Chapitre 1
Qu’est-ce que le stress?
Le stress est un processus par lequel nous réagissons à un événement de la vie que nous percevons comme une menace ou un défi. Bien entendu, il n’est pas apparu à l’ère moderne. En effet, le stress existe depuis le début de l’humanité, notamment causé par les guerres, les famines, les cataclysmes, les épidémies, les menaces des prédateurs ainsi que par les deuils personnels, la maladie, etc.
Le mot « stress » vient du terme latin « stringere » qui veut dire étreindre ou serrer. Il a été emprunté à la physique, en 1936, par Hans Selye, chercheur canadien d’origine autrichienne. Celui-ci l’a défini comme étant l’interaction entre une force et une résistance, quelles que soient cette force et cette résistance. En fait, comme les matériaux qui se déforment sous l’effet d’une forte pression, la personne manifeste des symptômes physiologiques et psychologiques sous l’effet d’une tension.
Tout organisme vivant, qu’il s’agisse d’un adulte, d’un enfant, d’un animal ou d’une plante, vit des épisodes de stress durant son existence.
Le stress n’est pas une maladie; il constitue plutôt une réaction normale de l’organisme face à un danger, à une contrainte ou à un défi. Depuis la préhistoire, il a permis aux humains de réagir, notamment aux menaces.
Mais comment cela se produit-il? Quand un danger apparaît, le cerveau commande l’hormone de stress qui mobilise nos énergies, que ce soit pour fuir ou pour combattre. Le stress stimule l’hypothalamus, la glande pituitaire et la glande surrénale. Ainsi, le fait d’exposer un individu à un stress déclenche une plus grande activité du système endocrinien. La concentration de cortisol, qu’on qualifie d’hormone de stress, dans la salive, le sang et l’urine révèlent cette plus grande activité.
Le stress est tout à fait normal lorsque nous sommes en présence d’un événement ou d’une situation qui menace notre sécurité ou notre bien-être. Toutefois, nous sommes plus vulnérables et affectés par le stress quand nous nous sentons comme dans un « brouillard », lorsque nous avons le sentiment de ne pas contrôler une situation pénible ou quand nous jugeons, à tort ou à raison, ne pas posséder les capacités pour y faire face. Ainsi, l’impact négatif du stress est beaucoup plus important quand on ne peut pas contrôler le stresseur, d’autant plus si on n’a pas prévu son apparition.
La capacité de faire face à un stress varie d’une personne à une autre. En effet, le même événement peut être perçu comme stressant chez une personne qui juge qu’elle ne maîtrise pas de stratégies pour s’y adapter, mais stimulant chez une autre qui est consciente de les posséder. Dans le dernier cas, cela suppose au préalable la capacité de pouvoir agir (empowerment), capacité qui s’appuie sur une conscience de ses forces et sur une estime de soi véritable. Gilles Rondeau1 définit bien l’empowerment dans le passage suivant :
« … un processus permettant le changement d’un état de passivité à un état d’activité ou de contrôle sur sa vie. Cette transition peut se manifester chez une personne par une augmentation de son sens du contrôle personnel et par les applications qu’elle en fait dans sa vie. En essence, on parle ici d’un processus de changement où la personne quitte la passivité et devient active, c’est-à-dire se mobilise et devient auteur de sa vie. En devenant active, elle cherche à prendre ou à reprendre du contrôle sur elle-même et sur son environnement. »
Le pouvoir d’agir s’appuie sur l’estime de soi qui consiste essentiellement en une reconnaissance des forces et des habiletés que la personne s’attribue et qu’elle utilise pour construire des stratégies d’adaptation afin de gérer les stress de la vie. Grâce à l’estime de soi que la personne entretient par rapport à elle-même, elle devient consciente qu’elle a les capacités de combattre le stress, autrement dit qu’elle a un pouvoir d’agir.
1. Rondeau, G. Texte présenté au colloque « Travail social et empowerment à l’aube du XXIe siècle ». Université du Québec à Hull, Hull, 22 avril 1999.
La façon de percevoir
Ce n’est pas un événement particulier qui produit le stress, mais plutôt la façon dont la personne le perçoit. Une situation peut s’avérer stressante pour tout le monde, comme par exemple le fait d’être à proximité d’un incendie de forêt. Toutefois, dans d’autres situations, tout dépend de la façon dont la personne interprète l’événement; cela s’effectue en fonction de son passé et de l’évaluation qu’elle fait de sa capacité à y faire face. Durant toute notre existence, les événements stressants passent par notre « filtre psychologique ».
