Les maux et les défunts
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Les maux et les défunts

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Les maux et les défunts

À propos de ce livre

Joseph ignore tout ou presque des coutumes et traditions liées à sa culture. Au fil du temps, les obstacles de la vie et drames se multiplient. Le bilan tombe, il porte en lui les germes de la malédiction de sa mère, un retour aux sources s'impose.Entre découverte, peines, rites, trahison, Les maux et les défunts retrace la réconciliation d'un homme avec sa culture…

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Informations

Partie 1

Joseph entre famille et tradition

Chapitre 1
Joseph et sa famille
Joseph appartient à l’ethnie fang-Beti et de la tribu Bulu de Sangmélima. Chef-lieu du département du Dja et Lobo16, Sangmélima est situé en plein cœur de la forêt équatoriale avec un climat du type équato-guinéen, une faune et une flore rares et exceptionnelles qui attirent, chaque année, des milliers de touristes en quête d’aventures palpitantes et de découvertes exotiques. Avec une biosphère assez riche, car elle abrite la réserve du Dja qui est, en même temps, l’une des plus grandes réserves d’Afrique et patrimoine mondial de l’UNESCO, Sangmélima est le berceau du chant patriotique camerounais « Au Cameroun berceau de nos ancêtres » qui verra le jour en 1928 et adopté en 1957. Ville natale de Joseph, elle ne se distingue pas seulement des autres villes camerounaises du fait d’être le berceau du chant patriotique. Sa spécificité par rapport aux autres villes camerounaises est qu’elle est aussi le creuset des hommes qui ont fait et font l’histoire politique et institutionnelle du Cameroun. Sur cet aspect particulier, elle est la terre natale de celui qui a écrit le chant patriotique (René Jam Afane), du tout premier maire noir de l’histoire des mairies du Cameroun (Elle Mboutou Charles) et de l’actuel chef d’État (Paul Biya). Visiblement, c’est un grand privilège pour le personnage principal (Joseph) d’être originaire de cette ville qui a bercé sa tendre enfance et où il a passé le plus grand temps de son adolescence.
Dans son clan d’appartenance17, Joseph faisait partie de ceux qui étaient considérés comme ayant réussi dans la vie, c’est-à-dire ceux-là qui étaient des modèles socioculturels tant pour sa communauté, surtout les jeunes, que pour les contrées environnantes. Sa réussite s’expliquait du fait des études supérieures qu’il avait faites et du travail qu’il exerçait dans le domaine qui cadrait avec ces études supérieures. À son époque (années 1970-1980), il était plus évident, une fois obtenu son baccalauréat, de passer un concours administratif et d’intégrer aussitôt l’administration. Malheureusement, Joseph n’a pas choisi cette voie. Il avait d’autres visions, d’autres ambitions. C’est ainsi qu’il a préféré poursuivre ses études dans l’enseignement supérieur afin d’obtenir un diplôme supérieur en ingénierie minière. Il est certes vrai que nombreux de ceux qui préféraient entrer rapidement dans l’administration après obtention du baccalauréat avaient aussi des raisons personnelles diverses et variées qui les empêchaient de poursuivre leurs études. Certains venaient des familles moins aisées, souvent polygames et nombreuses où le géniteur n’avait pas toujours des revenus suffisants pour satisfaire équitablement les désirs de tous ses enfants. D’autres étaient contraints de sacrifier leurs études afin de trouver rapidement un travail et de soutenir financièrement leurs familles. Joseph ne faisait pas partie de l’un ou de l’autre des cas suscités, il venait d’une famille relativement aisée.
