Tous les acteurs des relations internationales ne jouissent pas d’une reconnaissance équivalente. Certains, comme les États et les organisations intergouvernementales, bénéficient d’une reconnaissance ferme et d’un statut juridique de droit international public facilement identifiable. À l’inverse, d’autres ne disposent pas d’un statut juridique clair ou accepté par tous. Nonobstant, ils influencent les relations internationales.
Classiquement, l’État reste l’acteur principal ou primaire des relations internationales (chapitre 1). Toutefois, il est de plus en plus concurrencé par d’autres, qu’il s’agisse des acteurs secondaires ou dérivés (chapitre 2), des acteurs émergents (chapitre 3) ou des acteurs contestés (chapitre 4).
CHAPITRE 1. LES ÉTATS, ACTEURS PRIMAIRES
1. Le statut juridique impossible de The Eyeland
2. La nation des zombies
3. La nature étatique de la République galactique dans Star Wars
4. Immunité et inviolabilité : l’ambassade comme sanctuaire ultime
CHAPITRE 2. LES ORGANISATIONS INTERGOUVERNEMENTALES, ACTEURS DÉRIVÉS
1. L’institutionnalisation des internationales : de la Terre du Milieu à la République galactique
2. L’Organisation des Nations unies, organisation mondiale sous tension ?
3. Le syndrome d’Interpol : les activités méconnues des organisations internationales
CHAPITRE 3. LES INDIVIDUS, ACTEURS ÉMERGENTS
1. Quels droits pour les humains sur la Planète des Singes ?
2. Accueillir ou ghettoïser les réfugiés ? De Good Lie aux Fils de l’homme
3. Le juge pénal international, star du box-office ?
CHAPITRE 4. LES ACTEURS CONTESTÉS
1. Analyse comparée des organisations non gouvernementales dans les univers Marvel et DC comics
2. Bataille pour une société civile internationale
3. L’autre choc des titans. Les entreprises multinationales, concurrentes des États ?
4. Du Spectre à Kingsman, les entités armées non étatiques, pour le pire ou pour le meilleur ?
PRÉREQUIS
Les États sont les premiers acteurs des relations internationales. Ils se trouvent au centre des relations internationales. On parle d’acteurs primitifs. L’État se définit classiquement comme la personne morale de droit public territoriale et souveraine. Autrement dit, il est titulaire de la personnalité juridique internationale. Ses éléments constitutifs sont au nombre de trois : un territoire, une population, une organisation politique et juridique.
Le territoire fonde la compétence territoriale de l’État. Il constitue son assise matérielle, le cadre dans lequel sa population est stabilisée et dans les limites duquel sa compétence est pleine, exclusive, entière. Il se compose du territoire terrestre, qui comprend le sol, le sous-sol et les voies d’eau intérieures ; du territoire maritime, qui comprend les eaux intérieures, la mer territoriale (jusqu’à la limite des 12 miles marins), de la zone contiguë (jusqu’à la limite des 24 miles marins), de la zone d’économie exclusive sur laquelle les États côtiers exercent leurs droits souverains en matière d’exploration et d’usage des ressources (jusqu’aux 200 miles marins) ; et du territoire aérien, qui se situe au-dessus des territoires terrestres et maritimes.
La population établit la compétence personnelle de l’État. Elle désigne une communauté humaine juridiquement liée au territoire. Au sens large, elle est assimilée à la notion d’habitants ou de résidents, ce qui permet d’inclure les immigrés mais exclut les expatriés. Au sens étroit, elle mobilise la notion de nationalité, qui suggère un lien juridique particulier au-delà de la seule présence d’un l’individu sur le territoire. Cette notion éminemment statique est une construction plus sociologique que juridique qui fait peser sur le peuple une responsabilité morale en le liant aux générations passées et aux générations futures. C’est à la fois un principe de transmission de valeurs et de limitation du pouvoir du peuple.
Enfin, il faut une organisation politique et juridique qui puisse exercer son autorité de manière souveraine et effective. Même s’il existe une tendance lourde à la diffusion du modèle démocratique, le droit international reste indifférent à la nature du régime politique des États. Il importe surtout que le gouvernement puisse remplir ses fonctions essentielles et participer au jeu des relations internationales : pouvoir normatif, maintien de l’ordre, sécurité intérieure, respect des engagements internationaux. S’il n’en est plus capable, s’il est défaillant ou déliquescent, il pourra faire l’objet d’une mise sous tutelle.
