Intellectuels sybarites
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Intellectuels sybarites

La fin des indépendances en Afrique - L'incertitude Congolaise

  1. 322 pages
  2. French
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  4. Disponible sur iOS et Android
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Intellectuels sybarites

La fin des indépendances en Afrique - L'incertitude Congolaise

À propos de ce livre

Qu'a-t-on fait des indĂ©pendances africaines? Un facteur du sous-dĂ©veloppement? OĂč sont donc les intellectuels dans la classe sociopolitique en Afrique? La notion d'intellectuel, n'y serait-elle pas rĂ©duite Ă  un poncif? L'Ă©lite dirigeante de la RDC ne se comporte-t-elle pas comme les habitants de Sybaris, happĂ©e Ă©goĂŻstement par la dolce vita? N'est-ce pas lĂ  une incertitude structurelle pour rĂ©aliser les visĂ©es de l'indĂ©pendance de la RDC?

Foire aux questions

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Informations

Éditeur
Academia
Année
2018
ISBN de l'eBook
9782806122384

PARTIE 1.

DE L’UNIVERSITAIRE ET INTELLECTUEL EN RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

« Les intellectuels ont un problÚme : ils doivent justifier leur existence. »
Noam Chomsky

CHAPITRE I

INTELLECTUEL EN RDC, AUJOURD’HUI : UN ABUS DE LANGAGE ?

« Seule la force impose une vĂ©ritĂ©, et la force n’a rien d’intellectuel ; elle contraint avec ses armes, par la torture, par le chantage, par la peur, par le calcul des intĂ©rĂȘts ; elle oblige les esprits Ă  s’entendre provisoirement sur une doctrine. » Eric-Emmanuel Schmitt (L’Évangile selon Pilate)

1.0. Introduction

L’histoire politique des intellectuels s’enracine bien en France. C’est ici oĂč la recherche s’est le plus dĂ©veloppĂ©e comme champ historique autonome. Rien n’est Ă©tonnant Ă  cela. Depuis l’affaire Dreyfus, le clerc français, Ă  tort ou Ă  raison, est apparu comme l’étalon de l’intellectuel engagĂ© dans les combats de son siĂšcle et, au-delĂ , comme le modĂšle universel de l’intellectuel.
Dans ce chapitre, nous allons ainsi partir de l’origine de cette notion d’intellectuel et analyser certains faits sociopolitiques congolais en vue d’essayer de bien situer les universitaires de la classe dirigeante, Ă  l’aune des attributs caractĂ©ristiques d’un intellectuel. Parce que, pour attribuer la responsabilitĂ© du sous-dĂ©veloppement sur le continent africain, il faut dĂ©jĂ  que ces intellectuels existent. Qui plus est, nous pouvons nous poser cette question : ceux ou celles qui gouvernent de nations africaines, en gĂ©nĂ©ral, et la Rdc singuliĂšrement, sont-ils rĂ©ellement des intellectuels ? Ce concept, ne serait-il pas rĂ©duit Ă  un poncif ?

