Échafaudages, squelettes et patrons de couturière
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Échafaudages, squelettes et patrons de couturière

Essai sur la littérature à contraintes au Québec

  1. 185 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Échafaudages, squelettes et patrons de couturière

Essai sur la littérature à contraintes au Québec

À propos de ce livre

Tantôt échafaudage, tantôt squelette, parfois patron de couturière, la contrainte est un réglage intentionnel et ad hoc servant à la confection d'un texte. Fer de lance des membres de l'Ouvroir de littérature potentielle (Oulipo), cette pratique d'écriture peut se concevoir dans toutes les langues, à toutes les époques. Le Québec ne fait pas exception, avec des oeuvres aussi diverses et originales que celles de Nicole Brossard, Raôul Duguay, Guy Delahaye ou Anne Archet.La 'Pataphysique, le formalisme et les machines – trois points d'ancrage de la littérature à contraintes –sont ici envisagés à même un corpus exclusivement québécois, composé d'une centaine d'oeuvres publiées entre 1910 et 2019. L'autrice en profite pour réfléchir aux enjeux qui émergent d'une analyse inédite et audacieuse: l'alliance du rire et de la science, le féminisme, la potentialité. Elle fait ressortir un aspect méconnu de la littérature québécoise, tout en soulignant l'influence littéraire et la puissance théorique de cette écriture pour le moins singulière.

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Chapitre 1

La ’Pataphysique

Je sais que l’espiègle tire volontiers la langue à la pédanterie,
mais il est aussi vrai que cette fille de l’esprit [la gaieté]
est au fond dans les meilleurs termes avec la science.
Madame Dandurand, «Les clubs littéraires»

Débuts

Oui, cela pourrait commencer ainsi, ici, comme ça, par la ’Pataphysique. Parce qu’en Europe, c’est grâce au Collège de ’Pataphysique que les premiers travaux de l’Oulipo furent publiés; parce qu’au Québec, c’est à la clôture d’un grand événement orchestré par Line Mc Murray, auquel participaient quelques oulipiens et oupeinpiens21, que lui ont été remises les clés de l’Académie québécoise de ’Pataphysique. Déplions tout cela.

L’histoire européenne: le Collège de ’Pataphysique

Les principes et les fins de la ’Pataphysique sont définis dans Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien, livre écrit par Alfred Jarry en 1897-1898 et paru à titre posthume en 1911. Science du particulier, science des solutions imaginaires ou science des exceptions, autant de façons de caractériser la ’Pataphysique, que l’on résume souvent en disant simplement qu’elle «est la science22». De science promue par un personnage de fiction, elle deviendra mot d’ordre et principal objet de la «société de recherches savantes et inutiles» que constitue le Collège de ’Pataphysique.
Fondé en 1948 dans des circonstances plutôt obscures – la tendance au secret est relativement élevée chez les pataphysiciens – relatées en 2000 par Thieri Foulc dans Les très riches heures du Collège de ’Pataphysique, le Collège est présidé par un Vice-Curateur élu (le Docteur Faustroll en est le curateur inamovible), assisté d’un Staroste et d’un corps de Provéditeurs qui administrent les biens du Collège et créent les chaires d’enseignement. Remarquons tout de suite le jargon, la hiérarchie, les rituels et même le calendrier spécifique de la ’Pataphysique et du Collège que les membres, costumadiers avant la lettre, adoptent d’emblée.
Le 17 gueules 77 (11 février 1949), Raymond Queneau entre au Collège en qualité de Satrape. Suivront (dans le désordre) les futurs oulipiens Marcel Duchamp, Latis (Emmanuel Peillet), François Le Lionnais (cofondateur avec Queneau de l’Oulipo), François Caradec, Noël Arnaud, Jean Lescure et Ross Chambers. Le Collège accueille d’autres membres, éminents écrivains tels que Boris Vian, Jacques Prévert et Eugène Ionesco, et publie d’importants travaux par l’intermédiaire des Cahiers du Collège, une revue intitulée Viridis Candela. Inédits, correspondances, dossiers substantiels autour d’un thème ou d’une figure importante de la ’Pataphysique, les Cahiers du Collège auront été le premier organe de diffusion des travaux de l’Oulipo.
L’Oulipo n’est pas né au Collège et, pourtant, l’histoire de leurs rapports est assez complexe. Raymond Queneau avait souhaité que l’Oulipo, nouvellement créé, soit rattaché au Collège. Ce qui fut aussitôt fait: intégré d’abord aux Sous-Commissions du Collège de ’Pataphysique par Sa Magnificence le Vice-Curateur Baron, puis élevé au rang de Co-Commission par décision de Sa Magnificence Opach le 20 gidouille 93 (4 juillet 1966), l’Oulipo publia ses tout premiers Exercices de littérature potentielle dans le dix-septième dossier des Cahiers du Collège, qui inclut, outre la première occurrence du mot «contrainte», la définition de la méthode S+7 que l’on doit à Jean Lescure. Les deux institutions ont ensuite cheminé en parallèle. L’Ouvroir s’éloigne définitivement du Collège de ’Pataphysique après la mort de Latis en 1973, car la nouvelle génération – celle de Georges Perec et Harry Mathews – se préoccupe peu de la ’Pataphysique23.