La Convention de Montevideo du 26 décembre 1933, relative aux droits et obligations des États, mentionne une quatrième condition : la capacité d’entrer en relation avec les autres États. Cette condition est problématique car elle suggère que les États doivent au préalable être reconnus par les membres de la Communauté internationale pour exister juridiquement. C’est la thèse constitutive, qui s’oppose à la thèse dominante dite « déclarative ». Le refus de reconnaissance est un acte politique qui n’affecte pas l’existence dudit État puisqu’un État non reconnu pourra agir sur la scène internationale (exemples : Kosovo, Palestine).
De manière générale, le droit international est plutôt protecteur des compétences de l’État. Il se caractérise par deux principes cardinaux (la souveraineté de l’État et l’égalité juridique entre les États) qui, conjugués, forment l’égale souveraineté des États.
De nombreux auteurs, tels Bertrand Badie ou Pierre Birnbaum, ont essayé de relativiser l’importance de l’État en tant que forme d’organisation des collectivités humaines. Premièrement, l’État au sens moderne, c’est-à-dire la représentation qui tend à se cristalliser à partir des traités de Westphalie du 24 octobre 1648, n’a pas toujours existé. Deuxièmement, de nombreux éléments en suggèrent le recul, voire la prochaine disparition : émergence de grands ensembles continentaux dont l’Union européenne est l’exemple le plus abouti, développement du droit international et de la communauté internationale. Néanmoins, l’État sait aussi s’adapter. Il reste la structure à succès qui perdure. Les États naissent, les États disparaissent, mais l’État reste !
1. Le statut juridique impossible de The Eyeland
Territoire – compétence territoriale – terra nullius – théorie de la découverte – occupation effective – droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
Lost (2004) n’est pas une fiction à prendre à la légère. Le quarante-quatrième président des États-Unis, Barack Obama, a même déplacé le traditionnel discours annuel sur l’état de l’Union afin de ne pas être concurrencé par le premier épisode de la sixième saison. Outre une fin ésotérique et métaphysique insultante pour l’intelligence des fans, la série présente un défi conceptuel insurmontable : celui du statut juridique de l’île qui sert de décor aux aventures des survivants du vol Oceanic Airlines 815 et des autres, tous les « Autres ». En effet, The Eyeland possède une capacité extraordinaire… ELLE SE DÉPLACE, en permanence et de manière aléatoire.
Première hypothèse : l’île est une terra nullius, c’est-à-dire un territoire qui n’appartient à personne, qui échappe à la souveraineté d’un État quelconque. Forgée au XIe siècle pour autoriser l’appropriation des territoires non chrétiens par les souverains chrétiens, cette notion a été particulièrement utilisée au XVIIIe siècle afin de justifier la colonisation et la négation des droits des « peuples découverts » dont l’organisation politique et sociale ne correspondait pas aux standards européens. Elle est aujourd’hui entendue de la manière la plus restreinte possible par la Cour internationale de Justice. La présence d’une population, même nomade, la neutralise (CIJ, Avis relatif à l’affaire du Sahara occidental, 16 octobre 1975). En l’espèce, The Eyeland a été occupée de manière sporadique depuis l’Antiquité. Jacob, le protecteur de l’île, a bien tenté d’y implanter une communauté, les Autres, mais la présence du monstre et les carnages qu’il commet ont toujours empêché une occupation totale de l’île. Les Autres vivent essentiellement dans un camp fermé dont ils sortent peu, ce qui obère la reconnaissance de leur souveraineté sur l’intégralité du territoire. Par conséquent, elle peut encore faire l’objet d’une appropriation, au moins partielle, grâce au jeu conjugué des règles de la découverte et de l’occupation effective. La seule découverte et l’animus occupante ne suffisent pas, en effet. Il faut que la volonté d’occuper se concrétise par des actes matériels d’occupation : fonctions régaliennes, réglementation des activités économiques, établissement des communications, etc. L’appréciation se fait en fonction du contexte. Dans l’arrêt « Minquiers et Écréhous » du 17 novembre 1953, la Cour internationale de justice a ainsi écarté les prétentions de la France sur le groupe d’îlots et de rochers. Contrairement au Royaume-Uni qui exerçait une occupation effective, percevait des impôts, enregistrait des contrats de vente immobilière, exerçait une juridiction pénale, avait établi des postes de douanes et bâti des bâtiments officiels, la France s’était en effet contentée de construire quelques voies de circulation. On peut également penser à la sentence arbitrale du 4 avril 1928 dans l’affaire de l’île de Palmas. À l’inverse, dans l’affaire de l’île de Clipperton du 28 janvier 1931, la CIJ a considéré que de simples actes de surveillance autour de l’île suffisaient à établir l’effectivité de l’occupation, eu é...