Le Premier Réalisme néocolonial
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Le Premier Réalisme néocolonial

Critique littéraire 1970-1979 - Du rire romanesque en Afrique Noire

  1. 561 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Le Premier Réalisme néocolonial

Critique littéraire 1970-1979 - Du rire romanesque en Afrique Noire

À propos de ce livre

La fin des années 1960 est marquée par la disparition de la grande figure tutélaire gaullienne. Lui succéderont des financiers relativement poètes ou speculateurs, laissant filer les universalismes noirs et tricolores vers des rivages davantage encore ouverts au pillage des biens culturels et des cerveaux, d'un continent noir de plus en plus dépossédé de sa réalité et de sa fiction.

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Informations

Année
2020
ISBN de l'eBook
9791030907537

III
Critiques postcoloniales

1974


1. Louis-Jean Calvet et les dérives langagières

La même année, si l’on considère sa première édition, Louis-Jean Calvet insiste sur la dimension linguistique du phénomène colonial383, en remettant donc au centre des débats littéraires la question de l’origine, épouvantail des études diasporiques et métissées montantes. Les « ancêtres les Gaulois » des Africains pourraient bien avoir leurs prédécesseurs dans les Germains de la Renaissance, auxquels il fallut furieusement opposer les gréco-latins du Collège de France et de la Pléiade. Senghor fait d’ailleurs ses choux gras de cette concurrence des étymologies, lorsqu’il revendique esprit celte et humour franc, si ce n’est l’inverse, comme caractéristique de l’amalgame français, dont il se réclame en tant que descendant des Grecs, mais aussi comme ascendant des Égyptiens avant eux. Pas si éloigné que cela de son collègue universitaire C.A. Diop sur la perméabilité des cultures, le président-poète sourit certainement pendant son discours de réception à l’académie immortelle, devant le Mitterrand des anciennes colonies, qui n’est pas le Pompidou des nouvelles. Entre Nivernais et Normand d’adoption, toutes les ficelles de l’assimilation semblent apparaître dans leur plus simple appareil, celui de la mise à nu du « récit national », en général fondé sur des opérations extérieures dont on ne parle pas. Il ne faut surtout pas en rire, ni même en sourire, comme dit le linguiste de ces errances géostratégiques par les mots384, qui cachent ou révèlent derrière leurs mythologie la réalité d’un cannibalisme universel, celui des langues dominées par celles des Dominants, sans qu’il y ait de rencontre, de négociation ou d’hybridation équilibrée possible. Adossée à une analyse des dispositifs législatifs du parti colonial français, lui aussi rebaptisé avec la Conférence de Brazzaville, puis au centralisme planifié de la Ve République, qui prépare les autonomies concédées à Paris, ce vampirisme systématique peut, au mieux, accepter un enrichissement exotique de la langue centrale ainsi que l’arrivée d’une nouvelle bibliothèque néocoloniale distincte des littératures « de souche », et qu’il faut tout faire pour paraître la considérer comme une égale statutaire. D’où l’invention de la Francophonie, un ensemble agrégé mais distinct, où le comparatisme vit en milieu clos, avec abolition des frontières politiques et absence de codage Dewey pour chaque littérature nationale, dans une impression égalitariste, alors qu’il est géré de l’extérieur par l’édition métropolitaine, essentiellement londonienne et parisienne. De la monnaie littéraire dévaluée à l’effigie de chaque nation, certes, mais sous le même sigle, imprimée au pays des Arvernes, et estampillée par une langue revendiquée pour des raisons personnelles ou universelles, pourvu que l’empire tienne. Si des tentatives d’évasion de ce système se font jour sous prétexte d’âme noire, d’unité de destin ou de spécificité des langues et des logiques africaines, il est toujours temps de les racheter par des postes diplomatiques, des prix littéraires ou des rééditions dans des collections mettant en valeur ceux qui passent sous les fourches caudines de la langue de Césaire.
