CHAPITRE III
Exploitation des enfants
dans la société indienne
Le patriarcat en Inde
Au cours des siĂšcles, les femmes et leurs progĂ©nitures ont Ă©tĂ© en Inde victimes du patriarcat. Le karma, sanctifiĂ© par lâhindouisme et lĂ©gitimĂ© par Manu, voulait que la femme soit prĂ©disposĂ©e Ă une condition dâesclave, alors que lâhomme Ă©tait comparĂ© Ă un saint, vĂ©nĂ©rĂ© dans cette vie et dans lâautre. DâaprĂšs Manu, un homme peut conquĂ©rir le monde sâil devient pĂšre dâun fils et lâĂ©ternitĂ© sâil devient grand-pĂšre dâun fils, et sâil devient arriĂšre grand-pĂšre dâun fils, il connaĂźtra un bonheur Ă©ternel (Prabhu 242). Le rĂŽle subalterne de la femme saute aux yeux dans le domaine privĂ© et professionnel de toutes les communautĂ©s : elle doit constamment lutter pour affirmer son aspiration Ă lâĂ©galitĂ©. LâInde devient chaque jour plus consciente de la disparitĂ© entre les sexes et entre les castes et ce sera Ă travers lâĂ©ducation et la promulgation de lois que le pays pourra rĂ©soudre les flagrantes inĂ©galitĂ©s que subissent les femmes et leurs filles. Ă cet Ă©gard, Charles Fourier a signalĂ© que lâon peut estimer le niveau dâune civilisation par la position sociale et politique de ses femmes. Si cela est vrai, on ne peut quâespĂ©rer que les femmes puissent retrouver la position qui Ă©tait la leur dans lâInde ancienne, tout comme elle lâĂ©tait dâailleurs dans la Chine ancienne. Les mouvements fĂ©ministes et les nombreuses associations qui dĂ©fendent les droits des femmes comme SEWA se consacrent Ă pourvoir aux besoins et aux exigences de nombreuses femmes Ă travers tout le pays. Ainsi, grĂące aux programmes dâalphabĂ©tisation et dâaide financiĂšre, les femmes rĂ©ussissent Ă amĂ©liorer peu Ă peu leur condition et amĂšnent la prochaine gĂ©nĂ©ration Ă une prise de conscience en crĂ©ant les conditions dâune rĂ©elle amĂ©lioration de leur qualitĂ© de vie.
Il y a diffĂ©rentes thĂ©ories dĂ©crivant la naissance du systĂšme des castes en Inde, toutefois on suppose quâil naquit avec les colonisateurs Aryens Ă la peau claire et aux traits fins de la pĂ©riode vĂ©dique qui, arrivĂ©s aux alentours de 1500 av.J.-C. par le nord de lâInde Ă travers les montagnes de lâHindou Koush, envahirent le pays durant deux siĂšcles ; on prĂ©sume que câest alors quâils formulĂšrent la thĂ©orie des Varna. Ces conquĂ©rants aryens parlant le sanskrit venaient du sud de lâEurope ou du nord de lâAsie ; dâaprĂšs les VĂ©das, ils Ă©taient agressifs et protĂ©gĂ©s par des divinitĂ©s comme Agni, le dieu du feu, sacrificiel ou Indra, le dieu de la foudre. Il semble quâils arrivĂšrent en Inde sur des chars tirĂ©s par des chevaux et quâils Ă©crasĂšrent les peuplades indigĂšnes appelĂ©es, Ă cause de leur peau sombre, dasa ou dasyus dans les VĂ©das et dans le Manusmrti. Les Aryens soumirent ces populations appartenant aux sociĂ©tĂ©s dravidiennes antĂ©rieures de la vallĂ©e de lâIndus et du Punjab et Ă©tendirent leurs conquĂȘtes jusquâaux plaines de Delhi. DĂšs lors, ces dasa primitifs Ă la peau foncĂ©e et au nez Ă©patĂ© furent rĂ©duits en esclavage ou asservis, Ă moins quâils ne rĂ©ussissent Ă fuir dans les montagnes ou dans la jungle, en tous cas vers le sud.