Ses parents étaient tous les deux de hauts fonctionnaires de l’administration camerounaise. Son père était un diplomate et sa mère une enseignante des lycées et collèges. À cette époque, être diplomate ou enseignant des lycées et collèges était un privilège. Tout le monde n’y avait pas accès. C’étaient des fonctions assez convoitées, respectées et par-dessus tout nobles. Autrement dit, Joseph n’avait pas connu une enfance difficile comme la grande majorité des enfants africains. Il n’avait pas non plus connu des difficultés à évoluer dans la vie, encore moins à vivre son rêve de devenir ingénieur minier, lorsqu’on sait qu’en Afrique, tous les enfants ne deviennent pas toujours ce qu’ils souhaiteraient être. Le cadre de vie, souvent caractérisé par des vulnérabilités, la pauvreté, des inégalités sociales dans tous leurs sens, des influences environnementales, n’offre pas toujours des facilités d’accès à des objectifs qu’on s’est fixés dans l’enfance ou dans l’adolescence. Les cas les plus probants ont souvent été qu’au lieu de ne pas vivre son rêve d’enfance ou d’adolescence, on se contente de ce qu’on a sous la main et peut être pouvoir y arriver avec le temps lorsque les moyens le permettent. N’ayant pas connu assez de difficultés à avancer dans la vie et à devenir ce dont il a toujours rêvé dans son enfance, Joseph n’avait aucune raison d’échouer dans la vie. Cela dit, en Afrique, à des exceptions près, un enfant qui grandit avec ses parents aisés sous le même toit a plus de chance de réussir dans la vie que celui qui grandit dans des conditions autres. Tout était réuni pour qu’il devienne un homme socialement accompli. L’environnement social, culturel et familial dans lequel il a grandi n’était pas qu’aisé, il était aussi pluriel et multi dimensionnel.
Cette pluralité et multi dimensionnalité, qui caractérisent les sociétés et les familles africaines, s’expliquent du fait même de la nature des cultures africaines et des cadres qui les abritent. Des auteurs africanistes, pour la plupart, psychologues, sociologues, historiens et anthropologues, ont mené des études systématiques sur ces questions de pluralité et de multi dimensionnalité des sociétés et familles africaines. Selon eux, ces questions s’expliquent à partir des dynamiques et des complexités des sociétés africaines, d’une part, et d’autre part, à partir des représentations sociales et culturelles de la famille. Pour ce qui est des représentations sociales et culturelles de la famille, les Africains la perçoivent comme un « tout composé » et non pas comme une « singularité isolée ». C’est pourquoi il existe en Afrique aussi bien des familles nucléaires, composées qu’élargies. À ces types de familles, s’ajoutent aussi les parentés sociales et culturelles qui sont des liens qui peuvent être circonstanciels ou pérennes. Ainsi, chaque enfant africain grandit dans cet environnement dont la sociabilité et la convivialité, le partage et la générosité, l’altruisme et la complicité, la solidarité et la bienveillance mutuels sont les maîtres mots qu’il faut s’approprier et intégrer tant à l’intérieur du groupe culturel qu’à l’extérieur. Cet environnement est millénaire, il existe depuis la nuit des temps. Premier cadre de socialisation, c’est-à-dire de transmission des valeurs sociales, culturelles, humaines et éducatives, la famille a été au cœur de la réussite sociale de Joseph. Quel que soit l’endroit où il se trouvait, Joseph emportait toujours avec lui les mots et les gestes qui ont bercé sa tendre enfance. C’est cette douceur qui lui a permis d’affronter les réalités auxquelles il a fait face au quotidien. Sur cet aspect précis, il n’a cessé de rendre un hommage mérité à ses parents en se souvenant de toutes ces belles choses qu’ils lui ont délicatement transmises par leur toucher, leurs paroles.
Revisiter toutes ces mémoires d’enfance est pour Joseph, en même temps, un moment de nostalgie et une richesse morale et psychologique incommensurable. Chaque instant de commémoration est pour lui un moment de méditation et de contemplation lui permettant d’amorcer sereinement son quotidien. La famille est l’une des meilleures offres que la vie lui a apportées. Il avait toujours été séduit, dans cette tendre enfance, par les sourires altruistes de ses parents, notamment sa mère. Il a d’ailleurs très peu de souvenirs où il a vu ses parents en colère, ce qui faisait leur particularité. Joseph a connu une enfance heureuse pour avoir grandi dans une famille unie et soudée. L’une des leçons qu’il a tirées de son enfance est la nécessité pour chaque parent de mesurer l’enjeu de l’éducation, car ils sont la première porte à laquelle les enfants toquent avant leur intégration à l’école et dans la société. Le fait que les enfants soient le produit de la socialisation de leurs parents amène ces derniers à soigner leur image et leur tenue en leur présence afin de leur transmettre les valeurs honorables qui conduiront le reste de leur vie. Les parents de Joseph ont été exemplaires sur ces aspects.
