PREMIÈRE PARTIE
Le cheminement émotif
CHAPITRE 1
Les réactions à des événements
stressants ou traumatisants
Subir un traumatisme crânien (TCC), un accident vasculaire cérébral (AVC) ou toute atteinte importante au cerveau ou à la moelle épinière implique une série d’événements traumatisants générateurs de stress. Le parent d’un enfant victime d’un traumatisme crânien, d’un AVC ou de toute autre blessure neurologique subit les mêmes situations. Le moment de la blessure, l’hospitalisation et le retrait du milieu familial engendrent beaucoup de stress, d’autant plus s’il s’agit d’une blessure grave, une atteinte au système nerveux central. La période de récupération et de réadaptation et la vie avec un jeune (enfant ou adolescent) ayant subi une lésion neurologique comportent également des facteurs de stress. Ce stress se vit et se traduit de multiples façons chez chacune des personnes concernées.
Nous aborderons d’abord cet enchaînement d’événements potentiellement stressants ou traumatisants. Ensuite, nous observerons les différentes formes d’expression du stress, soit l’éventail de réactions possibles à ce dernier. Les moyens d’y faire face et les interventions appropriées pour l’apaiser sont traités au chapitre 5.
Le moment et les circonstances de la blessure
Le moment de la blessure neurologique demeure un moment très marquant où l’on peut avoir l’impression que la vie s’est arrêtée, a basculé et a changé du tout au tout.
Pour certains jeunes, il surviendra lors d’un accident de la route comme piéton, passager ou conducteur d’une automobile, lors d’un accident de bicyclette, de moto, de véhicule tout terrain (VTT) ; lors d’une chute, d’un plongeon, de la chute d’un objet lourd sur la tête, d’un coup reçu, d’une négligence, d’une agression ; ou encore lors d’un accident de sport (ski, planche à neige, patins à roues alignées, planche à roulettes, hockey, football, etc.). Les circonstances dans lesquelles se déroule cet accident peuvent nous interpeller : par exemple, lorsqu’elles impliquent un conducteur roulant à une vitesse excessive ou avec facultés affaiblies, un délit de fuite, un arrêt non respecté, une perte de contrôle sur la route ; lorsqu’elles se déroulent en famille, au cours d’une sortie scolaire ou de vacances, ou encore à cause d’un acte de violence.
Pour d’autres, les premiers symptômes d’un AVC, d’une tumeur, d’une maladie infectieuse, d’une encéphalite ou d’un autre trouble neurologique s’installent progressivement ou surviennent brusquement à la maison, durant la nuit, à l’école ou chez la gardienne. Cela peut être des symptômes physiques ou comportementaux qui inquiètent : étourdissements, maux de tête, changements dans la vision, nausées, vomissements, pertes de conscience, convulsions, apathie, irritabilité, difficulté à trouver le mot juste, maux de dos, faiblesse dans un bras ou une jambe, changements dans les sensations physiques, visage qui se décompose ou fièvre inexpliquée. Pour certains, enfin, une intervention chirurgicale entraîne des conséquences neurologiques imprévues ou non souhaitées.
Ces moments constituent des expériences inattendues, imprévisibles et souvent hors de notre contrôle. Il s’agit certainement d’événements dérangeants, voire terrifiants.
L’hospitalisation et le retrait du milieu familial
Souvent, l’ambulance est appelée sur les lieux. Suivent l’intervention des ambulanciers, le transport à l’hôpital et parfois le transfert vers un centre hospitalier pour enfants, puis les premières interventions des médecins et des infirmières à l’urgence qui se déroulent dans un état de fébrilité marquant. À d’autres occasions, les fréquents allers et retours au bureau du médecin ou à l’hôpital, avec d’inévitables périodes d’attente, précèdent l’admission et les traitements plus intensifs.
