Socius
eBook - ePub

Socius

Imaginaire social et crimes célèbres au Québec (XIXe-XXe siècle)

  1. 498 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Socius

Imaginaire social et crimes célèbres au Québec (XIXe-XXe siècle)

À propos de ce livre

On connaît « la Corriveau », sa légende sulfureuse, les grincements de sa cage et les exploits sanguinaires que lui attribue la tradition. Mais on connaît beaucoup moins les crimes illustres du « docteur l'Indienne » (1829), la terreur inégalée qu'ont semée à Québec les « brigands du Cap-Rouge » (1834-1837) et le meurtre inoubliable (1839) par lequel George Holmes a durablement ébranlé la société seigneuriale du xixe siècle.C'est l'histoire culturelle de ces figures marquantes, aujourd'hui méconnues mais longtemps obsédantes, que raconte ce livre. On y découvre un ensemble de biographies légendaires: interrogeant le processus par l'entremise duquel ces figures criminelles deviennent célèbres, Alex Gagnon analyse la généalogie de leurs représentations et met en lumière, autour de chacune d'elles, la cristallisation et l'évolution d'une mémoire collective. Au croisement entre le discours médiatique, la tradition orale et la littérature, l'imaginaire social fabrique, à partir de faits divers, de grandes figures antagoniques, incarnations du mal ou avatars du démon. La perspective est historique, l'analyse, littéraire et l'horizon, anthropologique. Toute société a ses crimes et criminels légendaires: entrer dans ce panthéon maudit, aller à la rencontre de cette communauté du dehors, c'est aussi éclairer et questionner la dynamique fondatrice de nos sociétés, qui produisent de la cohésion sociale en construisant des figures de l'ennemi et de la menace. En ce sens, cet ouvrage ne révèle pas seulement un pan inexploré de l'histoire et de la culture québécoises; il poursuit, en s'appuyant sur des bases historiques concrètes, une réflexion générale sur ce que Cornelius Castoriadis appelait « l'institution de la société ».Docteur en littérature de l'Université de Montr.al, où il a aussi été chargé de cours, Alex Gagnon est chercheur postdoctoral à l'Université du Québec à Montréal. La communauté du dehors est son premier livre. Il publiera, en 2017 chez Del Busso éditeur, un recueil d'essais sur la société et la culture contemporaines tiré de ses interventions sur le blogue Littéraires après tout, auquel il collabore activement depuis 2010.

Foire aux questions

Oui, vous pouvez résilier à tout moment à partir de l'onglet Abonnement dans les paramètres de votre compte sur le site Web de Perlego. Votre abonnement restera actif jusqu'à la fin de votre période de facturation actuelle. Découvrez comment résilier votre abonnement.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptés aux mobiles peuvent être téléchargés via l'application. La plupart de nos PDF sont également disponibles en téléchargement et les autres seront téléchargeables très prochainement. Découvrez-en plus ici.
Perlego propose deux forfaits: Essentiel et Intégral
  • Essentiel est idéal pour les apprenants et professionnels qui aiment explorer un large éventail de sujets. Accédez à la Bibliothèque Essentielle avec plus de 800 000 titres fiables et best-sellers en business, développement personnel et sciences humaines. Comprend un temps de lecture illimité et une voix standard pour la fonction Écouter.
  • Intégral: Parfait pour les apprenants avancés et les chercheurs qui ont besoin d’un accès complet et sans restriction. Débloquez plus de 1,4 million de livres dans des centaines de sujets, y compris des titres académiques et spécialisés. Le forfait Intégral inclut également des fonctionnalités avancées comme la fonctionnalité Écouter Premium et Research Assistant.
Les deux forfaits sont disponibles avec des cycles de facturation mensuelle, de 4 mois ou annuelle.
Nous sommes un service d'abonnement à des ouvrages universitaires en ligne, où vous pouvez accéder à toute une bibliothèque pour un prix inférieur à celui d'un seul livre par mois. Avec plus d'un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu'il vous faut ! Découvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l'écouter. L'outil Écouter lit le texte à haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l'accélérer ou le ralentir. Découvrez-en plus ici.
Oui ! Vous pouvez utiliser l’application Perlego sur appareils iOS et Android pour lire à tout moment, n’importe où — même hors ligne. Parfait pour les trajets ou quand vous êtes en déplacement.
Veuillez noter que nous ne pouvons pas prendre en charge les appareils fonctionnant sous iOS 13 ou Android 7 ou versions antérieures. En savoir plus sur l’utilisation de l’application.
Oui, vous pouvez accéder à Socius par Alex Gagnon en format PDF et/ou ePUB ainsi qu'à d'autres livres populaires dans Literature et Social History. Nous disposons de plus d'un million d'ouvrages à découvrir dans notre catalogue.

