SAVOIR APPRENDRE
Pour mieux vivre l’école, il faut évidemment savoir apprendre. De la même façon que les capacités d’apprentissage ne suffisent pas pour être heureux à l’école, les attitudes favorables aux apprentissages, les habiletés sociales et les savoirs de toutes sortes ne sauront permettre à l’enfant de s’épanouir à l’école s’il y éprouve de véritables problèmes d’apprentissage. Il suffit parfois que l’enfant n’ait pas développé d’attitudes favorables pour qu’il n’ait pas accès à tout son potentiel intellectuel; il peut en effet avoir beaucoup de difficultés à apprendre s’il n’a pas confiance en lui, s’il démissionne devant l’effort ou s’il s’oppose à tout ce qui lui est demandé par un représentant de l’autorité. Celui qui n’arrive pas à s’intégrer socialement peut aussi éprouver de telles difficultés, comme celui qui vit des circonstances particulières au sein de sa famille (maladie, décès, divorce, violence, etc.). Par ailleurs, certains enfants vivent dans un environnement qu’on peut qualifier d’« idéal », en ce sens que toutes les conditions semblent en place pour qu’ils apprennent sans difficulté; toutefois, dans leur cas, ce sont les habiletés d’apprentissage elles-mêmes qui sont en cause et qui freinent l’accès à la connaissance et la réussite scolaire.
Pour apprendre, outre les conditions de vie dont nous venons de parler, il faut avoir un cerveau en bon état et, conséquemment, un minimum d’intelligence ainsi que la capacité de s’en servir, ce à quoi peuvent nuire un déficit de l’attention (menant à des difficultés d’apprentissage qui, par définition, ne seront que passagères si l’on traite ce qui les cause) ou des troubles d’apprentissage comme une dyslexie/ dysorthographie, une dyscalculie ou une dyspraxie (qui, par définition et contrairement aux difficultés, persistent malgré les interventions adaptées que l’on met en place)1. Il faut aussi vouloir le faire (ce qui n’est possible que si l’enfant sait qu’il peut le faire et pourquoi il le fait) et savoir comment le faire. Chez nombre d’enfants, ces habiletés d’apprentissage sont intactes et efficientes dès le départ. Elles fonctionnent sans qu’ils en aient conscience. De leur côté, ceux qui présentent des difficultés ou des troubles d’apprentissage doivent apprendre « comment apprendre », en tenant compte de leurs forces et de leurs difficultés, s’ils veulent réussir à l’école. Cela demande beaucoup de temps, d’efforts et de savoir-faire de la part de tous les intervenants en cause, c’est-à-dire de l’enfant lui-même, de ses parents, de son enseignant et des professionnels qu’il rencontrera tout au long de son parcours scolaire.
1. Pour plus de détails concernant le savoir apprendre, les styles cognitifs, les difficultés et les troubles d’apprentissage, nous référons le lecteur aux livres de Marie-Claude Béliveau, Dyslexie et autres maux d’école – Quand et comment intervenir et Au retour de l’école… La place des parents dans l’apprentissage scolaire, publiés aux Éditions du CHU Sainte-Justine. De plus, en annexe du présent ouvrage, nous reprenons le portrait fonctionnel contenu dans Dyslexie et autres maux d’école afin d’aider le lecteur à repérer des indices de difficultés ou de troubles d’apprentissage.
> COMMENT APPRENDRE?
