
eBook - ePub
L'intelligence des invisibles
Vivre avec les esprits : Kazakhstan, Ladakh
- 358 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
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Ă propos de ce livre
Tulös est une bergÚre kazakhe que j'ai connue en 1993. Dans les pùturages, cette ancienne voisine de yourte est l'objet de plaisanteries en raison de son comportement décalé et de sa coquetterie. Avec le temps, elle se met à divaguer et finit par délaisser son foyer. Au printemps2010, je la retrouve alors qu'elle poursuit une initiation. Elle est aujourd'hui baqsi, c'est-à -dire chaman soufi.
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Informations
Sujet
Sciences socialesSujet
Anthropologie1.
RENCONTRE
ET EMPREINTE PRIMORDIALES
Nous ne pouvons vivre que dans lâentrouvert, exactement sur la ligne hermĂ©tique de partage de lâombre et de la lumiĂšre.
Mais nous sommes irrĂ©sistiblement jetĂ©s en avant. Toute notre personne prĂȘte aide et vertige Ă cette poussĂ©e. RenĂ© Char, Dans la marche1.
Initiation
Durant lâĂ©tĂ© 1995, je rejoins Kuat2 dans son village natal, prĂšs de la ville de Taldikorgan au Kazakhstan. Il insiste pour que je rencontre son arriĂšre-grand-pĂšre, Mireke ou Baranaly Koilebai Baqsi, trĂšs respectĂ© et reconnu comme puissant3, mort il y a bien des annĂ©es. La proposition de se rendre au cimetiĂšre me paraĂźt Ă©trange, car, a priori, au Kazakhstan, ce genre de lieu est Ă©vitĂ©. MalgrĂ© tout, certains se rendent sur cette tombe, car lâancien baqsi y semble encore en activitĂ©. Je note alors dans mon carnet de terrain : « Lâendroit est⊠jâai du mal Ă trouver des mots, non pas hantĂ©, mais habitĂ© » (14 aoĂ»t 1995). Nous arrivons Ă la porte du cimetiĂšre et les cinq personnes qui nous accompagnent refusent, par crainte, dâaller plus loin. Une forte odeur de sol chaud et dâherbes sĂšches nous envahit. Jâavance avec Kuat et, au moment oĂč nous nous trouvons devant la sĂ©pulture, une petite tornade de sable et de terre sâĂ©lĂšve violemment. Kuat dit alors : « Mon arriĂšregrand-pĂšre te salue. » Je rĂ©ponds Ă ce salut, un peu interloquĂ©e. Nous prenons chacun une poignĂ©e de terre que nous jetons sur le monticule de la tombe, comme il est de coutume en ces circonstances. Puis nous rentrons Ă la maison et la mĂšre de Kuat raconte que cet homme, son grand-pĂšre, lâa sauvĂ©e Ă la naissance et quâelle a passĂ© les quatre premiĂšres annĂ©es de sa vie « dans sa chemise ». Elle a vĂ©cu quatorze ans auprĂšs de lui, puis il sâest levĂ© un jour, est sorti de la maison et sâest effondrĂ©. Elle ajoute : « Je ne peux pas me rendre au cimetiĂšre sans me sentir tirĂ©e par la manche dans sa tombe. »
Durant mes diffĂ©rents sĂ©jours, jâai recueilli Ă maintes reprises les souvenirs de personnes qui doivent la vie sauve Ă un aĂźnĂ© lors de leur naissance. Il est remarquable et rĂ©current dans ces narrations que le contact avec le corps ou un vĂȘtement de lâaĂŻeul permette Ă lâenfant de se dĂ©velopper durant ses premiĂšres annĂ©es. Ici, lâintensitĂ© des aptitudes de lâarriĂšre-grand-pĂšre ne fait aucun doute pour lâensemble des interlocuteurs. Le tourbillon est immĂ©diatement interprĂ©tĂ© par Kuat et par dâautres comme un signe incontestable des contingences qui perdurent au-delĂ de la mort, dâune prĂ©sence indĂ©niable qui tend Ă se manifester dans certaines circonstances. Cette visite au cimetiĂšre sâinscrit dans un long processus entamĂ© un an plus tĂŽt, lors de ma premiĂšre rencontre avec Kuat baqsi.