L’histoire québécoise: le «grand événement»

L’Oulipo et le Collège se sont manifestés conjointement à différentes occasions, comme ce fut le cas au grand événement organisé à Montréal par Line Mc Murray, La ’Pataphysique, d’Alfred Jarry au Collège de ’Pataphysique. Quantité de festivités pataphysiques ont eu lieu durant le mois de mai 1989: une exposition à la galerie de l’UQAM, un colloque universitaire avec conférenciers oulipiens (Marcel Bénabou, Noël Arnaud), oupeinpiens et pataphysiciens (Thieri Foulc, Jacques Carelman), du théâtre (de marionnettes, présenté par la troupe Al Botrule de Liège; de Jarry, Ubu cycle, présenté par la compagnie Ubu de Denis Marleau), des concerts des Granules, de Jean Derome et de René Lussier, à la Chapelle du Bon-Pasteur, des films (Vian, Queneau, Perec) à la Cinémathèque québécoise.
L’événement, «une première en Amérique du Nord», a connu un succès «inespéré24». Lors de son discours de remerciement officiel, Line Mc Murray a été interrompue par Jacques Carelman, auteur du célèbre Catalogue des objets introuvables, qui lui a offert un porte-clés en forme de brosse à dents en plastique rose. Carelman se serait levé puis écrié: «Voici la nouvelle responsable de l’Académie québécoise de ’Pataphysique! Vive l’Académie!» Line Mc Murray, ainsi consacrée Sa Luminescence, mettra sur pied l’AQ’P en recrutant une quinzaine de membres, les invitant tous à s’unir au profit de la ’Pataphysique.
Avant de parler plus en profondeur du parcours de Mc Murray et de celui de l’AQ’P, j’aimerais souligner que sur le plan des idées, la ’Pataphysique et la littérature à contraintes ne relèvent pas de deux domaines totalement distincts. Elles partagent d’évidentes affinités, notamment en ce qui a trait à la potentialité: la «pratique pataphysique consiste en des plongées dans la virtualité, des recherches de potentialités, des jeux et des partages créatifs régénérateurs25», écrit Line McMurray, alors que les auteurs à contraintes font valoir la potentialité du langage, la règle d’écriture n’étant que le moyen pour parvenir à cette fin. De plus, si l’on considère la ’Pataphysique en fonction de l’état d’esprit ludique et parodique qu’elle incarne et véhicule, les rapprochements avec la perspective oulipienne se font aisément: «Lorsqu’ils sont le fait de poètes, divertissements, farces et supercheries appartiennent encore à la poésie. La littérature potentielle reste donc la chose la plus sérieuse du monde26.» Le sérieux et le comique sont donc étroitement liés chez l’oulipien comme chez le pataphysicien; mais cet alliage diffère en ceci que l’un accorde la primauté au comique, l’autre, au sérieux de la méthode scientifique.
Creusons cette hypothèse. Le nom de la science des solutions imaginaires porte en lui cet alliage. Pour le substantif, Jarry fait précéder le préfixe pata d’une apostrophe, qui aurait pour fonction de remplacer l’é d’épata, préfixe dont l’étymologie grecque signifie «au-dessus de». Sans cette apostrophe pata peut à la fois signifier un geste gauche, représenter, à la manière d’une onomatopée, un mouvement de chute ou encore exprimer l’absurde. Pour l’ensemble des dérivés de cette science, comme le nom «pataphysicien» ou l’adjectif «pataphysique», le préfixe entraîne ainsi dans le domaine comique ce qui relève du sérieux: la physique, en tant que science qui essaie de comprendre, de modéliser, d’expliquer les phénomènes naturels de l’univers. Les œuvres pataphysiques se caractérisent en plus par leur mode et leur ton comiques: elles se situent quelque part sur le spectre de la comédie, tel que défini par Northrop Frye, entre le pôle de l’ironie et celui de la comédie romantique27. Parodie et satire, verbaludisme, figures d’imposteur (alazons), de timide (eirons) ou de bouffon (bomolochoi), plaisir et légèreté du jeu partagé, scènes de réjouissances qui rappellent les joies rabelaisiennes, irréalisme, merveilleux et invraisemblances témoignent de la gamme de dispositifs textuels et de manifestations intradiégétiques qui situent le ludique à l’avant-plan.
