
- 112 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Petite introduction à la lecture de Nietzsche
À propos de ce livre
Trois textes réunis pour présenter la philosophie de Nietzsche et ses exigences de lecture, en donnant toute sa place à sa relation privilégiée avec la musique et les plus grands musiciens de son temps
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Informations
Lire et comprendre Nietzsche
En un sens, la renommée de Nietzsche n’a pas eu la chance de tomber directement dans l’oubli. Un peu comme celle de Berlioz. Le silence des oubliettes de l’histoire ne les a pas recouverts de sa protection. La vérité exige d’ajouter qu’en l’affaire, la responsabilité de l’un et de l’autre travailla dans le sens qui leur ferait ensuite le plus grand tort. Ils se savaient neufs dans leur temps, et donc difficilement compréhensibles par leurs contemporains, mais refusèrent de céder si vite au découragement. Au contraire même, ils s’obstinèrent d’autant plus à mener grand tapage pour faire entendre un chant inouï à des oreilles qui n’étaient pas préparées à le recevoir. Ils s’attirèrent ainsi beaucoup de haine et de ressentiment, surtout parmi les influents d’alors, qui n’apprécient jamais qu’on les dépasse en révélant leur infériorité satisfaite de la reconnaissance mondaine, musiciens d’école pour Berlioz, universitaires et wagnériens pour Nietzsche, qui allaient vite profiter de leur position établie pour s’en venger par la calomnie. Dès qu’une œuvre se retrouve orpheline de son auteur, surtout si elle réclame des qualités rares de compréhension, elle est à la merci des déformateurs peu scrupuleux. Les malintentionnés peuvent s’en donner à cœur joie. Par boutade, Berlioz écrivait déjà en 1840 : « J’ai même des jaloux au royaume des ondes... »1. Rester inconnu, c’est à tout le moins rester préservé, piètre consolation. Mais méconnu, c’est pire : connu, mais mal, pour ce qu’on n’était pas. Comme Nietzsche : agrégé de force à des causes qu’il ignorait ou qu’il rejetait. Faut-il rappeler encore les sens ou plutôt les contresens dont on affubla son œuvre posthume, pour mieux le forcer à dire ce qu’il n’avait jamais voulu dire. L’Allemagne d’aujourd’hui hésite encore à ouvrir ses livres, par mauvaise conscience, réellement déplacée. Pourtant il avait vu le danger, et avait multiplié les précautions pour préserver son nom de l’outrage de la déformation. Dans une lettre de 1884 à Malwida von Meysenbug, il notait lucidement : « Qui sait combien de générations il faudra pour produire quelques hommes qui comprennent dans toute sa profondeur ce que j’ai fait ? Et même alors, je suis effrayé en pensant à tous ceux qui, totalement incompétents et sans justification, se réclameront un jour de mon autorité. Le supplice de tous les grands maîtres à penser de l’humanité : ils savent qu’au gré des circonstances et des accidents, ils peuvent conduire l’humanité au malheur, aussi bien qu’au bonheur »2. Trahissant sans le savoir leur être propre, les incompétents souligneront à l’envi son évidente mégalomanie, puisqu’il ne tremble pas de se compter lui-même parmi les « maîtres à penser », mais ils seraient autrement avisés de ne pas oublier le début de la même phrase qui l’éclaire d’humilité douloureuse. Car cette fière reconnaissance lui donne sujet à « supplice », et non pas à l’enivrement de la vanité flattée. Le supplice de la grandeur, et donc la preuve de son authenticité, la pleine conscience du danger d’être déformé. Ce qui provoque à redoubler les efforts qu’on attend rarement de la plume de Nietzsche : « Cela étant, je veux moi-même tout faire au moins pour ne pas favoriser les malentendus les plus grossiers ». Autant dire que le destin ne l’aura pas épargné.
