Les lois de l'imitation
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Les lois de l'imitation

édition intégrale

  1. 358 pages
  2. French
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Les lois de l'imitation

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À propos de ce livre

Dans l'ombre de Durkheim, Gabriel Tarde n'a peut-être pas eu la place qu'il méritait.Fondateur de la sociologie moderne et précurseur de la psychologie sociale, il nous permet pourtant de mieux comprendre les phénomènes de groupes ou les faits de masse en replaçant l'individu au centre de son analyse reposant tout entière sur le principe des Lois de l'Imitation.« La lecture des Lois de l'imitation, pour qui s'intéresse à l'histoire de la sociologie française, produit l'effet d'une démystification. L'ouvrage, dans la diffusion critique qui trop souvent se substitua à l'examen attentif de ses thèses, semble avoir fait l'objet d'un faux procès. Et plus encore, on est conduit à se demander si la grande opposition entre Tarde et Durkheim, dont on sait qu'elle alimente le débat sociologique à la fin du XIXème et dans les premières décennies du XXème siècle, ne repose pas en définitive sur un profond malentendu. »Sommaire: Chapitre I. La Répétition universelle; Chapitre II. Les similitudes sociales et l'imitation; Chapitre III. Qu'est-ce qu'une société?; Chapitre IV. Qu'est-ce que l'histoire? L'archéologie et la statistique; Chapitre V. Les lois logiques de l'imitation; Chapitre VI. Les influences extra-logiques; Chapitre VII. Les influences extra-logiques (suite). La Coutume et la Mode; Chapitre VIII. Remarques et corollaires...

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Informations

Année
2021
Imprimer l'ISBN
9782322397891
ISBN de l'eBook
9782322404414

Chapitre VII

Les influences extra-logiques
(suite)

