Orient-Occident
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Orient-Occident

Écrits politiques dispersés

  1. 408 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Orient-Occident

Écrits politiques dispersés

À propos de ce livre

Réunis et présentés par Nathalie Fortin et Georges Leroux.Près de quinze ans après la mort de Thierry Hentsch, son héritage intellectuel est toujours vivant. Revenir à son oeuvre, c'est non seulement mesurer son influence, mais c'est aussi tenter d'éclairer la manière dont l'époque a imprégné sa pensée et orienté sa vie. En plus de ses grands livres ? L'Orient imaginaire (1988) Raconter et mourir (2002) et Le temps aboli (2005) ?, il laisse, échelonnés sur plus de trente années de réflexion, des dizaines d'écrits politiques sur les rapports de l'Occident avec l'Orient, cet autre toujours figé dans le stéréotype. Cette anthologie, qui présente vingt études marquantes, suit l'évolution de la pensée de l'auteur. Toujours attentif à l'événement, celui-ci cherche autant les constances, les repères et les impasses que les ouvertures au dialogue. Ses textes nous mettent en présence d'un désarroi que, toujours conscient de ses limites, il n'a pu ignorer et avec lequel il a dû continuer à vivre et à réfléchir. C'est cette inquiétude, faite de rigueur, de lucidité et d'authenticité, qui est ici mise en avant.

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I

Orient-Occident:
la construction d’un mythe

Orient-Occident:
origines mythiques d’un couple réel

Le couple Orient-Occident, fait d’opposition et de voisinage séculaires, apparaît comme une constante de l’histoire méditerranéenne. Cohabitation problématique de deux essences fondamentales qui s’influencent et se brassent réciproquement, dans la paix comme dans la guerre, sans jamais se mélanger durablement. Aussi complémentaires et différentes l’une de l’autre que l’huile et le vinaigre: le mélange peut être savoureux mais la ligne de partage finit toujours par reparaître. Et cette ligne semble avoir existé de tout temps. Tout se passe comme si dès l’Antiquité l’Orient et l’Occident étaient engagés dans un face-à-face épuisant et inépuisable, dont la Méditerranée serait à la fois le centre, la zone de mouvance et l’aire de séparation.
Dès l’Antiquité…?
C’est l’ancienneté de cette opposition que je veux interroger ici. Mince tranche de l’immense calendrier des rapports Orient-Occident. Quand ce calendrier débute-t-il vraiment? Quand est-ce que, dans la conscience collective occidentale, l’Orient et l’Occident commencent réellement à s’opposer en tant que cultures distinctes? Cette simple question de périodisation commande notre vision du couple Orient-Occident et touche à l’usage contemporain que le second fait du premier: en situant les origines de l’affrontement Orient-Occident à une date aussi reculée que possible, l’Occident ne cherche-t-il pas en l’autre le contraste qui lui permet de fonder l’«Antiquité» et la continuité de sa propre identité? Projection vers le passé d’une opposition en réalité plus récente. Cliché devenu tellement ancré dans nos habitudes intellectuelles – rares ceux qui, par exemple, mettent en cause notre identification quasi automatique à l’Athènes de Périclès – qu’il faut le déconstruire pour comprendre de nouveau notre apport à l’Orient. D’où la nécessité de départager, autant que possible, le mythique du réel.
Démarcation problématique. Aux origines du couple Orient-Occident, comme tout au long de l’histoire du monde méditerranéen, fiction et réalité s’entrecroisent étroitement. Et plus on remonte dans le temps, plus les sources directes se raréfient, plus il devient difficile de faire la part de l’imaginaire et du réel, plus large est la place que tend à prendre le mythe. Si bien que la dimension mythique du passé le plus reculé vit de sa vie propre et se substitue à une réalité devenue insaisissable. Ainsi la guerre de Troie: aucune découverte sur sa réalité ou son irréalité n’est susceptible de modifier la formidable puissance d’évocation de l’épopée homérique, dont les effets agissent encore aujourd’hui sur notre imaginaire. Le mythe remplit dès lors sa pleine fonction explicative: peu importe que cette explication soit juste ou fausse, son pouvoir de représentation s’impose à la mémoire collective et pèse d’un poids réel sur l’avenir. Il contribue ainsi à fonder des comportements en profondeur et, à ce titre, il participe de la réalité.
Telle est donc la part de la réalité qui m’intéresse ici: comment s’articule le «mythe fondateur» de l’opposition Orient-Occident? Sous quelle forme se manifeste-t-il encore de nos jours? En quoi influence-t-il la vision occidentale contemporaine de l’Orient? De l’Orient méditerranéen en particulier. Car le monde de la Méditerranée représente le lieu où ce qu’on appelle aujourd’hui l’Occident et le tiers monde ont eu la plus longue et la plus intense fréquentation. Il est le bassin où se sont forgées les diverses images qui influencent en ce moment encore la perception que chacun a de l’autre. Ces images ne sont pas sans intérêt en cette période de crise économique mondiale, qui est aussi crise de la civilisation occidentale; en cette période où l’Occident s’interroge à nouveau anxieusement sur un Orient qu’il perçoit toujours comme son antithèse –, période où il est engagé, qui semble lui échapper et dont il craint de trop dépendre pour sa prospérité et sa sécurité.