Bien vite, les conquĂ©rants vĂ©diques semi-nomades constituĂšrent la structure de ce nouveau monde quâils avaient occupĂ© dans le but de renforcer leur domination liĂ©e Ă la puretĂ© de leur race pour la perpĂ©tuer. Le systĂšme des castes quâils avaient mis en place sâaccordait parfaitement avec leur religion, car la thĂ©orie des Varna Ă©tait partie intĂ©grante des textes vĂ©diques. DâaprĂšs le Purusha Sukta, lâun des derniers hymnes du Rig VĂ©da, aprĂšs le sacrifice de Purusa accompli par les dieux, câest des diffĂ©rentes parties de son corps que proviennent les quatre varnas : les Brahmanes de ses mille tĂȘtes, les Kshatriyas de ses bras, les Varshyas de ses cuisses, et les Sudras de ses pieds ; la hiĂ©rarchie des castes Ă©tant dĂ©terminĂ©e par lâordre dĂ©croissant des organes. De la mĂȘme maniĂšre, les chants vĂ©diques trouvent leur origine dans son sacrifice.
La sociĂ©tĂ© indienne a Ă©voluĂ©, fragmentĂ©e en quatre groupes hiĂ©rarchiques : dâabord les Brahmanes, des religieux et des savants, suivis par les Kshatriyas, des guerriers, des nobles et des politiciens ; puis, il y a les Varshyas, des paysans et des marchands et enfin, tout au bas de lâĂ©chelle, les Shudras, des serviteurs rĂ©tribuĂ©s, qui Ă©taient jadis des agriculteurs, des Ă©leveurs ou des artisans dont le premier devoir Ă©tait de servir les castes supĂ©rieures qui ne reprĂ©sentaient alors, comme de nos jours dâailleurs, que 15 % de la population. Ces quatre varnas Ă©taient nommĂ©s savarna. Les Intouchables par contre, appelĂ©s avarna ce qui signifie sans caste, restaient en-dehors du systĂšme : on les jugeait impurs, exerçant des mĂ©tiers polluants ; ils Ă©taient chargĂ©s de la crĂ©mation ou de lâentretien des latrines, ou bien câĂ©taient des porteurs de cadavres, des Ă©boueurs, des cordonniers ou des balayeurs de rue.
Les membres des trois plus hautes castes se nommaient aussi des dvijas ou « deux-fois-nĂ©s ». Un jeune membre de ces castes, Ă lâĂąge de huit, onze ou douze ans, renaĂźt, mais spirituellement ; on lui remet le fil sacrĂ© et on lâinitie aux mystĂšres de lâhindouisme ; il aura alors accĂšs Ă lâĂ©tude des VĂ©das et des autres textes sacrĂ©s.
Les femmes, quelle que soit leur caste, tout comme les Shudras et les Intouchables, restent des âune-fois-nĂ©esâ ; selon la tradition, elles nâauront accĂšs ni aux textes sacrĂ©s ni aux accessoires liĂ©s Ă la religion. Elles nâavaient autrefois mĂȘme pas la possibilitĂ© dâespĂ©rer une meilleure condition aprĂšs la rĂ©incarnation. Car dâaprĂšs Manu :
XI. 36-37. Une femme nâest pas autorisĂ©e Ă accomplir les oblations prescrites par les VĂ©das. Si elle le fait, elle ira en enfer.
Lâhindouisme a toujours considĂ©rĂ© les femmes moins pures que les hommes tout simplement parce que lâidĂ©e de souillure a toujours Ă©tĂ© liĂ©e aux menstruations, Ă lâaccouchement et dâune certaine maniĂšre aussi au veuvage. Toutefois, dans les castes les plus basses, il nây a jamais eu vraiment de distinction entre puretĂ© et impuretĂ©, les femmes Ă©tant forcĂ©es de travailler pour gagner leur vie, contrairement aux femmes des castes les plus hautes. Quâelles travaillent dans les champs, comme sage-femmes, comme femmes de mĂ©nage, ou dans des lieux de traitement des ordures pour ne citer que quelques exemples, on considĂšre quâelles sont plus exposĂ©es Ă la pollution.
