
- 180 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
"On s'en va !" Liban d'ici et d'ailleurs...
Ă propos de ce livre
Comment les choses tiennent ensemble? Et les ĂȘtres? Comment tiennent ensemble le destin d'une enfant des quartiers Est de Beyrouth et l'immense tourmente qui va emporter, ce matin du 13 avril 1975, le Liban dans une guerre civile de seize impitoyables annĂ©es? Comment rendre la lĂ©gĂšretĂ© du temps de l'enfance, la dĂ©couverte trouble d'un corps qui se dessine, la course insouciante, avec une amie d'universitĂ©, dans une minuscule voiture sous les bombes qui pleuvent alentour? Philippe Renonçay
Foire aux questions
Oui, vous pouvez résilier à tout moment à partir de l'onglet Abonnement dans les paramÚtres de votre compte sur le site Web de Perlego. Votre abonnement restera actif jusqu'à la fin de votre période de facturation actuelle. Découvrez comment résilier votre abonnement.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptĂ©s aux mobiles peuvent ĂȘtre tĂ©lĂ©chargĂ©s via l'application. La plupart de nos PDF sont Ă©galement disponibles en tĂ©lĂ©chargement et les autres seront tĂ©lĂ©chargeables trĂšs prochainement. DĂ©couvrez-en plus ici.
Perlego propose deux forfaits: Essentiel et Intégral
- Essentiel est idĂ©al pour les apprenants et professionnels qui aiment explorer un large Ă©ventail de sujets. AccĂ©dez Ă la BibliothĂšque Essentielle avec plus de 800 000 titres fiables et best-sellers en business, dĂ©veloppement personnel et sciences humaines. Comprend un temps de lecture illimitĂ© et une voix standard pour la fonction Ăcouter.
- IntĂ©gral: Parfait pour les apprenants avancĂ©s et les chercheurs qui ont besoin dâun accĂšs complet et sans restriction. DĂ©bloquez plus de 1,4 million de livres dans des centaines de sujets, y compris des titres acadĂ©miques et spĂ©cialisĂ©s. Le forfait IntĂ©gral inclut Ă©galement des fonctionnalitĂ©s avancĂ©es comme la fonctionnalitĂ© Ăcouter Premium et Research Assistant.
Nous sommes un service d'abonnement Ă des ouvrages universitaires en ligne, oĂč vous pouvez accĂ©der Ă toute une bibliothĂšque pour un prix infĂ©rieur Ă celui d'un seul livre par mois. Avec plus d'un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu'il vous faut ! DĂ©couvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Ăcouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l'Ă©couter. L'outil Ăcouter lit le texte Ă haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l'accĂ©lĂ©rer ou le ralentir. DĂ©couvrez-en plus ici.
Oui ! Vous pouvez utiliser lâapplication Perlego sur appareils iOS et Android pour lire Ă tout moment, nâimporte oĂč â mĂȘme hors ligne. Parfait pour les trajets ou quand vous ĂȘtes en dĂ©placement.
Veuillez noter que nous ne pouvons pas prendre en charge les appareils fonctionnant sous iOS 13 ou Android 7 ou versions antĂ©rieures. En savoir plus sur lâutilisation de lâapplication.
Veuillez noter que nous ne pouvons pas prendre en charge les appareils fonctionnant sous iOS 13 ou Android 7 ou versions antĂ©rieures. En savoir plus sur lâutilisation de lâapplication.
Oui, vous pouvez accéder à "On s'en va !" Liban d'ici et d'ailleurs... par Nada Abillama-Masson en format PDF et/ou ePUB. Nous disposons de plus d'un million d'ouvrages à découvrir dans notre catalogue.
Informations
Ăditeur
TéraÚdreAnnée
2018ISBN de l'eBook
9782336846750Rita et moi
Des chemins qui se croisent
I
Rita est mon amie. Nous avons le mĂȘme Ăąge. Nous pourrions ĂȘtre jumelles mais elle en a dĂ©jĂ une, une vraie mais qui est fausse. Alors, nous sommes comme des sĆurs, dâadoption. Nous nous connaissons maintenant depuis fort longtemps.
Rita, je la rencontre en juillet 1985, lors dâune colonie auprĂšs dâenfants en difficultĂ©. Elle Ă©tait monitrice et travaillait dĂ©jĂ dans lâinstitution qui organise le sĂ©jour ; moi jâĂ©tais lĂ dans le cadre de mes Ă©tudes, et je devais faire ce stage pour valider ma maĂźtrise en sciences de lâĂ©ducation. Pour rĂ©ussir mon activitĂ©, Rita, et toutes les autres, mâont aidĂ©e dans la mise en place dâune piĂšce de théùtre. CâĂ©tait féérique, et le spectacle grandiose. Je garde le souvenir dâune grande solidaritĂ© quâil Ă©tait bon de vivre.
