Instinct de survie
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Instinct de survie

Tromper le destin sur les plus hauts sommets du monde

  1. 390 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Instinct de survie

Tromper le destin sur les plus hauts sommets du monde

À propos de ce livre

«La plupart des auteurs de grands rĂ©cits d'aventures racontent ce qu'ils ont fait. TrĂšs peu vous disent pourquoi ils ont fait tout ça et comment tout cela les a changĂ©s. L'histoire de Gabriel Filippi est une exploration fascinante qui appartient au second genre.» Cathal Kelly, The Globe and Mail La survie a un prix Dans Instinct de survie, Gabriel Filippi, l'un des plus grands alpinistes du Canada, dĂ©crit le parcours stupĂ©fiant qui l'a amenĂ© Ă  affronter la beautĂ© sublime de la nature et la cruelle indiffĂ©rence du destin. Moments forts, exploits remarquables et pertes dĂ©vastatrices ponctuent un rĂ©cit passionnant qui se dĂ©roule sur six continents. Au cours d'une vingtaine d'annĂ©es passĂ©es Ă  escalader les plus hautes montagnes de la planĂšte, l'alpiniste a notamment Ă©chappĂ© au pire dĂ©sastre de l'histoire de l'Everest et Ă  une attaque des talibans qui, sur une montagne du nord du Pakistan, a emportĂ© dix de ses compagnons alpinistes. Gabriel Filippi survit. Encore et toujours. Inoubliable tĂ©moignage de persĂ©vĂ©rance et de rĂ©ussite, Instinct de survie permet de comprendre pourquoi certaines personnes tentent inlassablement d'atteindre les sommets du monde. Et en quoi chacune de ces expĂ©riences transforme leur vie Ă  jamais. GABRIEL FILIPPI est le seul QuĂ©bĂ©cois Ă  avoir escaladĂ© l'Everest par ses deux versants. Il a Ă©galement rĂ©ussi l'Ă©preuve de l'Ironman, en plus d'ĂȘtre un grand-pĂšre, un confĂ©rencier chevronnĂ© et un ambassadeur de Lac-MĂ©gantic, sa ville natale. Gabriel vit Ă  MontrĂ©al. BRETT POPPLEWELL est journaliste et Ă©crivain. Gagnant d'un prix de la Fondation nationale des prix du magazine canadien, il a Ă©crit pour les magazines SportsNet, Maclean's et Walrus, ainsi que pour les quotidiens The Toronto Star et The Globe and Mail. Certains de ses articles sont parus dans The Best American Sports Writing. Brett vit Ă  Toronto.

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Informations

Année
2016
ISBN de l'eBook
9782897582111

Chapitre 1

Un garçon désemparé

Les gens me questionnent souvent sur les terribles tragĂ©dies dont j’ai Ă©tĂ© tĂ©moin sur l’Everest. Ils me parlent des corps qui gisent sur la montagne, des amis que j’ai perdus en tentant d’atteindre le sommet ou de l’avalanche qui a failli m’enlever la vie. Je leur dis la vĂ©ritĂ©: lĂ -haut, la vie est fragile et parfois terrifiante, et je suis impatient d’y retourner. Ils me regardent comme si j’étais fou, mais c’est parce qu’ils ne comprennent pas mes motivations. Ma façon de voir la vie vient de l’environnement oĂč j’ai grandi.
NĂ© Ă  Lac-MĂ©gantic, au QuĂ©bec, au dĂ©but des annĂ©es 1960, j’étais le troisiĂšme enfant d’une mĂšre quĂ©bĂ©coise et d’un pĂšre algĂ©rien. J’avais neuf frĂšres et sƓurs, et j’ai appris Ă  un trĂšs jeune Ăąge que la vie est Ă  la fois fragile et effrayante.