Quoi dâĂ©tonnant, dans un univers empreint de « chamanisme », Ă ce que cette relation ethnographique dĂ©bute par un rĂȘve ? Nous sommes en mai 1994, la famille de bergers chez qui je vis se trouve en plein processus de sĂ©dentarisation, entre la steppe et le village. Nous sommes au village, nous dormons dans une mĂȘme piĂšce, comme dans la yourte, et je rĂȘve dâun homme fort, puissant, trĂšs lumineux qui sâapproche inexorablement de moi. Je me sens submergĂ©e, prends peur et hurle. Ce qui a aussitĂŽt pour effet de rĂ©veiller toute la maisonnĂ©e. Je suis sommĂ©e de raconter immĂ©diatement mon rĂȘve, chacun se regarde alors dâun air entendu et se rendort. Je reste seule Ă©veillĂ©e, mâinterrogeant sur la sĂ©quence qui vient dâavoir lieu. Le lendemain matin, un voisin de yourte apparaĂźt en signalant la prĂ©sence dâun baqsi dans le bourg dâEssik4. Je pars Ă sa recherche sur-le-champ. De maison en maison, dâun village Ă lâautre, trois jours sâĂ©coulent avant que je nâaboutisse au pied dâun immeuble soviĂ©tique dâun quartier dâEssik. Les sons dâun tambour qui rĂ©sonnent dans les escaliers me conduisent devant une porte au troisiĂšme Ă©tage. Jâattends la fin de la mĂ©lodie pour frapper. AprĂšs plusieurs minutes, une jeune femme voilĂ©e et un jeune homme, tous deux vĂȘtus de blanc, ouvrent la porte. Ils me demandent ce que je veux, me disent dâattendre, referment et reviennent en rĂ©clamant mon passeport. Ils se saisissent de ce dernier et claquent la porte sans mot dire. Le tambour reprend. Me voilĂ assise sur les escaliers en bĂ©ton dâun immeuble qui fait des efforts pour ne pas sâĂ©crouler, mon passeport confisquĂ©, et contrainte Ă une longue attente. Plus dâune heure aprĂšs, la jeune femme rĂ©apparaĂźt, souriante, me rend mon passeport et mâinvite Ă entrer. Dans la piĂšce au fond de lâappartement se trouve Kuat, que je reconnais comme lâhomme de mon rĂȘve. Il mâaccueille, prend mon pouls suivant une technique empruntĂ©e Ă la mĂ©decine chinoise (pouls des organes : foie, cĆur, poumons) et, en une longue litanie, raconte ma vie et me fait cette proposition : « Je dois me rendre dans un village proche, suis-moi, jâai beaucoup Ă te transmettre. »
En ce mois de mai 1994, je saisis cette opportunitĂ© dâenrichir ma recherche et rejoins Kuat au village de Köktibie, au pied de la montagne, non loin dâEssik, dans la province dâAlmaty. Des villageois ont fait appel Ă un baqsi, car, dĂ©clarent-ils, leur maison est hantĂ©e. Du grenier viennent tous les soirs des sons de galop de chevaux qui effraient les hĂŽtes et les empĂȘchent de se reposer. Sachant quâun baqsi sâinstalle dans une maison du village, trĂšs vite, dâautres villageois viennent consulter, puis dâautres personnes encore qui arrivent de plus loin. En quelques jours se forme autour de Kuat une communautĂ© kazakhstanaise, câest-Ă -dire pluriethnique (Kazakhs, Russes, Turcs). Des femmes et des enfants se prĂ©sentent majoritairement, mais quelques hommes rejoignent aussi le groupe. Parmi cette communautĂ©, ceux qui sont Ă©trangers au village logent sur place, les autres rentrent chez eux le soir. Les axes majeurs de la sociĂ©tĂ© traditionnelle kazakhe (masculin/fĂ©minin, aĂźnĂ©/cadet) sont respectĂ©s dans la rĂ©partition des tĂąches et dans celle des lieux. Les femmes logent toutes dans une mĂȘme piĂšce, les hommes dans une autre. Je dors bien sĂ»r du cĂŽtĂ© des femmes. Quand la communautĂ© devient trop nombreuse, les hommes partent loger dans une autre maison du village. Le temps de ce processus communautaire de rĂ©gulation des dĂ©sordres et de cure, chacun met sa vie courante entre parenthĂšses.
Avant dâentrer dans la logique initiatique elle-mĂȘme, je voudrais souligner toute lâimportance de la prĂ©paration des corps et des personnes. Le processus initiatique engagĂ© ici impose Ă toute la communautĂ© une retraite accompagnĂ©e dâabstinence et de jeĂ»ne. Jour aprĂšs jour, Kuat choisit ce que nous (les participants et moi) pouvons manger ou pas, allant jusquâĂ me mettre lui-mĂȘme la nourriture dans la bouche en exigeant que je mâasseye Ă table systĂ©matiquement Ă sa droite afin de marquer mon statut dâapprentie ou dâinitiĂ©e. Chacun de ses gestes exprime une intentionnalitĂ©, il doit montrer quâil est capable de tenir le rĂŽle de baqsi et il attend de moi que je montre les mĂȘmes qualitĂ©s, mais, bien sĂ»r, dâune façon moins performante que lui. Par son comportement, il signale aussi Ă lâensemble des personnes prĂ©sentes que nous sommes tous sur le mĂȘme bateau, les uns pour trouver des issues Ă leurs difficultĂ©s, les autres pour guĂ©rir, et moi en devenir de baqsi. Je nâai pas recherchĂ© cette position, elle mâest offerte et je dĂ©cide de lâexpĂ©rimenter. Il ne sâagit pas dâun cheminement individuel, mais bien dâun processus qui sâinscrit dans une logique communautaire. Comme nous le verrons plus loin, la mise en Ćuvre collective tend Ă la guĂ©rison et Ă la rĂ©solution de conflits. Cet accomplissement est fondĂ© sur lâacceptation de transformations du rapport au corps, Ă soi et Ă lâautre, qui culminent lors des rites nocturnes. Le but avouĂ© de Kuat est de nous conduire tous ensemble Ă la guĂ©rison, au mieux-ĂȘtre, Ă la transformation de nos vies, en nous apportant une aide mutuelle.
