Travail social et santé
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Travail social et santé

  1. 248 pages
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  4. Disponible sur iOS et Android
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Travail social et santé

À propos de ce livre

Depuis toujours, les travailleuses sociales collaborent de très près avec les professionnels du monde de la santé, les médecins et les infirmières au premier chef. Or la formation de ceux-ci a peu à offrir sur la nature et l'importance de cette affiliation. Cet ouvrage cherche à mieux faire comprendre les raisons de l'écart qui existe entre formation et pratique et met au jour les liens bien réels, même si souvent occultés, entre le travail social et les disciplines de la santé. Les travailleuses sociales trouveront ici des informations essentielles pour bien s'intégrer aux domaines de la médecine, des sciences infirmières, de la réadaptation ou au monde des aides-soignants. Avec une visée pédagogique assumée, les auteurs décrivent et analysent l'apport de ces travailleuses en santé publique, auprès des personnes vulnérables ou dans divers contextes de pratique médicale. Ils montrent sans équivoque qu'il faut soutenir la collaboration interprofessionnelle dans le vaste réseau de la santé et des services sociaux et proposent des pistes sur la formation en travail social.

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CHAPITRE 1

Les fondements de la convergence

Les débats sur la convergence du domaine de la santé avec celui du travail social sont nombreux. C’est pourquoi il est nécessaire de commencer ce chapitre par l’évocation de quelques-uns d’entre eux.

