Le métier d'être homme
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Le métier d'être homme

Samuel Beckett, l'invention de soi-même

  1. 288 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Le métier d'être homme

Samuel Beckett, l'invention de soi-même

À propos de ce livre

Confronté au dur métier de rester vivant, Samuel Beckett a su faire "Métier d'être homme", c'est pourquoi le vingt et unième siècle devrait le prendre très au sérieux. Beckett disait: On n'écrit pas pour publier, on fait ça pour respirer. "Être ou ne pas être" ici n'est pas la question, mais dire précis, sans relâche, mot à mot, jusqu'à se faire Inventeur de soi-même selon sa belle expression. Tout Beckett est là: s'inventer, pas se créer... car à se faire inventeur de soi-même, c'est de son présent qu'il saura faire création.

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Informations

OPÉRATIONS D’ÉCRITURE –
OPÉRATEURS DE STRUCTURE

« Une voix parvient à quelqu’un dans le noir. Imaginer.
Une voix parvient à quelqu’un sur le dos dans le noir.
Le dos pour ne nommer que lui le lui dit. Et la façon dont change le noir
Quand il rouvre les yeux et encore quand il les referme. »
Ainsi débute Compagnie27 ni tout à fait roman, ni tout à fait autobiographie, l’un et l’autre tout de même si, comme le dit Bram van Velde l’ami proche, « Chaque phrase que Beckett a écrite, il l’a vécue quelque part. Chez lui rien de cérébral.28 »
Noir. Ça a débuté dans le noir. Là, une voix. D’abord la voix, sujet grammatical de la phrase puis, quelqu’un, complément d’objet indirect. À quelqu’un, la voix ne se fait pas entendre, elle parvient. Si donc elle parvient, elle n’est pas première. Au commencement, n’est ni le noir ni le voir ni la voix ni l’entendre, mais un mouvement. Parvenir indique un déplacement avec un point de départ et un point d’arrivée. Peut-on dire cela ? Pas tout à fait. La rigueur logique de Beckett est plus conséquente : qu’est-ce qui produit le mouvement ?
Retenons cette question à laquelle Compagnie ne permet pas de répondre et ouvrons un recueil de poèmes de jeunesse intitulé Les os d’Écho29 publié en 1935, tardivement donc. Beckett n’associe pas la voix de la nymphe à l’image mortifère de Narcisse, comme il se fait ordinairement. Il l’associe à Narcisse repoussant la nymphe Écho. Celle-ci, dès lors condamnée à se réfugier au fond des forêts, ne laissera d’elle que sa voix et ses os. Ovide nomme Écho la résonnante : « Écho est le son qui vit en elle. » Le son ? Donc pas vraiment une voix, plutôt ce qu’en laisse l’absence, comme la décomposition du corps laisse les os. Écho’s bones, les os d’Écho, reste de corps dans la voix ou reste de voix dans le corps. Écho ? Le son qui résonne d’un corps en allé.
Dans l’un des poèmes du recueil, Beckett évoque sa naissance avec causticité30. Il s’agit de Sanies I. Le vers se brise en onomatopées que la traduction d’Edith Fournier rend sensible :
… Comme un gentil garçon en route pour la maison
Où je suis né crac boum en même temps que le vert des mélèzes
Ah, être de retour aujourd’hui dans l’amnios sans responsabilités,
sans doigts sans amour gâché, …
retrouver maman papa du poulet et du jambon
Tombe douillette aussi, disons le mot,
Oh les beaux jours, trinquons, versons une larme,
Ces noces en ce jeudi de Judas il y a sept lustres de cela,
Oh les mélèzes, la douleur, extirpée comme un bouchon,
Le gland il s’est absenté toute la journée par monts et par vaux…
Les ombres s’allongent, les sycomores sanglotent, retour
Au bébé dodu, oh ! il est né un garçon mirobolant…
Pour moi… fatigué maintenant, jusant des cheveux, jusant
des gencives, jusant du retour à la maison, …