Comme je lâai montrĂ© dans dâautres articles (Vuillemenot, 1998, 2000), rien ne serait possible au centre du cercle rituel sans les participants qui, par la rĂ©pĂ©tition de leurs chants et celle de leurs danses, garantissent lâintĂ©gritĂ© du lieu et celle des ritualisants. Une purification systĂ©matique entame le processus collectif Ă travers un mode de vie particulier, sâĂ©grainant en sĂ©quences rĂ©pĂ©tĂ©es : levĂ© trĂšs tĂŽt (4-5 heures du matin), aprĂšs de premiĂšres ablutions Ă la maniĂšre musulmane (visage, mains, pieds, sexe), un groupe part pour la cueillette de plantes, fleurs et racines dans la montagne, tandis que dâautres restent Ă la maison pour assurer lâintendance ; en fin de cueillette, partage dâun premier thĂ© dans la montagne, prĂ©parĂ© par Kuat, avec du pain, des fruits et des lĂ©gumes ; retour Ă la maison du village, ablutions et accueil de personnes venant consulter ; enfin, ablutions et repas avant le coucher du soleil ; puis, ablutions encore et rite de zikir ou dhikr5 du coucher au lever du soleil. La journĂ©e se termine par deux ou trois heures de repos, les jours se succĂ©dant ainsi. La rĂ©pĂ©tition, le rythme de travail et le manque de sommeil concourent inĂ©vitablement Ă nous pousser au-delĂ de nos limites physiques habituelles. Pour ma part, les nuits sans sommeil se reproduisent, car durant le peu dâheures de repos, puisque je suis une baqsi potentielle, les femmes qui dorment dans la mĂȘme piĂšce cherchent une proximitĂ© corporelle, dĂ©posant un bras, une jambe ou leur tĂȘte sur mon corps. Lâinconfort de la position, lâimpossibilitĂ© de bouger mâempĂȘchent de fermer lâĆil. Durant cette pĂ©riode dâinitiation, les femmes prĂ©sentes essaient toutes dâobtenir des vĂȘtements ou des objets qui mâappartiennent. Le corps du baqsi est considĂ©rĂ© comme possĂ©dant la baraka, câest-Ă -dire un ensemble de pouvoirs particuliers.
Ă propos de la baraka des soufis dans lâHimalaya, Marc Gaborieau explique :
Les saints, comme les magiciens non musulmans, peuvent se dĂ©placer rapidement dans les airs, se changer en animaux, apparaĂźtre en plusieurs lieux au mĂȘme moment, etc. Câest lâaspect le plus spectaculaire de leur pouvoir. Mais ce quâil faut bien comprendre, câest que leur action sâĂ©tend sur toutes les forces du monde invisible qui conditionnent notre monde visible. Par la connaissance dâabord, ils peuvent dĂ©couvrir les choses ou les pensĂ©es cachĂ©es, prĂ©dire lâavenir, interprĂ©ter les rĂȘves. Par lâaction ensuite, ils ont le pouvoir de contraindre les esprits, en particulier ceux qui causent les maladies physiques ou mentales ; plus gĂ©nĂ©ralement ils contrĂŽlent les forces cosmiques qui causent la pluie, font croĂźtre les rĂ©coltes, assurent la fĂ©condité⊠Tous ces pouvoirs se rĂ©sument dans le concept de baraka, cet influx divin, source de bon augure, qui amĂšne aux fidĂšles toutes sortes de bĂ©nĂ©diction. (1989, p. 219)6
La diversitĂ© des pouvoirs Ă©voquĂ©s par Gaborieau se retrouve aussi en terre kazakhe, mais pas forcĂ©ment au sein de la mĂȘme personne. Kuat (Pouvoir), par son prĂ©nom et ses actions, est considĂ©rĂ© par les personnes qui le sollicitent comme porteur dâune solide baraka.
