"On s'en va !" Liban d'ici et d'ailleurs...
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"On s'en va !" Liban d'ici et d'ailleurs...

  1. 180 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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"On s'en va !" Liban d'ici et d'ailleurs...

À propos de ce livre

Comment les choses tiennent ensemble? Et les ĂȘtres? Comment tiennent ensemble le destin d'une enfant des quartiers Est de Beyrouth et l'immense tourmente qui va emporter, ce matin du 13 avril 1975, le Liban dans une guerre civile de seize impitoyables annĂ©es? Comment rendre la lĂ©gĂšretĂ© du temps de l'enfance, la dĂ©couverte trouble d'un corps qui se dessine, la course insouciante, avec une amie d'universitĂ©, dans une minuscule voiture sous les bombes qui pleuvent alentour? Philippe Renonçay

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Informations

Éditeur
TéraÚdre
Année
2018
ISBN de l'eBook
9782336846750

Rita et moi
Des chemins qui se croisent

I
Rita est mon amie. Nous avons le mĂȘme Ăąge. Nous pourrions ĂȘtre jumelles mais elle en a dĂ©jĂ  une, une vraie mais qui est fausse. Alors, nous sommes comme des sƓurs, d’adoption. Nous nous connaissons maintenant depuis fort longtemps.
Rita, je la rencontre en juillet 1985, lors d’une colonie auprĂšs d’enfants en difficultĂ©. Elle Ă©tait monitrice et travaillait dĂ©jĂ  dans l’institution qui organise le sĂ©jour ; moi j’étais lĂ  dans le cadre de mes Ă©tudes, et je devais faire ce stage pour valider ma maĂźtrise en sciences de l’éducation. Pour rĂ©ussir mon activitĂ©, Rita, et toutes les autres, m’ont aidĂ©e dans la mise en place d’une piĂšce de théùtre. C’était féérique, et le spectacle grandiose. Je garde le souvenir d’une grande solidaritĂ© qu’il Ă©tait bon de vivre.
Trois ans plus tard, je partais ; je quittais le Liban, destination Paris.
Je suis en France depuis seulement quelques mois que dĂ©jĂ  l’accalmie est estimĂ©e suffisante. Les mĂȘmes dĂ©mons de minuit hululent de leurs cris stridents. Les mĂȘmes scĂ©narios sanguinaires se rĂ©pĂštent sans rĂ©pit dans la fosse aux lions. Seuls les mots de la rengaine et les figures de leaders changent, rendant toute comprĂ©hension de ces scripts encore plus compliquĂ©e et complexe, jusqu’à l’obscuritĂ© parfois totale. Dans la premiĂšre arĂšne, l’armĂ©e libanaise, dirigĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Michel Aoun, chef d’état-major gĂ©nĂ©ral, dĂ©cide de se lancer dans une guerre de libĂ©ration contre les Syriens qui, dans leur rĂȘve sans mesure d’annexer le Liban pour construire la Grande Syrie, se considĂšrent comme nos frĂšres ! Alors mĂȘme que la rĂ©ciprocitĂ© est totalement absente. Il est soutenu dans un premier temps par la milice chrĂ©tienne des Forces Libanaises (FL) dirigĂ©e par Samir Geagea appelĂ© Hakim (« le mĂ©decin », surnommĂ© ainsi pour avoir commencĂ© des Ă©tudes de mĂ©decine).
Mais trĂšs vite, la situation se brouille entre ces deux chefs de file, et Michel Aoun cherche Ă  dissoudre les FL. Cette seconde arĂšne les rĂ©unira par-dessus les sacs de sable et les barricades, dans une guerre fratricide. RĂ©sultat : la Syrie reprend en main Beyrouth-Est (zone chrĂ©tienne). Le gĂ©nĂ©ral Michel Aoun est contraint Ă  l’exil. Par des jeux de passe-passe et d’embrouilles, Samir Geagea est emprisonnĂ© quelque temps aprĂšs, en 1994. Les militants des FL se cachent ou s’exilent puis se constituent en parti politique au moment de sa libĂ©ration en 2005.