La perception de la situation stressante est subjective, relative à chaque personne. Par exemple, une personne peut estimer qu’un nouveau travail constitue un défi stimulant tandis qu’une autre peut le percevoir comme un danger d’échec.
Ainsi, le stress a des conséquences différentes selon les personnes. Par conséquent, il ne faut ni exagérer ni minimiser son degré de sévérité. Tout dépend des capacités et des vulnérabilités physiques et psychologiques de chacun et, en particulier, de la perception de son pouvoir d’agir.
La perception de la situation stressante se fait en deux étapes rapprochées. En premier lieu, la personne évalue le danger et, par la suite, sa capacité à le surmonter. Un danger imprévu — une inondation, un feu de forêt, une agression physique… — mobilise beaucoup d’énergie et de ressources personnelles. Il est à noter ici que la plupart des personnes n’utilisent pas chaque jour toute l’énergie dont elles disposent. Elles en conservent en réserve une certaine quantité afin de faire face aux cas d’urgence. Cette réserve sera utilisée pour affronter des événements ou des situations qui nécessitent un investissement massif et inhabituel d’énergie. Pensons, à titre d’exemple, à cette mère qui a réussi à soulever une remorque de deux cents kilos qui était renversée sur son enfant. Pour ma part, j’ai vécu, durant l’adolescence, une situation de courte durée mais qui s’est avérée très stressante. Je cueillais des framboises avec quelques amis lorsque, par mégarde, je touchai à un nid de guêpes. Une piqûre au bras me fit comprendre que je courais un grand danger et qu’une armée de guêpes cruelles se préparait à m’attaquer. Je me suis donc mis à courir à une vitesse exceptionnelle et j’ai sauté par-dessus une clôture d’au moins un mètre cinquante pour finalement plonger dans la rivière. Pour la première fois, j’étais vraiment impressionné par mes capacités athlétiques. Je n’ai eu droit à aucune compassion de la part de mes amis. Au contraire, ils ont bien ri à mes dépens, et beaucoup trop longtemps selon moi. Ils m’ont même proposé de refaire l’exploit sans être pourchassé par les guêpes…
Phases et conséquences dans une situation de stress majeur
Face à un danger, le corps passe par une phase d’alarme avant de rebondir en mobilisant ses énergies. Si la situation stressante se prolonge, le corps en vient à être épuisé. En effet, il est constitué pour faire face à des stress temporaires. Un stress prolongé affectera donc la santé physique et mentale. Anne-Marie Simard2 décrit bien la réaction physiologique du corps face à un stress majeur :
« Le stress est un mécanisme très utile qui, au cours de l’ évolution, a permis aux humains de réagir aux menaces. Quand un danger survient, le cerveau envoie un signal qui fait automatiquement grimper le taux de glucocorticoïdes (hormones du stress), dont le cortisol, dans notre sang. Dès que le cortisol sanguin atteint un certain niveau, le cerveau reçoit le signal de stopper la machine, et le calme revient. Mais chez certaines personnes, la machinerie du stress s’emballe et ne réussit pas à s’arrêter. Résultat : un niveau de cortisol sanguin constamment au plafond. »
Dans une situation de stress majeur, notre corps manifeste les signes suivants :
• Sécrétion d’adrénaline;
• Accélération du rythme cardiaque;
• Respiration plus rapide;
• Pression sanguine plus élevée;
• Pâleur;
• Tension des muscles;
• Plus grande libération de sucre par le foie;
• Plus grande coagulation sanguine;
• Digestion au ralenti.
Il est à noter que notre corps réagit au stress selon nos prédispositions héréditaires et notre état de santé. Les symptômes attribués au stress ont tendance à se manifester dans l’organe ou dans le système le plus faible de notre organisme. Ainsi, une personne peut réagir au stress par des troubles digestifs, une autre par des crises d’asthme et une troisième par un problème cardiaque. Cependant, la plupart des chercheurs admettent que l’environnement physique et humain joue un rôle plus important que le bagage génétique dans la gestion du stress.
