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Seconde guerre mondiale â Le naufrage d'un monde
Gabriel Thériault
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Seconde guerre mondiale â Le naufrage d'un monde
Gabriel Thériault
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Ă propos de ce livre
Prusse-Orientale, janvier 1945.Walther est un fantassin prussien. VĂ©tĂ©ran de nombreuses campagnes, il est usĂ© par les blessures.Erika est une fiĂšre Allemande qui refuse de plier.Tous deux s'apprĂȘtent Ă subir de plein fouet l'invasion soviĂ©tique.Le premier fourbit ses armes, prĂȘt au combat, prĂȘt Ă dĂ©fendre son foyer et sa famille.La seconde est communiste. Elle croit que l'ArmĂ©e rouge libĂ©rera l'Allemagne du fascisme. Elle ne sait pas qu'une terrible fureur l'anime le bras de l'ennemi.Tout les oppose, sauf la volontĂ© de survivre Ă une guerre qui achĂšve.
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Informations
Sujet
LiteratureSous-sujet
Historical FictionChapitre 1
27 janvier 1945, quelque part en Prusse-Orientale
Walther tombe et sâĂ©crase sur la neige. Visage rougi, yeux exorbitĂ©s, il sâĂ©veille dâun coup. Bouche grande ouverte, il avale lâair comme le presque noyĂ© recrachĂ© par les flots. Ou comme le nourrisson Ă sa premiĂšre respiration. Mais il nâest ni lâun ni lâautre, seulement un pendu qui Ă©chappe de peu Ă la mort.
MĂȘme rompue, la corde Ă©trangle Walther. Il Ă©touffe. Bave. RĂąle. Grimace.
Vite, ses mains attaquent ce funeste Ă©tau. HĂ©las, ses forces lâabandonnent. Ses doigts tremblent. Sa vision sâobscurcit. Lâeffort, la panique lâĂ©puisent. Il va sâeffondrer. Il va sombrer.
Enfin il glisse un doigt, puis deux dans cette mĂąchoire. Il la desserre et se libĂšre. Sâarrache au reste de la corde. Regarde et lit lâĂ©criteau pesant sur sa nuque.
Moi, Walther Schaal⊠Lùche. Pas voulu combattre⊠Pour les femmes et les enfants⊠Pour Allemagne.
Ătourdi, confus, il ne comprend pas ce quâil lui arrive. Pourquoi est-il en vareuse en plein hiver ? Pourquoi lui a-t-on arrachĂ© ses Ă©paulettes ? Pourquoi lâa-t-on pendu ? Pourquoi la corde semble-t-elle tranchĂ©e plutĂŽt que cassĂ©e ? Pourquoi sa tĂȘte le fait-elle autant souffrir ?
EmbuĂ©s de larmes, ses yeux lâabandonnent. Walther plonge dans un brouillard sous lequel les images sâestompent. Plus loin, des hommes mutilĂ©s qui hurlent, des chevaux blessĂ©s qui hennissent. Tout prĂšs, un pin immense. La branche basse Ă laquelle il fut pendu. Deux tristes corps qui se balancent mollement, sinistrement sous la bourrasque. Leur cou Ă©tirĂ©. Leur visage empourprĂ©. Leur langue qui poigne entre les lĂšvres.
Qui sont-ils ? Il rampe vers eux. Peu Ă peu, il croit reconnaĂźtre deux pauvres naufragĂ©s de lâhorreur quâil a voulu protĂ©ger.
Ses reptations lâont extĂ©nuĂ©. Le souffle lui manque. Il nâa pas la force de les dĂ©crocher. Il doit les abandonner Ă leur triste sort.
Il voit mal Ă travers les larmes qui coulent et qui voilent son regard. LĂ , Ă quelques pas, une silhouette apparaĂźt. Elle approche, un poignard au poing. Elle tend lâautre main vers lui. Pour lâachever ?
Walther veut crier. Non pas de peur, mais de rage et de haine. Pourtant, seul un murmure étouffé jaillit de sa gorge blessée.
Il roule sur le dos, extĂ©nuĂ©. Sa respiration, son sang cognent dans sa tĂȘte. Dans ses yeux, les images se disloquent. LĂ -haut, trĂšs haut, les nuages gonflent jusquâĂ se confondre avec lâimmensitĂ© et lâĂ©ternitĂ©, mĂȘlĂ©es lâune dans lâautre. Une derniĂšre vision ? La vie qui lâabandonne ? Ou simplement le poids de la guerre, les mois de fer et de feu qui lâaccablent ?
Lentement, le ciel sâefface, tandis que, sur sa rĂ©tine comme sur un Ă©cran, repasse le mauvais film des derniĂšres semaines.
