L' innovation et l'économie sociale au cœur du modèle québécois
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L' innovation et l'économie sociale au cœur du modèle québécois

Entretiens avec Benoît Lévesque

  1. 408 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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L' innovation et l'économie sociale au cœur du modèle québécois

Entretiens avec Benoît Lévesque

À propos de ce livre

L'innovation sociale et l'économie sociale et solidaire sont au cœur de l'analyse que fait Benoît Lévesque du modèle québécois, qui suscite aujourd'hui l'intérêt partout dans le monde. Ce sociologue a contribué à la reconnaissance d'une vision élargie de l'économie, qui couvre non seulement le secteur privé, mais aussi le secteur public et les initiatives relevant de la société civile, soit une économie plurielle dont certaines composantes sont orientées vers la démocratisation économique.

Conçu sous la forme d'entretiens avec Benoît Lévesque, ce livre permet d'explorer, avec le chercheur, le contexte de sa production scientifique et sa signification pour la société québécoise. Il en résulte un genre hybride, où les éléments biographiques se conjuguent à un témoignage personnel et intellectuel, offrant au lecteur un voyage à travers une vie, l'histoire d'une pensée et son influence. Ces conversations nous font découvrir les particularités du métier d'un sociologue engagé et sa vision de l'histoire récente du Québec, de la Révolution tranquille à aujourd'hui. Ses travaux et ses interventions montrent l'importance du rôle joué par des acteurs de la société civile, portée par des organisations collectives souvent orientées vers l'intérêt général, tels les organismes communautaires, les syndicats, les coopératives, les entreprises d'économie sociale, et plus récemment le secteur philanthropique et le mouvement écologiste.

L'ouvrage s'intéresse aux rapports sociaux, mais il met aussi en valeur les dimensions politiques du modèle québécois. On y découvre un État plus stratège et une société civile plus politique qu'on le présumait, évoquant un «?socialisme civil?». C'est à partir de tels constats que le sociologue fournit des pistes de réflexion pour penser l'avenir du Québec, qu'il voit d'ailleurs comme une société engagée.

