Chapitre 1
LA DYSPRAXIE:
de quoi s’agit-il?
Définir la dyspraxie
La dyspraxie est un trouble de la planification et de la coordination des mouvements qui sont nécessaires pour réaliser une action nouvelle, orientée vers un but précis. Ce trouble entraîne des difficultés plus ou moins importantes dans l’élaboration et l’automatisation des gestes volontaires. Ainsi, la personne dyspraxique apparaît incapable de planifier, d’organiser et de coordonner ses gestes en séquence (en ordre) pour produire une action nouvelle et adaptée à l’environnement dans lequel elle agit.
La dyspraxie est un trouble du «comment faire». Les personnes dyspraxiques apprennent à exécuter les tâches motrices avec beaucoup de répétitions et cet apprentissage ne se généralise pas spontanément à d’autres situations. La personne doit donc apprendre chaque variante d’une activité comme si elle était toute nouvelle.
La dyspraxie entraîne des incapacités qui interfèrent avec l’accomplissement des activités de la vie quotidienne, avec les apprentissages scolaires ou encore avec le travail.
Nous aborderons ces aspects de façon plus approfondie dans les chapitres qui suivent.
On parle souvent de dyspraxie développementale pour signifier que l’atteinte est congénitale, donc présente depuis la naissance, et non spécifique, en ce sens qu’elle ne touche pas une zone très précise du cerveau, mais plutôt le développement d’un ensemble de fonctions neurologiques. Aucune cause n’est encore identifiée avec certitude, mais plusieurs auteurs rapportent, pour la moitié des cas recensés, un manque d’oxygène à la naissance. On indique aussi que la dyspraxie toucherait autour de 6% des enfants de 5 à 12 ans et que les garçons en sont atteints de deux à quatre fois plus souvent que les filles. Précisons qu’on ne dispose encore d’aucune statistique québécoise.
Enfin, le terme «apraxie» signifie une absence complète du mouvement volontaire. On l’utilise généralement chez l’adulte pour désigner un désordre dans l’exécution des gestes appris, après une atteinte lésionnelle, par exemple un accident cérébral vasculaire. Toutefois, il arrive que des médecins emploient le mot «apraxie» dans la dyspraxie développementale pour décrire une altération spécifique d’une fonction. Ainsi, on pourra retrouver un ou plusieurs types d’apraxie dans le diagnostic de dyspraxie de l’enfant:
›Apraxie idéatoire: incapacité à effectuer volontairement la séquence des gestes nécessaires pour réaliser une action complexe, en raison d’une difficulté à concevoir l’idée même de cette action. Par exemple, ouvrir le tube dentifrice, mettre la pâte sur la brosse à dents et se brosser les dents.
›Apraxie idéomotrice: incapacité à imiter des gestes ou à exécuter une action sur commande verbale, sans l’utilisation des objets en cause, même si la personne comprend et sait quoi faire; alors que dans un geste spontané, l’action est souvent bien réussie. Par exemple, la personne est incapable de mimer de se brosser les dents, mais elle le fait naturellement chez elle, le matin.
›Apraxie de construction: incapacité à faire un assemblage dans le but de reproduire une construction en deux ou en trois dimensions, ou encore un dessin.
›Apraxie d’habillage: incapacité à s’habiller adéquatement en raison d’une impossibilité à mettre les vêtements dans le bon ordre et aussi d’une mauvaise utilisation des vêtements.
›Apraxie bucco-faciale: incapacité à imiter, sur commande verbale, des mouvements avec la bouche, par exemple, tirer la langue, gonfler les joues, souffler, etc.
Bien comprendre ce qu’est une praxie
Le mot «praxie» vient du grec «praksis» et signifie «action ordonnée vers une fin». C’est une habileté qui requiert la capacité de concevoir, de planifier et d’exécuter une séquence de gestes orientée vers un but. Elle suppose donc un agencement des gestes dans un ordre précis pour produire l’action voulue.
Le développement des praxies est à la base de l’organisation du comportement moteur. En effet, une organisation motrice adéquate permet à l’enfant d’agir de façon volontaire et efficace, selon le but qu’il s’est fixé. Les praxies ne sont pas innées, elles s’acquièrent plutôt au cours du développement et des expériences d’apprentissage, pour devenir matures vers l’âge de 11 ans.
Le développement des praxies est un processus comportant plusieurs étapes qui se déroulent dans un certain ordre. La première étape, appelée idéation, réfère à l’idée que l’on se fait de l’action à produire. C’est la phase de conceptualisation ou encore de représentation mentale de notre action, avant même de la mettre à exécution. Elle est donc essentiellement cognitive, au sens où elle s’élabore par la pensée.
Vient ensuite la planification, qui est l’étape de programmation et d’organisation de l’action selon un plan ordonné. Elle suppose de connaître et de mettre en séquence chacun des gestes qui mèneront à la réalisation de l’action voulue. La planification oblige à choisir une stratégie d’action. Cette seconde étape est encore fortement cognitive, mais elle repose aussi sur l’intégrité des systèmes sensoriels (qui reçoivent l’information du corps ou de l’extérieur), sur la connaissance de notre corps et de la place que celui-ci occupe dans l’espace (schéma corporel), ainsi que de l’interaction entre le corps en mouvement et l’environnement.
Enfin, la dernière étape est l’exécution, c’est-à-dire la mise en œuvre de notre série de mouvements et la réalisation de l’action, selon le plan élaboré. Cette phase comprend également la capacité à modifier ou à adapter le plan en cours d’exécution afin d’arriver au résultat voulu. C’est l’étape motrice du processus praxique.