Chapitre 2
9 janvier, environ trois semaines plus tĂŽt, Prusse-Orientale
Une autre patrouille dans le froid et la glace. Une autre nuit Ă frissonner, Ă marcher, les sens Ă lâaffĂ»t. Autour et toujours, la tranchĂ©e qui se ferme sur Walther et lâĂ©touffe. Jamais il ne sâest fait Ă cette existence de troglodyte croupissant sur place. Au moins, peste-t-il, le front en Russie bougeait.
Devant la tranchĂ©e sâĂ©tend le no manâs land. LĂ , Ivan guette dans la nuit, quelque deux cents mĂštres plus loin. Il y a deux mois, le front sâest stabilisĂ© aux limites de la Prusse. Depuis, chaque camp sâenterre dans ses tranchĂ©es et reprend des forces, trop essoufflĂ© pour continuer la tuerie. Ivan patiente, avec la promesse de se venger. Les Landser, avec la volontĂ© de mourir plutĂŽt que de laisser leur pays tomber aux mains des bolchĂ©viques.
Avant la conflagration, Walther menait une existence tout Ă fait diffĂ©rente de celle quâil mĂšne aujourdâhui en tant quâadjudant, Ă faire et Ă refaire la guerre de tranchĂ©es de ses pĂšres, Ă sâenterrer vif au fond dâabris sombres et enfumĂ©s qui puent la sueur, la poudre, lâinsecticide. En lui, il y a ce besoin de lumiĂšre et dâair frais, de mouvements, de grands espaces, de forĂȘts et de champs. Bon cavalier, chasseur Ă ses heures, paysan et bĂ»cheron dans lâĂąme, Walther est un vrai Prussien.
Mais Ă quoi bon rĂąler contre sa condition ? DĂ©sormais, câest du sĂ©rieux. La guerre se presse aux frontiĂšres du Vaterland1. Aussi noir soit lâavenir, il leur faut espĂ©rer. Et surtout lutter. Câest plus quâun patriotisme de dĂ©fense, câest un patriotisme de survie. Nemmersdorf et son sinistre cortĂšge de crimes rĂ©sonnent dans la nuit. Ils les obligent Ă ne pas flancher dâun pouce, pour leurs pĂšres, pour leurs mĂšres, pour leurs familles.
Pour sa femme.
Pour ses enfants.
Pour les siens.
Pour Leni.
Pour Maxim.
Pour Maria.
Ivan ne passera pas.
Tout en patrouillant, Walther se répÚte cette promesse.
Ă son passage, la tranchĂ©e sâanime. Main Ă la visiĂšre du casque, des recrues zĂ©lĂ©es font le salut rĂšglementaire. Des visages sourient sous les contours de lâacier et du passe-montagne : certains sont jeunes et imberbes, dâautres sont gris, barbus et usĂ©s. ĂĂ et lĂ , des silhouettes sâeffacent et se plaquent aux parois du boyau dans un tintement de mĂ©tal : le fourniment sâentrechoque dans un froid dialogue de fer. Enfin, des cuillĂšres raclent le fond des gamelles. Une odeur de soupe flotte. Le ravitaillement passe toujours la nuit, pour Ă©viter la pluie dâobus.
Walther croise parfois des sentinelles qui sâinstallent Ă leur poste de garde, un peu plus haut le long du parapet. Dâautres se plantent dans des postes avancĂ©s auxquels mĂšnent des boyaux qui sâavancent devant la ligne principale de rĂ©sistance. LĂ , elles sâembusquent. Ombres dans les ombres, elles se dissolvent dans la nuit. Elles guettent, muettes dans le silence quâelles fouillent. Elles battent de la semelle, ou se pincent, ou se giflent, pour lutter contre lâemprise grandissante du froid et de la fatigue. Gare Ă celles qui sombrent dans le sommeil. Lâadjudant les engueule royalement, quand il ne les fait pas placer aux arrĂȘts, au pain et Ă lâeau. Une telle duretĂ© lui tord parfois le cĆur. Mais la sĂ©curitĂ© de tous nâa-t-elle pas ses exigences ?
Des sentinelles, dĂ©jĂ en place sur le parapet, se penchent vers lui quand il passe Ă leurs pieds. Walther leur adresse lâĂ©ternelle question.
â Et puis ?
â Rien de neuf, Herr feldwebel2.
Des questions dâune autre nature lui sont posĂ©es.
â Herr feldwebel, câest vrai que des unitĂ©s blindĂ©es arrivent Ă la rescousse ? Notre offensive se prĂ©pare, hein ?