CHAPITRE 1

Le «régime des assommeurs nocturnes».
De l’anonymat au dévoilement

De cet ensemble d’exactions attribuées à une bande unie et organisée, les journaux de l’époque portent de très nombreuses traces. C’est à cette couverture médiatique des événements qu’est consacrée la première section de ce chapitre. Il est en effet possible de répertorier, dans la presse périodique, la plupart des crimes ayant été imputés, dans les années 1830, à la bande de Charles Chambers, groupe dont l’identité précise est évidemment le fruit d’une mise en récit postérieure aux événements. Car au moment où ils sont commis, ces crimes demeurent pour l’essentiel des crimes sans nom et sans visage, perpétrés par des auteurs inconnus et formant une entité nébuleuse, une bande indéfinie – plutôt que celle-ci ou celle-là. On verra, dans la deuxième portion de ce chapitre, que cette invention rétrospective de la bande uniforme et organisée doit beaucoup à la mise en récit du fait divers opérée par François-Réal Angers dans Les révélations du crime, publiées dans les mois qui ont immédiatement suivi la condamnation et la déportation de Charles Chambers.

Le fait divers comme interpellation et sommation

Une innommable terreur

Entre l’automne 1834 et l’automne 1835 (moment où Chambers subit son premier procès), et encore dans les mois suivants, les journaux anglophones et francophones de Québec signalent énergiquement les crimes perpétrés dans la région, dont ils livrent de nombreux comptes rendus dans lesquels se manifeste une indignation palpable. En passant du réel au papier, de l’espace privé (où il est commis) à l’espace public (où il est raconté), le crime devient récit. S’appropriant les faits, les organes médiatiques se font l’écho d’une inquiétude, d’une insécurité grandissante, chaque nouvelle venant, aussi succincte soit-elle, s’empiler sur les précédentes et alimenter une sorte de mosaïque du crime. Il en résulte forcément, pour le public de Québec et des environs, une représentation du social marquée par l’idée d’une proximité, d’une omniprésence et d’une progression galopante de la criminalité. Aussi les textes de presse ont-ils une irréductible dimension performative, la charge affective de l’énonciation excédant le souci informatif de l’énoncé, le plus souvent mis au service d’une prise de position plus ou moins explicite. Cette dimension performative se traduit doublement, le récit journalistique des crimes étant à la fois interpellation et sommation. D’une part, il interpelle le lecteur en tant que citoyen soucieux de sa sécurité et de la préservation d’un ordre social dont bénéficie la communauté dont il fait partie; d’autre part, et en même temps, le récit médiatique galvanise la crainte et somme les forces policières et pénales d’accroître leur efficacité et de résoudre une situation donnée comme anormalement grave.
Dans la mesure où ils expriment une «tension entre l’ordre et sa transgression1», ces récits de crime autorisent les journalistes à formuler une critique, à mettre en évidence les lacunes des autorités judiciaires. Pour donner du poids à leur discours, les rédacteurs misent notamment sur le sentiment d’insécurité et insistent, par exemple, ou bien sur la souffrance des victimes, ou bien sur la quantité des délits commis. C’est ainsi qu’en mai 1835, quelques jours après avoir raconté l’agression de Sivrac, Le Canadien annonce la mort du pauvre homme, décédé «des suites des mauvais traitements qu’il a reçus2». En plaçant les victimes sur le devant de la scène, le texte de presse engendre, en permettant l’identification du lecteur (appelé à se concevoir comme une victime potentielle), l’indignation du public. L’accent mis sur la peur ayant rendu malade la jeune victime d’un vol par effraction commis à Cap-Rouge3, le fait d’émettre aussitôt l’hypo­thèse selon laquelle les coupables sont des évadés de prison4 et de rappeler, en début d’été, que «les vols ont commencé en cette ville5» (en parlant comme s’il s’agissait d’une véritable épidémie périodique apportée par la saison de la navigation) ont essentiellement pour effet, sinon pour fonction, de susciter une peur du crime, d’engendrer une panique et de provoquer, par conséquent, une nette insatisfaction à l’égard des institutions chargées de réprimer la criminalité. Lorsque le journal souligne que les crimes, d’autant plus effrayants que leurs auteurs sont nombreux, sont attribuables à une «bande» réunissant d’imposants effectifs (on rapporte parfois, pour un seul crime, de huit à dix malfaiteurs6), il tend à produire des effets semblables: à l’instar de la quantité de brigands en activité, le pullulement des exactions crée un climat de tension justifiant les dénonciations à l’endroit des autorités, que l’on accuse d’inefficacité chronique.
