fait un candidat idéal pour une carrière dans un secteur très technique.
Pendant toute l’enfance de Brian, la famille Canfield habite rue Kelly. Effie donne des leçons de piano chez elle en plus de jouer de l’orgue à l’église tous les dimanches. Elle apprend le piano à Brian, qui joue assez bien. S’il ne s’adonne plus souvent à la musique de nos jours, il a conservé le piano de sa mère. Quand sonne l’heure de la retraite pour Orra et Effie, la famille déménage rue Laurel.
Brian lui-même se souvient d’avoir été un enfant exubérant. Avec son grand ami Larry Pertch, qui habite en face de chez lui, il explore les nombreux taillis entourant New Westminster, construit des forts et des cabanes dans les arbres et pêche à Brunette Creek. Les deux garçons jouent aux billes et grimpent dans les arbres ; à l’automne, ils ramassent des marrons pour jouer aux conkers. Il leur arrive de se retrouver chez les Canfield, mais alors, ils doivent faire très attention, car la mère de Brian est à cheval sur l’étiquette, de l’avis de Larry Pertch. Ils passent cependant le plus clair de leur temps dehors jusqu’au coup de sifflet éloquent d’une de leurs mères, signalant que l’heure est venue de se rafraîchir en prévision du souper.
Le grand-père paternel de Brian, directeur d’école à New Westminster, a pris sa retraite en 1938, année de la naissance de Brian. À l’époque où Brian et ses amis fréquentent l’école, son grand-père est enseignant suppléant. Il lui arrive de donner des cours dans la classe de Brian.
Comme il y a cinq salles de cinéma dans leur ville de trente-deux mille habitants, Brian et ses amis vont souvent regarder Tom Mix, Gene Autry et Wyatt Earp partir à la conquête du Far West. Plus tard, ils fréquentent le White Spot, célèbre restauvolant avec ses serveuses en patins à roulettes.
Trois générations de Canfield, 1957. De gauche à droite : Brian ; son père, Orra ; et son grand-père, Francis.
Brian fréquente l’école secondaire Lester Pearson. Sa classe de douzième année compte environ trois cents élèves, et ceux qui ont connu Brian s’en souviennent comme d’un garçon courtois, sympathique, respectueux et honnête. D’après son amie d’enfance Patti Armstrong, Brian était toujours prêt, une qualité essentielle chez les scouts. Les jours d’examen, il se lève à cinq heures pour étudier et est généralement le premier arrivé en classe, en grande partie parce qu’il n’est pas bien préparé, selon Brian lui-même. Plus tard, à BC Tel et à TELUS, ses collègues se plairont à essayer d’arriver aux réunions avant Brian, sans grand succès.
Photo de Brian Canfield tirée de l’annuaire de son école secondaire. La légende se lit comme suit : « L’année prochaine, Brian a l’intention de travailler pour la B.C. Telephone Company. [traduction] »
Brian Canfield n’est pas particulièrement compétitif ; il joue un peu à la crosse, pour s’amuser. Les lettres brodées sur le chandail de l’école le laissent froid. Même s’il a reçu de nombreuses accolades au cours de sa carrière, les signes de reconnaissance individuelle n’ont jamais eu guère d’importance à ses yeux.
Brian a toutefois un talon d’Achille : il se lasse rapidement. Jeune homme brillant, il perd vite intérêt et passe à autre chose. S’il a la capacité d’exceller sur le plan scolaire, l’école ne le stimule pas. « En réalité, explique aujourd’hui Brian, je n’étais pas très bon élève. Pas par manque de capacité ni de motivation, mais, à l’époque, ça ne marchait pas à l’école. » À la fin de sa douzième année, il a séché tellement de cours qu’il lui manque des crédits pour obtenir son diplôme. Il prend part à la cérémonie de remise des diplômes, mais ne termine pas ses études secondaires avec ses camarades. Cela ne le préoccupe pas trop, car il n’a aucune idée de ce qu’il veut faire dans la vie et sait qu’il pourra toujours reprendre ses études secondaires un jour, ce qu’il fera des années plus tard. Mais un événement survient, peu avant la fin de cette douzième année, qui donne un nouveau sens à sa vie.
Brian quitt...