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Informations

Chapitre 1
De l’enfance aux études doctorales (1939-1974)
MJB1 : Benoît Lévesque, nous amorçons ces entretiens par un retour sur votre trajectoire personnelle. Vous avez été témoin de changements importants survenus dans la société québécoise au fil des ans. Quel souvenir gardez-vous des conditions de vie à l’époque de votre enfance ?
Je garde un excellent souvenir de mon enfance, même si ce ne fut pas toujours facile. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir connu une autre époque, un autre monde. Je suis né le 27 juin 1939 à Saint-Ulric (Matane) dans une ferme située dans un rang. Mon père, Rosario Lévesque, et ma mère, Apolline St-Laurent, s’étaient mariés à l’été 1938. Je suis l’aîné d’une famille de 7 enfants. Les trois premiers étaient des garçons et les quatre suivants, des filles. Mon grand-père, Louis Lévesque, ma grand-mère, Euphémie Bélanger, et ma tante, Émilia, la sœur de mon père, habitent aussi avec nous. J’étais apparemment gâté : trois femmes s’occupaient de moi. Je considérais ma grand-mère comme une seconde mère. Alors que j’avais 5 ou 6 ans, ma grand-mère et ma tante ont déménagé au village où j’irai les rejoindre à l’âge de 7 ans pour la première année d’école primaire, en raison de l’éloignement de l’école de rang (le transport scolaire n’existe pas à l’époque). Et mon grand-père partage son temps entre le village et la ferme pour aider mon père.
Qu’est-ce que je retiens de ces conditions de vie ? L’activité principale de mes parents relevait de ce qu’on appelle l’agriculture d’autosubsistance qui comprend une grande diversité d’activités et de sources de revenus : des vaches à lait, des moutons, des porcs, des poules et la culture maraîchère. La production laitière était la seule à donner un revenu régulier pour la moitié de l’année. Les autres activités permettaient des revenus plus ponctuels (p. ex. vente des agneaux ou encore coupe du bois au cours de l’hiver).
Le monde dans lequel j’ai vécu était en train de se transformer, à commencer par les activités agricoles. Comme enfant, je ne m’en rendais pas vraiment compte. Ainsi, il fallait avoir de plus en plus d’argent pour acheter des engrais et des instruments agricoles et pour construire ou agrandir les bâtiments de la ferme. Mon oncle, Auguste Saint-Laurent, le frère de ma mère, a fait découvrir à mon père le Crédit agricole pour améliorer les bâtiments. Chacune des familles recherche son indépendance, c’est seulement quand il y a de sérieux problèmes qu’on s’entraide ou qu’on demande de l’aide. Au cours de l’été, il y avait des visites de famille du côté de ma mère et du côté de mon père. Comme mon grand-père paternel avait déjà travaillé aux États-Unis, nous recevions aussi la visite des oncles, des tantes et de cousins et cousines venant de la Nouvelle-Angleterre en voiture apportant une variété de boissons gazeuses et d’expressions anglaises. Nous accueillions aussi l’été pour plusieurs jours la famille du frère de mon père, Paul Lévesque. Comme enfant, c’était la fête en raison de la présence des cousins et cousines. La ferme paternelle m’apparaissait comme le centre du monde. Dans cet univers, il n’y a pas de vacances sauf pour les enfants. On travaille tous les jours sans exception, mais on arrêtait pour accueillir la visite.
À la maison, on ne se posait pas trop de questions. Le quotidien s’enchaînait de lui-même, mais souvent avec des inquiétudes quant à l’avenir. Ma mère aurait voulu que mon père change d’activité. Elle était aussi très religieuse : la prière au lever et au coucher, le chapelet en famille, des neuvaines quand il y a des problèmes, des bougies allumées quand c’est moins grave. La fête de Noël était peu soulignée par ma grand-mère paternelle, alors que ma mère en fera une grande fête pour la famille avec l’arbre de Noël et des cadeaux pour tous. L’anniversaire de chacun des enfants était souligné avec un gâteau de fête et un petit cadeau. Ma mère nous disait qu’elle nous aimait tous également, mais différemment parce que nous l’étions, à commencer par l’âge. Elle valorisait beaucoup les études.
MJB : Quelle différence y avait-il entre la vie dans le rang et celle au village ?