Urgentologues, intensivistes et médecins spécialistes pratiquent alors une panoplie d’examens. S’ajoutent des prises de sang, des injections, l’administration de médicaments, les prises des signes vitaux et de nombreux tests ou interventions aux noms inconnus de la majorité des gens : intubation (insertion d’un tube dans la trachée pour faciliter la respiration), trachéotomie (incision chirurgicale au niveau du cou pour accéder à la trachée et installer une canule pour la respiration), imagerie médicale (radiographies, tomodensitométrie ou CT-scan utilisant des rayons X pour obtenir des images en coupes, résonnance magnétique ou IRM utilisant un champ magnétique intense pour déceler des lésions ou malformations), électroencéphalogramme (EEG, mesure de l’activité électrique du cerveau), électromyogramme (EMG, mesure de l’activité électrique des muscles), ponction (prélèvement d’un liquide biologique d’un organe ou d’une cavité), biopsie (prélèvement d’un fragment d’organe ou de tissu), craniotomie (chirurgie pour enlever un volet osseux du crâne), pose d’un cathéter (tube inséré pour permettre l’écoulement d’un liquide telle l’urine), etc.
Toutes les mesures prises pour assurer les premiers soins et la survie du jeune se combinent souvent à des opérations urgentes, notamment en neurochirurgie ou en orthopédie. De nombreuses personnes s’activent alors en même temps autour du blessé, se concentrant souvent sur son visage et sa tête. Et cela sans compter la douleur causée par les blessures et les interventions, douleur qui peut être réactivée lors des manipulations et des soins.
Pour le jeune le moindrement conscient et pour le parent, ces traitements nécessaires et vitaux peuvent néanmoins s’avérer invasifs et intrusifs. Ils se trouvent abruptement plongés dans un monde inconnu, presque irréel et inondés de termes médicaux dont ils ignorent la signification. Tant d’événements se bousculent, avec leur lot de questionnements, dont les réponses arrivent parfois au compte-gouttes. Il y a surtout de très grandes préoccupations pour la vie, la survie et la santé du jeune.
Le passage aux soins intensifs peut être de courte durée (quelques heures), ou s’échelonner sur plusieurs semaines. Il est lui aussi constitué de hauts et de bas selon l’évolution de la condition du jeune. De nouvelles interventions ou des opérations rendues indispensables génèrent chaque fois de l’anxiété, n’octroyant de répit que lorsque la condition du jeune se stabilise ou s’améliore.
Le transfert hors des soins intensifs, dans une unité de traumatologie, de neurologie ou d’oncologie, est empreint à la fois d’un certain soulagement et de stress. C’est l’étape de la surveillance des signes d’éveil et de progrès. C’est aussi l’attente de réponses à des questions toujours préoccupantes. Les pensées et les émotions continuent à se bousculer dans la tête et dans le cœur : désarroi, impuissance, sentiment d’étrangeté, peur, soulagement, espoir, inquiétudes, incertitudes. S’ajoute l’adaptation à un nouveau décor et à de nouveaux intervenants : le personnel médical et infirmier et les divers professionnels (physiothérapeute, ergothérapeute, inhalothérapeute, orthophoniste, psychologue, neuropsychologue, travailleur social, etc.) qui entrent en scène ou passent le relais.
À travers tout cela, le fait de se retrouver ou de s’éveiller dans un milieu inconnu demeure anxiogène pour le jeune. La soudaine séparation du milieu habituel, des parents, frères et sœurs, amis et animaux de compagnie, du confort et de la familiarité de la maison, combinée au chambardement abrupt de la routine quotidienne, affecte tous les jeunes, surtout les tout-petits. Cette perte de leur monde prévisible peut être angoissante et provoquer un sentiment d’impuissance. D’autres adultes semblent avoir pris le contrôle de leur vie et ces personnes changent souvent. Les parents ressentent également cette anxiété et cette impuissance. Dans certains cas, les membres de la famille blessés dans un même accident sont dispersés dans divers hôpitaux. Cela ajoute au stress et complique la communication, l’organisation et le soutien mutuel. La situation est d’autant plus dramatique si une personne proche est décédée ou sérieusement blessée.
Dès le début, et surtout à mesure que le jeune s’éveille, le parent cherche à le rassurer, à le situer et à répondre à ses questions, alors qu’il vit lui-même un grand tumulte intérieur. La mère et le père se préoccupent aussi du bien-être des frères et sœurs, de leurs réactions et de leurs inquiétudes, même si toute l’énergie se concentre sur l’enfant blessé. Gérer la maisonnée à distance ou lors de courtes présences relève de l’acrobatie. Les membres de la famille élargie (grands-parents, tantes et oncles) peuvent se relayer auprès du jeune et de ses parents ou apporter leur soutien d’une autre façon. Il faut aussi prendre le temps de les informer des développements.
