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Intellectuels sybarites
La fin des indépendances en Afrique - L'incertitude Congolaise
- 322 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
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Intellectuels sybarites
La fin des indépendances en Afrique - L'incertitude Congolaise
Ă propos de ce livre
Qu'a-t-on fait des indĂ©pendances africaines? Un facteur du sous-dĂ©veloppement? OĂč sont donc les intellectuels dans la classe sociopolitique en Afrique? La notion d'intellectuel, n'y serait-elle pas rĂ©duite Ă un poncif? L'Ă©lite dirigeante de la RDC ne se comporte-t-elle pas comme les habitants de Sybaris, happĂ©e Ă©goĂŻstement par la dolce vita? N'est-ce pas lĂ une incertitude structurelle pour rĂ©aliser les visĂ©es de l'indĂ©pendance de la RDC?
Foire aux questions
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Sciences socialesSujet
PolitiquePARTIE 1.
DE LâUNIVERSITAIRE ET INTELLECTUEL EN RĂPUBLIQUE DĂMOCRATIQUE DU CONGO
« Les intellectuels ont un problÚme : ils doivent justifier leur existence. »
Noam Chomsky
CHAPITRE I
INTELLECTUEL EN RDC, AUJOURDâHUI : UN ABUS DE LANGAGE ?
« Seule la force impose une vĂ©ritĂ©, et la force nâa rien dâintellectuel ; elle contraint avec ses armes, par la torture, par le chantage, par la peur, par le calcul des intĂ©rĂȘts ; elle oblige les esprits Ă sâentendre provisoirement sur une doctrine. » Eric-Emmanuel Schmitt (LâĂvangile selon Pilate)
1.0. Introduction
Lâhistoire politique des intellectuels sâenracine bien en France. Câest ici oĂč la recherche sâest le plus dĂ©veloppĂ©e comme champ historique autonome. Rien nâest Ă©tonnant Ă cela. Depuis lâaffaire Dreyfus, le clerc français, Ă tort ou Ă raison, est apparu comme lâĂ©talon de lâintellectuel engagĂ© dans les combats de son siĂšcle et, au-delĂ , comme le modĂšle universel de lâintellectuel.
Dans ce chapitre, nous allons ainsi partir de lâorigine de cette notion dâintellectuel et analyser certains faits sociopolitiques congolais en vue dâessayer de bien situer les universitaires de la classe dirigeante, Ă lâaune des attributs caractĂ©ristiques dâun intellectuel. Parce que, pour attribuer la responsabilitĂ© du sous-dĂ©veloppement sur le continent africain, il faut dĂ©jĂ que ces intellectuels existent. Qui plus est, nous pouvons nous poser cette question : ceux ou celles qui gouvernent de nations africaines, en gĂ©nĂ©ral, et la Rdc singuliĂšrement, sont-ils rĂ©ellement des intellectuels ? Ce concept, ne serait-il pas rĂ©duit Ă un poncif ?
1.1. Aux origines de la notion dâintellectuel : lâengagement et la morale, contre la raison dâĂtat
Le culte de lâintelligence prĂ©parait les intellectuels Ă tenir une position privilĂ©giĂ©e dans la vie politique nationale. Les origines de cet Ă©tat de choses sont anciennes : elles remontent approximativement au XVIIIe siĂšcle. Si lâon veut mettre un nom sur cette tradition de lâengagement et la morale contre la raison dâĂtat, on la fait communĂ©ment dater de Voltaire. « II a habituĂ©, dit M. R. Pomeau, les Français Ă attendre du gĂ©nie littĂ©raire autre chose que des divertissements : une direction de conscience ». Initiative dĂ©cisive : le premier, il a exercĂ© un magistĂšre politique et moral ; il a instituĂ© un principat auquel beaucoup dâautres depuis ont prĂ©tendu. Ce serait une des nombreuses façons de faire lâhistoire de lâengagement politique des intellectuels, avant mĂȘme que le mot existĂąt, que de dresser la liste des prĂ©tendants Ă la succession du « Roi » Voltaire : Hugo le patriarche, Zola, Ă titre posthume (autant du fait de son engagement tardif que de sa disparition prĂ©maturĂ©e), Anatole France assurĂ©ment, AndrĂ© Gide peut-ĂȘtre et M. François Mauriac, etc. Mais qui sont ces intellectuels ?