Le rang était un lieu d’identification. Mais la démarcation la plus importante était entre l’ensemble des rangs qui formaient une municipalité, appelée la « paroisse », et le village où l’on retrouvait l’église, des écoles, des services, des commerces et des artisans. Saint-Ulric a fêté en 2019 son 150e anniversaire de fondation (Gendron, 2019). La terre paternelle a été défrichée par mon arrière-grand-père, Xavier Lévesque, dans la seconde moitié du XIXe siècle. À la fin des années 1940, la population de Saint-Ulric était d’un peu moins de 2 000 habitants répartie assez également entre le village et la paroisse qui désignait la partie rurale. Historiquement, les activités à Saint-Ulric ne se limitaient pas à l’agriculture puisqu’on y retrouvait trois rivières différentes (la rivière Blanche, la Petite rivière Blanche et la rivière Tartigou) dont le changement de niveau à l’embouchure du fleuve créait des chutes exploitées comme force motrice pour des moulins pour scier le bois et parfois pour moudre le grain (une de ces chutes était dans le village, les deux autres dans la partie rurale). À cela s’ajoutaient deux tourbières. Dans les moments les plus favorables, ces activités apportaient des emplois et des revenus. En ce sens, le village et la paroisse étaient très différents, mais complémentaires. Lorsque ma grand-mère et ma tante s’installeront au village, je prendrai conscience de ces différences. Le village qui bourdonne d’activités et la paroisse où l’on vit très éloigné les uns des autres représentent deux milieux de vie et de travail très contrastés pour le jeune enfant qui passe de l’un à l’autre.
Enfin, parmi les souvenirs de la petite enfance, celui de la Grande Guerre est profondément enfoui dans ma mémoire, je devrais dire mon inconscient. J’avais 6 ans quand la guerre se termine. Toute ma vie jusqu’à aujourd’hui, j’ai fait des rêves nocturnes où je suis attaqué par des soldats allemands. On nous demandait le soir de baisser les rideaux pour éviter de constituer des points de repère pour les sous-marins qui pouvaient remonter le fleuve. Il y avait même un poste militaire d’observation situé à Saint-Ulric. Parfois, une jeep militaire passait dans le rang. Il y avait aussi les timbres pour le rationnement que les familles s’échangeaient (à la campagne, pas besoin de timbres pour le beurre, mais pour le sucre). Tous les soirs avant de nous coucher, ma mère nous demandait à mes frères et à moi de terminer la prière par : « Mon Dieu, faites que je n’aille jamais à la guerre. »
MJB : Comment se passait la vie à l’école ?
L’école de rang était située dans un autre rang à plus de 2 kilomètres de la résidence familiale. Mes parents ont décidé que, pour la première année, j’irai demeurer chez ma grand-mère pour fréquenter l’école primaire du village où l’enseignement était dispensé par les Sœurs de Notre-Dame-du-Saint-Rosaire. À la fin de la première année, je suis revenu à la maison. Comme mon frère, qui avait deux ans de moins que moi, devait aller également à l’école, il a été décidé que nous irions tous les deux à l’école du rang, qui dispensait un enseignement pour les sept niveaux dans le même local. J’aimais beaucoup l’école, apprendre et être reconnu pour mon travail. Comme les chemins n’étaient pas ouverts l’hiver et qu’il n’y avait pas de transport scolaire organisé, mon frère et moi cessions d’aller à l’école autour de la minovembre pour reprendre au début d’avril (selon l’état des routes). Pour l’ensemble du primaire, j’ai probablement manqué l’équivalent de deux ans d’école. À la fin de l’école primaire, j’ai réussi les examens pour le certificat de 7e année, ce qui permettait de poursuivre les études au collège. L’année de mon départ, ma mère s’est entendue avec la commission scolaire pour ouvrir une école dans la résidence familiale en offrant le local pour l’enseignement, le logement et les repas pour la maîtresse d’école. Cette école, qui accueillera une douzaine d’enfants de notre rang dont mes quatre sœurs, fonctionnera entre 1953 et le début des années 1960, alors que la mise en place du transport scolaire permettra à tous les enfants de la paroisse de fréquenter l’école du village.
MJB : La vie rurale dans le Bas-du-Fleuve, à l’époque de votre petite enfance, était un peu comme elle l’était au début du siècle dans le reste du Québec. Comment avez-vous vécu cela ?
Par rapport à aujourd’hui, j’ai réellement l’impression d’avoir vécu dans un autre monde. Un monde où l’État-providence tel qu’il s’est déployé n’existait pas. Concrètement, c’est difficile même pour moi d’imaginer cela aujourd’hui, a fortiori pour les générations plus jeunes. Non seulement la sécurité sociale était absente, sinon pour ce qui est de la charité, mais l’accès à l’école primaire était difficile et encore plus pour les études secondaires, et je ne parle pas des services de santé, bien qu’il y avait un médecin au village qui acceptait facilement de se déplacer. Les institutrices étaient faiblement payées et il y avait un roulement continuel à l’école de rang que j’ai fréquentée. La plupart des institutrices étaient très jeunes et célibataires. En septembre, nous retrouvions presque toujours une nouvelle institutrice. Elle vivait seule dans les locaux de l’école : y résider et être célibataire étaient en pratique obligatoire.