1.1. Aux origines de la notion d’intellectuel : l’engagement et la morale, contre la raison d’État

Le culte de l’intelligence prĂ©parait les intellectuels Ă  tenir une position privilĂ©giĂ©e dans la vie politique nationale. Les origines de cet Ă©tat de choses sont anciennes : elles remontent approximativement au XVIIIe siĂšcle. Si l’on veut mettre un nom sur cette tradition de l’engagement et la morale contre la raison d’État, on la fait communĂ©ment dater de Voltaire. « II a habituĂ©, dit M. R. Pomeau, les Français Ă  attendre du gĂ©nie littĂ©raire autre chose que des divertissements : une direction de conscience ». Initiative dĂ©cisive : le premier, il a exercĂ© un magistĂšre politique et moral ; il a instituĂ© un principat auquel beaucoup d’autres depuis ont prĂ©tendu. Ce serait une des nombreuses façons de faire l’histoire de l’engagement politique des intellectuels, avant mĂȘme que le mot existĂąt, que de dresser la liste des prĂ©tendants Ă  la succession du « Roi » Voltaire : Hugo le patriarche, Zola, Ă  titre posthume (autant du fait de son engagement tardif que de sa disparition prĂ©maturĂ©e), Anatole France assurĂ©ment, AndrĂ© Gide peut-ĂȘtre et M. François Mauriac, etc. Mais qui sont ces intellectuels ?
À l’origine, il convient de relever que, dans son sens sociologique, la notion d’intellectuel vise les travailleurs exerçant plutĂŽt avec leur esprit qu’avec leurs mains. Dans son sens psychologique ensuite, il renvoie aux gens qui ont un goĂ»t prononcĂ©, voire extrĂȘme, pour les choses de l’esprit, les idĂ©es, les spĂ©culations thĂ©oriques. Approbativement, il dĂ©signe un homme instruit. Son sens pĂ©joratif, enfin, rĂ©fĂšre Ă  un rĂȘveur, un homme des nuages, un thĂ©oricien inopĂ©rant, un songe-creux. Mais aucune de ses significations, qui se recoupent parfois du reste, ne correspond au contenu profond du terme. Ce contenu-lĂ , pour le dĂ©gager, il faut nĂ©cessairement interroger l’histoire. Un concept, en effet, c’est comme un phĂ©nomĂšne social ; pour mieux l’apprĂ©hender, il faut remonter aux circonstances historiques de son apparition.
Pour tout ramasser, l’usage du mot intellectuel n’est pas d’aujourd’hui : c’est Ă  propos d’un de ces manifestes, au moment de l’affaire Dreyfus, que le mot intellectuel a fait son apparition dans le vocabulaire français, avec une intention polĂ©mique et une acception lĂ©gĂšrement pĂ©jorative qui atteste l’anciennetĂ© des liens entre la politique et les intellectuels. Plus haut encore, on pourrait en faire remonter l’origine au mot de Thiers en juillet 1830, invitant ses confrĂšres journalistes Ă  mettre leur nom au bas d’un texte de protestation contre les Ordonnances : « II faut des tĂȘtes en bas de ces petits papiers-lĂ , voici la mienne ». Il y a gĂ©nĂ©ralement moins de risques aujourd’hui Ă  contresigner des dĂ©clarations et cependant les intellectuels signataires n’ont-ils pas toujours le sentiment d’apporter leur tĂȘte en gage ? L’intellectuel qui ne peut donner que ce qu’il a, apporte ce qui l’engage le plus, ce auquel il tient par-dessus tout : sa rĂ©putation, sa signature et son nom qui engagent sa pensĂ©e. Il dispose de sa libertĂ©, et ne le fait jamais sans hĂ©sitation ni scrupules.
Cet Ă©tat de choses s’est singuliĂšrement manifestĂ© en France lors de l’affaire Dreyfus, du nom de ce capitaine de l’armĂ©e française, d’origine juive, injustement accusĂ© et condamnĂ© en 1894 pour espionnage au profit de l’Allemagne. À cette occasion, l’opinion française s’était divisĂ©e en dreyfusards et anti-dreyfusards. C’est alors que, pour la premiĂšre fois, la notion d’« intellectuel » fut lancĂ©e et proclamĂ©e comme un titre par des professeurs et des Ă©crivains dreyfusards qui le revendiquaient et s’en rĂ©clamaient. En ce moment-lĂ , rĂ©vĂ©ler l’injustice au monde, user de sa rĂ©putation, de son talent reconnu, de son autoritĂ© morale pour convaincre, et surmonter les gigantesques obstacles dressĂ©s par le pouvoir, constitue les motivations des intellectuels qui, Ă  la suite de la dĂ©marche isolĂ©e d’un Ă©crivain cĂ©lĂšbre, Émile Zola, entrĂšrent dans le combat pour la dĂ©fense d’Alfred Dreyfus.