Ă lâorigine, il convient de relever que, dans son sens sociologique, la notion dâintellectuel vise les travailleurs exerçant plutĂŽt avec leur esprit quâavec leurs mains. Dans son sens psychologique ensuite, il renvoie aux gens qui ont un goĂ»t prononcĂ©, voire extrĂȘme, pour les choses de lâesprit, les idĂ©es, les spĂ©culations thĂ©oriques. Approbativement, il dĂ©signe un homme instruit. Son sens pĂ©joratif, enfin, rĂ©fĂšre Ă un rĂȘveur, un homme des nuages, un thĂ©oricien inopĂ©rant, un songe-creux. Mais aucune de ses significations, qui se recoupent parfois du reste, ne correspond au contenu profond du terme. Ce contenu-lĂ , pour le dĂ©gager, il faut nĂ©cessairement interroger lâhistoire. Un concept, en effet, câest comme un phĂ©nomĂšne social ; pour mieux lâapprĂ©hender, il faut remonter aux circonstances historiques de son apparition.
Pour tout ramasser, lâusage du mot intellectuel nâest pas dâaujourdâhui : câest Ă propos dâun de ces manifestes, au moment de lâaffaire Dreyfus, que le mot intellectuel a fait son apparition dans le vocabulaire français, avec une intention polĂ©mique et une acception lĂ©gĂšrement pĂ©jorative qui atteste lâanciennetĂ© des liens entre la politique et les intellectuels. Plus haut encore, on pourrait en faire remonter lâorigine au mot de Thiers en juillet 1830, invitant ses confrĂšres journalistes Ă mettre leur nom au bas dâun texte de protestation contre les Ordonnances : « II faut des tĂȘtes en bas de ces petits papiers-lĂ , voici la mienne ». Il y a gĂ©nĂ©ralement moins de risques aujourdâhui Ă contresigner des dĂ©clarations et cependant les intellectuels signataires nâont-ils pas toujours le sentiment dâapporter leur tĂȘte en gage ? Lâintellectuel qui ne peut donner que ce quâil a, apporte ce qui lâengage le plus, ce auquel il tient par-dessus tout : sa rĂ©putation, sa signature et son nom qui engagent sa pensĂ©e. Il dispose de sa libertĂ©, et ne le fait jamais sans hĂ©sitation ni scrupules.
Cet Ă©tat de choses sâest singuliĂšrement manifestĂ© en France lors de lâaffaire Dreyfus, du nom de ce capitaine de lâarmĂ©e française, dâorigine juive, injustement accusĂ© et condamnĂ© en 1894 pour espionnage au profit de lâAllemagne. Ă cette occasion, lâopinion française sâĂ©tait divisĂ©e en dreyfusards et anti-dreyfusards. Câest alors que, pour la premiĂšre fois, la notion dâ« intellectuel » fut lancĂ©e et proclamĂ©e comme un titre par des professeurs et des Ă©crivains dreyfusards qui le revendiquaient et sâen rĂ©clamaient. En ce moment-lĂ , rĂ©vĂ©ler lâinjustice au monde, user de sa rĂ©putation, de son talent reconnu, de son autoritĂ© morale pour convaincre, et surmonter les gigantesques obstacles dressĂ©s par le pouvoir, constitue les motivations des intellectuels qui, Ă la suite de la dĂ©marche isolĂ©e dâun Ă©crivain cĂ©lĂšbre, Ămile Zola, entrĂšrent dans le combat pour la dĂ©fense dâAlfred Dreyfus.
PersuadĂ© par son innocence, lâauteur de Germinal lança le 13 janvier 1898, sa Lettre ouverte au prĂ©sident de la RĂ©publique, dans le journal lâAurore. Le directeur du quotidien Georges Clemenceau trouva un titre explosif : Jâaccuse. Câest ainsi que la postĂ©ritĂ© retiendra lâacte fondateur qui propulsa les universitaires, Ă©crivains, penseurs, artistes, journalistes, au cĆur du dĂ©bat politique. Ils portĂšrent rĂ©solument le dĂ©bat politique sur le terrain moral. Fallait-il sacrifier lâhomme sur lâautel de lâautoritĂ© et de lâordre ? Fallait-il se taire devant lâinjustice pour prĂ©server les intĂ©rĂȘts majeurs de lâarmĂ©e et lâunitĂ© de la patrie ? Fallait-il garder le silence sous le prĂ©texte que la polĂ©mique diviserait les Français et affaiblirait la Nation devant lâennemi allemand ? LâAffaire devint alors exemplaire pour les temps futurs, voire au-delĂ des frontiĂšres nationales.
