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LA SCIENCE DE LA NUTRITION
Une bonne alimentation peut-elle nous aider à mieux vieillir ? La recherche réalisée au cours des quarante dernières années nous incite très fortement à le penser. Un nombre toujours croissant de travaux indiquent en effet qu’une alimentation variée et équilibrée tout au long de la vie favorise le maintien des fonctions physiologiques, réduit les risques de morbidité et contribue à l’autonomie et au bien-être des personnes jusqu’à un âge avancé. Inversement, un état nutritionnel pauvre est associé à un déclin plus rapide des capacités physiologiques et physiques, à l’apparition de divers problèmes de santé ainsi qu’à un plus grand nombre de visites à l’hôpital ou au cabinet du médecin.
En outre, il est maintenant bien établi que la nutrition joue un rôle prépondérant dans l’apparition et l’évolution de plusieurs maladies invalidantes associées au grand âge. Lorsque l’on exclut les prédispositions génétiques, la qualité de la diète se trouve en effet en tête des facteurs de risque des principales causes de décès au Canada, à savoir les maladies cardiovasculaires, les cancers et les accidents vasculaires cérébraux. D’autres désordres fréquemment observés au cours du vieillissement – l’ostéoporose, le diabète et l’hypertension, par exemple – comportent également de fortes composantes nutritionnelles. De même, un pauvre état nutritionnel est un important déterminant de la mortalité. Selon un rapport récent du Bureau du recensement des États-Unis, la pauvreté de la diète, l’inactivité physique et le tabagisme seraient à la source de près de 40% des causes de mortalité des aînés américains.
D’aucuns voient un lien direct entre la qualité de l’alimentation, laquelle s’est grandement améliorée au cours des dernières décennies, et l’accroissement du nombre de personnes atteignant des âges très avancés. Il est vrai que, depuis une quinzaine d’années, nous observons dans les pays industrialisés un vieillissement accéléré des populations. Au Canada, par exemple, la proportion des personnes âgées de 65 ans et plus est passée d’environ 8%, au début des années 1950, à plus de 11% en 1991, une tendance qui ne fait que s’accentuer puisque les personnes de 65 ans et plus devraient former le quart de la population canadienne en l’an 2051 (Santé Canada, 2001). La figure 1.1 illustre les tendances démographiques du Canada et des États-Unis.
Par ailleurs, le vieillissement de la population canadienne s’accompagnera d’un accroissement marqué du nombre de personnes très âgées. Comme nous pouvons le constater par les données présentées à la figure 1.2, dans un peu plus de vingt ans, la moitié des aînés du Canada seront âgés de 75 ans et plus. Le contingent âgé continuera également d’être majoritairement composé de femmes, lesquelles en 2000, représentaient 57% de l’ensemble des personnes âgées de 65 ans et plus, et 70% des 85 ans et plus. Aussi, on prévoit qu’en 2051 la population des personnes âgées se composera à 55% de femmes.
À l’instar de ce qui s’observe dans les autres pays économiquement favorisés, le vieillissement de la population canadienne est attribuable en grande partie à une augmentation de l’espérance de vie. De fait, jamais dans l’histoire de l’humanité l’espérance de vie humaine n’a-t-elle été aussi élevée. Par exemple, alors qu’au début du xxe siècle un Canadien pouvait s’attendre à vivre en moyenne une cinquantaine d’années, aujourd’hui, l’espérance de vie à la naissance est de 82,1 ans pour les Canadiennes et de 77,2 ans pour les Canadiens. De plus, l’augmentation de l’espérance de vie touche toutes les étapes de la vie ; par exemple, les femmes actuellement âgées de 65 ans ou de 75 ans peuvent s’attendre à vivre respectivement 20,6 années et 13 années de plus, alors que l’espérance de vie des hommes aux mêmes âges sera de 17,2 et de 10,5 ans. Qui plus est, les femmes peuvent s’attendre à vivre un plus grand nombre d’années que les hommes, quelle que soit l’étape de la vie. Le tableau 1.1 présente l’espérance de vie des Canadiennes et des Canadiens âgés, selon trois strates d’âge.