Un de mes plus lointains souvenirs remonte Ă  l’annĂ©e de mes sept ans. J’étais restĂ© Ă  la maison ce jour-lĂ , car j’avais la rougeole. Nous habitions dans une petite maison dans la ville de Cowansville, oĂč mon pĂšre avait trouvĂ© un emploi de gardien de prison. J’étais assis dans mon lit et je lisais Tintin au Tibet, l’histoire d’un jeune reporter qui s’aventure dans l’Himalaya Ă  la recherche d’un ami dont l’avion s’est Ă©crasĂ© sur le plateau tibĂ©tain. Ma mĂšre est arrivĂ©e Ă  la porte de ma chambre avec mon frĂšre Claude, deux ans, dans les bras. Il avait de la fiĂšvre.
— Gabriel, m’a-t-elle dit, j’ai besoin que tu m’aides à prendre soin de ton frùre.
Elle a couchĂ© Claude sur un lit dans ma chambre pendant qu’elle est retournĂ©e dans la cuisine prĂ©parer le repas. Je me suis Ă©tendu prĂšs de Claude, j’ai ouvert mon livre et je lui ai lu l’histoire de mon ami Tintin et de son chien Milou.
Le samedi suivant, l’état de Claude avait empirĂ©. J’ai terminĂ© l’histoire de Tintin et entamĂ© la suivante. Le dimanche, ma mĂšre m’a demandĂ© comment allait Claude. Je lui ai rĂ©pondu que je ne le savais pas. Elle lui a donnĂ© de l’aspirine et a pris sa tempĂ©rature. Le lundi, elle a appelĂ© le mĂ©decin. Il s’est prĂ©sentĂ© Ă  la porte de ma chambre avec sa trousse de cuir, a jetĂ© un coup d’Ɠil Ă  mon frĂšre et a aussitĂŽt appelĂ© l’ambulance.
En arrivant Ă  l’hĂŽpital de Cowansville, ma mĂšre a pris la main de mon frĂšre, changĂ© sa couche, mis l’épingle Ă  couche dans la poche de sa robe et suivi le conseil des mĂ©decins, qui lui disaient de rentrer Ă  la maison pour la nuit. L’état de Claude Ă©tait stable, et ils lui ont promis de lui tĂ©lĂ©phoner s’il y avait le moindre changement. J’étais Ă©veillĂ© lorsque ma mĂšre est rentrĂ©e Ă  la maison. Je l’ai regardĂ©e par la fenĂȘtre de ma chambre pendant qu’elle sortait du taxi et remontait l’allĂ©e en pleurant. Mon pĂšre lui a dit d’aller dormir; il allait rester debout au cas oĂč l’hĂŽpital appellerait.
Le tĂ©lĂ©phone a sonnĂ© Ă  1 heure du matin. J’ai entendu mon pĂšre rĂ©pĂ©ter la conversation Ă  ma mĂšre. Claude Ă©tait transfĂ©rĂ© Ă  un hĂŽpital de MontrĂ©al. Nous n’avions pas d’argent ni de voiture pour nous rendre Ă  MontrĂ©al au milieu de la nuit. Ma mĂšre a dĂ©cidĂ© de prendre un taxi tĂŽt le lendemain, mais le tĂ©lĂ©phone a sonnĂ© de nouveau avant l’aube. Claude Ă©tait mort. Ma mĂšre s’est Ă©croulĂ©e.
C’était le 25 octobre, le jour de l’anniversaire de ma sƓur. Ma mĂšre a sĂ©chĂ© ses larmes, mis l’épingle Ă  couche dans son coffre Ă  bijoux et rangĂ© le petit lit de mon frĂšre. Puis, elle est allĂ©e dans la cuisine pour prĂ©parer un gĂąteau.
C’est quelques annĂ©es plus tard que j’ai appris Ă  vivre avec la peur.
J’étais sur le tremplin de la piscine prĂšs de notre maison. Mon pĂšre Ă©tait dans l’eau et m’encourageait Ă  sauter, promettant de m’attraper. MalgrĂ© ma peur, je lui ai obĂ©i. J’ai tendu les bras vers lui, mais je n’ai trouvĂ© que le vide en tombant dans l’eau et en coulant jusqu’au fond de la piscine. Comme je ne savais pas nager, la panique m’a envahi lorsque de l’eau s’est infiltrĂ©e dans mes poumons. J’ai criĂ© en vain. Je sentais le fond de la piscine sous mes pieds en essayant de m’étirer pour atteindre l’air au-dessus de ma tĂȘte, mais je n’avais rien Ă  quoi m’accrocher. Je me dĂ©battais, sachant que mon pĂšre Ă©tait lĂ  Ă  me regarder m’agiter.