Mais le contenu du terme sera illustrĂ©, a contrario, par un anti-dreyfusard du nom de Ferdinand Brunetier, qui croyait fermement Ă la culpabilitĂ© du Capitaine Alfred Dreyfus en dĂ©clarant ceci : « Lâintervention dâun romancier, mĂȘme fameux, dans une question de justice militaire mâa paru aussi dĂ©placĂ©e que le serait, dans la question des origines du romantisme, lâintervention dâun colonel de gendarmerie » (Bredin J.D., 1983, p. 258). Le fameux romancier en question nâest autre quâĂmile Zola. Ă part lui, lâon peut citer, dans ce rang, Octave Mirbeau et Anatole France comme dĂ©fenseurs de Dreyfus.
Ceci met en lumiĂšre un autre aspect caractĂ©ristique des rapports entre les intellectuels et la politique : le tour spontanĂ©ment moral de leur rĂ©flexion. Assez indiffĂ©rents aux consĂ©quences pratiques, ils se soucient principalement des consĂ©quences morales des actes politiques. Câest gĂ©nĂ©ralement par le biais de celles-ci quâils en viennent Ă sâintĂ©resser aux problĂšmes politiques : de lâaffaire Dreyfus Ă la guerre dâEspagne et des procĂšs de Moscou Ă la RĂ©volution hongroise, lâhistoire de leur participation aux luttes politiques est une longue suite de dĂ©bats de conscience et de crises de pensĂ©e. « Les convictions politiques des Ă©crivains français ne sont que des attitudes morales », a dit dâeux Maurice Merleau-Ponty. Plus que quiconque ils apportent dans la politique cette passion de lâabsolu qui suscite les grandes controverses idĂ©ologiques. Ăthique ou mĂ©taphysique, la pente naturelle de leur rĂ©flexion est toujours intellectuelle. Qui songerait Ă sâen Ă©tonner ?
De façon significative, lâAffaire Dreyfus Ă©tablit une Ă©tape capitale dans lâhistoire du mot intellectuel, longtemps demeurĂ© Ă lâĂ©tat dâadjectif, et soudain admis comme substantif et universellement repris. Ă cette Ă©poque-lĂ , ce concept nâĂ©tait pourtant pas totalement inconnu. Il dĂ©signait alors « la rare aristocratie de la pensĂ©e », selon la formule dâHenri BĂ©renger, et tendait Ă se confondre avec les dilettantes. Dâailleurs, Maurice BarrĂšs reprit plusieurs fois Ă son compte le substantif naissant, pour Ă©voquer la rĂ©volte dâune certaine gĂ©nĂ©ration en rupture avec lâordre Ă©tabli. On peut cependant constater, aujourdâhui, que la connotation pĂ©jorative initiale de lâintellectuel comme penseur rĂ©fugiĂ© dans lâabstraction de sujets quâil ne connaĂźt pas bien, a trĂšs largement disparu au profit dâune image positive dâhommes appartenant Ă des professions intellectuelles, mais qui sont avant tout soucieux de dĂ©fendre des causes justes, Ă leurs risques et pĂ©rils.
En outre, lâintellectuel nâest pas nĂ©cessairement un philosophe ou un Ă©crivain, et sa dĂ©finition nâa rien de sociologique Ă notre sens. Il sâagit de toute personne qui, du fait de sa position sociale, dispose dâune forme dâautoritĂ© et la met Ă profit pour persuader, proposer, dĂ©battre, permettre Ă lâesprit critique de sâĂ©manciper des reprĂ©sentations sociales. Si lâon suit cette dĂ©finition, lâintellectuel nâest pas, alors, une « institution » rĂ©cente : dĂšs la GrĂšce antique, des rhĂ©teurs comme Gorgias ou Protagoras sâinscrivent dans cette dĂ©marche passionnelle de lâesprit. Mais depuis lâAffaire Dreyfus, le mot « intellectuel » est utilisĂ© plus prĂ©cisĂ©ment pour dĂ©signer quelquâun qui sâengage dans la sphĂšre publique pour dĂ©fendre des valeurs. Dans la continuation de Voltaire dĂ©fendant Calas, ce nĂ©gociant français de confession protestante qui, injustement accusĂ© dâavoir tuĂ© son fils Marc-Antoine pour lâempĂȘcher de se convertir au catholicisme, fut rouĂ© vif, Ă©tranglĂ© et brĂ»lĂ© le 10 mars 1762 sur la Place Saint-Georges de Toulouse ; bien que, en son temps, le terme « intellectuel » lui-mĂȘme nâexisterait pas encore.
