— Maître, le juge des enfants demande si vous pouvez être là dans dix minutes ou si vous souhaitez qu’il décale l’audience d’une heure ? Si c’est le cas, il prendra un dossier avant le vôtre car il a du retard.
Marie-Chloé, la secrétaire du cabinet d’avocats, prenait soin de parler doucement pour ne pas perturber Paul.
Léa, en train d’allaiter son fils, leva la tête et lui sourit.
— Dites-lui que ce serait parfait et que je l’en remercie.
Marie-Chloé retourna dans son bureau, prit l’appel en attente et transmit la réponse au magistrat.
Elle revint dans le bureau de Léa :
— Il vous attend pour dix heures trente.
Léa la gratifia d’un grand sourire.
Depuis la naissance de Paul, Léa ne cessait de remercier la Providence. D’abord, il y avait son fils. Âgé maintenant de deux mois, il était né à terme en dépit du rythme effréné et des nombreux kilomètres effectués depuis son intégration au cabinet d’Anne Barreau.
Après la naissance, Anne lui avait proposé d’aménager un bureau en nurserie pendant les six premiers mois, le temps de trouver une assistante maternelle agréée qui lui convienne. Elle avait bien évidemment accepté, car cela lui permettait de profiter de son enfant et de continuer d’allaiter. Enfin, contre toute attente – et hormis deux consœurs désagréables – les juges, confrères et autres professionnels du monde judiciaire s’étaient montrés très conciliants, à l’instar du juge des enfants, en lui facilitant le passage aux audiences.
Sa seule contrariété : elle avait dû confier son lapin adoré à ses parents, car il ne s’acclimatait pas à la vie toulonnaise. Après l’avoir accompagnée dans toutes ses aventures parisiennes, Casse-Couilles était tombé malade plusieurs fois depuis le déménagement, contraignant Léa à s’en séparer. Piètre consolation, elle savait qu’il était bien traité.
Léa regarda son fils avec tendresse.
Il s’était endormi sur le sein de sa mère. Très doucement, un sourire aux lèvres, elle se leva et donna Paul à Marie-Chloé pour qu’elle le garde contre elle un petit moment avant de le coucher dans la pièce adjacente.
Elle prit ensuite sa robe et le dossier, se dirigea vers la lourde porte d’entrée du cabinet qu’elle ouvrit et referma avec une grande douceur pour ne pas réveiller son fils.
Elle sortit en chantonnant dans la rue, heureuse et confiante.
Marie-Chloé était la secrétaire principale du cabinet et travaillait depuis quinze ans avec Maître Barreau. Elles passaient plus de temps ensemble qu’avec leurs familles respectives et étaient devenues très proches. Un grand respect les liait, ainsi qu’une rare complicité.
Anne Barreau s’était assurée que Marie-Chloé accepte que Paul soit avec elles pendant six mois. À la grande joie de Léa, elle avait accepté, comme elle l’avait fait pour Léo, le second fils d’Anne, onze ans auparavant.
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* *
Devant le tribunal, le salut du policier en faction tira Léa de ses pensées. Elle lui répondit joyeusement et entra dans le bâtiment imposant et très moderne où se tenait son audience.
L’immeuble regroupait le tribunal de commerce, le tribunal d’instance et le tribunal pour enfants. Situé en face de la bibliothèque municipale de Toulon, dans l’avenue Maréchal-Leclerc, il avait été intégralement rénové et réaménagé après le déménagement des services des impôts. Sa façade, grise, restait pourtant peu engageante.
Léa prit une porte dérobée et se retrouva dans une sorte de sas. Elle ouvrit une seconde porte et s’engouffra dans l’aile dédiée au tribunal pour enfants. Elle déboucha sur un long couloir qui se poursuivait sur la gauche. Il était toujours rempli de monde : les parents et les mineurs convoqués par les juges des enfants (regroupés en quatre cabinets), mais aussi les éducateurs lorsqu’une mesure d’assistance éducative était en cours, sans oublier les policiers assurant la sécurité. Et comme les juges des différents cabinets recevaient parfois en même temps, il était souvent difficile de s’y faufiler.
Léa rejoignit ses clients, un adolescent de seize ans accompagné de sa mère, et enfila sa robe.
Elle assistait au titre de l’aide juridictionnelle1 le jeune garçon qui avait vendu de la drogue pour, selon ses propres termes, se « faire de l’argent » facilement.
Le juge s’apprêtait à lui signifier sa mise en examen et serait amené à le convoquer, dans un deuxième temps, pour l’informer de sa décision : remise à parent ou renvoi devant le tribunal pour enfants pour une peine plus sévère.
Pour Léa, le jeune garçon semblait trop calme et détaché, comme s’il ne se sentait pas concerné. Il n’avait, à l’évidence, qu’une envie : partir. Après l’avoir bien observé, l’avocate en conclut qu’il se fichait totalement de cette audience. Par conscience professionnelle, elle lui rappela ce qu’il risquait et que son sort dépendrait de son attitude envers le juge. Elle se tourna ensuite vers la mère de son client et lui demanda les pièces nécessaires au dossier dont elle avait dressé la liste quinze jours auparavant : copie du livret de famille, attestation d’hébergement, dernier avis d’imposition et dernier bulletin scolaire du jeune garçon, lequel était… catastrophique. Enfin, même si ses résultats étaient médiocres, il se rendait à l’école, ce qui était presque le seul point positif sur lequel Léa pouvait argumenter.