De plus, la différence entre la période de mon enfance et aujourd’hui est également très grande en ce qui concerne les infrastructures. Ces dernières relevaient principalement de municipalités qui n’avaient pas de budgets conséquents. À la fin des années 1940, la route 132 qui traverse le village n’était pas ouverte l’hiver. De plus, il faudra attendre plus d’une décennie pour l’ouverture hivernale des chemins de rang. Dans certains cas, c’est le transport scolaire qui oblige d’ouvrir tous les chemins en milieu rural (d’où la décision du gouvernement de fermer certains villages à la fin des années 1960). De même, l’électrification rurale ne sera complétée qu’avec la nationalisation de l’électricité en 1963. Tout cela commande des conditions de vie très différentes de celles d’aujourd’hui, soit une consommation simplicitaire contrainte. L’absence d’équipements ménagers électriques, par exemple, signifie que les tâches domestiques assumées par les femmes étaient beaucoup plus lourdes.
Enfin, si l’entraide pouvait représenter une sorte d’assurance, cela n’allait pas sans beaucoup d’insécurité. Il fallait être prévoyant, penser un peu comme si l’on était seul même si, en dernier ressort, on pouvait toujours compter sur les proches et les voisins. Cependant, ce qui faisait la grande fierté de ma mère et de mon père, c’est qu’en dépit d’une situation très modeste, ils étaient des personnes qui suscitaient la confiance, des personnes travailleuses qui respectaient les autres et leurs biens (le vol présent dans certaines familles était pour nous impensable). Cela se manifestait aussi dans le cas du banc familial à l’église (qu’il fallait payer chaque année), des dons à la quête dominicale et du paiement de la dîme. À la visite annuelle du curé, mon père qui ne fumait pas était heureux de lui offrir un cigare, et ce, chaque année.
MJB : Qu’est-ce qui vous a incité à vouloir poursuivre des études au-delà de l’école primaire ?
J’ai quitté ma famille pour aller au collège en 1953 pour ne revenir que deux fois par année, soit pour la période de Noël et celle des vacances d’été. Pourquoi poursuivre des études ? D’abord, j’aimais les études, je désirais apprendre et je ne craignais pas d’y consacrer beaucoup de temps et d’efforts. C’était aussi une façon de me valoriser, d’être reconnu et même aimé. Ainsi, à l’école du rang, probablement en cinquième année, la maîtresse d’école demande aux élèves de mon niveau de faire une composition sur l’automne au cours de la fin de semaine. À la maison, j’ai trouvé un cahier tout neuf d’une vingtaine de pages. Je décide alors de remplir tout le cahier. Quand j’arrive à l’école le lundi matin, je dépose mon cahier sur le bureau de la maîtresse d’école de manière ostentatoire. Je ne suis pas surpris qu’elle me réprimande pour ne pas avoir respecté la consigne de trois pages. Ma mère m’avait prévenu, mais elle était aussi contente que je consacre autant d’efforts dans mes études.
Une deuxième raison, qui m’incitait à valoriser les études, c’était la possibilité de faire autre chose que le travail sur la ferme pour être utile et même de « gagner mon ciel ». Il était possible de faire comme le curé ou encore d’assumer des tâches apparemment moins valorisées comme à la banque, à la Caisse populaire et dans une dizaine de magasins, dont une coopérative d’approvisionnement agricole. J’aimais la ferme et son environnement, mais le travail m’apparaissait très pénible. Dès l’âge de 8 ou 9 ans, j’allais au cours des vacances d’été conduire les vaches sur un lot de pacage situé à un peu moins d’un kilomètre de notre ferme et, souvent, il fallait y retourner le soir pour les ramener pour la traite. Il y avait des choses encore plus difficiles comme faire les foins dans l’urgence, avant que l’orage arrive, par exemple. Des petits travaux pouvaient être aussi très fatigants comme le sarclage du potager pendant plusieurs heures au soleil avec les moustiques qui tournent autour de la tête. Et que dire de l’entretien des animaux, des vaches à traire à la main, des moutons à tondre, de l’étable à nettoyer et j’oubliais les porcs qu’il faut saigner à l’aide d’un couteau de boucherie. Quand on est jeune sur une ferme, on veut imiter son père. Par contre, si on fait des études, cela nous permet de faire des choses intéressantes et très utiles. Tout cela m’est possible, mais poursuivre les études supposait de quitter ma famille, d’où une certaine hésitation.