Le cerveau qui nous permet d’emmagasiner et de traiter l’information fonctionne grâce à l’interaction de deux hémisphères complémentaires; l’un est reconnu comme étant le siège de l’intelligence verbale et l’autre, celui de l’intelligence non verbale. Le premier est principalement en cause dans le traitement de l’information verbale (ce qu’on dit, ce qu’on comprend de ce qu’on nous dit et ce qu’on se dit en soi pour s’aider à comprendre ou pour réfléchir) et l’autre, de l’information non verbale (ce qu’on voit, ce qu’on ressent, ce qu’on imagine). Pour bien apprendre, il faut que nos sens (la vue et l’ouïe) soient intacts ou corrigés (au besoin grâce à des lunettes ou à des prothèses auditives). Il faut aussi que notre fonctionnement cognitif nous permette de nous servir de notre intelligence à sa pleine mesure soit, notamment, de comprendre et d’emmagasiner l’information qui nous est transmise par ces sens. L’enfant doit être en mesure de capter l’information et de la faire voyager entre ses hémisphères cérébraux pour la comprendre et la mémoriser (voir la figure en page 113); il doit pouvoir se faire des images mentales de ce qu’il entend et se parler de ce qu’il voit. C’est ce qu’on appelle la représentation mentale de ce qui a été vu ou entendu. L’élève peut comprendre suffisamment ce qu’il voit et entend et est en mesure d’en témoigner à l’aide du langage oral ou écrit par un jeu de mentalisation active entre ses systèmes de représentation mentale verbal et non verbal.
Une harmonie minimale entre ces deux hémisphères (verbal et non verbal) est donc essentielle pour apprendre. Celui qui ne pense qu’en images ne peut pas réussir à l’école puisqu’il ne peut pas témoigner avec des mots de ce qu’il voit et comprend « en images » dans sa tête. De la même façon, celui qui ne fait que se répéter ce qu’il a lu ou entendu lorsqu’il étudie ne peut pas se faire de représentation mentale imagée de ce qu’il entend, ce qui limite sa compréhension. Il apprend «par cœur» et risque fort d’être dépourvu si, dans un contexte différent, on le questionne sur la notion ainsi apprise.
Regardons maintenant de façon un peu plus détaillée comment l’enfant apprend.
Les systèmes de représentation mentale
Pour comprendre…
L’enfant qui écoute une consigne donnée par son enseignant ne la comprend que s’il se construit mentalement une image de ce que signifie cette consigne. Ainsi, l’enseignant qui demande aux élèves de se regrouper en équipes de trois pour faire un travail peut facilement identifier ceux qui n’ont pas « écouté » quand il donne le signal d’exécution de la consigne. En effet, l’enfant qui ne se fait pas d’images mentales en entendant cette consigne se retrouve inévitablement surpris quand il voit tout à coup ses collègues de classe se lever pour se regrouper en équipes. Il a bien entendu les mots, mais il ne les a que partiellement compris. Il sait vaguement qu’il faut former des équipes… Mais quand? De combien? Pourquoi? Il se fie alors aux autres. Cette attitude n’est pas nécessairement due à un déficit de l’attention comme on pourrait le penser en regardant agir cet enfant, bien qu’elle puisse aussi l’être.
Pour mémoriser…
Grâce au jeu de transfert entre les hémisphères, donc de traduction d’un mode de représentation mentale à l’autre (du verbal au non verbal et vice-versa), l’information passe de la mémoire à court terme à la mémoire à long terme, ce qui est évidemment souhaitable quand on veut comprendre et retenir ce que l’on nous a enseigné. L’information, emmagasinée sous forme de mots ou d’images, doit donc « voyager » entre les deux hémisphères tout en étant traduite d’un mode à l’autre.
Pour apprendre…
On comprend et on retient mieux l’information qu’on a lue ou entendue si l’on s’en fait une image mentale ou si on l’accompagne d’une image qui nous revient en mémoire quand on tente de se rappeler ce qui nous a été dit ou ce qu’on a lu. De la même façon, on se souvient mieux d’une image, d’un schéma ou d’un tableau qu’on a vu si on prend le temps de s’en parler à soi-même au moment où on le regarde. Cela nous aide à reconstituer par la suite l’image parce qu’on peut se rappeler les détails, leur ordre et l’emplacement de chacune des parties du tout. Cela est possible si on est en mesure de se répéter ce qu’on s’en est dit au moment même où on l’observait.