Parallèlement, le parent doit vivre avec la fatigue qui s’accumule. Il assure une présence à l’hôpital auprès de son enfant, pour suivre une évolution encore incertaine et pour rencontrer les médecins et les autres intervenants. Le parent peut sentir que tout est mis en œuvre pour s’occuper de son fils ou de sa fille. Il peut aussi vivre des insatisfactions, bien fondées ou amplifiées par l’anxiété, à propos du déroulement ou de la rapidité des soins et à l’égard de la machine médicale. Les réponses demeurent souvent floues, le pronostic difficile à établir soulevant de nouvelles inquiétudes. L’attente d’un diagnostic ou son annonce demeurent de grands moments de stress. Le parent doit également composer avec les contraintes ou les exigences de son propre travail. Des préoccupations financières peuvent également surgir : rentrées de revenus perturbées, dépenses imprévues, comptes à payer, etc.
La nature de la blessure
La blessure neurologique en soi constitue une forme distincte d’événement stressant. Le fait qu’il s’agisse d’une atteinte au système nerveux central plutôt qu’une simple fracture à une jambe inquiète beaucoup plus et s’avère certainement plus angoissant. D’autant plus qu’une telle lésion, selon sa gravité, peut avoir un impact majeur, et parfois dévastateur, sur tous les aspects de la personne : physique, sensoriel, cognitif, affectif, comportemental et social.
Être privé du jour au lendemain de ses aptitudes habituelles et ignorer quel en sera le degré de récupération peut être terrifiant. Le jeune peut également avoir à composer avec un cerveau lésé ou un état de conscience altérée, ce qui l’empêche de comprendre, de donner un sens à ce qui lui arrive. Les symptômes pouvant survenir à la suite d’un traumatisme crânien mineur ou léger (parfois nommé commotion cérébrale, surtout dans l’univers sportif) peuvent également être dérangeants. Les maux de tête, étourdissements, nausées, irritabilité, confusion, agitation, problèmes d’attention, de concentration, de mémoire, fatigue ou sensibilité à la lumière et au bruit sont déstabilisants et suscitent souvent de l’anxiété.
L’atteinte cérébrale est un événement traumatisant distinct, d’autant plus que le centre de gestion du stress, le cerveau, est lui-même perturbé. Le jeune cérébrolésé n’est peut-être plus aussi habile à utiliser ses stratégies naturelles et habituelles pour gérer, composer avec le stress et s’adapter aux nouvelles situations.
La période de récupération et la réadaptation
Lorsque la condition médicale du jeune neurotraumatisé se stabilise ou lorsque le jeune cérébrolésé sort du coma, la période de récupération s’amorce avec espoir, mais aussi avec son lot d’inconnu. Selon l’évolution de sa condition médicale et la progression de sa récupération, le jeune retourne tôt ou tard chez lui poursuivre sa convalescence et sa réadaptation sur une base externe. Pour certains, un séjour plus ou moins long dans un centre de réadaptation s’imposera. Pour tous, comme pour leurs parents, la période de récupération et de réadaptation est une expérience nouvelle d’une durée indéfinie au départ. On ne sait trop à quoi s’attendre ni ce qu’on attend de nous : la vitesse et le degré de récupération, le fonctionnement de la réadaptation, le genre de thérapies et le travail qu’elles exigent, leur fréquence, l’évolution attendue, la place de la famille dans le processus, etc. Chacun vit et compose différemment avec ces incertitudes. On se questionne aussi sur l’absence scolaire et le retard qui s’accumule.
Le transfert dans un centre de réadaptation marque une nouvelle étape. Bien que plus petit et plus paisible que l’hôpital de soins généraux, ce centre s’avère un nouveau milieu dont le jeune et sa famille ignoraient souvent l’existence. Ils y arrivent avec un vécu épuisant, parfois tendus, chargés de préoccupations et d’émotions diverses, et d’un bagage de termes médicaux, de noms de spécialistes ou de professionnels inconnus quelque temps auparavant. Ils doivent maintenant apprivoiser et s’adapter à un nouveau lieu, à de nouveaux intervenants et même à de nouvelles façons de faire.
Le processus de réadaptation comporte de nombreux aspects qui évoluent et se modifient avec le temps. La récupération s’effectue à une vitesse variable et parfois sans tous les ...