Que l’alimentation constitue un jalon important de la santé et puisse contribuer au maintien de l’état physique et de l’état mental jusqu’à un âge avancé ne semble donc plus faire de doute à notre époque. D’ailleurs, il est intéressant de noter que les connaissances acquises ces récentes années tendent à confirmer certains travaux de nature anthropologique qui, dans d’autres contextes, ont suggéré des liens entre l’alimentation et l’état général de santé. Par exemple, la piètre qualité de l’alimentation et, en particulier, l’insuffisance calorique ont souvent été évoquées pour expliquer, dans l’Europe du xviiie siècle, la petite taille des personnes à l’âge adulte et la courte espérance de vie à la naissance (à peine 40 ans). Par ailleurs, les problèmes de santé et la mortalité prématurée engendrés par la malnutrition qui sévit dans plusieurs pays du tiers monde nous rappellent le rôle majeur joué par la nutrition sur l’échiquier sanitaire.
Mais qu’entendons-nous au juste par « nutrition » ? De quoi est constituée cette alimentation susceptible de nous permettre de faire partie des octogénaires, voire des nonagénaires, que l’on croise en montagne ou au cours de randonnées de ski de fond et qui semblent moins essoufflés que nous, qui avons pourtant la moitié de leur âge ? Pour répondre à ces questions, nous devons d’abord définir cette nouvelle science qu’est la nutrition et bien comprendre ce qu’elle englobe. Nous devons également nous familiariser avec la notion d’aliment et connaître ses principaux composants, un vaste sujet qui sera d’ailleurs poursuivi aux chapitres 2, 3 et 4. En outre, parce que l’alimentation est avant tout une affaire de choix personnels, nous devons nous familiariser avec les fondements du comportement alimentaire : quels sont les facteurs qui nous font choisir un aliment plutôt qu’un autre ? Est-ce que ces choix changent à mesure que l’on vieillit ?
1.1 Qu’est-ce que la nutrition ?
La science de la nutrition existe en tant que telle depuis environ une cinquantaine d’années. Bien qu’elle se soit d’abord développée à partir des sciences de base que sont la chimie et la biologie, elle a depuis intégré plusieurs autres disciplines, dont la biochimie, la physiologie, la biologie cellulaire et moléculaire, la microbiologie et, plus récemment, la biotechnologie. Par définition, la nutrition est une science pluridisciplinaire qui s’intéresse aux aliments et aux éléments nutritifs qui les composent, à leur action dans l’organisme et à leurs interactions en regard de la santé et des maladies, aux processus par lesquels l’organisme ingère, absorbe, transporte, utilise et excrète les substances alimentaires, et, enfin, aux comportements alimentaires et aux facteurs (socioéconomiques, politiques, technologiques ou autres) qui déterminent l’environnement alimentaire des êtres humains.
1.2 Les aliments et leurs composants
Par définition, un aliment est un produit dérivé des plantes ou des animaux servant de nourriture à notre organisme. Plus spécifiquement, les aliments apportent à l’organisme l’énergie et les substances chimiques dont il a besoin pour fonctionner, pour assurer sa croissance et son développement, et pour permettre la réparation des tissus endommagés. On appelle « nutriments » ou « éléments nutritifs » les substances chimiques contenues dans les aliments.