La coutume et la mode

Ages de coutume où le modèle ancien, paternel ou patriotique, a toute faveur; âges de mode, où l'avantage est souvent au modèle nouveau, exotique. Par la mode, l'imitation s'affranchit de la génération. Rapports de l'imitation et de la génération semblables à ceux de la génération et de l'ondulation. - Passage de la coutume à la mode, puis retour à la coutume élargie. Application de cette loi:
La présomption de supériorité qui, à valeur logique supposée égale, recommande un exemple entre mille autres, ne s'attache pas seulement aux personnes, aux classes et aux lieux d'où il émane, mais encore à sa date ancienne ou récente. C'est à cette dernière sorte d'influences que nous allons consacrer ce chapitre. Il n'est, on le voit, qu'une suite à la loi de l'imitation du supérieur, seulement envisagée sous un nouvel aspect. Commençons par poser en principe que, même dans les sociétés les plus envahies, telles que la nôtre, par l'importation des locutions, des idées, des institutions, des littératures, étrangères et contemporaines, et accréditées à ce double titre, le prestige des ancêtres l'emporte encore immensément sur celui des innovations récentes. Comparons les quelques mots anglais, allemands, russes, mis en vogue récemment, au fonds de tout notre vieux vocabulaire français; les quelques théories à la mode sur l'évolution ou le pessimisme à la masse des vieilles convictions traditionnelles; nos réformes législatives d'aujourd'hui à l'ensemble de nos codes, aussi antiques que le droit romain en ce qu'ils ont de fondamental ; et ainsi de suite. L'imitation engagée dans les courants de la mode n'est donc qu'un bien faible torrent à côté du grand fleuve de la coutume; et il faut nécessairement qu'il en soit ainsi 97. Mais, si mince que soit ce torrent, ses ravages ou ses irrigations sont considérables, et il importe d'étudier les périodicités de ses crues ou de ses dessèchements, qui se produisent suivant une sorte de rythme très irrégulier.
En tout pays une révolution s'opère à la longue dans les esprits. À l'habitude de croire sur parole les prêtres et les aïeux, succède l'habitude de répéter ce que disent les novateurs contemporains; c'est ce qu'on appelle le remplacement de la crédulité par le libre examen. À vrai dire, c'est simplement, après l'acceptation aveugle des affirmations traditionnelles qui s'imposaient par autorité, l'accueil fait aux idées étrangères qui s'imposent par persuasion. Par persuasion, c'est-à-dire par leur accord apparent avec des idées préexistantes déjà dans les esprits soumis au dogme, c'est-à-dire avec des idées déduites du dogme. La différence, on le voit, n'est pas dans le caractère libre ou non de l'acceptation. Si les affirmations traditionnelles ont été acceptées, je ne dis pas moins librement, mais plus promptement et avec plus de force, par l'esprit de l'enfant, et s'y sont imposées par autorité, non par persuasion, cela signifie que l'esprit de l'enfant était une table rase quand les dogmes y sont entrés, et que, pour y être accueillis, ils n'ont eu ni à y confirmer ni à y contredire nulle idée déjà établie. Il leur a suffi pour cela d'éveiller une curiosité nouvelle et aussitôt de la satisfaire tant bien que mal. - Voilà toute la différence. Il en résulte que l'imposition autoritaire a dû forcément précéder l'imposition persuasive, et que celle-ci vient de celle-là.
En tout pays, pareillement, une autre révolution parallèle à la précédente s'accomplit dans les volontés. L'obéissance passive aux ordres, aux coutumes, aux influences des ancêtres, y est non pas remplacée, mais neutralisée en partie par la soumission aux impulsions, aux conseils, aux suggestions des contemporains. En agissant suivant ces derniers mobiles, le citoyen des temps nouveaux se flatte de faire un libre choix entre les propositions qui lui sont faites; mais, en réalité, celle qu'il agrée, celle qu'il suit, est celle qui répond le mieux à ses besoins, à ses désirs préexistants et résultant de ses mœurs, de ses coutumes, de tout son passé d'obéissance.