Les processus cognitifs dans le traitement de l’information
Les systèmes de représentation mentale permettent de se représenter l’information qui est d’abord perçue par nos sens, généralement par la vue et l’ouïe dans le cas de l’apprentissage scolaire, donc principalement en mots ou en images, selon le système le plus efficace chez chacun. Il existe aussi des procédés de traitement de l’information qui fonctionnent ensemble, comme les systèmes de représentation mentale verbale et non verbale le font pour permettre l’apprentissage. Nous traitons l’information, représentée de façon plus verbale ou plus visuelle, à l’aide de processus cognitifs de traitement de l’information tout aussi complémentaires : il s’agit des processus cognitifs responsables du traitement séquentiel et simultané des informations. Pour alléger le texte, nous utiliserons ici les termes processus séquentiels et processus simultanés2.
Les processus séquentiels sont actifs dans le traitement linéaire et analytique de l’information, tandis que les processus simultanés permettent de traiter l’information dans son ensemble. Les processus séquentiels traitent les parties du tout, détail par détail et de façon chronologique, alors que les processus simultanés traitent l’information d’une façon globale, en donnant préséance au tout plutôt qu’aux parties qui le composent3.
Stratégies d’enseignement et d’apprentissage
L’expérience nous permet de constater que de nombreux enfants déploient beaucoup d’efforts pour apprendre à partir de stratégies d’apprentissage qui ne sont pas conformes à leur style cognitif. Ils ont adopté des moyens qu’on leur a donnés même s’ils ne sont pas les plus appropriés pour eux.
Chacun privilégie donc plus ou moins un mode de représentation mentale et certains processus de traitement de l’information pour traiter les stimuli qui lui sont présentés. En fonction de cela, on peut définir quatre types de styles cognitifs (séquentiel verbal, séquentiel non verbal, simultané verbal et simultané non verbal), à partir desquels élèves et enseignants trouvent leurs façons de faire. Cela mène à des stratégies d’apprentissage pour l’élève et à des stratégies d’enseignement pour l’enseignant.
Nous définissons ici les stratégies d’apprentissage comme étant l’ensemble des moyens qu’une personne a développés pour apprendre. Le style de chacun s’établit en combinant le système préférentiel de représentation mentale (verbal ou non verbal) aux processus privilégiés pour traiter l’information (de façon séquentielle ou simultanée), compte tenu de son style cognitif et de ce qu’il en a fait au fil des ans. Dans cette perspective, les habiletés d’apprentissage d’une personne sont certes influencées par son potentiel intellectuel, mais aussi par son environnement. Toutefois, son style cognitif et les stratégies qu’elle utilise pour apprendre caractérisent sa façon d’apprendre. La réussite de ses apprentissages dépend donc surtout des stratégies qu’elle utilise pour traiter l’information, la comprendre et la mettre en mémoire.
Ces stratégies d’apprentissage ou d’enseignement, avec lesquels les enfants et les adultes s’approprient ou transmettent leur compréhension du réel, ont plus ou moins de succès selon l’arrimage qui se fait entre les styles cognitifs de chacun. Cela se fait également en fonction de la conscience que chacun a de sa façon d’apprendre, donc du fonctionnement de son propre style et des ajustements qu’il peut y apporter tout aussi consciemment. Ce n’est qu’en arrivant à comprendre ses façons d’apprendre et d’enseigner, puis à les gérer, qu’on peut en tirer profit.
Des styles cognitifs aux styles d’enseignement et d’apprentissage
Chez les enfants comme chez les adultes, on retrouve des styles cognitifs bien différents qui donnent lieu à autant de styles d’apprentissage et de styles d’enseignement. Comme nous venons de le voir, les quatre styles cognitifs sont les suivants : séquentiel verbal, séquentiel non verbal, simultané verbal et simultané non verbal. Selon le style qu’il privilégie, l’enfant apprend davantage avec des mots (verbal) ou avec des images (non verbal), puis de façon plus structurée (séquentielle) ou plus globale (simultanée).