Le clinique comme généalogie
commune aux métiers du soin

Médecine, travail social, psychologie, ergothérapie, soins infirmiers, psychoéducation, entre autres3, partagent un grand nombre d’invariants praxéologiques, c’est-à-dire de pratiques nécessaires au fait d’intervenir dans un rapport clinique au monde. Le terme «clinique» provient du grec ancien klinô, signifiant «être couché», puis de klinikos, exprimant l’acte d’observation du malade alité afin d’en connaître l’état. Dans Naissance de la clinique (1963), le philosophe Foucault montre que tous les métiers du soin sont nés d’un même geste fondateur, celui des premiers médecins qui posent le corps humain et, par extension, l’humain dans son ensemble, comme un objet de connaissance, et donc d’intervention. La possibilité nouvelle d’accomplir ce geste, celui de s’incliner pour connaître, puis agir, jusqu’alors interdit par les pouvoirs religieux, constitue pour le philosophe un événement d’une importance capitale pour ce qui est de la conception de l’Homme moderne dans notre espace culturel.
Tous les métiers du soin partagent donc ce mouvement d’inclinaison, ce mouvement clinique, qui les unit de proche en proche dans une intention commune, celle de connaître l’autre et d’intervenir sur lui. L’importance et la puissance de ce mouvement inquiétaient Foucault, ce qui a d’ailleurs permis à nombre de doxosophes d’employer ses travaux théoriques pour décrier les risques de la médicalisation. Il est vrai que le philosophe estimait que le processus de médicalisation constitue une force de domination de la subjectivité, en raison de sa capacité à produire et à imposer une norme, donc à définir et affirmer le normal et le pathologique, puis à agir en conséquence sur les comportements estimés déviants au regard de la norme.
Le processus clinique, né à la faveur de la constitution du savoir médical au Moyen Âge, et depuis en forte expansion du côté des affaires de l’esprit, permet d’intervenir dans la vie d’autrui de manière légitime. Ce faisant, il se constitue en une entité capable de distinguer entre le normal et l’anormal, puis de déployer une force sociale (le biopouvoir chez Foucault) qui cherche à mettre en forme la subjectivité de chacun. Par sa méthode dite «archéologique», Foucault a montré que la présence d’un tel rapport entre le normal et l’anormal est au cœur de toute société, à toute époque, même si la forme qu’il prend évolue dans le temps et dans l’espace. La domination que produit ce rapport tire sa puissance de trois sources articulées les unes aux autres: les techniques de domination, dont le pouvoir clinique; les techniques de savoir, dont les sciences productrices de discours légitimant l’action humaine; et les techniques de soi, c’est-à-dire la manière dont les sujets intériorisent les conduites affirmées comme normales par la domination et les savoirs. Face à ces forces de normalisation se trouvent à toutes les époques des formes de résistance cachées au plus profond de la subjectivité de chacun.
L’œuvre entière du philosophe montre que chaque époque a ses forces de domination, et donc les formes de subjectivité attendues qui en découlent. Le regard clinique est l’une des forces de domination de notre époque: il s’est substitué à celles d’époques antérieures, par exemple le pouvoir théocratique. En ce sens, la théorie foucaldienne est moins un discours politique antimédical qu’un travail analytique du rapport entre le normal et l’anormal, rapport constitutif de toute société, à toute époque. De plus, il importe de rappeler que, dans la théorie de Foucault, la subjectivité est aussi à toute époque une force de résistance face à la domination, et que domination, savoir et résistance forment un triptyque logique que l’on ne peut réduire à un énoncé normativo-axiologique, voire politique, en faveur de la liberté individuelle, par exemple. Cela constituerait une réduction importante de la pensée foucaldienne. Dans la perspective a-normative de Foucault, la force de normalisation associée à tout acte clinique n’est ni bonne ni mauvaise: elle est, tout simplement – comme furent les autres forces de normalisation à toute époque, mais sous d’autres formes.
Cette théorie analytique montre que les forces de production du normal et la résistance subjective à la normalisation sont constitutives de ce qui fait société; Foucault ne propose donc pas un projet politique de société au-dessus de ces forces changeantes, mais éternelles dans leurs fonctions. Il donne cependant les clés pour une analyse de ces formes et de leur évolution.
Foucault a fait de nombreuses démonstrations philosophiques de sa conception du fait clinique pour diverses catégories sociales où les forces de mise en forme du normal et de l’anormal sont particulièrement visibles: la folie, la sexualité, la criminalité, etc., catégories que la médecine et le travail social s’efforcent depuis toujours de contrôler, en collaboration l’une avec l’autre. Ces forces de mise en forme sociale s’exercent tout au long de la vie, à partir du travail primaire des enseignants auprès des enfants, prolongé par les interventions du médecin, du juge, du policier4, de l’infirmière, mais aussi de la travailleuse sociale, qui ré-éduquera le sujet dont le comportement est jugé inadéquat au regard de la norme sociale, par exemple dans le cas de ceux que l’on appelait à l’époque les fous ou les déviants. L’«a-liéné» est alors la personne dont les liens avec la société sont rompus en raison notamment de son état de santé psychiatrique. La travailleuse sociale scolaire, qu’elle soit affectée au soutien à la compétence parentale ou spécialisée en protection de la jeunesse, travaillera à ré-instruire l’enfant (et ses parents) et à reconstruire ses liens avec la société lorsque l’instruction5 primaire réalisée par les parents et les enseignants n’aura pas suffi à les tisser. Cette action de ré-instruction, ou de ré-affiliation sociale mobilisera toute stratégie utile pour atteindre sa fin, et ce, peu importe la nature ou la provenance disciplinaire de l’intervention. Cette normalisation peut être stricte domination, parfois même violence, mais elle peut aussi faire consensus social autour d’une conception du bien commun, comme celui de la protection de l’enfant maltraité. Ce qui compte avant tout ici est de protéger l’enfant (soit une catégorie transdisciplinaire) contre le risque de désaffiliation sociale (normalité socialement reconnue).