L’appropriation du passé

Quelle que soit l’époque à laquelle on veuille faire remonter l’opposition Orient-Occident, ses deux pôles n’ont pas le même âge et les Occidentaux que nous sommes doivent bien commencer leur enquête par un pèlerinage aux sources, auprès des premières grandes civilisations de l’Asie de l’Ouest et de l’Égypte.
Avant Homère (VIIIe siècle av. J.-C.) et même jusqu’à l’ère classique athénienne (Ve siècle av. J.-C.), c’est dans le croissant fertile, du Tigre au Nil, que l’Occident moderne puise nécessairement ses principales références culturelles. Et pour cause: en Mésopotamie, les Chaldéens, dont la civilisation remonte au quatrième millénaire, calculent le cours des étoiles, les cycles lunaires et solaires, divisent l’année en 360 jours, inventent une numérotation suivant le «principe de la notation de position1» (qui est le nôtre aujourd’hui, mais que Rome n’a pas su reprendre). Les Égyptiens réalisent des tours de force architecturaux dont certains aspects nous échappent encore. Babylone, avec le code d’Hammourabi (XVIIIe et XIXe siècles av. J.-C.) inaugure le droit, «avant Rome et la Chine», remarque René Grousset, qui insiste sur l’«antériorité reconnue» des «civilisations de la Méditerranée orientale et du Proche-Orient»2.
De ces civilisations jaillit déjà «la grande poésie des Sémites, secouée dès l’origine d’un frisson sacré». L’épopée de Gilgamesh, «peut-être le plus ancien poème épique de l’humanité», annonce Job et Prométhée:
C’est la gloire éternelle du génie sémitique d’avoir, dès l’origine, posé avec une telle acuité, une telle âpreté, une telle violence, le problème du mal et celui de la destinée humaine, c’est-à-dire, finalement, le problème métaphysique tout entier… Et déjà (au troisième millénaire) le frisson pascalien de l’homme devant la destinée, devant «le silence éternel de ses espaces infinis», déjà toute l’angoisse métaphysique3.
Perspective longue, vertigineuse, où l’Occident trouve d’un coup une profondeur impressionnante. Gilgamesh, Job, Prométhée, Pascal, les jalons sont posés: le génie sémitique et le frisson pascalien se font écho à travers les millénaires et tracent la trajectoire qui, de l’Orient premier, en passant par le judaïsme et la Grèce, mènerait jusqu’à nous. Expression de l’universel humain, l’angoisse métaphysique, que l’Occident considère par ailleurs comme une des conquêtes philosophiques de sa modernité, est ici le pont qui nous relie aux Origines. Bien plus que du génie sémitique lui-même, l’exaltation qu’on peut éprouver provient de la filiation qu’on établit avec lui: sa «gloire éternelle» rejaillit sur nous, qui en redécouvrons toute la grandeur.
Établir l’antériorité de ce génie, dans cette perspective, c’est s’assurer d’une certitude quasi existentielle: il faut que la civilisation ait une origine quelque part, du moins une origine privilégiée à laquelle et de laquelle nous puissions participer. Ce n’est pas par hasard que George Deniker, disciple et continuateur de Grousset, dit de la Chine, candidate à une ancienneté redoutable mais moins bien connue de nous, qu’elle «se présente à nous à l’extrémité du continent eurasien, comme un bloc massif et isolé» et que «son humanisme si particulier s’est élaboré en vase clos»4. Façon d’enfermer ce qui est aujourd’hui le quart de l’humanité dans une gigantesque parenthèse en situant sa culture, si remarquable qu’on la juge par ailleurs, en marge du courant universel qui sourd en Asie occidentale pour féconder l’Europe. Cette marginalité n’aurait-elle pas quelque rapport avec le fait que la Chine n’a jamais été colonisée en profondeur par l’Occident? En tout état de cause, il reste certain que la filiation de la culture occidentale avec la Chine serait plus difficile à établir qu’avec le «Proche-Orient» ancien.