Dans les jours qui suivent le vol de la chapelle de la Congré­gation, The Quebec Gazette devient alarmiste: faisant état d’une vingtaine de vols entre novembre 1834 et février 1835, le journal signale que «two more daring attacks [je souligne] upon persons and property have just occurred» et déplore, au nom de la propriété et de la sécurité personnelles, l’état lamentable de la justice et de son administration. «Our police and watch are in the most disgraceful state of neglect and inefficiency7.» La nouvelle du vol sacrilège, éhonté et monstrueusement scandaleux, se répand rapidement, d’autant que ce cambriolage s’ajoute, comme le souligne Le Canadien, à plusieurs autres vols par effraction commis dans les jours précédents («la dernière huitaine8»): affichée dans tous les périodiques de Québec9, elle gagne en quelques jours l’ensemble du Bas-Canada, atteignant les pages des journaux montréalais10 et se répercutant même, hors des zones urbaines, dans un journal régional comme L’Écho du pays (Saint-Charles-sur-Richelieu).
Les vols ne tarissent pas. Au printemps 1835, la situation, jugée alarmante, exige selon plusieurs un renforcement immédiat des effectifs policiers, un ajustement urgent. La presse ne manque pas une occasion de rappeler l’existence de malfaiteurs profitant de la nuit tombée pour estourbir le bourgeois. Le Canadien hausse le ton. Le 22 mai, rapportant deux vols consécutifs survenus pendant la même nuit et commis par des «voleurs de grands chemins» (un chez la dame Montgomery, l’autre chez le boulanger Clearihue de Québec), le journal suggère aux magistrats de se montrer plus sévères et plus exigeants à l’égard de ses «hommes de guet»: en attendant la prochaine session de la législature, où des mesures et des lois plus efficaces devraient, dit-on, être votées, le journaliste suggère explicitement «aux autorités municipales de chasser sans pitié tous les hommes de guet dans l’arrondissement desquels il se commettrait quelque vol ou autre infraction sérieuse11».
Institué en 1818 dans les deux villes bas-canadiennes, le guet nocturne est composé d’un contremaître et de 24 sentinelles munies d’un équipement rudimentaire (bâton, sifflet et lanterne) et chargées d’arrêter les «noctambules, malfaiteurs, filous et vagabonds, et autres personnes itinérantes, désœuvrées ou dont la conduite est contraire aux bonnes mœurs12». En 1823, on porte à 48 le nombre de factionnaires que les juges de paix sont autorisés à recruter pour la garde de la ville et la protection nocturne des citoyens13; mais ce contingent ne parvient manifestement pas, s’écrie-t-on sur toutes les tribunes, à contenir une criminalité que les journalistes, dans les années 1830, n’hésitent pas à décrire comme sévissant à jet continu. En mai 1835, un correspondant se présentant comme un officier de police fait parvenir à la Quebec Gazette une lettre ouverte pleine d’inquiétude et lourde de récriminations: rattachant tous les crimes de l’hiver et du printemps 1835 à l’activité d’une seule et même bande structurée, il n’hésite guère à parler d’un «system of organized crime», déplore l’état lamentable de la sécurité publique et donne ainsi l’image d’une ville sous tension, alarmée et apeurée, assaillie par des forces obscures qui, de jour en jour, tomberaient sur elle en même temps que la nuit14. Des revendications con­crètes se font jour:
Les vols et déprédations nocturnes, et les tentatives incendiaires, qui se répètent avec une fréquence et une audace inouïes jusqu’à présent, commencent à inquiéter les citoyens, et à les faire se demander s’il n’y aurait pas quelque mesure de protection plus efficace que celles qui sont actuellement en opération. Il est évident d’abord que les 48 hommes de guet que la loi autorise d’employer ne suffisent pas pour la garde de la ville: il faudrait au moins le double de ce nombre, et peut-être davantage15.
La pression exercée sur les autorités est certainement tangible puisque, trois jours plus tard, alors qu’un nouveau vol est recensé, on apprend que des hommes de guet sont parvenus à capturer des voleurs et qu’une vaste opération policière (impliquant des magistrats, des soldats et des c...

Table des matières

  1. TABLE DES MATIÈRES
  2. TABLE DES SIGLES
  3. PROLOGUE
  4. INTRODUCTION
  5. PREMIÈRE PARTIE
  6. CHAPITRE 1
  7. CHAPITRE 2
  8. CHAPITRE 3
  9. CONCLUSION PARTIELLE
  10. DEUXIÈME PARTIE
  11. CHAPITRE 4
  12. CHAPITRE 5
  13. CHAPITRE 6
  14. CONCLUSION PARTIELLE (BIS)
  15. TROISIÈME PARTIE
  16. CHAPITRE 7
  17. CHAPITRE 8
  18. CHAPITRE 9
  19. CONCLUSION PARTIELLE (TER)
  20. CONCLUSION
  21. REMERCIEMENTS