Le sérieux de la science n’est pas toujours convoqué explicitement, pensons à Ubu roi ou à La Cantatrice chauve; lorsqu’il l’est, il apparaît comme support et reste donc en arrière-plan, subissant les contrecoups de la comédie. Dans Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien, dans le Mémoire concernant le calcul numérique de Dieu par des méthodes simples et fausses de Boris Vian, dans le Catalogue des objets introuvables, le sérieux scientifique est incarné par un savant universitaire, une série de formules mathématiques ou une disposition encyclopédique. Or, plutôt que de créditer d’une valeur objective, solide, réfléchie, approfondie les situations et les éléments loufoques qui sont décrits ou recherchés, la science perd de sa crédibilité, devient chancelante, participe même de la tonalité comique de l’œuvre pataphysique par le contraste grotesque qu’elle souligne vis-à-vis de la fantaisie qu’elle est censée soutenir. À la limite, le sérieux de la science devient une cible, l’objet du ridicule.
Les choses se passent différemment dans la littérature à contraintes. Outre le fait que les fondateurs de l’Oulipo, Le Lionnais et Queneau, soient ou mathématicien ou grand amateur de mathématiques, l’usage de la contrainte comme balise d’écriture accorde d’emblée une méthode et un caractère systématique à la production textuelle. La rigueur scientifique est ici matérialisée par la règle que l’on respecte «jusqu’au bout», la distinguant ainsi de la figure et de la métaphore dont on use aléatoirement. Certaines contraintes incorporent des éléments mathématiques dans leur énoncé ou leur actualisation, comme X prend Y pour Z, S + 7 ou la boule de neige: «Une boule de neige de longueur n est un poème dont le premier vers est fait d’un mot d’une lettre, le second d’un mot de deux lettres, etc. Le nième vers a n lettres» (oulipo.net). Ajoutons à cela la tendance anoulipique des écrivains membres de l’Oulipo, qui consiste à chercher chez des prédécesseurs des éléments de contrainte inaperçus. Ces recherches supposent l’application d’une certaine méthode. De plus, bon nombre d’œuvres à contraintes rendent compte sérieusement de phénomènes relatifs à la science, sur les plans diégétique et discursif. Finalement, les énoncés métatextuels, lorsqu’ils sont interprétés comme tels par le lecteur, renvoient aux règles de la composition28, redoublant ainsi le caractère méthodique de la littérature à contraintes. Le ludisme apparaît moins comme la modalité principale sur laquelle s’échafaude le texte que comme un effet de lecture. Suscitant l’admiration par de spectaculaires jeux de langage et invitant les rires de connivence, le comique du texte à contrainte, contrairement à celui du texte pataphysique, n’invalide pas le sérieux de la démarche. Certes, il y aura toujours une critique extérieure pour juger futile et légère la littérature de ce type, là n’est pas la question. Il s’agit simplement de montrer qu’en ce qui concerne le comique et le sérieux, indissociables tant pour la ’Pataphysique que pour la littérature à contraintes, les rapports sont inversés.
Qu’en est-il alors des œuvres et des univers qui relèvent à la fois de la ’Pataphysique et de la littérature à contraintes? Comment le comique se conjugue-t-il au sérieux? Le cas du Chiendent de Queneau est intéressant. Publié en 1933 – 27 ans avant la formation de l’Oulipo, ...

Table des matières

  1. REMERCIEMENTS
  2. AVEC L’OULIPO (ET AUSSI SANS)
  3. Chapitre 1
  4. La ’Pataphysique
  5. Chapitre 2
  6. Le formalisme
  7. Chapitre 3
  8. Les machines
  9. LA LITTÉRATURE À CONTRAINTES AU QUÉBEC: DE SON EXISTENCE À SA CONFIGURATION
  10. RÉFÉRENCES
  11. LISTE DES ŒUVRES QUÉBÉCOISES À CONTRAINTES RECENSÉES