Lundi 12 juillet
Premières rencontres
10 h 00 - Nous nous retrouvons devant la Porte de Damas. Après quelques hésitations, nous trouvons la gare routière palestinienne. Nous montons dans un minibus en partance pour Bab Askar, sans toutefois situer ce lieu. Nous savons juste qu’il nous faudra changer de bus à Bab Askar pour nous rendre à Hébron.
Une Palestinienne s’assied à mes côtés. La chaleur étant déjà bien présente, je lui souris et lui propose un peu d’eau. Elle me remercie et me sourit également. Puis elle entame la conversation, en anglais. Malgré son accent et mon vocabulaire assez pauvre, nous parvenons à échanger quelques bribes de vie. Btisam a cinq enfants, dont un en prison en Israël, pour raison politique. Son mari n’a plus de travail. Pour subvenir aux besoins de sa famille, elle accepte tous les petits travaux et emplois qui lui sont proposés. Bien que son quotidien paraisse difficile, elle m’éclaire de son sourire et ne se plaint pas.
Après trente minutes de route, nous arrivons à destination. Btisam et moi nous quittons par de chaleureuses embrassades. Cette première rencontre me donne déjà un petit aperçu de ce que vivent les Palestiniens.
À Bab Askar, nous prenons un autre minibus pour Hébron. La conduite est vive. Heureusement, le chauffeur est expérimenté et évite toujours, in extremis, de faucher un passant, un rétroviseur ou que sais-je encore !
Dès notre arrivée à Hébron, nous appelons notre contact. Avant qu’il ne nous rejoigne, nous tentons de nous regrouper avec nos bagages. Mais Hébron est si peuplé et si animé qu’il nous est difficile de trouver un emplacement libre pour nous sept. Avec nos valises et nos visages pâles, nous ne passons pas inaperçus. De notre côté, nous sommes surpris de voir toute cette animation. Piétons, cyclistes, charrettes, automobilistes, taxis, camions, tous se croisent et s’entrecroisent. Pas un mètre carré de la ville sans vie. Les bruits de klaxons raisonnent de toute part. Les Palestiniens l’utilisent aussi souvent que l’accélérateur ou le frein : un enfant qui traverse, un camion qui s’engage, un signe amical, un conducteur trop lent, un refus de priorité, … Le klaxon sert à tout. Avec le temps, on s’habitue. Et puis, si le klaxon est ici utilisé à tour de bras, nous remarquons qu’en contrepartie, aucune insulte ne s’échappe. Le klaxon palestinien est le « couteau suisse » de la communication automobile !
Hashem ne tarde pas à nous rejoindre. Les présentations faites, nous progressons, à pied, avec nos bagages, entre les véhicules, les badauds et les étals des commerçants jusqu’à une zone singulière d’Hébron. Hashem nous explique. Là d’où nous venons, c’est Hébron, ville animée et très commerçante, sous contrôle palestinien, appelée zone H1. Là où nous sommes, c’est la limite entre deux zones : une « libre » et une occupée. Là où nous allons, c’est à Hébron, dans la zone occupée par Israël, dite zone H2.
Hébron, ville assiégée
La ville d’Hébron est l’une des plus agressives de la Cisjordanie en termes de relation entre Palestiniens et colons juifs. Depuis 2002, pas moins de cinq colonies juives se sont installées dans le centre-ville. D’autres, plus grandes, ont germé à la périphérie. Les colons, soutenus par l’armée israélienne, ont envahi la vieille ville, ce qui a eu un très grand impact sur la vie des Palestiniens, car les commerces sont justement dans la vieille ville. À ce jour, Hébron est la seule ville de Cisjordanie à être occupée de la sorte.
La ville est ainsi divisée en deux zones distinctes :
. H1 (80 % de la municipalité) :
170 000 palestiniens environ
Sous contrôle palestinien
. H2 (environ 20 % de la municipalité)
Sous contrôle militaire israélien
47 familles soumises à couvre-feux
400 colons juifs
4000 soldats israéliens assurant leur protection,
soit 10 soldats pour 1 colon.