Les époques et les sociétés où règne exclusivement le prestige de l'ancienneté sont celles où, comme dans la Rome antique, antiquité, outre son sens propre, signifie chose aimée. Nihil mihi antiquius est, rien ne m'est plus cher, disait Cicéron. En Chine, de même, et en Sibérie 98, pour plaire aux gens qu'on rencontre, on leur dit qu'ils ont l'air âgé, et, par déférence, on appelle frère aîné son interlocuteur. Les époques et les sociétés régies plutôt par le prestige de la nouveauté sont celles où il est proverbial de dire : tout nouveau, tout beau. D'ailleurs, la part de l'élément traditionnel et coutumier est toujours, je le répète, prépondérante dans la vie sociale, et cette prépondérance se révèle avec force dans la manière dont se répandent les innovations même les plus radicales et les plus révolutionnaires ; car ceux qui les accréditent ne parviennent à les propager que par le talent de la parole ou de la plume, en maniant supérieurement la langue, non pas la langue scientifique, philosophique, technique, toute hérissée de termes nouveaux, mais la vieille et antique langue populaire, si familière à Luther, à Voltaire, à Rousseau. C'est toujours sur le vieux sol qu'il faut prendre point d'appui pour ébranler les vieux édifices ou pour en élever de nouveaux. C'est sur la vieille morale aussi qu'on se fonde pour introduire en politique des nouveautés.
Je devrais, ce semble, subdiviser la distinction ci-dessus établie entre l'imitation du modèle sien et ancien et l'imitation du modèle étranger et nouveau. Ne peut-il pas se faire que le modèle ancien soit prestigieux, quoiqu'il ne soit ni parent, ni compatriote, et que le modèle nouveau ait du prestige en d'autres temps quoiqu'il ne soit pas étranger à la famille ni à la cité? C'est certain, mais c'est assez rare pour qu'il ne vaille pas la peine de distinguer. Les époques où la devise principale est : « tout nouveau, tout beau, » sont essentiellement extériorisées ; du moins à la surface, car nous savons qu'au fond elles sont plus pénétrées qu'elles ne le croient de la religion des aïeux ; et les époques où l'on a pour maxime unique : « tout antique, tout bon, » vivent d'une vie tout intérieure. Quand le passé de la famille ou de la cité n'est plus jugé vénérable, à plus forte raison tout autre passé a-t-il cessé de l'être ; et le présent seul semble devoir inspirer le respect; mais, à l'inverse, dès lors qu'il suffit d'être parents ou compatriotes pour se juger égaux, l'étranger seul, en général, semble devoir produire l'impression respectueuse qui dispose à imiter : l'éloignement dans l'espace agit comme naguère l'éloignement dans le temps. - Aux époques où prévaut la coutume, on est plus infatué de son pays que de son temps, car on vante surtout le temps de jadis. Aux âges où la mode domine, on est plus fier, au contraire, de son temps que de son pays.
La révolution que j'ai indiquée est-elle universelle et nécessaire? Oui, puisque, indépendamment même de tout contact avec une civilisation étrangère, une tribu donnée, sur un territoire donné, doit voir fatalement sa population croître sans cesse, d'où résulte, non moins inévitablement, le progrès de la vie urbaine. Or, ce progrès a pour effet l'excitabilité nerveuse qui développe l'aptitude à l'imitation. Les peuples primitifs, ruraux, ne savent imiter que leurs pères, et prennent ainsi l'habitude de s'orienter vers le passé, parce que la seule époque de leur vie où ils aient pu recevoir l'empreinte d'un modèle est leur enfance, âge caractérisé par son nervosisme relatif, et que, enfants, ils sont sous la domination paternelle. Au contraire, chez les adultes des villes, la plasticité, l'impressionnabilité nerveuse s'est assez bien conservée en général pour leur permettre de se modeler encore sur de nouveaux types, accueillis du dehors.
À cela on peut objecter l'exemple de ces peuples nomades, Tartares, Arabes, etc., qui, actuellement, et depuis de longs siècles, paraissent voués au traditionnalisme incurable. Mais peut-être, ou plutôt sans nul doute, cet état d'immobilité actuelle est la fin du cycle historique qu'il leur était donné de parcourir, l'équilibre qu'ils ont atteint à la suite d'étapes antérieures pendant lesquelles leur demi-civilisation s'est formée par des importations successives. En effet, non moins nécessaire que la révolution indiquée est la révolution inverse. L'homme n'échappe, et toujours incomplètement, au joug de la coutume que pour y retomber, c'est-à-dire pour fixer et consolider, en y retombant, les conquêtes dues à son émancipation temporaire. Quand il a beaucoup de vitalité et de génie, il en sort de nouveau, et conquiert encore, mais de nouveau se repose, et ainsi de suite. Telles sont les péripéties historiques des grands peuples civilisés. On en a la preuve notamment en observant que la vie urbaine n'y est pas en progrès continu, mais que, après des accès de fièvre comme celui qui sévit dans l'Europe actuelle, elle subit des reculs par intermittence et laisse la vie rurale se développer à ses dépens. Celle-ci se développe alors de toutes façons, non seulement par l'accroissement numérique de la population disséminée dans les campagnes ou les bourgs, mais par l'accroissement du bien-être, de la richesse, des lumières, en dehors des grands centres. Une civilisation parvenue à sa maturité est toujours et essentiellement rurale, - la Chine, par exemple, l'Égypte antique, le Pérou des Incas (?), l'Europe féodale du XIIIe siècle, en ce sens que le niveau des villes y reste stationnaire pendant que celui des campagnes continue à y monter. Notre Europe elle-même, suivant toutes les probabilités, malgré l'invraisemblance apparente de cette hypothèse, court à un avenir pareil.