AprĂšs tout, un intellectuel, câest lâimage dâĂmile Zola et Octave Mirbeau sâengageant pour soutenir et dĂ©fendre le capitaine Dreyfus. Câest le Dr Bernard Koutchner, soutenu par Jean Paul Sartre, vitupĂ©rant le ComitĂ© international de la Croix rouge qui, en vertu du sacro-saint principe de neutralitĂ© qui gouverne son action humanitaire, gardait le silence sur le blocus alimentaire employĂ© par les autoritĂ©s nigĂ©rianes, comme moyen de guerre pendant le conflit du Biafra. Câest AndrĂ© Gide dĂ©nonçant, dans son livre Voyage au Congo, les excĂšs de lâadministration coloniale dans ce pays ; câest Pierre Vidal-Naquet, Jean-Pierre Vernant ou Edgar Morin, dĂ©nonçant la torture en AlgĂ©rie. Câest Michel Foucault bataillant pour les droits des prisonniers et Pierre Bourdieu pour ceux des chĂŽmeurs, ou encore Noam Chomsky lorsquâil stigmatise la politique Ă©trangĂšre des Ătats-Unis.
Ă cela, il faut aussi ajouter que, bien que fondamental, le seul critĂšre de la prise publique de positions justes sur les problĂšmes de sa sociĂ©tĂ© et de son temps ne suffit pas pour quâon puisse valablement parler dâintellectuel. Il faut Ă©galement et surtout que la personne visĂ©e soit prĂȘte Ă descendre sur le terrain pour, par le moyen de lâaction concrĂšte, sâefforcer de mettre en pratique, dĂ©fendre ou faire triompher ses convictions. Une conviction, en effet, nâest vĂ©ritablement telle que lorsquâon est prĂȘt Ă descendre sur le terrain de lâaction pour sâefforcer de la mettre en pratique, de la dĂ©fendre ou de la faire triompher.
Ă la suite de ce second critĂšre, lâĂ©crivain Jean-Paul Sartre, sâengageant dans les rangs de la RĂ©sistance française sous lâoccupation allemande, peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un intellectuel accompli. Câest aussi le cas du sociologue Malick Ndiaye quand il avait dirigĂ© une marche contre lâinvasion amĂ©ricaine en Irak et dĂ©posĂ©, auprĂšs de lâambassadeur israĂ©lien au SĂ©nĂ©gal, une lettre de protestation contre les excĂšs inouĂŻs de Tsahal sur le peuple palestinien. Enfin, câest le cas de ces AmĂ©ricains, EuropĂ©ens, Asiatiques du monde des lettres, des arts, des sciences, des spectacles qui, Ă lâoccasion de la derniĂšre guerre du Golfe, qui refusĂšrent de sâen tenir Ă de simples dĂ©nonciations de lâagression amĂ©ricaine qui se prĂ©parait contre lâIrak, en se postant dans des sites stratĂ©giques de ce pays en boucliers humains contre les bombardements yankees.