PersuadĂ© par son innocence, l’auteur de Germinal lança le 13 janvier 1898, sa Lettre ouverte au prĂ©sident de la RĂ©publique, dans le journal l’Aurore. Le directeur du quotidien Georges Clemenceau trouva un titre explosif : J’accuse. C’est ainsi que la postĂ©ritĂ© retiendra l’acte fondateur qui propulsa les universitaires, Ă©crivains, penseurs, artistes, journalistes, au cƓur du dĂ©bat politique. Ils portĂšrent rĂ©solument le dĂ©bat politique sur le terrain moral. Fallait-il sacrifier l’homme sur l’autel de l’autoritĂ© et de l’ordre ? Fallait-il se taire devant l’injustice pour prĂ©server les intĂ©rĂȘts majeurs de l’armĂ©e et l’unitĂ© de la patrie ? Fallait-il garder le silence sous le prĂ©texte que la polĂ©mique diviserait les Français et affaiblirait la Nation devant l’ennemi allemand ? L’Affaire devint alors exemplaire pour les temps futurs, voire au-delĂ  des frontiĂšres nationales.
Mais le contenu du terme sera illustrĂ©, a contrario, par un anti-dreyfusard du nom de Ferdinand Brunetier, qui croyait fermement Ă  la culpabilitĂ© du Capitaine Alfred Dreyfus en dĂ©clarant ceci : « L’intervention d’un romancier, mĂȘme fameux, dans une question de justice militaire m’a paru aussi dĂ©placĂ©e que le serait, dans la question des origines du romantisme, l’intervention d’un colonel de gendarmerie » (Bredin J.D., 1983, p. 258). Le fameux romancier en question n’est autre qu’Émile Zola. À part lui, l’on peut citer, dans ce rang, Octave Mirbeau et Anatole France comme dĂ©fenseurs de Dreyfus.
Ceci met en lumiĂšre un autre aspect caractĂ©ristique des rapports entre les intellectuels et la politique : le tour spontanĂ©ment moral de leur rĂ©flexion. Assez indiffĂ©rents aux consĂ©quences pratiques, ils se soucient principalement des consĂ©quences morales des actes politiques. C’est gĂ©nĂ©ralement par le biais de celles-ci qu’ils en viennent Ă  s’intĂ©resser aux problĂšmes politiques : de l’affaire Dreyfus Ă  la guerre d’Espagne et des procĂšs de Moscou Ă  la RĂ©volution hongroise, l’histoire de leur participation aux luttes politiques est une longue suite de dĂ©bats de conscience et de crises de pensĂ©e. « Les convictions politiques des Ă©crivains français ne sont que des attitudes morales », a dit d’eux Maurice Merleau-Ponty. Plus que quiconque ils apportent dans la politique cette passion de l’absolu qui suscite les grandes controverses idĂ©ologiques. Éthique ou mĂ©taphysique, la pente naturelle de leur rĂ©flexion est toujours intellectuelle. Qui songerait Ă  s’en Ă©tonner ?
De façon significative, l’Affaire Dreyfus Ă©tablit une Ă©tape capitale dans l’histoire du mot intellectuel, longtemps demeurĂ© Ă  l’état d’adjectif, et soudain admis comme substantif et universellement repris. À cette Ă©poque-lĂ , ce concept n’était pourtant pas totalement inconnu. Il dĂ©signait alors « la rare aristocratie de la pensĂ©e », selon la formule d’Henri BĂ©renger, et tendait Ă  se confondre avec les dilettantes. D’ailleurs, Maurice BarrĂšs reprit plusieurs fois Ă  son compte le substantif naissant, pour Ă©voquer la rĂ©volte d’une certaine gĂ©nĂ©ration en rupture avec l’ordre Ă©tabli. On peut cependant constater, aujourd’hui, que la connotation pĂ©jorative initiale de l’intellectuel comme penseur rĂ©fugiĂ© dans l’abstraction de sujets qu’il ne connaĂźt pas bien, a trĂšs largement disparu au profit d’une image positive d’hommes appartenant Ă  des professions intellectuelles, mais qui sont avant tout soucieux de dĂ©fendre des causes justes, Ă  leurs risques et pĂ©rils.
En outre, l’intellectuel n’est pas nĂ©cessairement un philosophe ou un Ă©crivain, et sa dĂ©finition n’a rien de sociologique Ă  notre sens. Il s’agit de toute personne qui, du fait de sa position sociale, dispose d’une forme d’autoritĂ© et la met Ă  profit pour persuader, proposer, dĂ©battre, permettre Ă  l’esprit critique de s’émanciper des reprĂ©sentations sociales. Si l’on suit cette dĂ©finition, l’intellectuel n’est pas, alors, une « institution » rĂ©cente : dĂšs la GrĂšce antique, des rhĂ©teurs comme Gorgias ou Protagoras s’inscrivent dans cette dĂ©marche passionnelle de l’esprit. Mais depuis l’Affaire Dreyfus, le mot « intellectuel » est utilisĂ© plus prĂ©cisĂ©ment pour dĂ©signer quelqu’un qui s’engage dans la sphĂšre publique pour dĂ©fendre des valeurs. Dans la continuation de Voltaire dĂ©fendant Calas, ce nĂ©gociant français de confession protestante qui, injustement accusĂ© d’avoir tuĂ© son fils Marc-Antoine pour l’empĂȘcher de se convertir au catholicisme, fut rouĂ© vif, Ă©tranglĂ© et brĂ»lĂ© le 10 mars 1762 sur la Place Saint-Georges de Toulouse ; bien que, en son temps, le terme « intellectuel » lui-mĂȘme n’existerait pas encore.