Je ne sais combien de temps je suis restĂ© au fond – cinq secondes, peut-ĂȘtre plus. Le temps s’arrĂȘte quand on a l’impression qu’on va mourir. Je cherchais dĂ©sespĂ©rĂ©ment la jambe de mon pĂšre. La seule façon de me sauver Ă©tait de le trouver et de grimper le long de son corps, comme une montagne, jusqu’à ses Ă©paules. LĂ , je pourrais atteindre le bord de la piscine et m’y agripper d’une main, puis de l’autre. Mais je ne le trouvais pas.
J’étais encore en train de me dĂ©battre quand j’ai senti mon pĂšre me prendre dans ses bras et me soulever hors de la piscine. J’ai rampĂ© sur la terrasse en recrachant une telle quantitĂ© d’eau que j’ai failli vomir. J’étais hors d’haleine, et je sentais les larmes se mĂȘler Ă  l’eau sur ma figure. Mon pĂšre riait dans la piscine. Je l’ai regardĂ© sans rien dire. En secouant la tĂȘte, comme s’il s’adressait Ă  un bĂ©bĂ©, il m’a dit que je n’avais aucune raison de pleurer.
Mon pĂšre Ă©tait un homme sĂ©vĂšre, endurci par quelque chose que j’espĂ©rais ne jamais comprendre. Je ne l’ai pas Ă©coutĂ© lorsqu’il a tentĂ© de me convaincre de retourner dans la piscine. À cause de lui, j’ai toujours eu peur de l’eau. Et j’ai toujours refusĂ© de l’écouter quand il parlait des guerres oĂč il avait combattu, les dĂ©crivant Ă  grand renfort de dĂ©tails qu’il semblait incapable d’oublier.
Un autre souvenir: une nuit, le tĂ©lĂ©phone a sonnĂ©. J’ai entendu mon pĂšre rĂ©pondre en grommelant dans le couloir. Il a enfilĂ© son uniforme de gardien de prison et a attendu dans l’obscuritĂ©, prĂšs de la fenĂȘtre Ă  l’avant de la maison. Un prisonnier s’était Ă©chappĂ© et mon pĂšre devait aider la police Ă  le rechercher.
Il n’était toujours pas revenu le lendemain Ă  mon rĂ©veil. J’étais gĂ©nĂ©ralement le premier Ă  venir dĂ©jeuner, suivi peu aprĂšs par ma flopĂ©e de frĂšres et sƓurs. Ma mĂšre m’a remis un morceau de papier oĂč elle avait inscrit le pointage de la partie de la veille du Canadien de MontrĂ©al. À onze ans, j’étais trop jeune pour rester debout jusqu’à la fin des matchs, et je comptais donc sur elle pour noter chaque but.
AprĂšs le dĂ©jeuner, tous les enfants sont allĂ©s dehors pour jouer dans la forĂȘt, de l’autre cĂŽtĂ© de la rue. Ensuite, nous nous sommes assis sur le porche pour Ă©couter la radio, en nous demandant si notre oncle Michel viendrait nous chercher pour faire un tour dans sa vieille Chevy. Lorsqu’il a Ă©tĂ© Ă©vident que personne ne viendrait, nous avons pris nos bĂątons pour jouer au hockey. Je me suis emparĂ© de la balle et j’ai criĂ© Ă  mes frĂšres:
— Faites attention! Moi, je suis Guy Lafleur!
J’étais toujours Guy Lafleur.