Autrefois, avant les lois de Manu, non seulement les femmes pouvaient choisir leur mari et si elles Ă©taient veuves elles pouvaient se remarier, mais en plus elles Ă©taient profondĂ©ment respectĂ©es dans la sociĂ©tĂ©. On a vu Ă travers les Shranta Sutras que les femmes, tout comme les hommes, rĂ©pĂ©taient les mantras des VĂ©das et quâon leur enseignait comment les lire. Elles frĂ©quentaient les Ă©coles, finissant mĂȘme parfois Ă enseigner les VĂ©das Ă leurs Ă©lĂšves filles. On apprĂ©ciait leur aptitude Ă dĂ©battre avec lâautre sexe sur tous les sujets, y compris la religion, la philosophie ou la mĂ©taphysique. Ambedkar, le cĂ©lĂšbre leader des Intouchables, estimait que ces lois qui neutralisaient les femmes et les Sudras leur avaient Ă©tĂ© imposĂ©es car il sâagissait des deux principaux groupes qui, Ă lâĂ©poque de la domination aryenne, cherchaient refuge dans la foi bouddhiste et il fallait donc les contrĂŽler car ils menaçaient la religion brahmanique.
Si lâon Ă©tudie de plus prĂšs les lois du ManuSmriti, on comprend mieux dans quelle mesure les femmes Ă tout Ăąge ont Ă©tĂ© dĂ©valorisĂ©es et doivent lutter pour obtenir Ă nouveau respect et paritĂ©. Câest chez les Intouchables et les Sudras quâelles sont le plus vulnĂ©rables, se trouvant au bas de lâĂ©chelle sociale, Ă©conomique et religieuse. DâaprĂšs les lois :
II. 213. Il est dans la nature du sexe fĂ©minin de chercher ici-bas Ă corrompre les hommes, et câest pour cette raison que les sages ne sâabandonnent jamais aux sĂ©ductions des femmes.
II. 214. En effet une femme peut en ce monde Ă©carter du droit chemin, non seulement lâinsensĂ©, mais aussi lâhomme pourvu dâexpĂ©rience et le soumettre au joug de lâamour et de la passion.
En un mot, Manu a dĂ©crit les femmes comme des tentatrices diaboliques et sĂ©ductrices ayant une influence nĂ©faste sur les hommes. Il faut donc les tenir en captivitĂ© et les priver de toute autonomie. En plus dâĂȘtre asservies Ă leur pĂšre, leur mari ou leurs fils, Manu a ajoutĂ© que :
V. 147. Une petite fille, une jeune femme, une femme avancĂ©e en Ăąge ne doivent rien faire suivant leur propre volontĂ©, mĂȘme dans leur maison.
V. 149. Pendant son enfance, une femme doit dĂ©pendre de son pĂšre et pendant sa jeunesse, de son mari ; son mari Ă©tant mort, elle dĂ©pendra de ses fils ; si elle nâa pas de fils, des proches parents de son mari, ou, Ă dĂ©faut, de ceux de son pĂšre ; si elle nâa pas de parents paternels, du souverain ; une femme ne doit jamais se gouverner Ă sa guise.
De plus, les femmes nâavaient pas le droit de divorcer.
Selon Manu, une femme Ă©tait en fait une appendice de lâhomme, câest-Ă -dire totalement contrĂŽlĂ©e par lui. Ă propos du divorce, il faut prĂ©ciser quâun homme mariĂ© continuait dâĂȘtre libre, ce nâest que la femme qui Ă©tait liĂ©e Ă son mari, devenant Ă tous les effets lâesclave de son mari.
IX. 46. Une femme ne peut ĂȘtre affranchie de lâautoritĂ© de son Ă©poux, ni par vente, ni par abandon [âŠ]
Comme elle appartenait Ă son Ă©poux, que celui-ci la rĂ©pudie ou la vende, elle restait liĂ©e Ă lui pour toujours et ne pouvait jamais, dâaprĂšs la loi, devenir la femme lĂ©gitime dâun autre homme mĂȘme sâil lâavait achetĂ©e. Selon le ManuSmriti, une Ă©pouse devenait une esclave Ă tous les effets :
VIII. 416. Une Ă©pouse, un fils et un esclave sont dĂ©clarĂ©s par la loi ne rien possĂ©der par eux-mĂȘmes ; tout ce quâils peuvent acquĂ©rir, est la propriĂ©tĂ© de celui dont ils dĂ©pendent.
DâaprĂšs le ManuSmriti, le mari Ă©tait mĂȘme autorisĂ© Ă battre sa femme :
VIII. 298. Une femme, un fils, un domestique, un Ă©lĂšve, un frĂšre du mĂȘme lit, mais plus jeune, peuvent ĂȘtre chĂątiĂ©s, lorsquâils commettent quelque faute avec une corde ou une tige de bambou.