MJB : Comment ceci était-il perçu dans votre famille ?
Ma mère valorisait beaucoup les études. De plus, si je devenais prêtre, je savais que ce serait pour elle un très grand bonheur. Cependant, depuis que mon grand-père était décédé en 1950, mon père se sentait seul. Il comptait de plus en plus sur ses garçons les plus âgés pour l’aider et, éventuellement, prendre la relève. Quand j’ai décidé d’aller au collège, mon père m’a dit qu’il allait acheter un camion (ce qu’il fit un peu plus tard). Il essayait de me retenir, mais sans trop insister. Aller faire des études à l’extérieur, c’était de plus en plus courant à Saint-Ulric. Beaucoup de familles avaient des enfants aux études à Québec, à Montréal, à Rimouski et au Nouveau-Brunswick. De plus, plusieurs familles avaient un de leurs membres dans le clergé ou dans une congrégation religieuse, telles les familles Caron, Soucy, Gendron, Gagnon, Anctil, Ouellet, Coulombe (j’en oublie). Le curé de Saint-Ulric faisait une visite annuelle des écoles de rang, ce qui lui permettait de cibler les jeunes qui avaient un potentiel pour des études supérieures. Certaines congrégations religieuses dont les Clercs de Saint-Viateur (CSV) et les Frères du Sacré-Cœur avaient des recruteurs qui faisaient le tour des écoles, y compris les écoles de rang. Ils expliquaient comment s’inscrire, si l’on obtenait le certificat de 7e année. La famille Paquet, qui résidait sur une ferme près de la rivière Tartigou, avait un de ses membres, Gonzague, qui avait été recruté deux années avant moi. Il était donc possible de faire autre chose que le travail dans la ferme. Il était aussi possible de faire comme mon oncle, Paul Lévesque, de devenir un homme à tout faire, quitte à accepter des emplois sur la Côte-Nord ou partir pour Montréal comme les cousins de mon père l’avaient fait. Mais, tout cela c’était la génération de mon père et de mon oncle. Si je devais quitter ma famille, cela ne pouvait être que pour poursuivre des études dans un collège ou un séminaire.
MJB : Pour faire des études classiques, il fallait donc quitter le rang et le village. Comment cette transition s’est-elle faite pour vous ?
À 14 ans, je n’étais jamais sorti de la région. J’étais allé au village voisin, Baie-des-Sables, où demeuraient mes grands-parents maternels, Auguste St-Laurent et Tharsile Ducasse. Je n’avais jamais visité une grande ville. Partir seul en direction de Montréal pour ne revenir qu’à Noël dans quatre mois, c’était l’inconnu. Je prenais le train à Mont-Joli venant d’Halifax en direction de Montréal avec Gonzague Paquet qui fréquentait déjà le Collège Saint-Viateur où j’étais inscrit2. En même temps, je n’étais pas le premier à quitter le village et à prendre le train à Mont-Joli. Certains, comme mon grand-père, étaient partis aux États-Unis, d’autres au Nouveau-Brunswick ou en Ontario, d’autres sur la Côte-Nord. En fait, le grand inconnu, c’était moins de quitter Saint-Ulric que de se retrouver dans un autre milieu sans aucun repère et avec très peu de moyens, soit un ou deu...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Page de titre
  3. Copyright
  4. Liste des sigles et acronymes
  5. Avant-propos
  6. Chapitre 1. De l’enfance aux études doctorales (1939-1974)
  7. Chapitre 2. Du développement régional à l’université du québec à rimouski (1975-1982) à la sociologie économique à l’université du québec à montréal (1982-2004)
  8. Chapitre 3. Une retraite active qui se poursuit depuis 2004
  9. Chapitre 4. L’innovation sociale et la transformation : les dimensions théoriques et politiques
  10. Chapitre 5. L’économie sociale et solidaire, un potentiel d’innovation sociale et de renouvellement du modèle de développement
  11. Chapitre 6. Le modèle québécois de développement, première génération : un état interventionniste en tension avec la concertation (1960-1980)
  12. Chapitre 7. Le modèle québécois de développement, deuxième génération : vers une gouvernance ouverte à la concertation et au partenariat (1980-2003)
  13. Chapitre 8. Vers un modèle québécois misant sur une gouvernance concurrentielle : en rupture avec le « nationalisme économique minoritaire » et la concertation (2003-2018)
  14. Chapitre 9. Un engagement pluriel : de la sociologie de l’engagement à une sociologie engagée
  15. Bibliographie