Je me suis Ă©lancĂ© dans l’allĂ©e menant au garage, maniant le bĂąton, me faufilant entre mes frĂšres. Puis, j’ai pris mon Ă©lan et j’ai lancĂ© la balle vers le filet. Elle a quittĂ© le sol et s’est envolĂ©e trĂšs haut, trop haut. Mes frĂšres et moi l’avons regardĂ©e voler au-dessus du filet avant de fracasser la fenĂȘtre du garage. J’ai laissĂ© tomber mon bĂąton, paralysĂ© par la peur. Mes frĂšres se sont approchĂ©s de moi.
— Il ne le remarquera peut-ĂȘtre pas, a dit l’un d’eux.
— Il le remarquera, ai-je rĂ©torquĂ©.
— Ce ne sera peut-ĂȘtre pas si pire.
Nous Ă©tions six frĂšres et avions un pacte. Aucun de nous ne dĂ©noncerait jamais l’un des autres auprĂšs de notre pĂšre, car nous savions ce que cela signifierait.
Nous Ă©tions tranquillement en train de jouer prĂšs de la maison lorsque mon pĂšre est rentrĂ©. Il n’a rien dit en passant devant nous. Il n’a pas semblĂ© voir que la fenĂȘtre Ă©tait brisĂ©e. Pendant un moment, nous nous sommes crus Ă  l’abri. Au bout de quelques minutes, il nous a appelĂ©s Ă  l’intĂ©rieur. Il nous a rĂ©unis dans la salle Ă  manger et a demandĂ©:
— Qui a brisĂ© la fenĂȘtre?
Silence.
Il a répété la question:
— Qui a brisĂ© la fenĂȘtre?
Toujours pas de réponse.
S’il Ă©tait en colĂšre, il n’en a rien montrĂ©. Il nous a dit de sortir de la piĂšce. Puis il nous a fait revenir, un par un, du plus jeune au plus vieux, pour nous interroger. Quand mon tour est arrivĂ©, j’avais du mal Ă  croire que personne ne m’avait dĂ©noncĂ©.
Il s’est appuyĂ© au dossier pendant que je me tortillais sur mon siĂšge.
— Alors, Gabriel. Est-ce toi qui as brisĂ© la fenĂȘtre?
J’ai secouĂ© la tĂȘte.
— Sais-tu qui l’a fait?
J’ai fait signe que non.
Il a plissĂ© les yeux en hochant la tĂȘte, puis m’a laissĂ© partir.
AprĂšs un moment, j’ai commencĂ© Ă  croire que le danger Ă©tait Ă©cartĂ©. Pour moi et pour les autres. Puis mon pĂšre est sorti nous rejoindre.
— Les garçons, venez ici!
Il se tenait prùs d’un tas de roches dans un coin de la cour arriùre.
Nous nous sommes approchés prudemment.
— J’ai une tĂąche pour vous. Chaque pierre doit ĂȘtre transportĂ©e Ă  l’autre bout de la cour. Une fois qu’elles auront Ă©tĂ© dĂ©placĂ©es, elles devront ĂȘtre ramenĂ©es Ă  la pile originale. Vous allez transporter ces pierres jusqu’à ce que l’un d’entre vous me dise qui a brisĂ© la fenĂȘtre. Maintenant, au travail.
J’ai regardĂ© mes frĂšres du coin de l’Ɠil. Aucun ne m’a rendu mon regard. Nous formions un front uni. Je ne sais pas combien il y avait de roches, ni combien de fois nous avons fait l’aller-retour dans la cour, mais je sais que les pierres Ă©taient lourdes et que j’avais mal aux bras en les portant. Mes jeunes frĂšres ont laissĂ© tomber leurs pierres Ă  plusieurs reprises. Mon pĂšre, qui les observait, leur permettait de s’arrĂȘter seulement quelques secondes avant de leur ordonner de se remettre au travail. Les minutes sont devenues des heures. L’aprĂšs-midi a cĂ©dĂ© la place au soir. Nous avons continuĂ© d’aller et venir dans la cour arriĂšre.
