Partie I
Devenir un acteur influent
Première porte
Puissance et gloire des territoires
« En ces temps de tromperie universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire. »
George Orwell
Dans nos territoires, sans faire de bruit, la crainte du risque industriel s’est muée en opportunité politique. Nos grilles de lecture aussi se sont lentement transformées. Un changement caché dans l’évolution des stratégies politiques. Une véritable redéfinition des objectifs, et des moyens pour les atteindre. Dans un environnement en pleine mutation, la place et le rôle des territoires ont été impactés par cette mutation.
Aujourd’hui, le territoire est un terme polysémique. Il renvoie à de nombreuses interprétations selon le degré de transformation imposé par nos organisations. Le territoire géographique a été sculpté par les états nations, alors que le territoire culturel a lentement construit sa dimension identitaire. Mais au cours des vingt dernières années c’est le territoire économique qui a envahi les consciences. À l’aide du marketing territorial, il a fait de ses terroirs des marques auxquelles l’influence a donné de la valeur.
Sur un plan administratif, le territoire englobe plusieurs collectivités de tailles différentes dont il organise la cohésion. Une démarche parallèle et en support des démarches publiques locales. Une vision plus centrée sur les infrastructures et les investissements que sur les individus. Une vision parfois en décalage par rapport à l’attente de la population. Selon de nombreux rapports publics produits par les juridictions administratives financières françaises, l’administration voit les individus qui habitent le territoire, mais reste aveugle à ce qui fait qu’ils le définissent. L’image peu attractive et les informations qui ressortent de cette vision administrative semblent vides de sens.
Pour les industries qui animent nos territoires, le risque n’est pas le même, l’impact non plus. Les fleurons de notre industrie peuvent-ils, doivent-ils être financés par des capitaux étrangers ? Cette question classique des entretiens d’embauche dans les écoles de commerce est à l’image de l’évolution de notre environnement socio-économique. Pourtant, au-delà de l’analyse critique et de la production de recommandations, le contrôle des investissements étrangers ne fait pas en lui-même une politique industrielle. Une politique qui concerne la formation professionnelle, l’attractivité, et l’anticipation des ruptures technologiques et de leurs impacts culturels. Un éventail de solutions qui promet un changement de perception et une meilleure protection. Un véritable effet de gamme pour les forces vives des territoires.
Alors, quel est l’avenir de nos territoires ?
La dégradation de l’image de nos territoires économiques et le sentiment d’une perte des repères s’apparentent à l’effondrement des civilisations anciennes. Les liens ont changé, mais les modèles sont comparables, et l’histoire nous montre clairement la dimension systémique. Plus les sociétés sont connectées, plus les crises se diffusent rapidement. Ces crises génèrent des tensions qui entrainent les puissances vers des conflits, comme Thucydide l’avait décrit dans l’antiquité.
Aujourd’hui, malgré des atouts indiscutables, et la force de son histoire, l’Europe est mise à l’écart par la Chine et les États-Unis qui s’affrontent. Les dirigeants de ces nations prétendent « restaurer la grandeur » de leur pays à travers la guerre économique et commerciale. Une guerre meurtrière par procuration. Une guerre de l’information et de l’influence.
Une impasse : Les territoires paralysés, des terroirs en perdition
« Dans une économie devenue immatérielle, les organisations s’appuient dès lors sur des ressources telles l’image, le storytelling, la réputation (dont celle de leur dirigeant) et les capacités de communication pour se démarquer et renforcer leur compétitivité sur la scène internationale tout en influençant leur écosystème ». La performance exige d’être à l’avant-garde, de disposer d’une vision stimulante, de favoriser l’intelligence, d’être lucide, inspirant, et de détenir des connaissances et un savoir haut de gamme. Être influent, séduire ne peut se réduire à des communications creuses. C’est le fond, l’état d’esprit, les valeurs, les convictions qui animent la confiance et la crédibilité.
La compétition économique implique de faire de son capital immatériel sa première force, sa valeur la plus forte. La priorité, en matière d’avantage compétitif, c’est de donner du sens à son action et à son projet. Donner du sens pour être en capacité de faire adhérer, séduire, convaincre et inspirer. Le partage, la solidarité, l’implication dans des causes nobles ou dans des débats d’idées sont des moyens puissants de développer un capital immatériel séduisant.
Une conscience aigüe du problème s’installe au plus haut niveau. Le Président Emmanuel Macron déclarait en 2018 « la France est une maison dans laquelle le progrès s’est arrêté parce que les fondamentaux sur lesquels elle est construite ont changé. Il faut la refonder sur des bases solides pour ouvrir à nouveau cinquante ans de progrès. L’école, la formation tout au long de la vie, l’investissement dans l’intelligence artificielle, ce sont des protections pour les Français pour l’avenir. Je veux qu’on redevienne un pays de progrès pour tous ».