Mais ce retour final de l'esprit de mode à l'esprit de coutume n'est nullement une rétrogradation. Il faut, pour le bien comprendre, l'éclairer des analogies offertes par la nature vivante. Remarquons que chacune des trois grandes formes de la Répétition universelle, l'ondulation, la génération et l'imitation, se présente d'abord comme liée et assujettie à la forme antécédente d'où elle procède, mais tend bientôt à s'en affranchir, puis à se la subordonner. Nous voyons la génération, dans les espèces végétales et animales les plus inférieures, esclave de l'ondulation; leur vitalité, dans ses périodes de torpeur et de réveil alternatifs, suit exactement les phases des saisons, de la lumière et de la chaleur solaires, plus ou moins abondantes en ondes éthérées qui stimulent les molécules vibrantes des substances organiques. Mais, à mesure que la vie s'élève, elle consent moins docilement à tourner comme une toupie sous le fouet des rayons du soleil ; et, quoiqu'elle ne puisse jamais se passer de cette flagellation forcée, elle la transforme graduellement en flagellation à volonté. Elle y parvient grâce à divers procédés qui lui permettent d'emmagasiner les produits du rayonnement solaire, d'avoir à la portée du système nerveux des provisions de combustible intérieur toujours prêtes, de substances explosibles toujours menaçantes, et de les brûler, de les faire éclater à son gré, non au gré des saisons, pour se donner elle-même le stimulant vibratoire indispensable à l'effort musculaire, au coup d'aile, au bond, au combat. Il vient un moment où, loin de dépendre des forces physiques, c'est-à-dire des grands courants d'ondes éthérées ou moléculaires et des combustions qui les engendrent, elle en dispose dans une large mesure ; à savoir quand l'homme, qui, jusque dans les derniers raffinements de ses civilisations, demeure un simple être vivant, fait du jour la nuit, de l'hiver l'été, du nord le midi, dans ses capitales, en allumant ses lampes, ses becs de gaz, ses hauts fourneaux, ses foyers de locomotives, et asservissant, l'une après l'autre, toutes les énergies ondulatoires de la nature, la chaleur, l'électricité, la lumière même du soleil.
Des rapports analogues aux précédents me paraissent unir la génération à l'imitation. Au début, il convient de même que celle-ci s'attache timidement à celle-là, comme la fille à la mère. Aussi voyons-nous que, dans toutes les sociétés très primitives, le privilège d'être obéi, d'être cru, de donner l'exemple, est lié à la faculté d'engendrer. On imite le père parce qu'il est générateur. Une invention n'a la chance d'être imitée qu'à la condition d'être adoptée par le pater familias, et le domaine de son extension s'arrête aux limites de la famille. Pour que sa propagation se développe, il faut que la progéniture se multiplie. En vertu du même principe ou de la même liaison d'idées, à une époque déjà moins ancienne, la transmission du pouvoir sacerdotal ou monarchique ne saurait être conçue que par voie héréditaire, et le principe vital règle la marche du principe social. Chaque race alors a sa langue, sa religion, sa législation, sa nationalité propre. - Entre parenthèses, l'importance exorbitante qu'on a voulu donner de nos jours en histoire à l'idée de race, point de vue naturaliste explicable d'ailleurs par le progrès remarquable des sciences naturelles, est une sorte d'anachronisme.
Mais, dès l'origine, toute découverte, toute invention se sent à l'étroit dans les limites de la famille, de la tribu, même de la race, et aspire à se répandre par une voie moins lente que la procréation des enfants ; de temps en temps il y en a quelqu'une qui franchit ces limites et se fait imiter au dehors, frayant le chemin aux autres. Cette tendance de l'imitation à s'affranchir de la génération se dissimule d'abord sous le masque ingénieux de celle-ci : l'adoption, par exemple, filiation fictive; la naturalisation des étrangers, adoption nationale. Elle se manifeste plus hardiment par l'accession des étrangers au culte national (des Gentils, par exemple, aux rites juifs et chrétiens depuis saint Paul), et l'apparition des religions dites prosélytiques, par la substitution du sacerdoce électif ou consacré au sacerdoce héréditaire, ou d'une présidence élective à l'hérédité du pouvoir suprême; par la faculté accordée aux classes inférieures de participer aux honneurs des classes élevées (par exemple aux plébéiens de devenir préteurs ou consuls comme les patriciens); par l'empressement croissant à apprendre les langues étrangères ou le dialecte dominant de son propre pays au préjudice de son patois local, et à copier tout ce qui se signale à l'attention dans les mœurs, les arts, les institutions de l'étranger.