Tué né

Samuel Beckett est né un 13 avril 190631 dans une chambre de cette maison familiale cossue où il grandira. Devant la fenêtre : un mélèze. Pour reverdir une semaine avant les autres, ce mélèze lui laissera un souvenir vert dans tout le noir d’une naissance vécue comme un décès : « Tombe, noces en ce jeudi de Judas, la douleur, les ombres s’allongent et les sycomores sanglotent, fatigué, jusant »
Et puis ce titre, Sanies. Forme picarde médiévale issue du bas latin, sanieux qualifie un sang corrompu, le pus qui s’écoule d’une blessure. Naissance d’un corps-abcès, sanieux né d’un, autant que né avec, un sang corrompu. Et Beckett insiste sur ce vendredi 13 avril 1906 qu’il déclare jour de sa naissance32. Knowlson33 observe qu’il n’est aucunement attesté que sa naissance ait eu lieu ce jour-là. Retenons que ce jour est celui choisi par Beckett pour naître. Sans doute est-ce que pour lui, quelque chose ici débutait sur quoi il prit appui. Ce 13 avril lui ouvre un angle de vue sur sa vie.
Un même vendredi 13 avril, 1876 ans auparavant, le Christ souffrait sa passion : « Tu vis le jour où le sauveur mourut et maintenant. » Un peu plus loin : « Tu naquis un vendredi saint au terme d’un long travail.34 » Le destin précède la naissance, mais à la façon d’une passion rétroactive qui l’implique.
Lecteur précoce de La Divine Comédie, qui l’accompagnera définitivement, Beckett sait qu’un même vendredi saint de l’année 1300, Dante pénétrait dans l’Enfer avec Virgile pour guide.
Alors Beckett, son corps, sa passion ; sa vie, son enfer ; une voix, en écho intérieur et puis des os. De Sanies à Compagnie, un arc de cercle trace au-dessus de lui, une genèse où la naissance est un deuil qui l’interdit de vie. Comment vivre, si la mort précède ?
Malgré les accents kafkaïens de « quelqu’un sur le dos dans le noir », le lecteur soupçonne que ce corps ne se métamorphosera pas à la façon de celui de Gregor Samsa35. S’il change, ce sera par décision pugnace de vie et de façon positive. Beckett n’écrit ni pour se réfugier dans des fables ni pour se raconter, pas non plus pour s’abandonner à son sort, même si vivre le défie. Alors, ne poser à son début que cela, stricte : « quelqu’un sur le dos dans le noir. »
On connaît de Molloy : « Il faut continuer. Je ne peux pas continuer, je vais continuer… » Puis, dans Texte pour rien36 : « Comment continuer ? Il ne fallait pas commencer. Si, il le fallait. » Quand il dirigera les comédiens dans En attendant Godot, Beckett indiquera : « C’est un jeu qui a pour fin la survie.37 » Écrire, sa seule issue, et la page ? Une tache blanche seule dans tout son noir. Alors, « Il le fallait. » En 1965, dans une lettre, il confiait : « Tout ce que j’essaie avorte. Je vais continuer d’essayer.38 » L’écriture confirme n’être pas facultative. Dire, écrire pour naître au jour le jour. Sans cesse essayer, recommencer. Il ne s’agit pas de lire ses écrits comme des vérités de vie, mais plutôt de s’étonner qu’il ait su « Tirer tant de vie de tant de décombres » comme s’en étonnait son ami Bram39. Écrivant, Beckett ne s’ouvre pas un chemin de vie, il déblaie. L’ouverture en plus ! Dans une économie de survivant, il forge l’écriture en mesure d’extraire ce corps du noir.
Considérer la fonction de l’écrit chez Beckett découvre une surprenante responsabilité du désir de vie. Beckett n’écrit pas parce qu’il est écrivain, mais parce qu’il lui faut ordonner sa vie. Ses écrits informent sur ce qu’ils accomplissent. Ne confiait-il pas à son biographe être hanté par des obsessions ? « La fin40 », nouvelle de jeunesse, se termine par : « je songeais faiblement et sans regret au récit que j’avais failli faire, récit à l’image de ma vie, sans le courage de finir ni la force de continuer. » Puisque l’urgence est aussi extrême que sa détermination, prenons-le au sérieux, suivons-le à la lettre et isolons les opérations d’écriture qui peuvent avoir rendu possible à celui qui se vivait comme un corps sur le dos dans le noir de devenir Samuel Beckett.