Liban, pays d’accueil, totalement sous la tutelle de Damas, continue de voir les siens partir de plus en plus. Dans cette tourmente, une partie de la famille vit dans les abris. L’angoisse et l’inquiĂ©tude Ă©grĂšnent notre quotidien jusqu’à ce que ma sƓur, mon frĂšre et sa femme enceinte de 8 mois arrivent parmi nous quelques mois plus tard.
Je suis loin et toute proche Ă  la fois. Je vis lĂ  mais je suis lĂ -bas, scotchĂ©e Ă  l’écran de tĂ©lĂ©vision ou aux articles de journaux. Quant Ă  Rita, sa comprĂ©hension du monde qui l’entoure, et des Ă©vĂ©nements, est Ă©branlĂ©e
Rita : « Vivre les conflits intra religieux entre les chrĂ©tiens fut un choc qui m’a bouleversĂ©e. Dans ma petite tĂȘte, je savais que nous avions Ă©tĂ© dĂ©placĂ©s Ă  cause de notre appartenance religieuse. Je rĂ©pĂ©tais, comme beaucoup de mes pairs, qu’on nous a persĂ©cutĂ©s Ă  cause de notre religion. Mais lĂ , je ne comprenais plus. Si nous Ă©tions en train de nous dĂ©fendre quand nous tuions les autres, nous dĂ©fendions qui en nous entretuant, lĂ , maintenant ?
Je me suis dit qu’il y a quelque chose qui n’allait pas. J’ai dĂ©cidĂ© de faire des Ă©tudes de thĂ©ologie, pour savoir ce que c’est au juste d’ĂȘtre chrĂ©tien. J’ai dĂ©couvert que, en tant que chrĂ©tiens, nous n’avions pas vĂ©cu l’essence de notre chrĂ©tientĂ©. On tuait avec des fusils sur lesquels Ă©taient collĂ©es des images du Christ, de Marie et des Saints. Si c’est le cas, cela veut dire qu’« eux aussi », les non chrĂ©tiens, font de mĂȘme peut-ĂȘtre. Eux aussi, tuent sans doute au nom de leur religion, et nous persĂ©cutent au nom de leur religion, alors que probablement, il ne s’agit pas de cela. »
Lors de mon premier retour, trois ans plus tard du fait de ces Ă©vĂ©nements de 1988-1990, Rita Ă©tait-elle parmi les amis que je retrouvais ? Je ne la vois pas. Comment sommes-nous restĂ©es en contact ? Je ne m’en souviens pas. Comment sommes-nous devenues amies ? Je ne sais pas.
Ce que je vois, c’est cette relation tissĂ©e au fil d’un temps dont j’avais oubliĂ© le dĂ©but, mais qu’elle me rappelle lorsque le croisement de nos vies s’enchevĂȘtre et prend forme. Ce dont je me souviens, c’est que je me suis mise Ă  la voir Ă  chacun de mes retours et sĂ©jours parmi les miens.
Ce que je sais, c’est cette amitiĂ© qui nous fait dĂ©couvrir une autre part de nous-mĂȘmes, qui permet de rĂ©vĂ©ler ce qui, jusque-lĂ , ne se donnait que parcimonieusement.
C’est ainsi que Rita, nous servant de guide dans ce pays que je dĂ©couvrais alors que je n’y vivais plus, se met Ă  Ă©voquer l’épisode de son exil, alors que nous Ă©tions installĂ©es dans un cafĂ© Ă  DeĂŻr El Kamar dans le Chouf, dĂ©gustant les manakichs (galette) au thym vert. Si j’avais dĂ©jĂ  entendu des sĂ©quences de son histoire au dĂ©tour d’une discussion, les faits relatĂ©s ce matin d’un mois d’aoĂ»t dans la rĂ©gion qui est la sienne m’ont autorisĂ©e Ă  m’aventurer plus loin dans son parcours que je ne connaissais finalement pas alors que nous nous frĂ©quentions depuis des annĂ©es. Elle avait Ă©tĂ© ce qu’on appelait alors une dĂ©placĂ©e c’est-Ă -dire une rĂ©fugiĂ©e dans son propre pays. Tous chassĂ©s du mĂȘme village, elle, les siens et tous les autres, c’est-Ă -dire tous les chrĂ©tiens, ont dĂ» tout quitter, du jour au lendemain.