En général, les quatre quadrants fonctionnent de façon assez complémentaire (voir la figure 1 en page 113). Quand on retrouve des écarts de fonctionnement marqués entre les systèmes de représentation mentale ou les processus cognitifs de traitement de l’information d’un individu, on parle d’un style cognitif particulier qui définit les forces relevées chez l’enfant par rapport à des fonctions moins efficientes et qui influence largement la manière dont il s’approprie la connaissance. Par exemple, on dit de l’enfant qui doit absolument « voir » pour apprendre qu’il est « très visuel ». Mais cela est souvent vrai parce que ses habiletés verbales sont nettement moins efficaces, d’où un grand écart de fonctionnement qui nous permet de nommer les forces dont il doit se servir pour apprendre, ce que nous faisons quand on le qualifie de « très visuel » et de « peu verbal ».
De la même façon, on dit de l’enfant qu’il privilégie un mode de traitement simultané s’il traite plusieurs informations à la fois, dans un jeu vidéo par exemple. Il a tendance à traiter l’information rapidement, sans détails ni nuances, et surtout sans se soucier de l’organisation temporelle des éléments qui composent le tout, étape par étape, et sans tenir compte d’un ordre linéaire comme le ferait celui qui privilégie un mode de traitement plus séquentiel.
Ces quatre styles nous permettent de mieux comprendre combien les différences entre les façons d’apprendre de chacun peuvent être importantes, et combien les façons d’enseigner doivent être diversifiées.
FIGURE 1
Pour nous aider à définir et à illustrer le fonctionnement de ces quatre styles, regardons-les chez quatre enfants.
Marie sait comment dire. C’est une « vraie pie », comme on l’appelle souvent. Elle verbalise tout ce qui lui passe par la tête. De plus, elle procède de façon très organisée et minutieuse dans tout ce qu’elle fait. Elle a besoin de routine et elle n’aime pas en déroger. Elle peut lire pendant des heures et suivre les cours magistraux en classe sans aucun problème. Elle a plus de difficulté en géométrie et elle n’est pas très créatrice. Elle sait appliquer les procédures à la lettre, mais elle ne sait pas toujours dans quel contexte utiliser telle ou telle règle ou procédure. Son style : séquentiel verbal. Sa plus grande force sur le plan des apprentissages : être capable de s’exprimer clairement. Pas d’erreur, elle sait comment dire!
Aubert, lui, est musicien. Toujours à l’heure, mais un peu rêveur, il a une âme d’artiste tout en ayant un tempérament très structuré. Il est bien organisé et il a beaucoup d’ordre. Il aime que chaque chose soit à sa place et il semble parfois un peu dans son monde. Souvent, on l’entend chantonner des mélodies qu’il compose à longueur de journées. Il adore lire des bandes dessinées et s’amuse parfois à illustrer les histoires qu’il voit dans sa tête. Il sait toujours comment faire quand il faut appliquer une procédure. Il préfère le monde des images et de la musique à celui des mots, d’où son petit côté un peu solitaire. Il traduit le monde en séquences d’images pour comprendre et communiquer. Son style : séquentiel non verbal. Sa plus grande force sur le plan des apprentissages : analyser avec méthode. Il sait comment faire!
Marie-Paule est particulièrement brillante à l’école. Elle pige vite tout ce qui est expliqué ou démontré par le professeur. Elle s’ennuie en classe parce qu’elle comprend rapidement de quoi il est question, dès qu’on l’a située en contexte et que le domaine d’apprentissage visé par la leçon du jour a été posé. Elle peut traiter de nombreuses informations à la fois et peut facilement traduire ce qu’on lui dit en images mentales, ce qui l’aide à être très performante à l’école. Elle n’aura aucun problème à faire des études supérieures si elle utilise les stratégies qui sont conformes à son style cognitif. Elle s’approprie le monde en le traduisant en concepts et en réseau à l’aide du langage. Son style : simultané verbal. Sa plus grande force sur le plan de...