Je ne sais plus exactement comment s’est terminĂ©e cette histoire. Ce souvenir se mĂȘle avec un autre de la mĂȘme Ă©poque oĂč mon pĂšre, enragĂ© pour une raison qui m’échappe, nous avait ordonnĂ©, Ă  mes frĂšres et moi, de nous agenouiller Ă  cĂŽtĂ© de l’escalier en regardant le mur. Je connaissais suffisamment cette punition pour savoir que je devais me hĂąter de me mettre en position si je voulais Ă©viter de recevoir une claque Ă  l’arriĂšre de la tĂȘte.
Pour une raison quelconque, mon jeune frĂšre Luc prenait son temps. Je n’ai pas vu le coup qui l’a envoyĂ© voler de cĂŽtĂ© dans la cage d’escalier, et je ne crois pas qu’il l’ait vu lui non plus. Je m’attendais Ă  l’entendre crier au bas des marches, mais pas un son ne s’est Ă©levĂ©. Luc ne faisait aucun bruit. Nous nous sommes prĂ©cipitĂ©s vers l’escalier. Tout le monde contemplait Luc qui semblait mort.
— LUC! a criĂ© mon pĂšre. LUC!
Pas de rĂ©ponse. Mon pĂšre s’est prĂ©cipitĂ© dans l’escalier et s’est agenouillĂ© et a mis dĂ©licatement la tĂȘte de son fils sur ses genoux.
— Luc! RĂ©veille-toi! RĂ©veille-toi, rĂ©veille-toi!
Il a fallu un moment pour que mon frĂšre ouvre les yeux – suffisamment longtemps pour donner Ă  rĂ©flĂ©chir Ă  mon pĂšre. Il n’y aurait plus de punition ce jour-lĂ .
Plus tard, quand mon frĂšre a Ă©tĂ© ramenĂ© en haut et que ma mĂšre a eu nettoyĂ© ses Ă©gratignures, nous nous sommes rĂ©unis dans sa chambre pour lui demander s’il allait bien. Il a souri, nous a fait signe d’approcher et nous a rĂ©vĂ©lĂ© qu’il avait fait semblant parce qu’il voulait faire peur Ă  notre pĂšre. Nous Ă©tions bouche bĂ©e, scandalisĂ©s par son audace. Il Ă©tait notre hĂ©ros.
Mon enfance n’avait pas que de mauvais cĂŽtĂ©s. J’ai de bons souvenirs: par exemple, rouler Ă  vĂ©lo dans la rue devant chez nous, jouer dans la forĂȘt, patiner sur la petite patinoire que mon pĂšre amĂ©nageait chaque hiver sur la pelouse Ă  cĂŽtĂ© du tas de bois.
Il y a aussi la fois oĂč mon pĂšre nous a emmenĂ©s dans le sud de la France, mes quatre frĂšres, mes trois sƓurs et moi. Ma mĂšre ne nous accompagnait pas puisqu’elle Ă©tait enceinte pour la dixiĂšme fois et devait rester Ă  la maison. Mon pĂšre nous a aidĂ©s Ă  jouer un tour aux Français, leur faisant croire que nous, les Canadiens, venions directement du Far West. Nous avons mĂȘme construit un tipi sur une plage de la CĂŽte d’Azur pour donner plus de poids Ă  notre histoire. Assis dans notre tipi, nous avons beaucoup ri du ridicule de la situation.
Mais la plupart du temps, mon pĂšre Ă©tait colĂ©rique et imprĂ©visible, hantĂ© par son passĂ©. Ce commando parachutiste, expert en explosifs, avait combattu dans deux des guerres les plus dĂ©sastreuses de la longue histoire militaire de la France. Il avait 19 ans quand, lors du dernier combat de l’empire colonial français en ExtrĂȘme-Orient, il a Ă©tĂ© envoyĂ© en Indochine pour affronter le ViĂȘt Minh dans la jungle et les riziĂšres au sud de HanoĂŻ.
Tout ce temps-lĂ , il a envoyĂ© des lettres Ă  la correspondante canadienne-française qui allait un jour devenir sa femme, sans pour autant rien lui rĂ©vĂ©ler de la guerre en Indochine. Il ne lui a pas non plus dĂ©crit Ă  quel point l’AlgĂ©rie Ă©tait diffĂ©rente Ă  son retour en 1954, quand il a dĂ» prendre part Ă  ce qui deviendrait bientĂŽt l’une des guĂ©rillas urbaines les plus brutales du XXe siĂšcle.
