Un goût d'Europe

Journal d'une députée européenne

Janelly Fourtou

• Éditeur: Fauves editions
• Année: 2019
• ISBN de l'eBook: 9791030217186
• Sujet: Sciences sociales
• Sujet: Dissertations en sociologie

Janelly Fourtou retrace pour nous le quotidien d'un député européen au féminin. Avec humour et sensibilité, elle décrit ses dix années de mandat, marquées par un réel sens de l'engagement: un parcours d'abord initiatique, avec ses codes, mais aussi les nombreux voyages et la découverte de lieux extraordinaires – dont l'imposant Parlement de Bruxelles –, sans oublier les rencontres avec ses confrères d'horizons si différents.

PREMIER MANDAT

PREMIÈRE PARTIE

Du 5 au 9 juillet 1999

Ce PPE mystérieux, appelé aussi « le Groupe » sur les imprimés du règlement intérieur que l’on nous avait distribués, organisait une semaine de réflexion à Malaga avant notre intronisation et notre prise de fonction à Strasbourg.

Avec le bulletin d’inscription à cette session, j’avais reçu un flot de papiers dont je n’ai pas compris grand-chose, je n’étais au fait ni du vocabulaire ni du style eurocrate.

Notamment, ce passage m’avait laissée dubitative :

« Suivant les commissions, les groupes se réunissent sous la responsabilité des coordinateurs pour préparer la réunion du Groupe qui prendra position pour la plénière. »

J’étais très excitée de partir seule pour la Costa del Sol, qui plus est, pour raison professionnelle, c’était un total changement de statut pour moi, je l’ai ressenti comme une promotion.

Dans l’avion, j’ai retrouvé le général Morillon. À Malaga, j’ai pris un taxi avec André Fourçans, économiste et auteur prolifique qui faisait toujours parvenir un exemplaire dédicacé de ses ouvrages à Jean-René. André Fourçans, élu au Parlement européen en 1994, n’avait pas été repris sur une liste et s’avouait très déçu de cette éviction.

L’hôtel sur la plage était superbe ‒ pas ma chambre dont la fenêtre donnait sur un mur aveugle ‒, un cinq étoiles exclusivement occupé par le PPE et organisé en « palais des congrès » avec salle de presse, secrétariats, débauche d’ordinateurs, de photocopieuses, de fax, de téléphones. Une très grande salle avait été équipée pour nos réunions ; une estrade faisait face à des rangées de sièges disposés un peu comme dans un Boeing 747 : un large bloc central, deux allées et deux blocs plus étroits, en tout quelque 600 chaises et tables. Au matin de la première réunion, à l’entrée de la salle, un appariteur m’a demandé mon nom, il a farfouillé dans une boîte, genre boîte à chaussures, en a sorti un carton Janelly FOURTOU, m’a fait signer une liste de présence, m’a mis dans les mains plusieurs documents et est passé à quelqu’un d’autre. Il était 8 h 45 nous étions convoqués à 9 heures et la salle était encore pratiquement vide. Le général Morillon était déjà installé à un bout de rang, notre ponctualité nous a rapprochés, j’ai mis mon carton à côté du sien.

Sur ma table, il y avait un stylo, un micro et des écouteurs.

Le long du panneau du fond et le long des baies vitrées qui donnaient sur la mer, on avait monté onze box pour les interprètes qui commençaient à arriver.

En un aimable chahut, la salle s’est peu à peu remplie. J’ai cru comprendre que nous étions mélangés : actuels députés et députés nouvellement élus, les premiers étant à l’aise, les autres moins. C’était très difficile de définir en quelle langue on se parlait, car le brouhaha était le fait de multiples apports ; anglais, allemand, français, espagnol, italien, pour ce que j’en pouvais saisir. Cette dispersion n’avait l’air de gêner personne et me donnait à moi l’impression d’une certaine ivresse.

Le fond de la salle était occupé par la Presse et par une population que j’avais du mal à identifier : assistants, secrétariat, comité des régions ? J’avais le même problème quant aux personnalités sur l’estrade ; ils étaient huit, président, vice-président, secrétaire général, secrétaire…

Tout avait l’air parfaitement rôdé. Le président, après une courte allocution de bienvenue, a embrayé sur le sujet annoncé à l’ordre du jour et, tandis qu’il parlait, certains levaient la main ou faisaient un signe, un peu comme dans une salle des ventes. Le voisin du président opinait et notait sur une liste les noms pour que la parole soit donnée aux intervenants suivant l’ordre de leur inscription.

J’avais quelques difficultés avec mes écouteurs, je ne connaissais rien du sujet traité, mais il m’a tout de même semblé que les interventions étaient quelque peu redondantes.

De toute façon, je n’étais pas très concentrée, essayant de suivre plusieurs choses à la fois, par exemple les allées et venues d’une belle femme, sanglée dans un tailleur à la veste blanche impeccable, qui se levait du premier rang où elle était assise, traversait ostensiblement la salle, sortait, rentrait quelques minutes plus tard pour recommencer son manège avec une régularité troublante. C’est bien après que j’ai saisi le sens de son comportement. Cette dame était une députée luxembourgeoise, Viviane Reding, en pleine tractation téléphonique pour l’obtention d’un poste de commissaire dans la future Commission. En fait, il y avait deux niveaux de spectacle : celui du devant de la scène que tout le monde pouvait plus ou moins directement appréhender et celui backstage où se préparaient les nombreuses échéances électorales qui nous attendaient : d’abord le renouvellement du président et du bureau du PPE, puis l’élection du président du Parlement, la désignation des membres de la Commission, la constitution des commissions parlementaires… ce dont les nouveaux arrivants n’avaient aucunement conscience.

Au cours de cette semaine d’initiation, je me souviens d’un événement qui m’a particulièrement marquée, c’était une sorte de remise de diplôme aux sortants. L’exercice était d’autant plus cruel qu’aucun départ n’était volontaire et que les récipiendaires affrontaient malgré eux un ultime test de popularité en traversant la salle pour recevoir leur médaille des mains du président, accompagnés soit d’applaudissements chaleureux soit d’une indifférence tout juste polie.

Entre les réunions, nous nous échappions cinq minutes à la plage ou à la piscine, mais soit parce que l’on se méfiait de la Presse, soit que l’esprit du devoir fut particulièrement puissant l’ambiance générale était plutôt laborieuse. De toute façon, je ne savais quoi faire de moi pendant ces « breaks » où mes collègues UDF se retrouvaient entre eux, me laissant à leur périphérie. Eux-mêmes avaient opté pour une fière marginalisation en refusant toutes les invitations du Groupe au profit des bistrots environnants ‒ « on va pas se faire… » ‒ avaient-ils décrété dès le premier soir.

Ils ont tout de même honoré de leur présence le dîner de clôture organisé en plein air. Il faisait beau et chaud, des dizaines de tables décorées de bougies occupaient tout le jardin descendant vers la mer. Illuminations, sono, attractions.

Les convives s’étaient regroupés par affinités, mais surtout par nationalité. Je n’ai pas été assez rapide pour trouver une place à la table des « miens », le général non plus, que je retrouvai errant, en compagnie d’un longiligne et distingué collègue blond qu’il me présenta avec enthousiasme : « Ari Vatanen. » L’ex-champion du monde de rallye, finlandais domicilié à Monaco, exploitant agricole à Apt, élu sur une liste française, était aussi perdu que nous. Nous no...

Table des matières

• Couverture
• 4ème de couverture
• Copyright
• Titre
• Dédicace
• PROLOGUE
• PREMIER MANDAT
• SECOND MANDAT
• ÉPILOGUE
• ANNEXES
• Table