Hashem nous invite à le suivre jusqu’à un petit commerce devant lequel se trouvent des blocs de béton d’un mètre cube environ chacun. Installés par l’armée israélienne, ils ont pour fonction d’empêcher tout véhicule palestinien (véhicules d’urgence et de secours inclus) d’atteindre le checkpoint et donc de pénétrer dans la zone H2. Après avoir confiés nos bagages au commerçant « frontalier », le dernier avant le check-point, nous nous dirigeons vers celui-ci.
Premier checkpoint
Planté en travers de la rue, un bungalow et quelques militaires israéliens : c’est un checkpoint. À l’intérieur, nos sacs et nous-mêmes sommes scannés et contrôlés avant d’être autorisés à passer de l’autre côté. Nous franchissons alors notre premier checkpoint et entrons dans la zone H2.
Hébron, entre la zone H1 et la zone H2
Le checkpoint d’accès à H2
Très animée avant l’arrivée des colons, cette rue est désormais
déserte. Tous les commerces ont été fermés, et les habitants sont
soumis à un couvre-feu parfois très rude.
Hébron, zone H2
Brusquement, le silence. La rue est déserte. Toutes les boutiques sont fermées par de grands volets verts définitivement clos par des barres de fer scellées par les militaires israéliens. À l’étage, les volets des habitations sont clos également. L’atmosphère de cette rue est irréelle. Pas un chat, pas un passant, pas âme qui vive. Le contraste entre les deux parties de la ville est saisissant. J’ai l’impression de me trouver dans un décor de film, dans une ville fantôme. Pourtant, il y a encore quelques années, la Shuhada Street était une des rues les plus commerçantes d’Hébron.
Les pleurs d’un enfant, perceptibles à travers les grilles d’une fenêtre, trahissent la présence d’une famille, au-dessus d’un commerce condamné. Dans cette rue, seules 6 familles palestiniennes continuent de « vivre » malgré les couvre-feux, les restrictions de circulation et la fermeture des commerces. Ces mesures inhumaines n’ont d’autre objectif que de rendre la vie des palestiniens récalcitrants à ce point impossible qu’ils n’aient d’autre choix que de quitter la zone. Pourtant, malgré les conditions de vie extrêmement difficiles, 47 familles résistent encore en zone H2, subissant régulièrement des attaques de colons.
Durant notre présence dans cette rue, nous verrons passer, à deux reprises, un véhicule TIPH (Temporary International Presence in Hebron) patrouillant lentement dans la rue déserte. Ses patrouilles sont chargées de surveiller la zone et de dissuader colons ou Palestiniens de commettre un acte susceptible de déclencher une escalade de la violence. Ainsi, les incidents constatés sont transmis aux autorités compétentes, mais sont malheureusement rarement suivis de sanctions.
Pour nous, occidentaux, imaginer qu’aujourd’hui, en 2010, des familles soient consignées dans leurs habitations jusqu’au renoncement de leurs droits à vivre chez eux dépasse l’entendement. J’ai l’impression d’être plongée dans un monde parallèle, ou de me trouver sur les lieux de tournage d’un film qui aurait pour décor les ghettos de Varsovie dans les années 40. Mais nous ne sommes malheureusement pas sur le tournage d’un film, et encore moins dans le passé. Ce que nous voyons est bien réel et se passe aujourd’hui, en juillet 2010, en Palestine. Des rues vides. Des magasins clos. Des volets clos. Et des familles vivant derrière ces volets clos. Comment les « puissances » internationales peuvent-elles accepter une telle situation sans réagir ? Le TIPH rédige des rapports, l’ONU rédige des rapports, d’autres ONG rédigent des rapports. Toutes relatent les mêmes faits. Et pourtant, rien ne change. Les agresseurs restent impunis, et les Palestiniens d’Hébron vivent dans des conditions toujours plus difficiles.
Nous poursuivons notre progression et Hashem nous raconte : l’occupation de la mosquée d’Ibrahi...