Les nutriments se divisent en six grandes catégories : 1) les glucides (aussi appelés sucres), 2) les lipides (aussi appelés graisses), 3) les protéines, 4) les vitamines, 5) les minéraux et 6) l’eau. Sur le plan chimique, les glucides, les lipides, les protéines et les vitamines se composent essentiellement d’atomes de carbone (C), d’hydrogène (H) et d’oxygène (O). Précisons toutefois que les protéines contiennent également des atomes d’azote (N) et peuvent dans certains cas inclure des atomes de soufre (S). De même, certaines vitamines peuvent comporter des atomes d’azote ainsi que des minéraux. Parce qu’ils contiennent du carbone, ces nutriments sont dits « organiques », ce qui littéralement signifie « vivants ». Comme les nutriments des deux autres catégories (l’eau et les minéraux) ne contiennent pas de carbone, ils sont dits « inorganiques ». En effet, l’eau comprend uniquement des atomes d’hydrogène et d’oxygène, tandis que les minéraux sont par nature des éléments chimiques, c’est-à-dire qu’ils sont composés d’atomes identiques (par exemple, le fer, le calcium, le zinc). Contrairement aux nutriments de nature organique qui peuvent être altérés par les conditions de l’environnement telles que la chaleur, l’oxygène et les rayons ultraviolets, les minéraux et l’eau sont des nutriments chimiquement très stables. Le tableau 1.2 offre un sommaire des nutriments et résume leur composition chimique.
D’un point de vue nutritionnel, on regroupe les nutriments selon leur importance quantitative dans l’alimentation et dans l’organisme. Parce qu’ils constituent environ 98% du poids des aliments, l’eau, les glucides, les lipides et les protéines forment ce qu’on appelle le groupe des macronutriments. En revanche, on appelle micronutriments les vitamines et les minéraux, car ils ne constituent qu’une très petite fraction du poids des aliments et ne sont requis qu’en quantités minimes par l’organisme. En plus des vitamines et des minéraux, les aliments comportent d’autres substances présentes en petites quantités (choline, carnitine, phytosterol, flavonoïdes, etc.), qui bien qu’encore considérées comme non indispensables, exercent des fonctions métaboliques importantes dans l’organisme. En outre, bien que le corps humain soit en mesure de produire certaines vitamines, il ne peut les synthétiser en quantité suffisante pour subvenir à ses besoins. Ainsi, les vitamines, tout comme les minéraux et certains acides gras, doivent être fournis par l’alimentation et, pour cette raison, ils sont dits « essentiels ».
Contrairement à ce que l’on peut penser, la majorité des aliments comprennent les six catégories de nutriments susmentionnées. Par exemple, le bifteck dans notre assiette ne contient pas que des protéines, bien qu’il en constitue une bonne source ; il comporte également de l’eau, des lipides, des minéraux (fer, magnésium, zinc) de même que des vitamines (B12, B6 et niacine). Parmi les aliments d’exception, mentionnons le sucre de table, composé exclusivement de glucides, ou encore les huiles végétales, qui contiennent essentiellement des lipides et quelques vitamines. Le tableau 1.3 présente la composition en nutriments de certains aliments usuels.
1.2.1 Les macronutriments
À l’exception de l’eau, les macronutriments sont des sources d’énergie pour l’organisme. L’énergie libérée en fonction du métabolisme des macronutriments est mesurée en diverses unités, dont la kilocalorie (kcal ou Cal) et la kilojoule (kJ), où 1 kcal équivaut à 4,2 kJ. Ainsi, lorsqu’il est complètement métabolisé dans l’organisme, un gramme de glucide, tout comme un gramme de protéine, va générer en moyenne 4 kcal ; en revanche, un gramme de lipide fournit en moyenne 9 kcal. Aussi, la teneur énergétique d’un aliment va-t-elle dépendre de son contenu en divers macronutriments : un aliment essentiellement composé de lipides fournira par unité de poids davantage de calories qu’un autre constitué majoritairement de glucides ou de protéines.
Soulignons que l’organisme peut également tirer de l’énergie de l’alcool dont l’apport est de l’ordre de 7 kcal par gramme ; toutefois, l’alcool n’est pas à proprement parler un élément nutritif en raison des conséquences néfastes qu’il peut engendre...