Chapitre 1
Un même processus en différentes phases
Quand tu accouches, c’est la vie qui prend sa forme la plus éloquente.
J. Larichelière
Tout le monde s’entend pour dire que la physiologie est importante, mais il semble qu’il y a, sur le terrain, une incompréhension globale de ce qu’elle est vraiment. Précisons une chose: la physiologie, ce n’est pas ce qui reste lorsqu’on supprime les interventions!
Sur le processus de la mise au monde, la science classique parle de stades que tous les étudiants en sciences de la santé apprennent à l’université. Cependant, les recherches récentes sur la physiologie montrent que les stades ayant des limites clairement définies n’existent pas et qu’ils ne sont qu’un schéma théorique. Ils ne reflètent ni la physiologie ni l’expérience des femmes, d’autant plus que celles-ci considèrent ces catégories comme plutôt obscures et indiscernables (Dixon et al., 2012; Eri et al., 2010). Bien plus, la recherche ne confirme pas l’établissement de limites qui permettraient de vérifier le progrès du travail, limites qui seraient fondées sur l’évaluation clinique des stades (Lavender et al., 2013). De son côté, Walsh (2012) rappelle que le travail et la naissance ne peuvent être vus comme deux événements séparés. Ils sont intimement liés, intrinsèquement unis, cohérents.
Les intervenants doivent s’assurer que la mère et l’enfant vont bien. Ils doivent savoir lire les signes et les symptômes, les interpréter et prendre des décisions. En tenant compte des changements physiques et émotionnels qu’on a observés chez les femmes en dehors des établissements médicalisés, on pourrait même considérer qu’il existe plus de trois phases dans un accouchement (Sherblom Matteson, 2001; Fraser et al., 2014).
La première phase
Reconnaître le début du travail spontané et la phase de latence n’est pas toujours facile, car il s’agit souvent d’un autodiagnostic des femmes. Les cliniciens et les chercheurs (Greulich et Tarrant, 2010) considèrent qu’il s’agit là d’un marqueur non fiable car subjectif. Physiologiquement, il y a pourtant plusieurs autres façons d’expliquer le début du travail que celles définies par le corps médical, et les femmes évaluent leur propre travail de manière souvent non conforme aux définitions théoriques des manuels et aux critères traditionnels.
Par exemple, lorsqu’une femme est admise à l’hôpital en début de travail, il arrive qu’elle soit soumise à des interventions non nécessaires (Bailit et al., 2005). À l’opposé, si on la renvoie à la maison parce qu’on considère que le vrai travail n’est pas enclenché, elle peut ne pas comprendre cette décision, avoir peur que les choses tournent mal et perdre toute confiance en elle. Par ailleurs, le concept de «progrès du travail» peut amener les intervenants à juger que les femmes ne sont «pas en travail» ou que c’est du «faux travail» alors qu’elles éprouvent des contractions depuis plusieurs jours ou ont des symptômes qu’elles décrivent comme le début du travail. Cela n’empêche que les femmes ayant déjà eu un ou plusieurs enfants (multipares) ont tendance à se fier bien plus à leur expérience qu’au savoir des cliniciens.
Gross et al. (2003) ainsi que Cheyne et al. (2008) ont souligné à quel point le début du travail peut se manifester de façons diverses. Selon ces auteurs, moins de 60% des femmes expérimentent le début du travail sous la forme de contractions. Elles décrivent d’autres symptômes comme des pertes de liquide, parfois teinté de sang, une douleur constante, des symptômes gastro-intestinaux, des bouleversements émotifs et une altération du sommeil.
Gross et al. proposent qu’on s’attache moins aux contractions pour évaluer le début du travail qu’à d’autres informations données par les femmes elles-mêmes. Kane Low et Moffat (2006) recommandent de réviser les instructions qu’on donne aux femmes pour mieux les adapter à chaque expérience. Les intervenants apprendront ainsi à moduler leur accompagnement à cette étape importante de l’accouchement, particulièrement pour les primipares.
Les intervenants et les femmes doivent aussi prendre conscience de la nature même de la phase de latence. Elle devrait s’accomplir sans interférence. Cela éviterait le diagnostic trop fréquent de «peu de progrès» ou d’«arrêt de progrès». En effet, durant cette phase, qui est un temps d’adaptation, il est préférable d’aider les femmes en les rassurant et surtout en leur conseillant de rester dans leur milieu de vie. Elles pourront apprivoiser les sensations des contractions, se promener ou dormir, prendre un bain ou écouter de la musique ou encore manger, sans restrictions liées à des politiques ou à des protocoles.
L’activité de l’utérus
Plusieurs concepts permettent de décrire l’activité de l’utérus durant le travail.
Dominance fundique: selon cette perspective, la contraction commence dans la partie fundique ou supérieure de l’utérus, puis s’étend vers les côtés et le segment inférieur, où elle diminue d’intensité. Ce mouvement de la contraction permet la dilatation progressive du col et, au fur et à mesure que le segment supérieur s’épaissit et se raccourcit, le fœtus est poussé vers le vagin. Cette théorie est remise en question à la lumière de données biophysiques sur l’activité utérine. Buhimschi et al. (2003) et d’autres parlent même du «mythe» de la dominance fundique.
Polarité: durant les contractions, le pôle supérieur, qui se contracte et se rétracte, et le pôle inférieur, qui se dilate, travaillent en harmonie pour permettre l’expulsion du fœtus.
Contraction et rétraction: les fibres musculaires de l’utérus ont la propriété de se contracter et de se rétracter simultanément. Les fibres ne se relâchent pas complètement, mais rétrécissent. Cela mène au raccourcissement et à l’épaississement progressif du segment supérieur. Une crête physiologique – l’anneau de rétraction – se forme entre les deux segments (quand il est pathologique, on l’appelle anneau de Bandl).
Le segment supérieur est épais et musculeux. Le segment inférieur est formé de l’isthme et du col de l’utérus. Même s’il n’y a pas de distinction claire entre les deux, le contenu musculaire se réduit du fond jusqu’au col, où il est plus mince. Quand le travail commence, les fibres longitudinales rétractées du segment supérieur tirent sur le segment inférieur. Ce processus est aidé par la force résultant de la présentation.
Effacement cervical: l’effacement du col serait dû à son inclusion dans le segment inférieur de l’utérus selon un mécanisme encore mal compris. Chez les nullipares, l’effacement se produit en fin de grossesse ou au début du travail et chez les multipares, il se produit souvent en même temps que la dilatation.
Dilatation cervicale: l’os* utérin (le col) s’agrandit pour permettre le passage de la tête ou du siège du fœtus. La dilatation est le résultat de l’action utérine et de la contre-pression de la poche des eaux et/ou de la présentation.
«Show»: au fur et à mesure que le col se dilate, le bouchon muqueux est expulsé. Les femmes peuvent remarquer la présence de pertes mucoïdes teintées de sang quelques heures (voire quelques jours) avant le début du travail.
Les facteurs mécaniques
Des forces mécaniques autres que l’activité utérine aident le col à se dilater...