Enfin, après s'être émancipé, le principe social à son tour devient despote et commande au principe vital. Au début, un faible corps d'inventions, un embryon de civilisation, n'avait chance de se répandre que s'il se trouvait convenir à la race où il apparaissait, et ne pouvait espérer de se répandre que dans la mesure ou elle-même se propagerait. Plus tard, à l'inverse, quand une civilisation conquérante fait son tour du monde, une race quelconque ne peut vivre et se propager que si elle est apte, et dans la mesure où elle est apte, au développement de ce corps puissant de découvertes et d'inventions organisées en sciences et en industries. Alors aussi s'introduit dans les mœurs le malthusianisme pratique, qui peut être considéré comme une forme négative de cet assujettissement de la génération à l'imitation, puisqu'il consiste à restreindre le pouvoir générateur dans les limites prévues de la production, c'est-à-dire du travail, imitateur par essence 99. La forme positive est donnée, non seulement par le choix de la race la plus apte aux fins de l'idée civilisatrice, comme il vient d’être dit, mais encore par la formation lente de nouvelles races ad hoc, nées de croisements inconscients ou intelligents et d'habitudes séculaires. On peut déjà prévoir le jour où l'homme civilisé, après avoir créé tant de variétés animales ou végétales appropriées à ses besoins ou à ses caprices, et pétri à son gré la vie inférieure comme pour s'exercer à un plus haut dessein, osera aborder le problème d'être son propre éleveur, de transformer sciemment et délibérément sa propre nature physique dans le sens le plus conforme aux vœux de sa civilisation finale.
Mais, en attendant ce chef-d'œuvre vivant de l'art humain, cette race humaine artificielle et supérieure, destinée à supplanter toutes les races connues, nous pouvons dire que chacun des types nationaux formés depuis l'aube de l'histoire est une variété fixe du type humain due à l'action longtemps continuée d'une civilisation particulière qui l'a faite inconsciemment pour s'y mirer. Depuis moins de deux siècles nous voyons naître et se fixer aux États-Unis le type anglo-américain, produit original dont notre civilisation européenne se fait un admirable outil de propagation et de progrès sous plusieurs de ses aspects. Dans le passé, il en a toujours été de même, et c'est pareillement qu'ont apparu sur le globe, rejetons modifiés du vieux tronc aryen ou sémite, les types anglais, espagnol, français, romain, grec, phénicien, perse, hindou, égyptien, et autres créations vivantes ou mortes obtenues par la domestication sociale.
J'omets à dessein le type chinois, bien qu'il réalise peut-être l'adaptation la plus complète d'une race à une civilisation, devenues inséparables l'une de l'autre : ici la civilisation semble s'être moulée sur la race autant que la race sur la civilisation, si l'on en juge par le caractère essentiellement familial que ce peuple a gardé en dépit de sa prodigieuse expansion. L'harmonie si complète de ces deux éléments sans subordination bien sensible de l'un à l'autre n'est pas la moindre singularité de cet empire unique. Il a su en toute chose faire beaucoup avec peu ; le national n'y est que le domestique étendu immensément ; et il en est, sous ce rapport, de sa civilisation prise dans son ensemble, restée rudimentaire en se raffinant et s'élevant même assez haut, comme de sa langue devenue riche et cultivée sans cesser d'être monosyllabique, comme de son gouvernement patriarcal et impérial à la fois, comme de sa religion où l'animisme et le culte des aïeux persistent sous le spiritualisme le plus épuré, comme de son art aussi gauche et enfantin que subtil, comme de son agriculture aussi simple que perfectionnée, comme de son industrie aussi arriérée que prospère. En un mot, la Chine a trouvé moyen de s'arrêter en tout à la pr...

Table des matières

  1. Sommaire
  2. Présentation
  3. Préface de la deuxième édition
  4. Avant-propos de la première édition, 1890
  5. Chapitre I : La Répétition universelle
  6. Chapitre II : Les similitudes sociales et l'imitation
  7. Chapitre III : Qu'est-ce qu'une société ?
  8. Chapitre IV : Qu'est-ce que l'histoire ? L'archéologie et la statistique
  9. Chapitre V : Les lois logiques de l'imitation
  10. Chapitre VI : Les influences extra-logiques
  11. Chapitre VII : Les influences extra-logiques (suite). La Coutume et la Mode
  12. Chapitre VIII : Remarques et corollaires
  13. Page de copyright