Rita est de Jwar El Hawz, un village chrétien du Mont Liban. Druzes et chrétiens vivaient ensemble dans la région.
Rita : « Quand la guerre a explosĂ© en 1975, on commençait Ă  sentir qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas mais pour nous ce quelque chose se passait trĂšs loin de nous ; c’était les autres. Surtout qu’on vivait dans un village Ă  1 350 mĂštres ; c’est une rĂ©gion rurale, c’était loin ; la notion de la guerre n’existait pas ; et quand on parlait de guerre, pour moi, c’était le Vietnam. »
Et pourtant, « c’était le 24 mars 1976 »
Souvenir prĂ©cis d’il y a 40 ans, dĂ©jĂ , inoubliable, d’un moment oĂč l’avenir se trame, oĂč le prĂ©sent modifie la trajectoire de ce qu’on pensait avoir prĂ©vu, mais oĂč l’avant devient imprĂ©cis, difficile Ă  cerner.
Rita : « Je pense que c’était un jeudi mais je ne suis pas sĂ»re. Je me rappelle qu’avant ce jour-lĂ , on Ă©tait Ă  l’école, Ă  Hamana (village essentiellement chrĂ©tien) ; elle regroupait des enfants de deux ou trois villages et nous Ă©tions les seuls, ma sƓur aĂźnĂ©e, mon frĂšre, ma sƓur jumelle et moi, de Jwar El Hawz. La maĂźtresse parlait avec sa collĂšgue Ă  voix basse et on a entendu le nom de notre village. On ne savait pas ce qui se passait. Puis on nous a dit qu’il fallait qu’on aille au village, qu’il y avait un problĂšme. On a attendu, je me rappelle ; puis ils sont venus nous prendre ; on nous a emmenĂ©s au village et on a su : un type de chez nous, de notre village, un chrĂ©tien, a tuĂ© quelqu’un d’autre, d’un village d’à cĂŽtĂ©, un Druze. Pour un problĂšme dans le jardin oĂč quelque chose s’était passĂ©. »
Les Ă©vĂ©nements s’enclenchent et se dĂ©clenchent dans une folie meurtriĂšre, prĂ©parant le terreau des dĂ©parts et de l’exode.
Rita : « Il paraĂźt qu’on a essayĂ© de faire des nĂ©gociations pour que les Druzes ne se vengent pas mais ça n’a pas marchĂ© : il y avait des gens dans les jardins qui attendaient, et quand ils ont vu le pĂšre du tueur, ils l’ont exĂ©cutĂ© Ă  dĂ©faut de pouvoir tuer le fils qui s’était enfui. L’essentiel, c’était de tuer quelqu’un liĂ© Ă  l’assassin. »
ƒil pour Ɠil, dent pour dent, ce n’est que le dĂ©but d’un long tunnel sordide oĂč les cadavres des morts, les fantĂŽmes de chaque famille hurlent Ă  la haine, Ă  la vengeance et aux reprĂ©sailles.
Rita : « Cette nuit-lĂ , on n’a plus osĂ© allumer une lumiĂšre, ni mĂȘme une bougie. Le village s’est terrĂ© dans le noir, n’osant plus broncher ni donner signe de vie. La mort guettait. »
La mémoire fait défaut, et les souvenirs cherchent leurs repÚres. Le temps se délite et se voile mais les images sont bien là, tout comme leur évocation, trente-sept ans plus tard.
Rita : « Je ne sais pas si c’est ce jour-lĂ , ou bien avant ou bien aprĂšs, ou bien un ou deux mois plus tard, je ne sais pas, je ne me rappelle pas, mais le jour oĂč on s’est dĂ©placĂ©, je me rappelle que, avant
 »
Le mĂȘme jour, bien avant ou bien aprĂšs, un ou deux mois plus tard, quelle importance surtout lorsqu’on sort tout juste de l’enfance ? Une fois de plus, la temporalitĂ© fait dĂ©faut dans cet avant ce jour inoubliable, mĂ©morable.