C’est donc avec la plus grande diplomatie qu’il faut accepter ce qui constituait des « sous-langages » pendant les colonies, comme des langues à part entière juste après, et là encore L.-J. Calvet insiste sur l’interdiction de sourire385, en tout cas pour lui qui tient chaque système de parole comme égal à un autre. C’est que l’opinion générale, à la fois lectorat potentiel et joyeuse contribuable, n’est pas sur cette longueur d’onde scientifique impartiale, elle est traversée des vieux courants discriminatoires et refuse de considérer tous ces « petits français » comme des améliorations indiscutables du « petit nègre » fondamental, avec ses propres racismes interne et externe, contre les autres nations nègres et contre les Européens, clivages dont ne pourraient sortir que les doux dingues de l’universalisme culturel. On voit que les propos du linguiste sont plus statutaires que littéraires, venant compléter les chapitres de contextualisation des analyses thématiques que l’on trouve à leur suite chez un Mouralis, une Kesteloot ou un Chevrier, et débarrassés des problématiques infinies sur le rapport réalisme-engagement-mythologie qui ne trouvent grâce aux yeux du Glottophage que lorsqu’elles renvoient à des questions de relation de dépendance tangibles. Son axe est celui de la sociolinguistique des langues méprisées, que ce soit celles des provinces ou celles des dominions, dans la perspective générale toujours présente d’une histoire continue, celle de l’expansion de l’empire français, de la Royauté à l’Empire, puis sous les différentes « républiques » assises sur la répression sanglante des peuples et de leurs croyances, fondées sur des langages dévalués, assimilés, absorbés. Cette mise au ban dans des banlieues abstraites et concrètes serait alors dissimulée par la promotion de quelques réalisations phares, de certains auteurs-vedettes, certes plus nombreux qu’à l’époque du triumvirat Senghor-Césaire-Monnerville386, mais toujours dans la même logique de la vitrine, devenue tête-de-gondole ou spot publicitaire, destinée à dissimuler la banalité des rayonnages du tout-venant linguistique. D’accord pour voir dans Roland Barthes un écrivain politique contrarié par le formalisme est-européen387, Calvet reprend ses analyses sur l’hypocrisie parisienne inculquée au lecteur moyen par des publications grand-public. Il trouve leur origine théorique dans ces phares du français universel que sont les différents papes de la Négritude poétique, surtout lorsqu’on les forme à devenir les dirigeants politiques de « leurs » peuples Ils seraient tous avides de dépendance, alors que les élites gouvernementales métropolitaines se sont toujours méfiées de cette « francophonie » qui remplirait un jour les rangs de leurs assemblées de représentants colorés trop nombreux, pensaient-ils dans les années du poujadisme revendicatif, bientôt mué en lepénisme haineux.
« On croit rêver, puis on a envie de rire, et pourtant la chose est fort sérieuse, fort sérieusement citée par Auguste Viatte dans un livre consacrée à La Francophonie et tout aussi sérieusement édité par la librairie Larousse. Ainsi, à en croire M. Blancpain388, les foules africaines avides réclament qu’on leur inculque le français. De leur plein gré. Pour édifier leur culture propre, leur civilisation originale. ... Mais nous aurions tort de plaisanter trop longuement sur ce point, car cette conversion d’une oppression entretenue à l’aide de gouvernements locaux à la solde du néocolonialisme, en désir unanime des populations africaines constitue très précisément la clé de voûte de l’idéologie de la francophonie aujourd’hui389. »