Ou encore :
â Herr jeldwebel, quâest-ce quâon fout encore en premiĂšre ligne ?
â Herr feldwebel, vous savez quand on sera relevĂ©s ?
Walther est conscient que la place dâun peloton dâassaut lourdement armĂ© nâest pas en premiĂšre ligne, mais en rĂ©serve, prĂȘt Ă mener des contre-attaques. Mais la Wehrmacht manque dâeffectifs.
â Herr feldwebel, Ivan attaquera-t-il prochainement ?
Walther sait que les gars sont prĂȘts, mais quâils ont froid et
faim. Surtout, ils sont las quâon leur cache tout, las dâattendre et de guetter ce qui pourtant arrivera, dâun jour Ă lâautre. Lâultime combat approche, celui qui dĂ©cidera du destin du Vaterland.
Trop souvent, ces pauvres diables croient quâun vulgaire feldwebel sait tout. Pourtant, Walther est trop petit pour ça. Il nage dans la mĂȘme soupe noire quâeux. Lui aussi ignore les plans dĂ©cidĂ©s au sommet de la chaĂźne de commandement. Lui aussi carbure Ă la machine Ă rumeurs, aux infos glanĂ©es Ă la radio ou dans les journaux.
Son rang lui interdit de projeter autre chose quâune position de force et dâautoritĂ©. Câest pourquoi Walther chasse le doute ou la peur ; il nâoffre que des certitudes. Chaque fois que ses gars le questionnent, il leur promet quâils arrĂȘteront les Rouges, quâils ne peuvent pas se permettre de les laisser passer, mĂȘme sâil leur faut pour cela tous mourir. Peut-ĂȘtre sont-ils perdus, mais ils combattront jusquâau dernier homme et jusquâĂ la derniĂšre cartouche.
Lui et les sentinelles parlent peu. Comme tous les cochons du front, ils sont avares de paroles. Les mots quâils Ă©changent sont comptĂ©s et jetĂ©s tout bas, voire chuchotĂ©s prudemment ou remplacĂ©s par des gestes. LâexpĂ©rience leur a appris la vigilance et la discrĂ©tion Ă cette heure propice aux coups de main et aux infiltrations. Car Ivan affectionne la nuit. Pourtant, lâespace qui sâĂ©tend entre eux et lâennemi est protĂ©gĂ©. Ici, des mines. LĂ , des barbelĂ©s qui Ă©corchent les chairs et font barriĂšre.
La nuit les abrite Ă©galement. Au contraire, Ă midi, un seul mouvement Ă©piĂ© depuis une colline au loin jette sur eux des torrents de flammes et dâacier qui les Ă©crasent et les mĂȘlent Ă la terre. Câest pourquoi ils sont des ĂȘtres dâombres. De nuit, ils vivent cachĂ©s dans les tĂ©nĂšbres. De jour, ils sont tapis dans leurs taniĂšres, comme les bĂȘtes sauvages.
DerriĂšre Walther, il y a Hans. La recrue lui colle aux semelles, comme toujours. Lâadjudant a pris ce jeunot sous son aile, en tant quâestafette et protection toute thĂ©orique. Car câest bien Walther qui veille sur Hans. Ă dix-sept printemps, la derniĂšre fournĂ©e de recrues Ă©tait dĂ©jĂ trop jeune. Or, lui nâa que quinze ans et des poussiĂšres. Comme son frĂšre jumeau GĂŒnther, il a menti sur son Ăąge. Ă lâheure des grands pĂ©rils, ni lâun ni lâautre ne voulaient rater lâoccasion de servir leur pays et le FĂŒhrer.
Ce gamin est une pousse trop verte. Au menton, pas de poils. Au poing, jamais de rasoir. Au bec, jamais de cigarette non plus. Sa gorge trop fine nâen supporte pas lâĂąpretĂ©. Ă la place, il suçote nerveusement des bonbons Ă lâersatz de sucre, quâil fait glisser contre ses dents.
Ce petit ne quitte jamais Walther. Lâadjudant lui enseigne tout, alors quâil a confiĂ© son frĂšre jumeau Ă un sergent, camarade et vĂ©tĂ©ran de confiance : Fritz, le Polak et colosse blond taillĂ© dans le roc. Ainsi, comme Walther lui a appris, Hans a toujours une main collĂ©e sur le StG44 pendu Ă son cou.
Soudain, des explosions secouent le no manâs land. Hans et Walther, aussi profondĂ©ment sont-ils enfoncĂ©s dans la terre, entraperçoivent les flashs lumineux qui papillotent au-dessus de leurs tĂȘtes et Ă©gratignent les ombres.
1. Littéralement pÚre-patrie. On peu...