Troisième d’une fratrie de huit enfants, Joseph a donc grandi avec ces valeurs suscitées que lui ont inculquées ses parents. Leur demeure en ville, bien avant que ses parents prennent tous les deux leur retraite, était ouverte non pas aux proches de la famille, mais à tout le clan. C’était une maison de transit pour tous les membres de la communauté qui venaient en ville pour des raisons personnelles diverses. Les parents de Joseph étaient très accueillants, hospitaliers et d’une gentillesse incommensurable. De plus, hormis l’accueil réservé aux membres du clan, cette maison abritait aussi les parentés de la mère de Joseph, c’est-à-dire les enfants des sœurs et frères de sa mère. C’était une véritable maison multi clans voire arc-en-ciel. En effet, l’importance de rappeler tout ceci est de mettre en évidence l’environnement familial dans lequel a grandi Joseph : un environnement familial où les valeurs sociales, culturelles et humaines africaines étaient de rigueur. Les parents de Joseph pouvaient refuser un service à un de leurs propres enfants, mais difficile de le faire quand il s’agissait d’un ou d’une des parentés. Il est sûrement plus complexe d’avoir un enfant qui n’est pas le vôtre sous notre responsabilité qu’un enfant qui est le nôtre. Cette complexité s’explique du fait qu’un enfant qui n’est pas le vôtre garde facilement en mémoire un acte qu’il considère comme malsain à ses yeux, parce qu’il n’a pas été posé selon ses volontés et par conséquent pardonnera difficilement. Tandis qu’un enfant qui est le vôtre, du simple fait qu’il soit le vôtre, issu de vos gênes avec la primeur psychologique de l’ascendance, il se manifestera inconsciemment en lui une relative compréhension de l’acte que vous posez, quelle que soit sa nature. Les parents de Joseph, mariés d’un régime monogamique, avaient l’intelligence suffisante pour le comprendre. Ils s’accrochaient à cette logique tout en sacrifiant, quelques fois, les leurs.
Aussi, comme la plupart des enfants africains, Joseph a grandi dans une famille nombreuse. Une famille où on partageait des repas selon les principes communautaires : ils s’asseyaient tous soit autour d’une même table, soit autour d’un plateau assez large pour partager les copieux repas que cuisinait la mère de Joseph. Elle était une cuisinière formidable et faisait des repas que tout le monde appréciait grandement. Le repas était servi de façon que tout le monde puisse manger à sa faim et se rassasier. Quand bien même la quantité première servie était insuffisante, il y en avait toujours une réserve supplémentaire. L’une des valeurs essentielles des repas partagés, selon les principes communautaires, est le renforcement des liens de familiarité et de fraternité. Manger seul, loin des autres membres de la famille, est une preuve d’égoïsme, d’égocentrisme et par-dessus tout de déstructuration des liens familiaux. Manger seul, c’est également une autre façon de se détacher de l’ancrage solidaire de la famille qui se veut un cadre où les membres expriment avec honneur et loyauté la complémentarité, gage d’une famille soudée, équilibrée, progressiste, constructiviste, « prométhéenne ».
Au-delà de tout, la famille de Joseph n’était pas une famille parfaite, très loin de cette idée. Il existait également des dysfonctionnements et des crises internes que connaissent toutes les familles. D’ailleurs, cet ouvrage met en évidence une situation de dysfonctionnement et de crises internes qui vont surgir entre Joseph et sa propre maman à la suite d’une incompréhension créant ainsi un climat morose, une cassure familiale tant du vivant que de l’absence de son père décédé. Dans ce climat morose qui s’est installé, Joseph sera purement et simplement maudit par sa mère du fait de lui avoir désobéi. D’autres situations de crises vont s’ajouter, notamment la perte de tous les frères et de toutes les sœurs de Joseph dans des conditions mystérieuses. Sur les huit enfants qu’ils étaient dans leur famille, seul Joseph est resté en vie. Sur huit, il y avait cinq filles et trois garçons. Seul Joseph va aller très loin dans les études pendant que les autres vont très tôt intégrer la fonction publique camerounaise à travers des concours dans les grandes écoles d’État.