Accordons lui au moins ce scrupule. Par principe, il faut donner raison à l’auteur qu’on aborde. Ou s’abstenir de l’aborder. Quitte à demeurer vigilant pour vérifier par après s’il tient ses promesses. Nietzsche savait le danger de son œuvre : a-t-il réussi à en préserver son lecteur ? Danger dans son contenu, bouleversant de nouveauté, mais aussi dans sa forme, inusitée en philosophie. Car Nietzsche s’est toujours présenté comme le maître de l’aphorisme : « l’aphorisme, la sentence, où le premier je suis passé maître parmi les Allemands… dire en dix phrases ce que tout autre dit en un volume – ce qu’un autre ne dit pas en un volume »3. Or l’écriture aphoristique, quelle que soit par ailleurs sa justification personnelle, présente aux éventuels commentateurs de redoutables écueils. On expliquera toujours la propension de Nietzsche pour cette forme privilégiée par son ancienne attirance pour les Présocratiques, ou bien on rappellera, non sans justesse, sa nécessité quasi-biologique pour un homme que les horribles maux de tête ne laissent guère concentrer son attention un long moment et qui n’a comme remède que les longues marches à pied où les idées lui tombent dessus au détour d’un sentier avant qu’il ne les griffonne à la hâte sur le carnet qui ne le quitte pas. Le fait n’en demeure pas moins : Nietzsche écrit par aphorismes, à la limite, il n’a jamais écrit autrement, il le sous-entend lui-même dans la même page qu’on citait plus haut en enchaînant immédiatement de l’aphorisme à Zarathoustra. Surprenant au premier coup d’œil, mais pas longtemps : même dans La Généalogie de la morale qui représente bien son texte le plus composé, les paragraphes des dissertations sont développés mais sont encore des aphorismes. Quoi qu’on dise, Nietzsche relie toujours soigneusement ses pensées et leurs progressions à l’intérieur de tous les paragraphes, mais d’un paragraphe à l’autre la transition, quand elle existe, reste presque toujours sous-entendue. C’est le drame de l’aphorisme pour le commentateur : l’absence de contexte. Voilà pourquoi Nietzsche apparaît comme un auteur difficile à lire, et à comprendre. On bute sur une pensée, on voudrait savoir d’où elle vient, on aimerait l’éclairer en sachant où elle va et ce que l’auteur veut en faire, mais on ne saura rien. Nietzsche n’a jamais craint la stupéfaction de son lecteur, ce dernier ne peut s’en prendre qu’à lui-même. D’où les risques et les dangers : pour peu qu’un malin veuille briller à détourner un sens, il en aura beau jeu, l’auteur lui aura pour ainsi dire ouvert la porte. Car c’est l’auteur lui-même qui court-circuite délibérément le refuge du contexte explicatif.
Il faut donc d’abord prendre acte du fait : l’évidence de la difficulté est brutale, sans fard ni nuance. Il convient donc de lire Nietzsche avec prudence et circonspection. Gare aux falsificateurs de tous bords, toujours enclins à découper, isoler, bouturer, greffer, plaquer, pour mieux faire dire à l’auteur ce qu’ils attendent d’entendre. Les plus renommés s’y sont parfois laissés aller, même quand leur volonté de compréhension ne pouvait être remise en doute. Les brillantes dissertations de Heidegger sur « la volonté de puissance en tant qu’art » peuvent continuer de déranger, non pas que sa thèse soit entachée de fausseté irrémédiable, mais parce que la méthode qu’il utilise ressemble fort à une arrogante acrobatie. Il fonde en effet toute son analyse sur le croisement de deux aphorismes isolés. Le premier : « aujourd’hui encore, écrivait Nietzsche en 1888 à propos de La Naissance de la tragédie, j’éprouve une horreur sacrée devant cette discordance » (entre l’art et la vérité). L’autre, répété par Nietzsche tout au long de son œuvre : « Ma philosophie est une inversion du platonisme ». Asseoir toute une lecture sur l’addition de trois ou quatre lignes, c’est s’autoriser une belle improvisation personnelle, mais aussi risquer d’autant plus de manquer l’élucidation d’une pensée et d’une personnalité profondes. En fait, Nietzsche exige de son lecteur une attention minutieuse à ce qu’il fait et à la façon dont il le fait. Ce qui impose au lecteur un devoir de méthode commençant toujours par le discernement soigneux de toutes les sources de difficultés.
*
Les principaux écueils se répartissent facilement en deux grandes catégories. Distinction facile en effet, parfois simpliste, tant il est vrai que chacun des points de vue est infléchi lourdement par l’autre, mais pédagogiquement utile pour présenter les choses avec clarté : un certain nombre de difficultés tiennent à la forme d’exposition, les autres au contenu même de cette pensée hors-norme.
Formellement parlant, son écriture se situe à mille lieues des habitudes canoniques de la philosophie. Nietzsche n’écrit pas comme les philosophes, et surtout pas comme les universitaires. Ce faisant, il désarçonne les professionnels avertis de la philosophie qui n’y retrouvent pas leurs usuelles béquilles, comme il désarme d’avance les apprentis philosophes, façonnés à leur insu par des structures mentales plus sacralisées qu’on ne croirait. Il exaspère même volontiers le lecteur occidental : pas de démonstration rigoureuse, même s’il ne faut rien exagérer, pas de traité épuisant des sujets définis, introduits, développés, pas même de dialogue dans lesquels des personnages plus ou moins bien campés abordent leurs questions avec toute l’ascèse nécessaire à la recherche intellectuelle. Mais l’apparence de la profusion, à la limite parfois de la prolixité, de la débauche d’images, pour ne pas dire du débraillé mental. C’est le style du poète que Nietzsche aime à revendiquer, non celui du « glacial logicien ». Pas interdit de remarquer en passant que la formule désignait sous sa plume le vieux Parménide qui paradoxalement ne laissa à la postérité qu’un vaste poème philosophique. Mais à une distance infinie de la luxuriance visionnaire de Zarathoustra, autant que du lyrisme brûlant de Par delà Bien et Mal, ni même de la puissance incisive de la philosophie du marteau dans ses derniers textes. Déroutés par ce flot d’images où ils ne retrouvent pas les garde-fous de leurs concepts, indisposés par cette évocation incantatoire qui dévale selon eux inutilement au long de ses pages, les philosophes de métier déposent leurs lunettes, non sans frayeur, et referment ces livres qui décidément dégagent trop de fumée pour leurs narines délicates : cela n’est pas d’un philosophe, par conséquent, il n’est pas philosophe. À tout prendre, ces derniers qui sont encore les plus nombreux4, sont aussi les plus honnêtes : avouant ainsi leur incompréhension, ils ne lui font du moins aucun mal irréparable.
