Ultime discours (L')

Texte intégral de l'allocution de démission d'Emmanuel Macron

Mehdi Ouraoui

• Éditeur: Fauves editions
• Année: 2020
• ISBN de l'eBook: 9791030217919
• Sujet: Social Sciences
• Sujet: Sociology

Palais de l'Elysée. A travers les fenêtres du Salon d'angle, le jour s'achève. Emmanuel Macron, grave, serein, prend la parole: « Mes chers compatriotes, je n'écrirai pas de nouvelle page du roman national. J'y renonce, je m'y refuse: voilà désormais mon devoir envers vous et envers la vérité. A minuit ce soir, je mettrai un terme à mes fonctions de président de la République. »"L'Ultime discours" est un texte radical et littéraire: à travers cette fiction, Mehdi Ouraoui demande à Emmanuel Macron de renoncer, se démettre et partir s'il veut que la France évite le pire.

L’ultime discours

[Seul le prononcé fait foi]

Mes chers compatriotes,

de métropole,

des outre-mers,

Français de par le monde,

Voilà que s’achèvent trois jours de mon silence.

Les institutions, pas davantage que ma santé, ne sont menacées, en dépit des rumeurs et spéculations.

Il m’est, en revanche, apparu capital pour notre pays de tirer ma pensée du quotidien : nulle idée claire ne peut émerger de la marmite-actualité au bouillon trouble. Comme voilà un étrange paradoxe : quand l’immense majorité de notre peuple connaissait l’épreuve presque monacale du confinement, cet enfermement en soi-même, ses gouvernants affrontaient, moi le premier par ma fonction, le furieux concert des urgences à décréter et des questions de vie ou de mort.

C’est en mettant le monde à l’arrêt que l’Histoire a accéléré son cours. Comment, sinon par un silence total et immobile, remettre mes idées en ordre ?

En ordre.

Immobile.

En silence.

Je dois confesser une forme de révélation devant la sagesse des peuples et leurs pratiques immémoriales : lorsque le monde tourne trop vite, que le torrent de la vie paraît trop impétueux, rejoindre la rive, se fixer, s’arrêter. Résister à l’événement. Parfois revenir à l’antique délibération de la Boulè grecque ou de l’Agora. Parfois, seulement faire obstacle à ce qui vous fait violence, s’emparer du temps dont le monde moderne nous dépossède sans cesse.

Se faire justice, cette justice peut-être impossible et désespérée, contre le temps.

L’ironie ne fut qu’éphémère du confinement, artificiel Rubicon où s’écoule lentement l’improbable profusion du pétrole et du temps… Mais l’accident n’efface pas l’époque. La stupeur n’arrête pas la montre. Alors, ils occupent Wall Street, la Place Tahrir comme hier la Place Tian An Men, font le songe d’une Nuit debout ou s’assoient vêtus d’un gilet jaune au rond-point de leur village, ils tiennent un cabildo citoyen à l’ombre des arbres en fleurs de Santiago : lorsque les hommes ont le sentiment vertigineux de tomber, désormais ils se figent.

Nombre de ces hommes-statues me voient sans doute, haine répandue envers les dirigeants de notre ère, comme un ennemi. Ils seraient sans doute surpris d’apprendre qu’à leur image, dans notre commune humanité, j’ai ressenti le besoin à la fois intime et global, libérateur et brutal, de l’immobilité.

Dans ce monde paralysé, se sont mis en marche les prophètes du “monde d’après”. Chacun prescrit ses médecines contre un mal dont la Science ignore tout. Les xénophobes vilipendent la circulation aux quatre vents, les libéraux l’État forcément défaillant, les écologistes l’offense à la Nature qui reprend ses droits… Chacun détient la vérité. Chacun proclame la justesse de son dogme, la supériorité de son système, la preuve de son discours. Pour eux, cet événement est un avènement : ils éprouvent la jubilation de ceux pour qui le risque, la maladie, la mort, ne sont rien comparés à la satisfaction d’avoir raison.

Détenir “la vérité, l’âpre vérité” : l’épigraphe du Rouge et le Noir que Stendhal attribue à Danton est superbe, séduisante comme Julien Sorel, mais elle est fausse, pure invention de l’auteur. Le roman, c’est une une des grandes affaires françaises. Ces derniers mois, ce fut pour moi une question obsédante : comment écrire une nouvelle page de notre roman national ? Roman national. C’est dans ma fugace retraite que j’ai saisi la portée de ces mots qui pèsent, écrasants, sur ceux auxquels incombent ma charge.

Il faut pourtant se rendre à l’évidence : le “monde d’après” est une fiction, il n’existe pas. En France plus qu’ailleurs, il a été prédit, promis, désiré ardemment dès le début de cette crise. Il n’aura pas lieu, le miracle de la Résurrection par un virus rédempteur, apparu dans nos vies au moment de la Pâque juive et chrétienne. Je n’ai ni mission à mener, ni mystère à vous conter. Je n’écrirai pas de nouvelle page du roman national. J’y renonce, je m’y refuse : voilà désormais mon devoir envers vous et envers la véri...

Table des matières

• Couverture
• 4ème de couverture
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• Titre
• L’ultime discours