Si l’on pouvait encore rapprocher cette vision d’un certain pragmatisme sociologique, éditorial chez Chevrier, statutaire chez Mouralis, politique chez Kesteloot, cette déclaration met à bas toutes les mythologies qui les complètent respectivement chez ces trois coopérants, soit celle de la tradition, de l’intertextualité, et de l’engagement, relevant finalement toutes de la thématique du déchirement face à une Négritude mal utilisée. Mais pas chez notre sociologue, avec souvent les accents d’un Wauthier ou d’un Bayart, cherchant l’origine des questions plutôt que des réponses qui remettent les libérations réelles et imaginaires à plus tard, c’est-à-dire, en Afrique, à jamais, c’est du moins ce qu’ont révélé cinquante années de néolibéralisme expérimental. Celui-ci fait aujourd’hui retour, un siècle après la naissance virtuelle du roman nègre, dans les néoconservatismes septentrionaux, glottoet publicophages de leurs propres populations, ce qui renforce la thèse d’un colonialisme généralisé qui serait la nôtre, et pas seulement celle des néocolonisés plus ou moins métissés des grandes métropoles et de leurs nouvelles colonies riches, ironiques à côté des bas-fonds pour la « racaille » chère à un président qui s’est également illustré à Dakar, face aux intellectuels descendants de cette paysannerie noire « jamais entrée dans l’histoire ». On croyait rêver, comme disait Calvet en pensant « cauchemarder », devant tant de velléité à faire scandale, le buzz en Afrique et en Europe « en même temps » — au sens temporel de cette expression, ou peut-être causal — mais avec les mêmes relents pétainistes « décomplexés ». C’est de ce régime de Vichy, rayé de l’histoire de France, à la fois nationaliste et vendu aux intérêts allemands, que sortiront, pour le linguiste politique, certaines tendances régionalistes, en particulier bretonnes390, qui seront traitées par le mitterrandisme victorieux comme les langues africaines par les missionnaires en Afrique : la langue locale à l’église et à la maison, le français à l’école, dans le domaine républicain laïciste s’entend. Ce vampirisme qui isole puis digère sera appliqué de la même manière aux Bamilékés camerounais en révolte, aux artistes de l’art dit contemporain ou aux derniers Communistes à phagocyter plus lentement que sous un Maccarthysme violent, peu adapté aux réalités néocoloniales tricolores, sauf peut-être pour les révolutionnaires du Grassland, qui n’échapperont pas longtemps au napalm du gouverneur Pierre Messmer, déjà grand défenseur de la francophonie classique.
C’est ce classicisme, alliance entre Richelieu et Vaugelas en leur temps, qui donnera sa raison d’être à la satire, mais sans la langue des charretiers que l’on reproche à Malherbe de trop la connaître, comme les éditions françaises feindront plus tard de s’acoquiner avec les pidgins uniquement parce qu’ils se vendent.
« On lui reproche [à Malherbe, nda] de faire référence au peuple, alors que cette référence est toute poujadiste : il y trouve une preuve par l’absurde de la justesse de ses positions, comme un Picard qui irait aujourd’hui reprocher à Barthes son vocabulaire, sous prétexte que les Forts des Halles ne le comprennent pas391. »
La logique semble comparable, mais inversée, pour ce qui est de la littérature africaine : comment oublier qu’aucun Africain, même érudit, ne parle comme un auteur français, même régionalisé, sinon parce que l’on ne veut pas que son langage reflète au mieux sa pensée, qui ne peut d’ailleurs exister en tant que telle, puisque le bon sens est ce qui se partage le mieux entre gens de bonne compagnie, s’entend. Certes l’audience d’un romancier noir sous sa dictature est plus large que celle d’un Précieux sous son absolutisme, et il serait également moins disposé à reconnaître et à décrire de manière réaliste l’atmosphère de cour régnant dans les palais tropicaux. Mais il y a toujours ce vieux reste de philosophie raciste à la Gobineau, que l’on a reproché du bout des dents au grand Senghor, et qui s’appuie selon Calvet sur le comparatisme linguistique des stades et de la dégénérescence des ethnies, allié à l’évolutionnisme darwinien caricaturé en loi du plus fort libérale392, elle-même renforcée par les lois de Mendel sur l’hérédité. Réduites à deux couples simplistes, ces avancées donnent des conservatismes plus virulents, qui opposent successivement vainqueurs romains du sud et...

Table des matières

  1. Introduction La casuistique africaine, ou de l’impossibilité de rire dans les ténèbres.
  2. I Les Derniers de la Négritude impériale
  3. II Vers une critique moderniste
  4. III Critiques postcoloniales
  5. Conclusion Les rires noirs noirs ?
  6. Bibliographie
  7. Table des matières