Comme on peut le constater, le développement des praxies est essentiel pour réaliser une multitude d’actions et il contribue à façonner le comportement humain.
Les conditions fréquemment associées à la dyspraxie
Malheureusement, les troubles neurologiques viennent rarement seuls et la dyspraxie ne fait pas exception. Un des troubles le plus fréquemment associé à la dyspraxie est le trouble déficitaire de l’attention, avec ou sans hyperactivité (TDA/H). De plus en plus connu et diagnostiqué, ce trouble repose sur un ensemble de comportements qui comprennent — en proportion variable — de l’inattention, de l’impulsivité et de l’hyperactivité. Plusieurs enfants dyspraxiques présentent les caractéristiques du TDA/H et peuvent bénéficier d’un traitement pour celui-ci. Toutefois, l’enfant peut paraître inattentif — sans l’être réellement — en raison des difficultés inhérentes à la dyspraxie sur les plans du traitement de l’information, de la perception visuelle et de la vitesse d’exécution. Il faut donc demeurer prudent quant au diagnostic rapide de TDA/H, puisque bien des enfants dyspraxiques, s’ils n’ont pas un vrai déficit de l’attention, ne seront pas aidés par la médication.
La deuxième condition fréquemment associée à la dyspraxie est la présence de difficultés d’apprentissage, touchant différentes matières et étant d’intensité variable selon chaque enfant et selon son degré de scolarité. Comme nous le verrons plus loin, les déficits entraînés par la dyspraxie dans plusieurs sphères du développement ont de grandes répercussions sur les apprentissages scolaires. On trouvera au chapitre 8, intitulé L’enfant dyspraxique à l’école, la description détaillée des difficultés d’apprentissage associées à la dyspraxie.
Les différentes appellations de la dyspraxie
Au fil des années et selon différents auteurs, la dyspraxie a reçu plusieurs appellations. Déjà en 1977, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) reconnaissait le syndrome dyspraxique dans sa Classification internationale des maladies (CIM). Dans sa 10e révision (CIM-10), l’OMS classe actuellement la dyspraxie de développement sous le terme de «trouble spécifique du développement moteur». Ce trouble est décrit comme une altération sévère du développement de la coordination, non imputable exclusivement à un retard global ou à une affection neurologique spécifique, congénitale ou acquise […].
Au cours des années 70, certains auteurs — dont Gubbay (1975) — utilisaient le terme «clumsy child» (enfant maladroit). Ils référaient à un enfant d’intelligence normale qui, bien que n’ayant aucune anomalie physique, ne pouvait exécuter les mêmes activités motrices que les autres enfants de son âge. De nos jours, on n’utilise à peu près plus ce terme, en raison de sa connotation péjorative.
Dans une autre classification, celle de l’Association américaine de psychiatrie (DSM-IV, 2000), on utilise plutôt le terme «developmental coordination disorder» (DCD), traduit en français par Trouble d’acquisition de la coordination (TAC). Comme le dit son nom, cette appellation met l’accent sur l’aspect moteur du trouble identifié, en spécifiant que les problèmes de coordination interfèrent avec l’apprentissage à l’école et la réalisation des activités de la vie quotidienne. En 1994, l’appellation DCD a fait l’objet d’un consensus et c’est actuellement le terme le plus utilisé aux États-Unis et au Canada anglais.
Dans le milieu de la réadaptation, particulièrement en ergothérapie, les cliniciens ont largement été influencés par les travaux de J. Ayres (1972, 1985). Cette ergothérapeute a développé la théorie d’intégration sensorielle pour expliquer la relation entre les déficits dans l’interprétation des sensations et des difficultés d’apprentissage chez les enfants qu’elle traitait. Selon cette auteure, l’intégration sensorielle est un processus neurologique qui organise les sensations provenant du corps et de l’environnement et qui permet de les utiliser pour planifier efficacement des actions. Ayres émettait l’hypothèse que les difficultés de planification motrice menant à des troubles d’apprentissage résultaient d’une pauvre intégration des informations sensorielles. On sait maintenant que cette définition ne s’applique qu’à une partie des enfants dyspraxiques.
Quant au terme dyspraxie, il est utilisé surtout au Québec et en Europe, et sa définition varie selon les professionnels et le pays d’où ils proviennent.
Malgré ces différences de terminologie, on peut dégager des points communs à toutes ces appellations. La dyspraxie est un trouble moteur:
›qui touche la planification et la coordination des mouvements, cela en l’absence de déficit moteur primaire affectant les nerfs ou les muscles, comme dans la paralysie cérébrale, la dystrophie musculaire ou autres;
›qui n’est pas causé par une déficience intellectuelle ou un trouble envahissant du développement;
›qui a des conséquences sur l’autonomie dans la vie quotidienne et sur les apprentissages scolaires.
›La dyspraxie est un trouble neurologique qui affecte la capacité à planifier et à coordonner ses gestes de façon à réaliser des actions complexes et adaptées à son environnement.
›Le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité et les troubles d’apprentissage sont les deux conditions les plus fréquemment associées à la dyspraxie.
›Dans la documentation et selon les pays, il existe plusieurs appellations et définitions de ce trouble. Les deux termes les plus employés actuellement sont la dyspraxie et le DCD (trouble d’acquisition de la coordination).
Portwood, M. Developmental Dyspraxia — Identification and Intervention: A Manual for P...