Il n’en va pas tout à fait de même avec l’Inde, longuement colonisée, où l’Europe peut puiser quelques éléments culturels inscrits, entre autres, dans la vaste parenté linguistique indo-européenne. Malgré l’isolement relatif du sous-continent indien, on trouve sans trop de peine à le relier au monde méditerranéen par l’Iran, à travers «les passes indo-afghanes» du nord-ouest. «C’est par là que l’histoire de l’Inde se rattache à l’histoire universelle5.» Liaison indispensable, par laquelle l’Iran est appelé à jouer un rôle clé dans la mythologie de nos origines.
L’Iran, en effet, serait comme un morceau d’Europe en Asie. Passant de la Mésopotamie au plateau iranien, Grousset constate, non sans laisser percer un certain soulagement:
En quelques étapes, dans l’air vivifiant des hauteurs, nous sommes repassés d’Asie en Europe. Et comme les arbres et les plantes, les hommes aussi sont de chez nous. Qu’importent les invasions arabes ou turco-mongoles qui, d’époque, sont montées ici de l’Irak ou de la Transoxiane? Qu’importent les occupations, parfois séculaires qui s’en sont suivies? […] Parce que le plateau caspien, grâce à son altitude, rappelle au géographe le climat de notre Europe, le type physique de l’Indo-Européen (au sens proprement européen du mot) s’est ici merveilleusement conservé, au point de s’être, à la longue, imposé aux minorités allogènes6.
À point nommé le géographe prête une main secourable à l’historien pour l’aider à sauter par-dessus les siècles et à contourner momentanément l’épineuse question de l’Islam. Qu’importe l’histoire, en effet, qu’importent les sédiments successifs qu’elle dépose, du moment qu’on cherche sous la fine poussière du temps l’immanence et la transcendance!
Peut-être l’explication géographique pourrait-elle être poussée plus loin. N’y aurait-il pas une secrète harmonie entre la pensée iranienne et le cadre où elle se forma? […] Car l’Iran est un des hauts lieux de la terre où dès l’aube des temps le spiritualisme, d’un vol vertical, s’est élevé vers le ciel7.
Dès l’aube des temps, parce qu’«en réalité ce n’est pas à Our que la civilisation-mère de nos civilisations a débuté. C’est à la descente même du plateau d’Iran et sur le territoire iranien actuel, à Suze8…» L’affirmation de cette ancienneté n’est pas sans conséquence pour nous, du moment que «par sa pensée, l’Iran reste essentiellement indo-européen. Ce n’est pas aux vieilles conceptions babyloniennes, c’est à la spéculation indienne la plus haute ou à la pensée grecque la plus spiritualisée que la pensée iranienne, dès l’origine, s’apparente9». Implicitement, le génie sémitique passe au deuxième rang, tandis que monte une aurore indo-européenne antérieure qui porte déjà la pensée grecque dans ses limbes.
La division de l’Asie de l’Ouest antique entre Sémites et Indo-Européens demeure pour le moins sujette à caution10. Comment l’Iran du quatrième millénaire peut-il être «indo-européen», sinon en vertu d’une symbolique mythique? Qu’est-ce alors que l’Europe? Ce fantastique anachronisme étonne d’autant plus que, dans un ouvrage antérieur consacré à la question d’Orient, Grousset fait remonter le clivage Asie-Europe aux guerres médiques (Ve siècle av. J.-C.)11, soit deux siècles à peine après Zoroastre, symbole du spiritualisme qui caractérise l’Iran essentiel. Le «pays des Aryens» se serait-il «orientalisé» entre-temps? C’est ce que pense Grousset, et d’autres avec lui: Xerxès représente l’antique lieu commun du «despotisme oriental12». Que s’est-il donc passé après deux millénaires d’iranité indo-européenne, pour qu’en moins de deux siècles le Mède symbolise l’Asie contre l’Europe? Tout simplement, l’entrée en scène de la Grèce classique, la montée d’Athènes.
Avant la Grèce, for...

Table des matières

  1. REMERCIEMENTS
  2. NOTE DES ÉDITEURS
  3. Thierry Hentsch (1944-2005): esquisse d’une biographie intellectuelle
  4. PROLÉGOMÈNES
  5. I
  6. II
  7. III
  8. CODA
  9. BIBLIOGRAPHIE DES TRAVAUX PUBLIÉS1