Le jeune, d’abord réservé, finit par lui expliquer qu’il voulait travailler, et non continuer à suivre les cours. Il était content, il avait trouvé un stage dans un garage et voulait apprendre la mécanique.
Au même moment, la porte du bureau du juge s’ouvrit, et les personnes concernées par le dossier précédent sortirent.
La greffière leurs succéda quelques minutes plus tard et appela le dossier de Léa.
Ils entrèrent tous les trois et, vingt minutes après, ressortirent à leur tour.
L’audience s’était déroulée comme Léa l’avait prédit : le juge avait indiqué qu’il convoquerait de nouveau son client dans quelques mois. D’ici là, mieux valait que le jeune garçon ne commette aucune infraction et se mette enfin au travail.
Avant de quitter son client, Léa se fit l’écho des paroles du juge et insista sur la nécessité pour l’adolescent de mettre en œuvre son projet pour revenir, lors de la prochaine audience, avec un contrat d’apprentissage signé.
Puis elle retourna au cabinet.
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Arrivée au bureau, une surprise attendait Léa.
Un magnifique bouquet trônait sur la table basse de son bureau. Elle s’approcha, sentit les fleurs et ouvrit la carte accrochée au film plastique entourant le bouquet.
Elle sourit. Il s’agissait d’un cadeau de clients auxquels elle avait donné un conseil par téléphone la semaine passée. Ils n’avaient pu venir au cabinet en raison de leur état de santé. Leur problème était très simple, la conversation n’avait duré que dix minutes et elle ne leur avait pas facturé d’honoraires.
— Quelle délicatesse !
Non sans avoir au préalable satisfait la curiosité de Marie-Chloé et d’Anne, impatientes de connaître l’expéditeur, elle leur demanda si Paul dormait toujours. Comme toute jeune maman avec son premier enfant, elle s’inquiétait tout le temps pour son fils. Ce qui la perturbait surtout était que Paul réclamait sept tétées par jour, dont deux la nuit, week-end compris, ce qui l’épuisait ! Entre les journées de travail et les nuits très courtes, elle avait l’impression de vivre dans un état cotonneux presque permanent, ce qui l’agaçait.
Pourtant, cela ne l’empêchait pas de se lever sans trop de difficultés le matin et d’abattre un travail considérable. Elle se rattrapait les week-ends, pendant lesquels elle avait décidé de ne plus travailler, en faisant la sieste en même temps que son fils pour récupérer un peu. Mais cette période arrivait à son terme, car elle avait pris la décision de substituer à l’allaitement des biberons dès le soir même, espérant que son fils ferait dorénavant des nuits complètes.
Anne et elle parlaient souvent de leur vie, partageaient leurs inquiétudes et leurs façons de voir l’avenir. Anne ne dévoilait toutefois que très peu sa vie personnelle, en dépit de la curiosité de sa collaboratrice.
Léa s’était volontiers confiée à sa patronne sur sa relation compliquée avec Nicolas, dont elle n’avait aucune nouvelle depuis l’envoi du texto où elle lui avait avoué être enceinte2.
Elle savait qu’il avait reconnu Paul en mairie de Toulon, quelques jours après sa naissance. Elle lui avait envoyé quelques photographies par e-mail, sans joindre le moindre mot, et se demandait quand il se manifesterait pour voir son fils. Elle était partagée entre l’envie de lui faire connaître Paul et la peur de se retrouver en sa présence. Elle l’avait tellement aimé.
Anne l’avait rassurée : un matin, elle se lèverait avec LA solution et il ne servait à rien de s’inquiéter. Nicolas avait montré qu’il assumait sa paternité en se déplaçant à Toulon pour reconnaître légalement son fils. Il se manifesterait lorsqu’il serait prêt.
— Mais est-ce que moi je serai prête ce jour-là ? avait rétorqué la jeune avocate.
Selon Anne, Léa n’aurait pas le choix et ferait face pour son enfant. En tout cas, Il fallait qu’elle ait un peu plus confiance en elle et qu’elle s’angoisse moins.
Léa en était là de ses réflexions lorsque la sonnette du cabinet retentit. Elle entendit la porte s’ouvrir, réveillant Paul qui se mit à pleurer. Elle le prit dans ses bras, se mit à le bercer doucement et à l’embrasser, lorsque Marie-Chloé l’appela.
Un énorme bouquet de fleurs cachait le livreur, qui demandait où poser son encombrant paquet.
« Encore ! » crièrent d’une même voix Léa et Anne, qui était sortie de son bureau au bruit de la sonnerie. Léa en profita pour demander à sa patronne si elle pouvait lui emprunter un vase. Anne acquiesça, alla chercher l’objet convoité et, aidée de Marie-Chloé, arrangea le bouquet afin qu’il fasse le plus d’effet possible.
Elles étaient très impatientes de savoir qui, cette fois-ci, avait fait livrer un si beau bouquet de roses aux tons roses et blancs. Elles s’affairaient autour de Léa, prenant tout leur temps, espérant que cette dernière ouvre le mot en leur présence. Mais Léa s’empara de l’enveloppe et es...