AprĂšs tout, un intellectuel, c’est l’image d’Émile Zola et Octave Mirbeau s’engageant pour soutenir et dĂ©fendre le capitaine Dreyfus. C’est le Dr Bernard Koutchner, soutenu par Jean Paul Sartre, vitupĂ©rant le ComitĂ© international de la Croix rouge qui, en vertu du sacro-saint principe de neutralitĂ© qui gouverne son action humanitaire, gardait le silence sur le blocus alimentaire employĂ© par les autoritĂ©s nigĂ©rianes, comme moyen de guerre pendant le conflit du Biafra. C’est AndrĂ© Gide dĂ©nonçant, dans son livre Voyage au Congo, les excĂšs de l’administration coloniale dans ce pays ; c’est Pierre Vidal-Naquet, Jean-Pierre Vernant ou Edgar Morin, dĂ©nonçant la torture en AlgĂ©rie. C’est Michel Foucault bataillant pour les droits des prisonniers et Pierre Bourdieu pour ceux des chĂŽmeurs, ou encore Noam Chomsky lorsqu’il stigmatise la politique Ă©trangĂšre des États-Unis.
À cela, il faut aussi ajouter que, bien que fondamental, le seul critĂšre de la prise publique de positions justes sur les problĂšmes de sa sociĂ©tĂ© et de son temps ne suffit pas pour qu’on puisse valablement parler d’intellectuel. Il faut Ă©galement et surtout que la personne visĂ©e soit prĂȘte Ă  descendre sur le terrain pour, par le moyen de l’action concrĂšte, s’efforcer de mettre en pratique, dĂ©fendre ou faire triompher ses convictions. Une conviction, en effet, n’est vĂ©ritablement telle que lorsqu’on est prĂȘt Ă  descendre sur le terrain de l’action pour s’efforcer de la mettre en pratique, de la dĂ©fendre ou de la faire triompher.
À la suite de ce second critĂšre, l’écrivain Jean-Paul Sartre, s’engageant dans les rangs de la RĂ©sistance française sous l’occupation allemande, peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un intellectuel accompli. C’est aussi le cas du sociologue Malick Ndiaye quand il avait dirigĂ© une marche contre l’invasion amĂ©ricaine en Irak et dĂ©posĂ©, auprĂšs de l’ambassadeur israĂ©lien au SĂ©nĂ©gal, une lettre de protestation contre les excĂšs inouĂŻs de Tsahal sur le peuple palestinien. Enfin, c’est le cas de ces AmĂ©ricains, EuropĂ©ens, Asiatiques du monde des lettres, des arts, des sciences, des spectacles qui, Ă  l’occasion de la derniĂšre guerre du Golfe, qui refusĂšrent de s’en tenir Ă  de simples dĂ©nonciations de l’agression amĂ©ricaine qui se prĂ©parait contre l’Irak, en se postant dans des sites stratĂ©giques de ce pays en boucliers humains contre les bombardements yankees.
À l’aune de ces deux critĂšres du concept d’intellectuel, il apparaĂźt que l’expression silence des intellectuels, que l’on utilise souvent pour s’en dĂ©soler, n’a aucun sens. En effet, Ă  notre sens, silence et intellectuel sont deux notions antinomiques, exclusives l’une de l’autre dans un contexte de faillite sociopolitique avĂ©rĂ©e d’une nation comme la nĂŽtre. L’intellectuel n’est tel que dans la mesure oĂč il se prononce publiquement, prend ouvertement position au double plan thĂ©orique et pratique. Celui qui garde le silence ne peut donc, par dĂ©finition, ĂȘtre un intellectuel parce que cela veut dire qu’il reste indiffĂ©rent aux problĂšmes de sa sociĂ©tĂ© et de son Ă©poque. Pire, il les cautionne en ce sens que le silence lui-mĂȘme n’existe pas ; et tout silence est parole, prise de position pour un discours ou une situation en cours : se taire, c’est parler dans le sens de ce qui se dit ; se croiser les bras, c’est agir dans le sens de ce qui se fait ; celui qui ne fait pas de politique est responsable de la politique qui se fait ! Les Français eux-mĂȘmes l’ont d’ailleurs bien rĂ©sumĂ© dans un cĂ©lĂšbre proverbe : « Qui ne dit mot consent. »
C’est Ă©galement tout le sens de cette mise en garde de Jean-Paul Sartre dans son recueil d’articles intitulĂ©s Situations II : « Serions-nous muets et cois comme des cailloux, notre passivitĂ© mĂȘme serait une action. » Tel est, enfin, le point de vue du droit par rapport au silence, notamment devant la commission des infractions et certaines situations de pĂ©ril. On peut citer, Ă  cet Ă©gard, la non-assistance Ă  personne en danger ainsi que la non-dĂ©nonciation des crimes et dĂ©lits dont on a Ă©tĂ© tĂ©moin. Au plan international, le droit d’ingĂ©rence humanitaire actuellement d’application vise, de la part de la communautĂ© internationale, le rejet juridique du silence et de la passivitĂ© lorsque, dans un État, les droits de l’homme font l’objet de violations graves et massives ; ce droit a notamment Ă©tĂ© consacrĂ© par l’Acte constitutif de l’Union Africaine en son article 4.h.