Rita : « 
 avant
 des milices, des Kataeb Ă©taient venus. »
Les Kataeb, ou Phalanges, constituent un parti politique fondĂ© en 1936 par Pierre GĂ©mayel, pĂšre du futur prĂ©sident de la RĂ©publique BĂ©chir. En 1978, BĂ©chir GĂ©mayel, crĂ©e le parti des Forces Libanaises (FL) qui sera effectif en 1980. Il s’agit alors d’un mouvement de rassemblement de tous les partis chrĂ©tiens actifs sur le terrain. BĂ©chir GĂ©mayel s’imposera comme chef du camp chrĂ©tien et des FL : au fur et Ă  mesure des tournures nouvelles prises par cette guerre camĂ©lĂ©onienne, des affrontements entre les diffĂ©rentes milices se termineront par l’éradication sanguinaire de tous ceux qui gĂȘnaient.
Samir Geagea, trĂšs proche de BĂ©chir GĂ©mayel, gravit les Ă©chelons des FL et devient une figure importante parmi les militants. BĂ©chir GĂ©mayel assassinĂ© en 1982, de nouveaux leaders assurent la relĂšve. Puis, une succession d’alĂ©as politiques conduisent Samir Geagea Ă  la tĂȘte du parti en 1986.
Rita : « Ils passaient par Hamana, et il y a eu quelque chose entre les Kataeb et [
 ] je ne me rappelle pas. Tout ce que je me rappelle, c’est que les Kataeb sont passĂ©s par notre village avec quelque chose qui s’appelle dammbar (le dammbar est comme un petit tracteur) et le dammbar des Kataeb Ă©tait vert ; il paraĂźt qu’ils ont fui ; il y a eu un problĂšme qui s’est passĂ© Ă  Hamana ; je ne me rappelle plus de rien ; je ne comprenais pas ce qui se passait au niveau politique. »
Que comprendre, que penser de la politique qui rĂ©duisait le quotidien Ă  d’éternelles discussions oĂč chacun y allait de sa comprĂ©hension de la situation, de ses suppositions, de ses convictions jusqu’à parfois des fractures au sein d’une mĂȘme famille ? Pour que la vie me reste possible, sans doute aidĂ©e par une capacitĂ© Ă  oublier de poser des questions, je dĂ©veloppe un dĂ©sintĂ©rĂȘt obstinĂ© pour toute forme de politique. J’en arrivais Ă  ignorer ce qui se passait, Ă  se demander si je vivais dans ce pays. Les bombes qui explosaient et les assignations Ă  domicile me le rappelaient rĂ©guliĂšrement. Mais ça en restait lĂ . J’étais en vie. Je restais en vie. Et je poursuivais.
Car, que comprendre, que penser des affaires des grands, surtout lorsque nous étions invités à aller dans notre chambre pour ne pas entendre ce que les adultes se racontaient ? Par contre, vivaces et intenses sont ces souvenirs parfois hésitants mais bien inscrits dans une histoire qui ne fait que commencer.
Rita poursuit dans ses souvenirs :
« Je me rappelle que ces personnes Ă©taient passĂ©es par notre village, et avaient demandĂ© Ă  dormir chez nous, dans le village, parce qu’il faisait nuit, froid et il n’y avait pas d’électricitĂ©. Donc ils ne pouvaient pas continuer leur chemin.
Le fait qu’ils restent chez nous cette nuit, on a su plus tard que c’est pour cela qu’on nous a accusĂ©s de les avoir aidĂ©s. Le lendemain, trĂšs tĂŽt, ils ont pris la route du cĂŽtĂ© de Tarchiche. En quittant, ils ont adaptĂ© une chanson de Fayrouz qui dit “Ya ahel MeyssĂ©rime, dallo tzakarounĂ© ; qĂ©l ma habo tneĂŻn, tebko tzakarounĂ©â€ (habitants de MeyssĂ©rime, continuez de vous souvenir de moi ; dĂšs que deux s’aimeront, souvenez-vous de moi) pour “Ya ahĂ©l Jwar, dallo tzakarouna ; qĂ©l ma mara’fawj, teb’o tzakarouna” (habitants de Jwar, souvenez-vous de nous ; chaque fois qu’il y aura une de nos troupes, souvenez-vous de nous).