Ma mĂšre se souviendrait plus tard qu’avant de le rencontrer lĂ -bas, sa future belle-mĂšre l’avait prise Ă  part pour lui expliquer que son fils n’était plus le mĂȘme homme qu’avant la guerre. Il avait vu et fait des choses terribles, des choses que je ne peux mĂȘme pas imaginer, et il les portait en lui continuellement.
Mon pĂšre a toujours portĂ© la moustache. Quand il a rencontrĂ© ma mĂšre, c’était une moustache Ă  la Clark Gable, courte et bien taillĂ©e. À ma naissance, elle avait Ă©paissi, tout comme son tour de taille. Les proches de ma famille disent que j’ai ses yeux. Ils Ă©taient froids, profonds et distants. Il trouvait que je ne faisais jamais rien de bon. Quand je revenais de l’école et que je lui montrais un examen ou un bulletin, je savais que ma note importerait peu. Sa rĂ©action Ă©tait toujours la mĂȘme:
— Tu as eu 80%? Ce n’est pas assez. Pourquoi n’as-tu pas eu 85?
Je retournais Ă  l’école et redoublais d’efforts. La fois suivante, je revenais Ă  la maison avec une note de 90%, mais c’était encore la mĂȘme chose.
— Tu as eu 90%? Ce n’est pas assez. Pourquoi n’as-tu pas eu 95?
J’avais 17 ans quand ma relation avec mon pĂšre s’est dĂ©tĂ©riorĂ©e. C’était durant l’étĂ© de 1978. Mon frĂšre aĂźnĂ©, Jean, venait de suivre la voie qui avait toujours Ă©tĂ© tracĂ©e pour lui: il Ă©tait parti en France pour entrer dans l’armĂ©e. De l’autre cĂŽtĂ© de la table, mon pĂšre m’a toisĂ© et m’a dit que je serais le prochain. D’aprĂšs lui, c’était plus qu’un devoir, c’était la loi. Le gouvernement français pouvait venir cogner Ă  notre porte n’importe quand et me traĂźner de force Ă  la guerre. Il disait que si je ne m’enrĂŽlais pas, ce serait fini entre lui et moi. Je me retrouverais seul, Ă  travailler au kiosque de fruits et lĂ©gumes du coin jus...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Page légale
  3. Table des matiĂšres
  4. Prologue: Camp de base
  5. Chapitre 1: Un garçon désemparé
  6. Chapitre 2: Une Ăąme en peine
  7. Chapitre 3: Chimborazo
  8. Chapitre 4: Aconcagua
  9. Chapitre 5: Passion tropicale
  10. Chapitre 6: La mangeuse d’hommes en hiver
  11. Chapitre 7: L’Everest: premiùre tentative
  12. Chapitre 8: L’Everest: deuxiùme tentative
  13. Chapitre 9: L’appel des montagnes
  14. Chapitre 10: La lettre d’adieu
  15. Chapitre 11: Le cƓur de la montagne
  16. Chapitre 12: Sur les traces de Hillary
  17. Chapitre 13: Le transport de Sean
  18. Chapitre 14: Culte des idoles
  19. Chapitre 15: Mener des hommes dans la zone de mort
  20. Chapitre 16: L’autre cĂŽtĂ© de la montagne
  21. Chapitre 17: De retour au point culminant
  22. Chapitre 18: Divers degrĂ©s d’euphorie
  23. Chapitre 19: Un plan fort ambitieux
  24. Chapitre 20: Montagne meurtriĂšre
  25. Chapitre 21: Une vision nocturne
  26. Chapitre 22: L’évasion
  27. Chapitre 23: L’ami invisible et les dĂ©gĂąts infligĂ©s
  28. Chapitre 24: Le summum de toutes les ascensions
  29. Chapitre 25: Possibilité karmique
  30. Épilogue
  31. Note de l’auteur
  32. Remerciements
  33. QuatriĂšme de couverture