1.2. RĂŽle social de l’intellectuel afin de rĂ©aliser aujourd’hui...

Plusieurs conceptions du rĂŽle de l’intellectuel dans la sociĂ©tĂ© peuvent ĂȘtre dĂ©clinĂ©es. Raymond Aron, dans L’Opium des intellectuels (1955), pose cette question du rĂŽle du savant dans la citĂ© eu Ă©gard aux grands dĂ©bats du moment. Pour lui, l’intellectuel est un « crĂ©ateur d’idĂ©es » et doit ĂȘtre un « spectateur engagĂ©. »
À cette conception s’oppose celle du dreyfusard Julien Benda. Dans un essai intitulĂ© La trahison des clercs (1927), il dĂ©plorait le fait que les intellectuels, depuis la guerre aient cessĂ© de jouer leur rĂŽle de gardiens des valeurs « clĂ©ricales » universelles, celles des dreyfusards, la VĂ©ritĂ©, la Justice et la Raison, et les dĂ©laissent au profit du rĂ©alisme politique, avec tout ce que cette expression comporte de concessions, de compromis, voire de compromissions. La rĂ©fĂ©rence aux « clercs », que la tonsure distinguait des laĂŻcs, souligne cette fonction quasi religieuse, qu’il assigne aux intellectuels. L’attitude du clerc est celle de la conscience critique, plutĂŽt que de l’engagement stricto sensu.
Jean-Paul Sartre dĂ©finira, quant Ă  lui, l’intellectuel comme « quelqu’un qui se mĂȘle de ce qui ne le regarde pas ; c’est celui qui refuse d’ĂȘtre le moyen d’un but qui n’est pas le sien. » Et selon la formule de Diderot empruntĂ©e Ă  Terence, l’intellectuel est celui Ă  qui rien de ce qui est humain n’est Ă©tranger, qui prend conscience de sa responsabilitĂ© individuelle dans une situation donnĂ©e, et qui, refusant d’ĂȘtre complice, par son silence, des injustices ou des atrocitĂ©s qui se perpĂštrent, en France mĂȘme ou ailleurs dans le monde. On peut penser au rĂŽle de Sartre dans le Tribunal Bertrand Russell Ă©rigĂ© pour juger les crimes de guerre au Vietnam. C’est celui aussi qui utilise sa notoriĂ©tĂ© pour se faire entendre sur des questions qui ne relĂšvent pas strictement de son domaine de compĂ©tence, mais oĂč l’influence qu’il exerce et le prestige national ou international dont il bĂ©nĂ©ficie peuvent se rĂ©vĂ©ler efficaces. L’intellectuel, pour lui, est forcĂ©ment « engagĂ© » pour la cause de la justice, et donc en rupture avec toutes les institutions jugĂ©es oppressives. Cela l’oppose Ă©videmment Ă  Raymond Aron, son ancien « petit camarade » de l’École Normale, Ă  propos duquel il Ă©crira, en mai 1968 : « C’est le systĂšme actuel qu’il faut supprimer. Cela suppose qu’on ne considĂšre plus, comme Aron, que penser seul derriĂšre son bureau, et penser de la mĂȘme maniĂšre depuis trente ans, reprĂ©sente l’exercice de l’intelligence. Il faut, maintenant que la France entiĂšre a vu de Gaule tout nu, que les Ă©tudiants puissent regarder Raymond Aron tout nu. On ne lui rendra ses vĂȘtements que s’il accepte la contestation. »
