1ère Partie :
Léonor Jean Christin SOULAS
d’ALLAINVAL (L’Abbé)
L’Auteur
Dictionnaire des Théâtres de Paris
Parfaict 1767
A la recherche de l’identité de l’abbé d’Allainval
Notices biographiques
Aucune mention biographique émanant de contemporains de l’abbé d’Allainval, écrite du vivant de l’auteur, n’est parvenue jusqu’à nous. Seul Maupoint dans sa Bibliothèque des Théâtres5, qui établit un catalogue alphabétique des Pièces dramatiques, Opéra, Parodies, & Opéra Comiques, fait référence aux pièces de d’Allainval sans toutefois nous fournir le moindre détail biographique. D’Allainval est cité six fois pour la représentation de ses pièces, et Maupoint lui affecte trois orthographes différentes (M. d’Alainval – M. Dallainval – M. Dalainval), ce qui ne témoigne pas d’une grande connaissance de l’auteur.
Lorsque Parfaict publie son Dictionnaire des Théâtres de Paris6 en 1767 soit près de quinze années après la mort de l’auteur, il le croit toujours vivant (Tome premier – p. →) :
« ALLAINVAL, (N….d’ ) Auteur vivant, a donné …. »
Il doit effectuer une correction en fin d’ouvrage (Tome septième – p. →) pour rétablir la vérité :
« & ajoutez la mort de cet Auteur, arrivée pendant l’été de l’année 1753 ».
Lui non plus ne sait trop quelle orthographe affecter à son nom. Cela l’amène, comme il le dit « par inadvertance », à doubler l’article qu’il lui consacre et l’enregistrer tout d’abord au chapitre A-AL au nom de ALLAINVAL puis au chapitre D-DA au nom de DALLAINVAL.
C’est donc peu dire que l’auteur n’a pas laissé une grande trace auprès de ses contemporains et que les témoignages dont nous disposons n’ont été produits que très longtemps après sa disparition. On comprend mieux que chaque critique ou biographe des XVIIIe et XIXe siècles se soit bien souvent contenté de reprendre les écrits précédents, même si cela ne les rend pas forcément suspects d’authenticité.
Dans son Dictionnaire portatif historique des Théâtres7, publié en 1763, Antoine de Léris le décrit comme un « philosophe peu à son aise […] connu par plusieurs ouvrages de différens genres ».
Alors que quelques années plus tard, en 1780, M. le Chevalier de Mouhy8 le répertorie comme « un riche Philosophe ». Qui croire ?
La première notice biographique qui ait quelque consistance, se trouve dans la préface de l’Embarras des Richesses rédigée par la veuve Valade qui édite l’ouvrage9 et que nous avons déjà citée. Elle donne quelques précisions, qu’avec prudence elle reconnaît toutefois n’être que suppositions :
« On peut conjecturer qu’ils n’étaient pas riches [nota : ses parents] et qu’il vint tout jeune à Paris, pour cesser de leur être à charge et tâcher de faire sa fortune par lui-même, en quoi il ne réussit gueres. Il prit l’habit Ecclesiastique, sans doute, seulement comme plus économique que tout autre ; car il n’y a pas d’apparence qu’il soit jamais entré dans les Ordres, puisqu’il travailla publiquement, pendant dix ans, pour les différens Théâtres, même pour celui de l’Opéra-Comique ».
Même sa date de naissance demeure imprécise et n’est pas authentifiée. Certains donnent 1695, comme l’Enciclopedia dello spettacolo10, ou Poètes beaucerons antérieurs au XIXe siècle11, alors que la plupart des dictionnaires d’œuvres littéraires retiennent l’année 1700. Judith Curtis, chercheur canadien qui a consacré une étude complète12 à l’Ecole des Bourgeois, s’en tient à une prudente réserve :
« De toute façon, on sait que d’Allainval naquit vers la fin du XVIIIe siècle dans la ville de Chartres, mais de sa famille pas plus que de la première partie de sa vie il ne nous reste plus de trace ».
Si la veuve Valade lui reconnaît un certain succès, c’est son indigence qu’elle souligne, même si elle ne se fait que l’écho d’une légende :
« Tous ces ouvrages ne purent le faire vivre dans l’aisance, quoique parmi ceux qu’il donna au Théâtre plusieurs eurent du succès, tel que l’Ecole des Bourgeois, […] On a prétendu même qu’il était si indigent, qu’il ne pouvait faire les frais d’un logement fixe et qu’il couchait indifféremment dans le premier endroit où il se trouvait ; souvent, dit-on, il passait la nuit dans quelqu’une des chaises à porteurs qui sont au coin des rues ».
Cette image de « pauvre diable », un auteur au succès limité et éphémère, ayant vécu dans la misère, sera reprise dans toutes les notices biographiques que nous avons retrouvées.
M. Palissot dans son Histoire de notre Littérature13 l’ajoute « à la liste trop nombreuse des gens de lettres qui ont vécu dans l’infortune ».
Près d’un siècle plus tard, Charles Monselet dans ses Premières Représentations célèbres14, reprenant là sans doute les propos de la veuve Valade dans la préface que nous avons déjà citée, entretient cette légende que rien n’est venu altérer :
« Il y a juste cent trente-six ans qu’un pauvre diable, moitié gentilhomme, moitié abbé, mais tout à fait écrivain, dînant de deux jours l’un, et couchant pendant les nuits d’hiver dans une chaise à porteurs, Soulas d’Allainval, faisait jouer à la Comédie-Française la très brillante comédie intitulée l’Ecole des Bourgeois ».
Entre Palissot et Monselet, toutes les notices biographiques qui concernent d’Allainval reprendront le même discours :
- 1814 – Théâtre des Auteurs du second ordre : « On ignore l’époque de sa naissance, et il ne nous reste que très peu de détails sur sa vie… ». - 1821 – Répertoire général du Théâtre Français : « D’Allainval naquit à Chartres de parents peu riches. Arrivé fort jeune à Paris… ».
- 1824 – Répertoire de la Littérature ancienne et moderne : « Né à Chartres, vint à Paris fort jeune… ». Le rédacteur lui accorde toutefois des circonstances atténuantes que ses prédécesseurs n’avaient pas envisagées : « On s’est beaucoup déchaîné contre les mœurs et la manière de vivre de d’Allainval. Sans chercher d’ailleurs à l’excuser, peut-être est-il juste de faire remarquer que l’espèce de mépris où il vécut peut ne lui pas être attribué tout entier ».
- 1825 : Bibliothèque dramatique ou Répertoire universel du Théâtre Français – « Aucun poète n’a vécu plus ignoré, et n’a laissé moins de matériaux à son historien. Il ne put jamais triompher de l’indigence ». Le rédacteur se prend lui aussi à lui reconnaître une mauvaise fortune : « La légèreté peu indulgente des biographes en accuse généralement les désordres de sa vie, quoique peut-être sa misère n’ait eu d’autres causes que l’injustice du siècle et les caprices de la fortune ».
Même les travaux plus récents n’échappent pas à cette règle, que ce soit Judith Curtis en 197615 ou Martial Person en 200616, dont les notices introductives reprennent les mêmes éléments, quelquefois fautifs, sans chercher à les étayer.
C’est ainsi, qu’arrivée au seuil du XXIe siècle, la biographie de Léonor Jean Christin Soulas d’Allainval, jamais vraiment vérifiée, car reconduite par des auteurs s’...