Hans Selye3 a décrit trois phases dans le stress qu’il nommait syndrome général d’adaptation : la réaction d’alarme, la phase de résistance et la phase d’épuisement. La réaction d’alarme est amorcée par l’impact d’un agent stressant. Elle provient de la branche sympathique du système nerveux autonome. Elle prépare l’organisme à fuir ou à combattre la source du danger. Au cours de la phase de résistance, il y a une importante mobilisation de l’énergie physique ou psychologique pour fuir ou combattre la source du stress. Si la personne consomme trop souvent son surplus d’énergie sans que le stresseur disparaisse, elle atteint la phase d’épuisement qui se manifeste par une perte ou une augmentation de poids selon les personnes ainsi que par une grande fatigue. Cependant, si le danger disparaît ou que le stress est bien géré, la personne retrouve son équilibre; elle recherche alors le repos et la tranquillité.
Il est normal de ressentir un stress majeur face à un traumatisme comme la perte d’un conjoint, un tremblement de terre, la guerre, un viol, un accident important, etc. Cependant, dans bien des cas, le stress ne se limite pas à l’événement stressant; il peut même durer longtemps et devenir un stress post-traumatique. Dans ce cas, la personne revit souvent le traumatisme en pensée et dans des cauchemars en même temps qu’elle cherche à éviter les situations qui le rappellent. Chez l’enfant, le stress post-traumatique se manifeste notamment par des problèmes d’appétit, des cauchemars, de l’hyperactivité et des comportements régressifs comme une grande dépendance envers l’adulte.
Le stress est différent de l’anxiété pathologique par sa nature et ses manifestations. Dans le Petit Larousse de la psychologie4, la distinction est claire :
« Mais il faut savoir qu’il y a parfois de l’anxiété sans stress, par exemple ces ondes d’angoisse qui gagnent alors que tout semble aller pour le mieux, et du stress sans anxiété, notamment dans les compétitions sportives. Le stress est un phénomène indispensable de la vie quotidienne, ne le prenons pas systématiquement pour de l’anxiété. »
L’anxiété est ressentie chaque jour et peut durer plusieurs semaines. Ses causes sont inconscientes comme dans le cas de l’anxiété névrotique qui est à la base des troubles obsessionnels et compulsifs. Le stress est également différent du trouble panique au cours duquel la personne manifeste des crises d’angoisse aiguës auxquelles sont associés des symptômes physiques comme des palpitations, des tremblements, des sueurs, etc. Contrairement à l’anxiété pathologique et au trouble panique, la cause du stress est consciente chez la personne.
2. Simard, Anne-Marie. « Alerte au stress ». Québec Science 2010 49 (1) : 44-48.
3. Selye, Hans. « A syndrome produced by diverse nocuous agents ». Nature 1936 138 : 32.
4. Petit Larousse de la psychologie. Paris : Larousse, 2008, pp. 586-587.
Le stress, une réalité normale de la vie
Il est parfois difficile de distinguer un stress mineur d’un stress majeur, car tout dépend de la perception qu’on a de sa gravité. Dans notre quotidien, nous subissons fréquemment des irritants et des tracas, par exemple quand nous sommes pris dans un bouchon de circulation avant un rendez-vous important ou quand nous ne trouvons pas les clés de l’automobile avant de partir pour le travail. Ce sont là des stress mineurs, souvent ponctuels, qui n’affectent pas beaucoup la santé physique ou mentale, contrairement aux stress majeurs. À notre époque, le stress s’est enraciné dans nos vies à un point tel qu’il constitue une présence constante dont on oublie souvent l’influence. La fréquence des stresseurs mineurs et majeurs constitue l’un des plus graves problèmes de notre société moderne. On doit s’y intéresser pour comprendre, à toutes les périodes de la vie, certaines perturbations dans notre santé physique et mentale.
Il est important de comprendre que le stress est une réaction normale dans un processus d’adaptation à un changement qui se produit dans notre vie ou en regard d’un problème que nous avons à résoudre. Durant toute son existence, l’être humain a besoin d’une certaine dose de stress. Celui-ci n’est pas toujours négatif. Il ne faut pas le limiter à des expériences pénibles ou qui font souffrir. Tout événement nouveau et source de plaisir, comme la naissance d’un enfant ou un nouveau travail stimulant, fait vivre du stress. La plupart des personnes supportent un certain degré de stress, qu’il soit positif ou négatif. Cependant, dans toute vie normale, il faut s’attendre à devoir vivre des situations ou des événements très stressants.
Le stress est une réalité normale de la vie. Il nous avertit du danger, il provoque notre vigilance, il nous pousse en avant en mobilisant notre énergie et nos capacités. Le stress peut être bénéfique, mais il peut aussi se transformer en détresse s’il dure trop longtemps ou s’il est trop intense, s’il nuit à notre capacité d’adaptation et affecte notre s...