Pour conclure, Manu a enfermĂ© les femmes, surtout celles des castes les plus basses dans un systĂšme patriarcal sanctionnĂ© par la religion dans lequel lâĂ©poux, souvent bigame, Ă©tait son Dieu :
V. 154. MĂȘme si la conduite de son Ă©poux est blĂąmable et quâil se livre Ă dâautres amours, mĂȘme sâil est dĂ©pourvu de qualitĂ©s, une femme vertueuse doit constamment le rĂ©vĂ©rer comme un Dieu.
Des siÚcles plus tard, les femmes en Inde, surtout celles des castes les plus basses, luttent sans relùche pour se libérer des entraves de Manu.
Cette admiration forcĂ©e pour les hommes, entĂ©rinĂ©e dĂšs lâĂ©poque de Manu, apparaĂźt aussi dans certaines coutumes religieuses des Dalits. Par exemple, les femmes mariĂ©es de la communautĂ© des mahars, lâune des castes les plus basses, doivent jeĂ»ner deux fois par an pour assurer le salut de leur Ă©poux ; elles cĂ©lĂšbrent leVat Savitri vers le mois de mai ou de juin en faisant sept fois le tour dâun bananier, arbre de culte, avec un cordon sacrĂ© âbĂ©nissant sept fois la chance dâĂȘtre mariĂ©e avec le mĂȘme mariâ.
Un article paru en 2010 dans lâEconomist se rĂ©fĂ©rait Ă la prĂ©dominance masculine de la population comme Ă©tant le rĂ©sultat dâun âfĂ©minicide dĂ» aux avortements des bĂ©bĂ©s de sexe fĂ©minin. Les motifs sont purement Ă©conomiques : non seulement les salaires des hommes sont supĂ©rieurs Ă ceux des femmes mais en plus, ni lâInde ni la Chine nâont de plan de retraite universelle et câest aux fils de pourvoir aux besoins de leurs vieux parents. Ils hĂ©ritaient en fait les affaires et la fortune de la famille. Autrefois, seules les familles de sang royal observaient les rĂšgles de primogĂ©niture et, dans le reste de la sociĂ©tĂ©, les fils se partageaient lâhĂ©ritage Ă part Ă©gale. Bien que de nos jours, tout comme en Chine, les filles aient droit Ă lâhĂ©ritage, il leur faut souvent bien du courage pour dĂ©fendre leurs droits auprĂšs des tribunaux. Il y a une vingtaine dâannĂ©es le prix dâune Ă©pouse fut substituĂ© par la dot : les femmes reprĂ©sentĂšrent alors un fardeau financier vu quâelles signifiaient une dot et les frais dâun mariage, payĂ© en gĂ©nĂ©ral par leurs parents. Toutes proportions gardĂ©es, on sâattend souvent Ă une dot assez substantielle : dans les hautes classes plus riches et cultivĂ©es, les parents sont supposĂ©s acheter une affaire ou un appartement parfois mĂȘme une voiture au futur mariĂ©. Dans les castes les plus basses, plus pauvres et peu instruites, les parents peuvent par exemple donner une contribution pour lâinstruction du futur Ă©poux ou bien offrir des bijoux ou du bĂ©tail. Pendant ce temps-lĂ , la jeune fille vit avec sa future belle-famille et nâaide pas ses parents. On a pu compter Ă Delhi, entre lâan 2000 et 2005 jusquâĂ soixante-six âdĂ©cĂšs de dotâ : lâĂ©pouse Ă©tait assassinĂ©e par sa belle-famille qui estimait sa dot insuffisante. Ces âdĂ©cĂšs de dotâ sont plus frĂ©quents dans les hautes castes et on observe par contre de nombreux suicides ou de nombreuses tentatives de suicide chez les futures Ă©pouses Harijan. Souvent, ces jeunes mariĂ©es sâaspergent de kerosĂšne et mettent le feu. Lorsquâon les emmĂšne Ă lâhĂŽpital, elles dĂ©clarent en gĂ©nĂ©ral que leurs brĂ»lures sont le rĂ©sultat dâun accident domestique. Quoique trĂšs nombreux, ces dĂ©cĂšs ne sont en gĂ©nĂ©ral pas enregistrĂ©s.
Vu lâaugmentation des avortements fĂ©minins, le gouvernement a approuvĂ© en 1994, la loi PSPNDT (Pre-Natal Diagnostic Techniques Act) visant Ă interdire les tests Ă ultrasons Ă huit dollars permettant de connaĂźtre ...