Je me rappelle bien, et je ne les oublie jamais. »
Cette guerre qui n’en finit pas, qui se poursuit de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration, n’est pas prĂšs de nous lĂącher. Et moi je me souviens qu’à cette mĂȘme Ă©poque, de l’autre cĂŽtĂ© de la montagne, je me prĂ©parais Ă  vivre un autre exil, d’un autre genre, d’un autre style.
Rita : « Alors ils ont quittĂ©, et ce jour-lĂ , il y a eu tout d’abord des Palestiniens qui sont venus ; ils ont entourĂ© le village. »
Que je hais ces pantalons en treillis ! Que je ne supporte pas de voir des jeunes la tĂȘte cachĂ©e par une capuche, me rappelant trop ces corps fantĂŽmes zigzaguant pour fuir le danger.
Rita : « Encore aujourd’hui, je ne comprends pas pourquoi ils sont venus juste dans notre village ; jusqu’à prĂ©sent je ne comprends toujours pas pourquoi ils ont choisi juste notre village, seul entiĂšrement chrĂ©tien alors que ceux d’alentour sont mixtes : ils regroupent chrĂ©tiens et druzes ; il n’y a pas de villages autour de nous qui aient Ă©tĂ© dĂ©placĂ©s par des Palestiniens en 1976 ; il y a eu en 1975, Ă  Damour (une bourgade du Chouf), le massacre entre les Palestiniens et la milice chrĂ©tienne, mais chez nous il n’y a que nous ; je ne sais pas, je ne comprends toujours pas pourquoi il n’y a eu que ce village Ă  vivre et Ă  connaĂźtre le dĂ©placement.
Je me rappelle qu’ils Ă©taient 3 000 Palestiniens et Druzes qui entouraient le village ; il y avait des Druzes qui soutenaient les Palestiniens qui nous ont chassĂ©s de notre village, et d’autres qui ne pouvaient plus rien faire mais sont venus pour aider un peu. Pour Ă©viter un massacre, ils sont venus pour faire des nĂ©gociations pour que ça se passe au mieux ; ils ne pouvaient rien faire d’autre
 »
Des musulmans se sont mis Ă  massacrer des druzes ; des druzes se sont mis Ă  massacrer des chrĂ©tiens ; des chrĂ©tiens se sont mis Ă  massacrer des druzes ; des druzes se sont mis Ă  massacrer des musulmans ; des musulmans se sont mis Ă  massacrer des chrĂ©tiens ; des chrĂ©tiens se sont mis Ă  massacrer des musulmans
 Tout ce monde-lĂ  s’est mis Ă  massacrer tout ce monde-lĂ , oubliant les annĂ©es de vie communautaire.
Appartenir Ă  l’une ou l’autre des religions, dans un pays confessionnel oĂč celle-ci Ă©tait notifiĂ©e sur sa carte d’identitĂ©, signait l’arrĂȘt de mort lorsqu’on tombait sur un barrage d’une autre religion. Les confessions se sont regroupĂ©es dans un Beyrouth divisĂ© et l’Est et l’Ouest se sont ainsi crĂ©...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. 4e de couverture
  3. Titre
  4. Copyright
  5. Préface
  6. Dédicace
  7. Scénario du partage du Liban
  8. C’est dans l’air
  9. Envol
  10. 1976-1977 – AlgĂ©rie
  11. 1977-1978 – Retour au Liban
  12. 1978-1979 – L’AlgĂ©rie Ă  nouveau
  13. 1979-1980 – Nice
  14. 1980-1988 – Second retour au Liban
  15. Rita et moi, des chemins qui se croisent
  16. 1988 – Paris
  17. Vue d’ailleurs
  18. AtmosphĂšre
  19. Remerciements
  20. Table