Mais dans notre état jacobin, les idées constructives, les bonnes volontés, les initiatives profitables ne pourront pas être exploitées si les fondamentaux dont parle Emmanuel Macron sont systématiquement interprétés localement comme des critères de favoritisme et de népotisme. Peu d’institutions locales ont réellement développé une puissance publique capable d’influencer durablement les relations économiques des entreprises. Les métropoles n’ont pas investi le terrain des échanges internationaux au point de peser réellement sur le commerce extérieur.
Les exemples ne manquent pas. En septembre 2019, le média « Marsactu » publiait un article intitulé « un chantier ferroviaire lyonnais éloigne le port de Marseille de ses clients », l’enquête décrit précisément une situation tendue dont les conséquences économiques pourraient être dramatiques pour le territoire marseillais, présenté comme l’un des plus importants de France sur le plan géoéconomique. Les responsables politiques et économiques de chaque territoire se retrouvent dos à dos et face à un enjeu crucial. Ce n’est ni le népotisme stérile et les arrangements entre amis qui viendront aider les décideurs locaux à remporter le point dans cette guerre commerciale. Une guerre qui rappelle à chacun que la compétence, le talent et une vision stratégique au service de décisions éclairées sont indispensables dans ce type d’affaires. Seuls un lobbying et une stratégie d’influence bien pensés pourront agir sur les décisions.
Quelles que soient les orientations politiques, la démarche territoriale doit renoncer à la facilité pour trouver des solutions intelligentes et porteuses de sens. Le capital immatériel apporte le supplément d’âme, indispensable pour voir s’installer les conditions profitables à l’attractivité. Dans les territoires, renoncer aux acquis et sortir de la zone de confort, exige du courage pour se remettre en question, se transformer ; évoluer plutôt que disparaître. L’histoire montre comment, pendant les crises, l’engagement génère de l’admiration et de la loyauté. Dans les récits mythiques, c’est le courage de penser différemment qui caractérise les héros.
Première clé
Anticiper, puis agir pour ne pas subir
La carte n’est pas le territoire. La puissance — et la gloire — des territoires émergera de ses propres forces. L’analyse de la situation et le contrôle de l’environnement permettent de décrypter le monde qui nous entoure pour répondre aux rumeurs, tendances, rapports et expertises. Une façon de prendre de la hauteur et de préparer les esprits aux débats.
L’identité est une notion essentielle. Elle donne une âme au savoir-faire en révélant les valeurs qui l’animent. La vocation parle mieux que le produit. Être acteur et partie prenante, c’est alimenter le débat d’idées en faveur de ses intérêts. Notamment, la diffusion à travers ses activités de valeurs et d’une culture au service de la société. Parler de vocation, c’est « donner du sens à l’action » et proposer une vision du monde qui distingue et rend unique. La participation aux débats sur des sujets spécifiques, dépassant le seul cœur de métier, est une manière de se placer dans une configuration plus large, qui légitime l’action de l’entité au sein de la cité. S’adapter à l’état d’esprit et aux préoccupations de ses interlocuteurs, et saisir correctement la nature des enjeux, qui s’étendent bien au-delà des seuls aspects spécifiquement techniques ou financiers.
Une communication indirecte pour « ne plus être juge et partie ». Faire parler de soi, plutôt que de parler de soi, soi-même. Faire faire à autrui ce qu’on n’aurait pas fait dans un premier temps, ou chercher les relais d’opinion pour convaincre l’autre de reconsidérer sa position, sont des principes pour garantir la production de contenus haut de gamme. L’enjeu étant d’apporter une plus-value aux contenus et de construire des discours pertinents et cohérents. La production nécessite une originalité des sources et des arguments axés sur les normes, les valeurs et les croyances qui font l’opinion des décideurs. Mais surtout ils exigent un contenu éditorial de haute tenue, capable de soutenir, d’expliquer et surtout de valoriser l’identité que l’entreprise a choisi de montrer. On comprend que générer de l’information de fond, qui donne du sens, fructueuse en matière de connaissance, donne une force que des secteurs stratégiques (transport, agroalimentaire, pharmaceutique, information, énergie…) veulent conserver dans leur périmètre. Dès lors, les acteurs économiques ou « agents » politiques mettront tout en œuvre pour générer de l’ignorance et inciter le plus grand nombre à se contenter d’informations superficielles. Ne pas aller au fond des choses et jouer la carte de l’apparence devient une stratégie maitrisée et voulue.