Pour Sartre, l’intellectuel ne peut donc ĂȘtre que de « gauche », Ă  condition d’entendre ce terme dans le sens d’un dĂ©sir Ă©thique de justice, et non dans un sens purement politique et sectateur. Mais le risque est alors pour l’intellectuel « de gauche » d’ĂȘtre instrumentalisĂ© par un parti politique, comme Sartre lui-mĂȘme l’a Ă©tĂ© durant ses annĂ©es de compagnonnage avec le Parti communiste français, et donc de perdre de sa distance critique et de son autonomie de parole ; pareillement pour les intellectuels « de droite », comme Aron, qui ont risquĂ© d’ĂȘtre rĂ©cupĂ©rĂ©s par les dĂ©fenseurs de l’Ordre, comme en mai 1968. Par opposition Ă  l’engagement tel que l’entendait Sartre, on peut citer celui d’intellectuels qui ont refusĂ© toute compromission avec des partis politiques, furent-ils « de gauche », et qui ont prĂ©servĂ© jalousement leur libertĂ© de parole, tels qu’Octave Mirbeau et Albert Camus, Ă  un demi-siĂšcle de distance.
C’est ainsi qu’en 1895, Mirbeau dĂ©finissait ainsi la mission de l’intellectuel :
Aujourd’hui, l’action doit se rĂ©fugier dans le livre. C’est dans le livre seul que, dĂ©gagĂ©e des contingences malsaines et multiples qui l’annihilent et l’étouffent, elle peut trouver le terrain propre Ă  la germination des idĂ©es qu’elle sĂšme. Les idĂ©es demeurent et pullulent : semĂ©es, elles germent ; germĂ©es, elles fleurissent. Et l’humanitĂ© vient les cueillir, ces fleurs, pour en faire les gerbes de joie de son futur affranchissement.
Albert Camus, soixante ans plus tard, considĂšre, quant Ă  lui que :
L’écrivain ne peut pas se mettre au service de ceux qui font l’histoire : il est au service de ceux qui la subissent. Notre seule justification, s’il en est une, est de parler, dans la mesure de nos moyens, pour ceux qui ne peuvent le faire. Il ne faudrait pas pour autant attendre de lui des solutions toutes faites et de belles morales. La vĂ©ritĂ© est mystĂ©rieuse, fuyante, toujours Ă  conquĂ©rir. La libertĂ© est dangereuse, dure Ă  vivre autant qu’exaltante.
Enfin, l’arrivĂ©e de la gauche au pouvoir en France en 1981 a bouleversĂ© la donne. Et le dĂ©veloppement des mĂ©dias modernes, notamment de la tĂ©lĂ©vision, a relativisĂ© la place des intellectuels. La figure de l’intellectuel dĂ©sintĂ©ressĂ©, lucide et dĂ©sespĂ©rĂ©, mais toujours engagĂ© pou...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. 4e de couverture
  3. Copyright
  4. Titre
  5. Dédicace
  6. Exergue
  7. TABLE DES MATIÈRES
  8. DISCOURS LIMINAIRE DU 30 JUIN 1960 DE PATRICE-ÉMERY LUMUMBA
  9. PRÉFACE
  10. PROLOGUE
  11. PARTIE 1. DE L’UNIVERSITAIRE ET INTELLECTUEL EN RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO
  12. PARTIE 2. RESSOUVENIR DE QUELQUES CONCEPTS PRÉLIMINAIRES POUR L’ÉMERSION D’UN CONTRAT SOCIAL DE CIVISME
  13. PARTIE 3. OSONS L’AUDACE D’UN CONTRAT RÉPUBLICAIN D’INNOVATION CIVIQUE
  14. CONCLUSION
  15. BIBLIOGRAPHIE