Ă lâaune de ces deux critĂšres du concept dâintellectuel, il apparaĂźt que lâexpression silence des intellectuels, que lâon utilise souvent pour sâen dĂ©soler, nâa aucun sens. En effet, Ă notre sens, silence et intellectuel sont deux notions antinomiques, exclusives lâune de lâautre dans un contexte de faillite sociopolitique avĂ©rĂ©e dâune nation comme la nĂŽtre. Lâintellectuel nâest tel que dans la mesure oĂč il se prononce publiquement, prend ouvertement position au double plan thĂ©orique et pratique. Celui qui garde le silence ne peut donc, par dĂ©finition, ĂȘtre un intellectuel parce que cela veut dire quâil reste indiffĂ©rent aux problĂšmes de sa sociĂ©tĂ© et de son Ă©poque. Pire, il les cautionne en ce sens que le silence lui-mĂȘme nâexiste pas ; et tout silence est parole, prise de position pour un discours ou une situation en cours : se taire, câest parler dans le sens de ce qui se dit ; se croiser les bras, câest agir dans le sens de ce qui se fait ; celui qui ne fait pas de politique est responsable de la politique qui se fait ! Les Français eux-mĂȘmes lâont dâailleurs bien rĂ©sumĂ© dans un cĂ©lĂšbre proverbe : « Qui ne dit mot consent. »
Câest Ă©galement tout le sens de cette mise en garde de Jean-Paul Sartre dans son recueil dâarticles intitulĂ©s Situations II : « Serions-nous muets et cois comme des cailloux, notre passivitĂ© mĂȘme serait une action. » Tel est, enfin, le point de vue du droit par rapport au silence, notamment devant la commission des infractions et certaines situations de pĂ©ril. On peut citer, Ă cet Ă©gard, la non-assistance Ă personne en danger ainsi que la non-dĂ©nonciation des crimes et dĂ©lits dont on a Ă©tĂ© tĂ©moin. Au plan international, le droit dâingĂ©rence humanitaire actuellement dâapplication vise, de la part de la communautĂ© internationale, le rejet juridique du silence et de la passivitĂ© lorsque, dans un Ătat, les droits de lâhomme font lâobjet de violations graves et massives ; ce droit a notamment Ă©tĂ© consacrĂ© par lâActe constitutif de lâUnion Africaine en son article 4.h.
1.2. RĂŽle social de lâintellectuel afin de rĂ©aliser aujourdâhui...
Plusieurs conceptions du rĂŽle de lâintellectuel dans la sociĂ©tĂ© peuvent ĂȘtre dĂ©clinĂ©es. Raymond Aron, dans LâOpium des intellectuels (1955), pose cette question du rĂŽle du savant dans la citĂ© eu Ă©gard aux grands dĂ©bats du moment. Pour lui, lâintellectuel est un « crĂ©ateur dâidĂ©es » et doit ĂȘtre un « spectateur engagĂ©. »
Ă cette conception sâoppose celle du dreyfusard Julien Benda. Dans un essai intitulĂ© La trahison des clercs (1927), il dĂ©plorait le fait que les intellectuels, depuis la guerre aient cessĂ© de jouer leur rĂŽle de gardiens des valeurs « clĂ©ricales » universelles, celles des dreyfusards, la VĂ©ritĂ©, la Justice et la Raison, et les dĂ©laissent au profit du rĂ©alisme politique, avec tout ce que cette expression comporte de concessions, de compromis, voire de compromissions. La rĂ©fĂ©rence aux « clercs », que la tonsure distinguait des laĂŻcs, souligne cette fonction quasi religieuse, quâil assigne aux intellectuels. Lâattitude du clerc est celle de la conscience critique, plutĂŽt que de lâengagement stricto sensu.
Jean-Paul Sartre dĂ©finira, quant Ă lui, lâintellectuel comme « quelquâun qui se mĂȘle de ce qui ne le regarde pas ; câest celui qui refuse dâĂȘtre le moyen dâun but qui nâest pas le sien. » Et selon la formule de Diderot empruntĂ©e Ă Terence, lâintellectuel est celui Ă qui rien de ce qui est humain nâest Ă©tranger, qui prend conscience de sa responsabilitĂ© individuelle dans une situation donnĂ©e, et qui, refusant dâĂȘtre complice, par son silence, des injustices ou des atrocitĂ©s qui se perpĂštrent, en France mĂȘme ou ailleurs dans le monde. On peut penser au rĂŽle de Sartre dans le Tribunal Bertrand Russell Ă©rigĂ© pour