Il en va de même pour le malade chronique ou la personne dont l’autonomie fonctionnelle est diminuée, et ce, quelle qu’en soit la cause. Protéger, soigner, éduquer, etc., comportent toujours cette fonction de normalisation (socialisation) dans le but de faire société. Celle-ci a donc un versant positif, qui consiste à faire lien, et un autre, potentiellement négatif, qui consiste à dominer pour forcer dans une certaine mesure la normalisation. Cette force de domination est grande, mais largement inefficace eu égard aux pratiques illégales, marginales, périlleuses, débiles, etc., qui ont cours – pensons aux dix milliards de cigarettes que l’on fume chaque jour. D’autant que le monde change, évolue, se transforme sous la poussée créatrice incommensurable du désir humain.
D’un point de vue foucaldien, il est donc vain d’adopter une posture strictement volontariste, affirmant l’un (le lien social comme bien commun) en rejetant l’autre (la domination), sauf dans une posture militante, tout à fait légitime par ailleurs dans l’espace politique. L’acte de faire société, de faire lien social produit toujours cette tension entre tentation de domination du collectif et tentation de résistance du sujet, entre bien commun et bien individuel.
Ainsi, fondamentalement, les divers cliniciens contribuent tous à une méta-activité transversale consistant à mettre en forme les subjectivités pour faire société. Seuls les objets spécifiques et les stratégies d’interventions diffèrent d’une discipline à l’autre, et encore, pas toujours de façon fondamentale ni exclusive. Le médecin, la travailleuse sociale comme le psychoéducateur se doivent d’établir un lien de confiance avec l’usager, de comprendre sa situation clinique, de susciter son engagement dans une stratégie de traitement, etc. La posture clinique qu’ils partagent participe donc d’un acte social collectif, comportant une force de normalisation potentiellement émancipatrice, mais aussi dominatrice.
Pour cette raison, l’acte clinique appelle certainement un regard critique, pour en éviter les excès. Mais la critique ne peut avoir pour but de constituer un monde sans aucun pouvoir, un monde sans aucun lien social, sans aucune norme, bref sans aucune société. De plus, le fait d’exposer la force de normalisation à la saine critique n’invalide pas la valeur intrinsèque, dans nombre de cas, de consensus sociaux, comme celui qui permet de protéger un enfant contre la violence parentale, ou celui qui légitime de soutenir une personne aînée à domicile dans l’exercice de ses capacités afin de maintenir, voire d’accroître, son autonomie. Cette entraide publique permet autant de faire société que d’amener l’enfant et la personne aînée à se constituer en sujets ainsi qu’en citoyens, en les soutenant afin qu’ils puissent réaliser leur pleine participation sociale, même normalisée.
D’un point de vue philosophique foucaldien, tous les métiers du soin (travailleuse sociale, infirmière, médecin, physiothérapeute, etc.) ont donc un même archétype référentiel à partir duquel ils se définissent, se reconnaissent, puis se distinguent, soit l’acte clinique. Cet archétype forme le noyau dur de ce que Foucault nomme une épistémè, soit un système discursif exprimant (et imprimant dans les consciences) ce qui est attendu du sujet, ce qui est normal et, partant, ce qui est anormal. Les différences disciplinaires sont alors moins des divergences de vues sur ce qui est normal ou anormal que des domaines de spécialisation (ce qui fait la discipline) dont l’articulation concourt à la mise en musique de la société par le chef d’orchestre qu’est l’épistémè; si chaque instrument a sa couleur, sa tessiture, ses différences, une fois orchestrés, tous ces instruments forment une musique harmonieuse, mais dont la forme est en partie imposée par la partition.
Peut-on alors soutenir que les rapports entre disciplines sont toujours harmonieux? Évidemment non, car il existe des tensions, par exemple en ce qui a trait au contrôle des ressources. Ces tensions ne portent cependant pas fondamentalement sur la nécessité d’intervenir ou sur ce qui légitime l’intervention6. En fait, les écarts axiologiques et pratiques observables d’un groupe professionnel à l’autre découlent le plus souvent de défauts de coordination, et non d’un défaut de légitimité de l’intervention des uns et des autres. S’il va sans dire que ces écarts ont potentiellement de puissants effets dans le réel et qu’il est essentiel de les prendre en compte pour évaluer la complexité des situations cliniques, ils n’atteignent pas fondamentalement la cohérence de l’épistémè qui les réunit. Pour emprunter ici à la sociologie de Bourdieu, les disciplines constituent un champ traversé de tensions (une structure de valeurs chez le sociologue), mais qui forme néanmoins une structure globalement unifiée. Cette structure peut évoluer, mais elle tend à se maintenir, car elle est notamment constituée de rapports de force favorables à son maintien.
Bref, les métiers du soin sont tous nés d’une épistémè qui leur est commune et qui valorise la connaissance de l’humain dans ses dimensions biopsychosociales. Une telle connaissance légitime l’intervention, dont l’une des finalités lointaines est le maintien de l’épistémè, et donc de la société.