La perte systématique de ses frères et sœurs était semblable à une tragédie. La famille va connaître une période trouble. Elle va presque momentanément descendre aux enfers. Pendant que certains mourront des suites d’un accident de circulation, d’autres partiront des suites de courtes maladies à connotation mystique. Des discours populaires, très répandus dans la communauté, ont tôt fait de dire que c’était le père de Joseph qui en était le principal responsable. On le soupçonnait, depuis qu’il était en fonction comme diplomate, d’être dans une confrérie satanique pour des honneurs et de hautes fonctions de responsabilité au sommet de l’État. Bien plus, l’imagerie populaire a révélé que son heure de donner en sacrifice des personnes proches avait sonné. D’où ces disparitions systématiques mystérieuses des frères et sœurs de Joseph. Le caractère systématique de ces disparitions s’explique du fait qu’elles se produisaient à des intervalles très courts. Pour ceux qui étaient victimes des accidents de circulations, ils se sont déroulés en l’espace de deux semaines chacun, tandis que ceux qui sont morts des suites de courtes maladies à connotation mystiques partaient respectivement en l’espace d’une semaine. C’était incroyable de le constater. Tout le monde était effondré, y compris la mère de Joseph elle-même qui n’était pas non plus en reste, car certains avaient pensé qu’elle était de connivence avec son mari. Mais le temps guérit tout et de tout. Cela passera, mais ne sera pas oublié tout de même. Des commémorations se feront toujours en leur mémoire. Entre temps, Joseph, resté le seul enfant en vie, était devenu un grand ingénieur. À vrai dire, Joseph était devenu le seul vrai coq de la basse-cour aux yeux de ses parents et de toute la famille. Toute la famille comptait dorénavant sur lui et y mettait grandement ses espoirs. Visiblement, il n’avait pas droit à l’erreur. Si la responsabilité était lourde et ardue, les attentes étaient énormes. Joseph avait rapidement pris conscience. Il n’avait jamais baissé les bras, car il savait au fond de lui qu’il avait des valeurs, des qualités et des compétences pour y arriver et rendre toute la famille heureuse. C’était presque une mission pour lui. Hormis ses parents, il fallait un soutien supplémentaire important qui puisse l’aider à l’accomplir avec honneur, passion et bravoure. Bien plus, la complexité de cette mission lui imposait déjà la nécessité de trouver d’autres soutiens en lui et auprès de la communauté. Joseph sait pertinemment, selon la philosophie sociale et culturelle de sa communauté, qu’on ne devient un véritable homme qu’avec et par les autres. Il sait aussi qu’une seule main ne saurait attacher un fagot de bois. Son oncle va être un soutien fort important pour mener à bien cette lourde mission. Ce dernier sera, à la fois, son conseiller social, culturel et spirituel. C’est d’ailleurs lui qui le conduira auprès des vieillards-initiés du culte des ancêtres. Cet oncle l’initiera davantage aux normes et principes de la philosophie sociale et culturelle de la communauté. Ces normes et principes essentiellement fondés sur la conjugaison de plusieurs forces et énergies afin de s’élever socialement. Des forces et énergies (sociales, culturelles, mystiques, communautaires, spirituelles, etc.) venant à la fois de ses parents, de la famille, et même de la communauté. Pour obtenir toutes ces grâces, cet oncle lui a exigé de tenter de faire l’unanimité non pas seulement auprès de ses parents et la famille proche, mais aussi auprès de la communauté. Cette unanimité n’étant pas acquise, Joseph devait fournir des efforts incommensurables parmi lesquels : rester connecté à la culture, au village, à la communauté ; côtoyer les vieillards lors de ses séjours au village afin d’apprendre davantage la vie en communauté ; être toujours à l’écoute et au service des membres de la communauté quand cela est nécessaire, etc. Joseph avait davantage pris la mesure de cette lourde mission et des priorités qui la constituaient à travers les enseignements de son oncle.