Débuts de vie

Dans la biographie déjà citée, qui fait référence, James Knowlson extrait deux vers de Sanies qu’il raboute : « Je naquis d’un coup dans le vert des mélèzes {…} oh, les mélèzes, la douleur tirée comme un bouchon. »
Naissance d’un enfant ? Pas vraiment. Plutôt, naissance d’une douleur mais dont on ne sait pas à qui elle appartient ? Douleur de la mère ? Douleur de l’enfant ? Toujours est-il que l’enfant qui naît est douleur. Mais alors durée de la douleur, son amplitude, sa constriction ? « Bouchon de douleur ! » Un morceau arraché à la douleur de l’Autre maternel contracté par tant de douleur… Quant au père, redoutant ce travail de femme, il a préféré s’éclipser. Mère et enfant, seuls.
« Car il s’y ajoutait l’aversion que lui inspirait (à mon père) les douleurs et autres aspects peu ragoûtants du travail avec mise au monde… malgré sa fatigue et les pieds endoloris, il était sur le point de repartir à travers champs sous la jeune lune lorsque la bonne vint en courant lui annoncer que tout était terminé enfin.41 »
Plus de dix heures de souffrance pour May, sa mère ! Dix heures pour être enfin délivrée de ce corps étranger qui l’obstruait, dix heures quasi inhumaines avant que cet enfant ne lui soit enfin extirpé. Dégoût, rejet d’un corps trop encombrant, naissance refusée. Sans cesse – à le voir seulement – l’enfant la rappelle à cet insupportable de sa vie. L’intensité, la solitude, la durée de cette douleur ont tout aboli, tout, jusqu’à l’enfant. Plus rien du bonheur d’une naissance.
Tous les accouchements douloureux n’aboutissent pas à cela mais ici, même la servante qui assistait la mère fut soulagée de la délivrance ! Au lieu d’annoncer au père « C’est un garçon » pour saluer ce qui pouvait être un heureux événement, elle ne put que soupirer un : « Tout est terminé, enfin… » Et Beckett de reprendre : « terminé » ! Sa naissance ? Une agonie où la douleur cariatide, forfaitaire, le soude aux chairs dont il naît.
Beckett adulte reviendra encore et toujours sur ce temps de douleur, naissance d’une mort dedans, empêtrée dans la douleur, coupable de naître, à quoi s’ajoute pour le nourrisson, une angoisse muette, bouchon de douleur-silence. Douleur majuscule. Dans Tous ceux qui tombent42, il évoque une « détresse mentale », une « misère mentale. » Misère de naissance. Disgrâce.
Rancune affichée au mur de l’amour maternel étreint la mère, étouffe l’enfant. Kronos avalait ses enfants ; Médée les tuait. La douleur prédatrice projette, de la mère, l’ombre disproportionnée d’un Autre qui enténèbre le corps du fils. Elle pouvait le rassurer, le questionner, répondre à ses demandes. Ce sera l’inverse. Ce corps d’enfant, bout de réel intolérable, semblera rester en excès. La douleur l...

Table des matières

  1. Couverture
  2. 4e de couverture
  3. Dédicace
  4. Exergue
  5. Préface Par Christian Fierens
  6. Prologue
  7. Opérations d'écriture – Opérateurs de structure
  8. Moi seul, suis homme et tout le reste divin
  9. L’inventeur de soi-même
  10. Le métier de rester vivant
  11. De Proust à Beckett par Beckett lui-même
  12. Errance des corps
  13. Écridire : la voix
  14. La lettre, l’hystérectomie et la truelle ou comment la lettre féminise-t-elle celui qui la possède ?
  15. Fonction de l’art En guise de conclusion
  16. Postface Par Jean-Michel Rabaté
  17. Bibliographie
  18. Table des Illustrations