Naissance du travail social
de l’activité clinique infirmière

La démonstration de la théorie foucaldienne particulière au travail social n’est pas seulement philosophique, elle est aussi historique. Le travail social est apparu à la fin du XIXe siècle, dans la foulée d’un mouvement général de bascule conceptuelle délaissant un modèle de régulation essentiellement familial des problèmes sociaux et de santé, alors prolongé par des dispositifs asilaires ayant pour fonction de compenser les défauts de régulation familiale. Cette bascule s’est effectuée à la faveur de l’émergence d’une conception reconnaissant davantage le rôle de l’État en matière de santé et de bien-être. L’État social naissant, des stratégies d’intervention destinées aux personnes laissées pour compte par le développement capitaliste et par les insuffisances de la protection familiale traditionnelle ont été mises en œuvre dans des contextes réels (les quartiers pauvres des grandes villes industrielles), notamment par des infirmières dont les objectifs étaient initialement hygiénistes. Cette époque est marquée par la découverte des microbes et des stratégies prophylactiques qui en découlent.
Alors que se développaient les connaissances sur la bactériologie, ces infirmières visiteuses étaient envoyées dans les familles les plus pauvres du lumpenprolétariat pour, dirait-on aujourd’hui, augmenter leur littératie7 en matière de lutte contre les infections et promouvoir les saines habitudes de vie. Ces premiers efforts de prévention, qui ne connaissaient pas encore leur nom, se sont cependant heurtés à une difficulté récurrente: les problèmes sociaux étant souvent tels que l’éducation thérapeutique infirmière ne suffisait pas à changer les comportements; les mesures d’hygiène étaient particulièrement difficiles à pérenniser. Naquit alors une spécialisation du travail infirmier: les travailleuses sociales visiteuses, dont la mission consistait à agir en amont de la prophylaxie classique, par exemple sur l’alcoolisme. Aujourd’hui encore existent des programmes de formation infirmière comprenant une très forte composante de travail social, comme en Belgique où les diplômées sont autorisées à porter les deux titres professionnels.
Cette histoire en partie commune des infirmières et des travailleuses sociales, ici racontée trop brièvement, montre bien qu’il ne convient pas, d’un point de vue tant historique que clinique, d’opposer domaine de la santé et domaine social. Bien entendu, les suites de cette histoire sont traversées de tensions nombreuses, de débats, voire de conflits, mais ceux-ci tiennent plutôt du conflit familial, c’est-à-dire de ces microconflits d’ajustement permanent entre proches, qui n’entachent pas fondamentalement les liens profonds qui les unissent.
Toujours à la fin du XIXe siècle, les hôpitaux, principales organisations sanitaires de l’époque, doivent se réformer afin de mieux répondre aux besoins changeants de la population, notamment dans le contexte nord-américain marqué par les nouveaux défis que pose l’immigration massive. Les hôpitaux embauchent alors leurs premières travailleuses sociales, dont la mission consiste à assister infirmières et médecins pour ces nouvelles patientèles dont les besoins dépassent la seule santé physique: choc post-traumatique pré ou postmigration, pauvreté, isolement social, illettrisme, entre autres, engendrent leur lot de complications directes ou indirectes sur l’état de ces personnes. Il suffit de penser au stress comme condition exacerbant les nombreux problèmes de santé.
L’État social se met ainsi en place, peu à peu, d’abord après la crise des années 1920, puis à la Seconde Guerre mondiale, et se consolide à la suite de la guerre du Vietnam et des revendications des jeunes de l’époque pour une société moins traditionnelle et plus sensible aux droits de la personne et aux groupes marginalisés: «Les fous crient au secours8», Jack Nicholson joue magistralement son Vol au-dessus d’un nid de coucou, Goffman montre l’effet radicalement délétère des institutions asilaires, les femmes revendiquent le contrôle de leur corps, les personnes handicapées se mobilisent pour être reconnues «À part… égale9», les communautés s’organisent, etc. Le travail social connaît alors un important essor à la faveur de ces évolutions sociales, qui ont toutes pour effet de transformer l’hôpital et les organisations asilaires, et de complexifier la réponse publique afin qu’elle soit plus en phase avec les besoins de la population. Ce mouvement favorise l’intervention en contexte réel de vie, soit l’un des apports spécifiques du travail social aux métiers du soin.
Aux États-Unis, des pédiatres d’avant-garde embauchent les premières travailleuses sociales pédiatriques dès le début du XXe siècle, constatant qu’une intervention socioéducative à domicile doit venir prolonger leurs soins spécialisés (Gehlert et Browne, 2012). L’intervention pédiatrique, avec sa composante de protection de l’enfance, a d’ailleurs été l’un des principaux vecteurs du développement du travail social durant ces années-là.