Toutefois, le bien-fondé de ces efforts, purement socioculturels que Joseph est appelé à fournir, n’est plus à démontrer, ce d’autant que c’est une recommandation de son oncle. En tant qu’intellectuel, ingénieur et Africain, Joseph est conscient du sens de tous ces efforts à fournir. Il est conscient de leur sens tant pour sa vie, sa carrière que pour son avenir. Il sait combien le village dans son étendue la plus absolue est une fontaine de jouvence où chaque intellectuel noir, après de longues années d’errance, retrouve ses racines, se retrempe comme en une sorte de « Siloé qui redonne force et vigueur »18. Il reconnaît également que c’est au village qu’il peut encore se remettre à l’école des vieux maîtres de la parole, c’est-à-dire les vieillards considérés comme « les témoins de l’Afrique millénaire » et institution d’acquisition de la sagesse. Il sait enfin que c’est à travers le village (en tant qu’un tout) qu’il retrouve toute son « authenticité africaine », et que sa réussite, bien qu’ingénieur, ne viendra que par la construction d’un patrimoine (matériel et immatériel, etc.) au village19. Cela dit, dans la communauté de Joseph et comme dans la plupart des communautés d’Afrique, chaque Africain reste et demeure avant tout quelqu’un de la brousse où la culture ancestrale est restée elle-même, sans changement20. En tant que tel, le village reste, d’une part, l’unique repère essentiel même quand on occupe une haute responsabilité en milieu urbain, et d’autre part, une unité de mesure de la réussite en ville. Cette réussite s’évalue à travers la construction d’une maison, à travers la création d’une plantation cacaoyère, à travers la présence d’une progéniture et d’une épouse. Au regard de ces conditions qui déterminent la réussite dans sa communauté, Joseph n’avait pas encore véritablement réussi. Car, en tant que jeune intellectuel et ingénieur, il n’avait pas encore construit une maison, il n’avait pas encore créé une plantation cacaoyère, il n’avait pas encore des enfants, encore moins une épouse. Il s’y préparait petit à petit. Il était au début d’une carrière d’ingénieur prometteuse. Mais il avait encore beaucoup de choses à accomplir pour y arriver. Il devait être porté par la communauté socialement, culturellement et spirituellement bien qu’il ne fût pas le seul fils socialement bien placé de cette communauté. Il n’avait pas de choix, il devait à tout prix et par tous les prix fournir ces efforts suscités.
Le plus difficile pour lui aura été de les mettre en pratique de façon systématique, lui qui n’avait pas l’habitude. Car il ne venait au village que discrètement les week-ends pour voir ses parents et repartir également sans que personne ne le sache. Et pourtant, il va bien falloir qu’il le fasse sans aucun doute, c’était un impératif notoire exigé par la tradition et révélé par son oncle. Le soutien indéfectible de cet oncle pour Joseph ressortait indirectement un message codé qu’il devait décrypter. À travers ce message, Joseph avait finalement compris que : l’Africain, quel qu’il soit, reste fondamentalement attaché à son village. Même vivant en ville, le village reste pour lui le repère essentiel, le lieu de repli, où il se sent en sécurité. Lorsqu’il a un objectif spécifique à réaliser tel que construire une maison, c’est au village qu’il pense avant tout. Le village en tant qu’il représente pour tout un lien de positionnement social, générateur d’influence, de prestige, et même d’équilibre. Souvent, ils agissent toujours en fonction de leur attachement à leur contrée, quelle que soit la fonction qu’ils exercent en ville qu’ils soient hommes politiques ou responsables administratifs21.
Chapitre 2
Ses rapports avec la tradition
En effet, aborder l’aspect sur les rapports de Joseph avec la tradition revient à mettre en lumière les représentations de celle-ci (la tradition) pour lui. À première vue, cela semble...

Table des matières

  1. Partie 1
  2. Joseph entre famille et tradition
  3. Partie 2
  4. Malédiction, recueillement sur la tombe de l’ancêtre fondateur du village et guérison
  5. Notes