Certaines journĂ©es sont dĂ©diĂ©es au traitement de situations particuliĂšres qui demandent plus dâattention et de prĂ©paration au rite du zikir. Dâautres sont plus libres, le mardi Ă©tant le seul jour sans zikir, mais incluant dâautres enseignements de type divinatoire ou le traitement des plantes ramassĂ©es. Le premier rite de zikir auquel jâassiste se dĂ©roule dans une piĂšce de la maison, chacun Ă©tant assis en chaĂźne continue, formant un grand cercle proche des parois murales. En mettant en place cette forme spatiale rituelle, Kuat enseigne aux participants les diffĂ©rentes sĂ©quences, les formules soufies Ă la maniĂšre kazakhe (la ilaha illahla ou les onomatopĂ©es : hou hou allahou) et impose un rythme respiratoire soutenu dans la rĂ©pĂ©tition du chant. Les rites suivants se pratiquent debout ; le balancement des corps dâavant en arriĂšre tout en tournant en cercle, dâest en ouest, se superpose au souffle et au chant. Lors du premier rite, Kuat me demande de mâasseoir Ă distance et dâobserver. Au zikir suivant, je suis priĂ©e dâentrer dans le cercle et dây rester. Ce traitement particulier vise, je lâapprendrai par la suite, Ă mâaider Ă dĂ©passer la surprise et les peurs quâil me prĂȘte, car, dĂšs le premier rite, des jeunes filles et jeunes garçons entrent en transe rapidement, se mettent Ă hurler et Ă se contorsionner au centre du cercle.
Le zikir se dĂ©roule systĂ©matiquement dans un espace clos afin de protĂ©ger les diffĂ©rentes sĂ©quences rituelles de lâintervention dâintrus, surtout dâalcooliques ou de fumeurs, les interdits sur le tabac et lâalcool Ă©tant omniprĂ©sents. Avant le coucher du soleil, Kuat prĂ©pare les lieux, demande que les animaux qui seront sacrifiĂ©s ce soir-lĂ soient dĂ©jĂ amenĂ©s, dispose les livres (dont un coran de 1902) et objets rituels quâil a reçus au cours de son initiation ou collectĂ©s durant ses annĂ©es de pratique ; enfin, il fait creuser un foyer en croissant de lune et y prĂ©pare des braises qui resteront rouges et incandescentes pendant une grande partie du rite.
Comme je lâai dĂ©jĂ signifiĂ©, dans la sociĂ©tĂ© kazakhe, la belle parole est celle qui sâadresse aux invisibles, du monde humain et des autres mondes, par lâintermĂ©diaire de la fumĂ©e du foyer domestique entretenu par la belle-fille, ou par le truchement de joutes verbales engagĂ©es entre clans, ou encore par la mĂ©diation du baqsi lors de ses voyages dans les au-delĂ s. Lâouverture de livres â de corans en particulier â exposĂ©s Ă cĂŽtĂ© dâautres objets rituels, participe de cette circulation et premiĂšre mise en acte de la parole, la soutient ou lâengage au dĂ©but du rite avant que tout ne commence et parfois que la lecture (approximative) du texte se fasse. Je parle ici des gestes qui deviennent paroles ; en cela, jâadopte une perspective pragmatique du langage dans laquelle lâouverture dâun livre permet, de fait, de libĂ©rer une puissance performative de paroles.
Pour Kuat et les participants au rite, aprĂšs la prĂ©paration des corps (ablutions, bain de vapeur et rasage intĂ©gral), il faut enfiler les prolongements7 adĂ©quats : les vĂȘtements pour le rite. La composante majoritaire est celle du port de vĂȘtements blancs, de calots blancs pour les hommes et de voiles blancs plus ou moins longs pour les femmes. Kuat coud le voile (kimikchie) que je porte en premier signe de sa transmission Ă travers lâinitiation. Par ce geste, il mâimpose au groupe dans une position particuliĂšre. Cependant, Ă©tant donnĂ© la diversitĂ© des personnes prĂ©sentes...
Table des matiĂšres
- Couverture
- 4e de couverture
- Dans la mĂȘme collection
- Titre
- Copyright
- Dédicace
- TRANSLITTĂRATIONS
- REMERCIEMENTS
- AVANT-PROPOS : UNE POSTURE ETHNOGRAPHIQUE
- INTRODUCTION : LâINVISIBLE ET LE MANIFESTĂ
- 1. RENCONTRE ET EMPREINTE PRIMORDIALES
- 2. ITINĂRAIRES DE BAQSI
- 3. INCURSIONS AU LADAKH
- 4. ADRESSES ET EMPREINTES
- CONCLUSION : LâINTELLIGENCE DES INVISIBLES
- REPĂRES BIBLIOGRAPHIQUES
- Table des matiĂšres
- Collection « Anthropologie prospective »