juger les crimes de guerre au Vietnam. Câest celui aussi qui utilise sa notoriĂ©tĂ© pour se faire entendre sur des questions qui ne relĂšvent pas strictement de son domaine de compĂ©tence, mais oĂč lâinfluence quâil exerce et le prestige national ou international dont il bĂ©nĂ©ficie peuvent se rĂ©vĂ©ler efficaces. Lâintellectuel, pour lui, est forcĂ©ment « engagĂ© » pour la cause de la justice, et donc en rupture avec toutes les institutions jugĂ©es oppressives. Cela lâoppose Ă©videmment Ă Raymond Aron, son ancien « petit camarade » de lâĂcole Normale, Ă propos duquel il Ă©crira, en mai 1968 : « Câest le systĂšme actuel quâil faut supprimer. Cela suppose quâon ne considĂšre plus, comme Aron, que penser seul derriĂšre son bureau, et penser de la mĂȘme maniĂšre depuis trente ans, reprĂ©sente lâexercice de lâintelligence. Il faut, maintenant que la France entiĂšre a vu de Gaule tout nu, que les Ă©tudiants puissent regarder Raymond Aron tout nu. On ne lui rendra ses vĂȘtements que sâil accepte la contestation. »
Pour Sartre, lâintellectuel ne peut donc ĂȘtre que de « gauche », Ă condition dâentendre ce terme dans le sens dâun dĂ©sir Ă©thique de justice, et non dans un sens purement politique et sectateur. Mais le risque est alors pour lâintellectuel « de gauche » dâĂȘtre instrumentalisĂ© par un parti politique, comme Sartre lui-mĂȘme lâa Ă©tĂ© durant ses annĂ©es de compagnonnage avec le Parti communiste français, et donc de perdre de sa distance critique et de son autonomie de parole ; pareillement pour les intellectuels « de droite », comme Aron, qui ont risquĂ© dâĂȘtre rĂ©cupĂ©rĂ©s par les dĂ©fenseurs de lâOrdre, comme en mai 1968. Par opposition Ă lâengagement tel que lâentendait Sartre, on peut citer celui dâintellectuels qui ont refusĂ© toute compromission avec des partis politiques, furent-ils « de gauche », et qui ont prĂ©servĂ© jalousement leur libertĂ© de parole, tels quâOctave Mirbeau et Albert Camus, Ă un demi-siĂšcle de distance.
Câest ainsi quâen 1895, Mirbeau dĂ©finissait ainsi la mission de lâintellectuel :
Aujourdâhui, lâaction doit se rĂ©fugier dans le livre. Câest dans le livre seul que, dĂ©gagĂ©e des contingences malsaines et multiples qui lâannihilent et lâĂ©touffent, elle peut trouver le terrain propre Ă la germination des idĂ©es quâelle sĂšme. Les idĂ©es demeurent et pullulent : semĂ©es, elles germent ; germĂ©es, elles fleurissent. Et lâhumanitĂ© vient les cueillir, ces fleurs, pour en faire les gerbes de joie de son futur affranchissement.
Albert Camus, soixante ans plus tard, considĂšre, quant Ă lui que :
LâĂ©crivain ne peut pas se mettre au service de ceux qui font lâhistoire : il est au service de ceux qui la subissent. Notre seule justification, sâil en est une, est de parler, dans la mesure de nos moyens, pour ceux qui ne peuvent le faire. Il ne faudrait pas pour autant attendre de lui des solutions toutes faites et de belles morales. La vĂ©ritĂ© est mystĂ©rieuse, fuyante, toujours Ă conquĂ©rir. La libertĂ© est dangereuse, dure Ă vivre autant quâexaltante.
Enfin, lâarrivĂ©e de la gauche au pouvoir en France en 1981 a bouleversĂ© la donne. Et le dĂ©veloppement des mĂ©dias modernes, notamment de la tĂ©lĂ©vision, a relativisĂ© la place des intellectuels. La figure de lâintellectuel dĂ©sintĂ©ressĂ©, lucide et dĂ©sespĂ©rĂ©, mais toujours engagĂ© pou...
Table des matiĂšres
- Couverture
- 4e de couverture
- Copyright
- Titre
- Dédicace
- Exergue
- TABLE DES MATIĂRES
- DISCOURS LIMINAIRE DU 30 JUIN 1960 DE PATRICE-ĂMERY LUMUMBA
- PRĂFACE
- PROLOGUE
- PARTIE 1. DE LâUNIVERSITAIRE ET INTELLECTUEL EN RĂPUBLIQUE DĂMOCRATIQUE DU CONGO
- PARTIE 2. RESSOUVENIR DE QUELQUES CONCEPTS PRĂLIMINAIRES POUR LâĂMERSION DâUN CONTRAT SOCIAL DE CIVISME
- PARTIE 3. OSONS LâAUDACE DâUN CONTRAT RĂPUBLICAIN DâINNOVATION CIVIQUE
- CONCLUSION
- BIBLIOGRAPHIE