Heureusement ces positions de principe ont leur explication, qui permettent d’ouvrir peu à peu les portes de l’intelligence à tous ceux qui s’efforcent de chercher encore. Car cette surface conduit à la profondeur : un aveu, provenant de Nietzsche lui-même et très souvent repris en écho par ceux de son entourage personnel qui l’auront le mieux deviné, par exemple Lou Salomé dans son Journal pour Paul Rée, auquel elle s’adresse nommément : « Ton style veut convaincre la tête, c’est pourquoi il possède une clarté et une rigueur scientifique, évitant toute émotion. Nietzsche veut convaincre l’individu tout entier, il veut que sa parole plonge dans l’âme et en retourne les profondeurs, il ne cherche pas à instruire, mais à convertir »5. Vu par l’intéressé lui-même : « mon imagination et hoc genus omne d’esprit sont plus forts que ma raison »6. Cela dit, si Nietzsche avait voulu acquérir cette capacité d’expression logique, rien n’aurait pu l’en empêcher. S’il ne l’a pas fait, c’est qu’il avait ses raisons. C’est en fait un refus délibéré, radical, presque congénital. Agir autrement eût été une trahison envers lui-même, ni plus ni moins : philosophiquement Nietzsche veut prendre ses distances avec l’esprit de système et ses exigences pour lui appauvrissantes. Par soupçon vis à vis de la logique et de ses concepts simplifiés, par défiance vis à vis des structures d’un langage trop intéressé à l’efficacité de l’action rien qu’humaine, Nietzsche rejette les procédés de l’une et de l’autre. Une vérité bien charpentée, symétriquement balancée, solidement étayée lui paraît immanquablement trop belle pour être vraie. Le système est toujours trop rassurant pour celui qui l’édifie, les réponses définitivement démontrées par déductions et enchaînements imparables, garantissent trop pour le penseur la solide assise, l’inébranlable assiette et le mortel assoiement. Minant tout édifice théorique par le dévoilement du besoin de repos en l’homme fatigué qui l’a patiemment projeté et construit pour calfeutrer sa vieillesse, Nietzsche rompt les amarres et les repères de la forme systématique. La vérité exige le désintéressement personnel, pire, réclame sa propre blessure. La souffrance devient le gage qu’on ne la déforme pas pour s’en protéger, mais qu’on accepte le risque, l’aventure, l’ouverture, les errements du voyageur qui point ne s’arrête et de l’infatigable marcheur capable de traverser les solitudes les plus effroyables.
Tant pis donc si l’édifice de la vérité ne se construit pas progressivement et logiquement, tant pis si la recherche courageuse accule quelquefois dans les impasses, tant mieux enfin si les questions restent sans réponse. C’est le prix de la vie. On peut dire cela autrement : Nietzsche qu’on accuse si facilement d’incohérence se montre ici d’une cohérence sans faille. S’il nous avait donné l’exposé systématique, dont on nous dit encore qu’il l’a rêvé toute sa vie sans pouvoir l’atteindre, c’est lui qui se fût contredit. Il ne l’a pas fait, parce qu’il ne pouvait pas le faire. Non qu’il n’en avait pas les capacités, mais parce qu’il aurait aussitôt cessé d’être ce qu’il voulait devenir. Et si le professionnel de la philosophie tremble devant le manque de repères établis, c’est sa faute à lui, pas celle de Nietzsche.
La deuxième difficulté, toujours répétée comme un lancinant Leitmotiv, n’est qu’une autre façon de dire la même chose en revenant sur cette préférence pour l’écriture aphoristique qu’on a mentionnée plus haut. Il convient de préciser l’enjeu du problème : le poème recourt au symbolisme et l’aphorisme ne saurait être que bref, ou du moins que refermé sur lui-même. Ce qui implique, pour le premier sinon pour les deux, l’équivocité incontournable du propos, là où le philosophe attend la clarté d’un sens unique ; pour le second...
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