La collaboration interprofessionnelle

Poser l’humain comme objet d’étude et, partant, d’intervention a évidemment ouvert un domaine de connaissances d’une très grande ampleur. Ce mouvement épistémique fondamental a lancé la Renaissance, dont l’un des faits les plus marquants est précisément la naissance de la médecine. Ce mouvement fut suivi d’une accélération, sans précédent dans l’histoire de l’humanité, du développement de la science.
De nos jours, on assiste à une explosion du volume à tel point qu’une spécialisation est indispensable afin d’en gérer efficacement l’abondance. Dans le contexte actuel, point de Léonard de Vinci, omniscient en toutes matières: les publications scientifiques d’un seul sous-domaine d’intérêt suffiraient à ensevelir le Léonard d’aujourd’hui.
L’important et nécessaire effort de spécialisation que nous connaissons depuis un siècle a donc conduit à la constitution de grandes institutions, encore structurantes pour notre époque: l’appareil administratif public, divisé en ministères et départements; l’université, divisée en facultés et départements; l’hôpital, divisé en services et spécialités; et le système professionnel, divisé en ordres professionnels. Cet effort de spécialisation est utile, ne serait-ce que pour rendre gérables et applicables les tombereaux de connaissances à des fins cliniques.
L’explosion du volume de connaissances ne forme cependant que l’écume à la surface d’une révolution épistémologique beaucoup plus fondamentale, soit la reconnaissance profonde de la complexité des phénomènes humains – et, dans le cas de ce livre, de toute situation clinique, car ces situations sont toujours irréductiblement biopsychosociales. Or, comme le souligne Hamel (1997), la reconnaissance de cette intrication des phénomènes humains entraîne un défi, celui de replacer certains des fragments produits par l’effort de disciplinarisation dans un tout – d’où les travaux sur l’interdisciplinarité et la collaboration interprofessionnelle.
Ce rapport entre le global et le particulier revêt une grande importance dans une perspective clinique puisque la partie (ex.: un organe déficient) est toujours reliée à un tout, le corps, plus encore la personne, et plus encore la situation dans laquelle vit cette personne. Une situation clinique est la rencontre d’un besoin (biopsychosocial) formulé par une personne porteuse d’une histoire et inscrite dans un environnement, et d’une réponse à ce besoin, elle-même inscrite dans un environnement organisationnel, professionnel, réglementaire, etc. Par nature, la situation clinique est donc complexe, multidimensionnelle, ouverte et dynamique. On ne peut la limiter à quelques considérations disciplinaires sans courir le risque d’en perdre le sens profond. Certes, il reste néanmoins possible et souvent souhaitable de la réduire dans une certaine mesure, par commodité; c’est ce qui se pratique allégrement dans le cas de la sectorisation des soins, avec parfois pour effet la perte du contexte. Dans les situations où la prise en compte de la complexité n’est pas cliniquement requise, une telle réduction n’a pas de trop grandes conséquences. Par exemple, il n’est en général pas utile de connaître la trajectoire de vie de l’usager pour le traitement d’une carie dentaire. Il y a cependant des exceptions, par exemple dans le cas d’un jeune autochtone issu d’une famille où une histoire d’édentation complète, sans consentement, aurait été vécue ou racontée. Pour lui, la simple obturation d’une dent pourrait nécessiter un accompagnement psychologique, voire une anesthésie générale.
Conceptuellement et expérientiellem...

Table des matières

  1. Introduction
  2. CHAPITRE 1
  3. CHAPITRE 2
  4. CHAPITRE 3
  5. Conclusion
  6. Références bibliographiques