1 - Genèse
« Depuis ma plus tendre enfance, je n’ai jamais
été comme les autres et je n’ai jamais
vu les choses comme eux »
Edgar Alan Poe
« Mais tu vas arrêter de nous emmerder avec ton diabète. »
J’ai dix ans et je fais une crise d’hystérie et de larmes car je n’en peux plus de mon diabète. C’est ce que ma mère m’a dit en réponse à ma crise.
Il, mon diabète, vit avec moi depuis que j’ai 4 ans. Il est mon meilleur ami, mon meilleur ennemi aussi. Il est ma moitié. Il est d’ailleurs le plus fidèle de mes hommes.
Ma vie a été rythmée par la découverte de mon diabète et mon adaptation à lui, à savoir les piqûres et les tests sanguins de glycémie au bout du doigt, les nouveaux symptômes physiques auxquels je devais m’habituer, mais aussi, ma vie d’enfant qu’il fallait avoir comme tout le monde au milieu de tout ça.
À l’époque il fallait deux minutes pour faire un test sanguin, puis mélanger les différentes insulines dans une seringue dont l’aiguille me paraissait énorme pour mes yeux d’enfant. Je ne mangeais pas comme les autres. Il fallait que j’adapte mes repas à mon taux de sucre et à ma dose d’insuline. Je pesais mes aliments. Enfin, bref, le bagne ! Un travail à temps plein !
Alors qu’aujourd’hui, il ne faut plus que cinq secondes pour faire un test sanguin, on fabrique même des patches d’autocontrôles (enfin une découverte qui peut changer la vie des diabétiques) ; les stylos d’insuline sont pré-remplis et déjà mélangés. L’insulino-thérapie permet de manger ce que vous souhaitez en quantité relative. Vous gérez votre dose d’insuline en fonction de votre repas et de votre taux de sucre avant de manger.
Non pas que le côté psychologique soit plus simple aujourd’hui, mais au moins, au niveau logistique c’est devenu plutôt ludique.
Ludique, c’est le bon terme. Parce qu’en trente ans de diabète, il n’y a pas eu de changements considérables au niveau de la recherche. J’ai effectivement des machines qui vont plus vite et qui maintenant sont en couleurs, mais quand est-ce qu’on sortira vraiment un truc révolutionnaire pour mieux vivre le diabète ? Je suis passée d’un nokia 8210 des années 2000 à un téléphone classique couleur. Mais moi ce que je voudrais vraiment, c’est un I Phone avec wifi, mail, siri, le tactile. C’est-à -dire ne plus me piquer dix fois par jour le bout des doigts, plus aucune piqûre, d’hyper et d’hypo consécutivement. Moi aussi je veux le wifi comme tout le monde. Il faudrait que je rencontre le Steeve Job du diabète. Voilà , mon annonce est passée !
J’ai testé de nouveaux systèmes, comme la pompe à insuline, mais je me sens malade avec. Avoir une maladie invisible et que ce soit visible, on peut faire mieux non ? Ou alors le téléphone portable qui envoie vos résultats au diabétologue. Ou bien de nouvelles insulines, ou encore des capteurs avec cathéter à s’insérer soit même sur le ventre pour avoir une glycémie en temps réel. Moi je veux bien tester de nouveaux concepts parce qu’au quotidien, c’est lourd à gérer, même si on est obligé de s’en accommoder. Mais il faudrait peut-être passer à la vitesse supérieure, les gars !!!!! Ma seconde annonce vient d’être passée !
Gérer les doses d’insuline en fonction de son activité physique et de ses repas est devenu un quotidien auquel on s’adapte. Autant pour moi que pour mon petit frère, diabétique lui aussi. Malgré tout, les hypo et les hyperglycémies sont compliquées à vivre, surtout pour le corps. Dans les deux cas, vous êtes épuisés.
Car l’être humain s’adapte à tout. L’éducation que j’ai reçue m’a permis d’avoir une vie normale, une adolescence et une vie de femme active. Je vends des appartements pour un promoteur, je passe ma vie dans la voiture ou en rdv, mes journées n’en finissent plus, bref comme tous les gens qui aiment ce qu’ils font et le font sans compter leurs heures !
J’ai toujours travaillé sans traitement de faveur, et je n’en voulais surtout pas. Aucune envie qu’on s’apitoie sur mon sort. Je suis comme tout le monde après tout, les injections en plus.
Je pense que la réflexion de ma mère, à l’époque, y a été pour beaucoup. Sûrement cela a-t-il été dur pour elle de me dire ça ? Elle s’en est peut-être voulu ? Elle a peut-être culpabilisé longtemps ? Mais ça a sûrement contribué à ce que je veuille la même vie que tout le monde, à vivre cette maladie comme si elle n’existait pas. Plutôt de vivre avec elle, sans honte, sans la cacher et sans m’en plaindre.
Elle est là , elle est là !
Ça pourrait être pire et c’est ce que je me suis toujours dit. J’en suis convaincue, même encore aujourd’hui.
Pourtant, ce n’est pas toujours simple. Je suis irascible, souvent de mauvaise humeur. Je m’énerve facilement et sans raison. Ma tête tourne à cent à l’heure en permanence. J’apprends à vivre avec des sautes d’humeur. Je les intériorise avec le temps. Il n’y a plus que moi qui les ressens et m’en aperçois. Dans ces moments-là , je préfère m’isoler ou me plonger dans mon travail car tout m’insupporte. Même moi j’ai du mal à me supporter.
Le regard des gens aussi, lorsque je me pique, est interrogatif. Mais qu’est ce qu’elle fait ? Elle se drogue ? Autant mes amis sont au courant, autant les personnes extérieures ont un regard qui juge. Mais qu’importe, je m’en fous, je suis comme je suis et je ne vais pas me cacher parce que ça vous dérange, Vous ! Et je ne vais pas arrêter de manger au restaurant non plus ! Si vraiment vous êtes gênés, vous pouvez partir, moi je le vis bien.
Ce n’est pas pire que les mères de mes copines de classe, que j’entendais dire, « ne mange pas trop de bonbons, tu vas finir diabétique comme Adeline ». Je croyais que le poisson rendait intelligent, elles n’ont pas dû en manger assez, elles !!!!!
Bon, je l’accorde, le diabète est méconnu et encore plus il y a trente ans. Qui plus est, il y a une confusion totale entre le diabète de type 1 et le type 2. D’ailleurs quand j’étais petite, on les appelait le diabète maigre et le diabète gras. Dans l’esprit de tout le monde c’est la même maladie. D’ailleurs elles ont le même nom, je n’ai jamais compris pourquoi alors qu’elles sont si différentes, autant dans les symptômes que dans les causes ou le traitement.
Malgré toute la bonne volonté du monde, malgré le respect des traitements et des préconisations de mes médecins, les difficultés arrivent cependant. Lentement, sans faire de bruit, sans prévenir. Insidieusement.
Un jour, au travail, ...