Trois ans plus tard, je partais ; je quittais le Liban, destination Paris.
Je suis en France depuis seulement quelques mois que dĂ©jĂ lâaccalmie est estimĂ©e suffisante. Les mĂȘmes dĂ©mons de minuit hululent de leurs cris stridents. Les mĂȘmes scĂ©narios sanguinaires se rĂ©pĂštent sans rĂ©pit dans la fosse aux lions. Seuls les mots de la rengaine et les figures de leaders changent, rendant toute comprĂ©hension de ces scripts encore plus compliquĂ©e et complexe, jusquâĂ lâobscuritĂ© parfois totale. Dans la premiĂšre arĂšne, lâarmĂ©e libanaise, dirigĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Michel Aoun, chef dâĂ©tat-major gĂ©nĂ©ral, dĂ©cide de se lancer dans une guerre de libĂ©ration contre les Syriens qui, dans leur rĂȘve sans mesure dâannexer le Liban pour construire la Grande Syrie, se considĂšrent comme nos frĂšres ! Alors mĂȘme que la rĂ©ciprocitĂ© est totalement absente. Il est soutenu dans un premier temps par la milice chrĂ©tienne des Forces Libanaises (FL) dirigĂ©e par Samir Geagea appelĂ© Hakim (« le mĂ©decin », surnommĂ© ainsi pour avoir commencĂ© des Ă©tudes de mĂ©decine).
Mais trĂšs vite, la situation se brouille entre ces deux chefs de file, et Michel Aoun cherche Ă dissoudre les FL. Cette seconde arĂšne les rĂ©unira par-dessus les sacs de sable et les barricades, dans une guerre fratricide. RĂ©sultat : la Syrie reprend en main Beyrouth-Est (zone chrĂ©tienne). Le gĂ©nĂ©ral Michel Aoun est contraint Ă lâexil. Par des jeux de passe-passe et dâembrouilles, Samir Geagea est emprisonnĂ© quelque temps aprĂšs, en 1994. Les militants des FL se cachent ou sâexilent puis se constituent en parti politique au moment de sa libĂ©ration en 2005.
Liban, pays dâaccueil, totalement sous la tutelle de Damas, continue de voir les siens partir de plus en plus. Dans cette tourmente, une partie de la famille vit dans les abris. Lâangoisse et lâinquiĂ©tude Ă©grĂšnent notre quotidien jusquâĂ ce que ma sĆur, mon frĂšre et sa femme enceinte de 8 mois arrivent parmi nous quelques mois plus tard.
Je suis loin et toute proche Ă la fois. Je vis lĂ mais je suis lĂ -bas, scotchĂ©e Ă lâĂ©cran de tĂ©lĂ©vision ou aux articles de journaux. Quant Ă Rita, sa comprĂ©hension du monde qui lâentoure, et des Ă©vĂ©nements, est Ă©branlĂ©e
Rita : « Vivre les conflits intra religieux entre les chrĂ©tiens fut un choc qui mâa bouleversĂ©e. Dans ma petite tĂȘte, je savais que nous avions Ă©tĂ© dĂ©placĂ©s Ă cause de notre appartenance religieuse. Je rĂ©pĂ©tais, comme beaucoup de mes pairs, quâon nous a persĂ©cutĂ©s Ă cause de notre religion. Mais lĂ , je ne comprenais plus. Si nous Ă©tions en train de nous dĂ©fendre quand nous tuions les autres, nous dĂ©fendions qui en nous entretuant, lĂ , maintenant ?
Je me suis dit quâil y a quelque chose qui nâallait pas. Jâai dĂ©cidĂ© de faire des Ă©tudes de thĂ©ologie, pour savoir ce que câest au juste dâĂȘtre chrĂ©tien. Jâai dĂ©couvert que, en tant que chrĂ©tiens, nous nâavions pas vĂ©cu lâessence de notre chrĂ©tientĂ©. On tuait avec des fusils sur lesquels Ă©taient collĂ©es des images du Christ, de Marie et des Saints. Si câest le cas, cela veut dire quâ« eux aussi », les non chrĂ©tiens, font de mĂȘme peut-ĂȘtre. Eux aussi, tuent sans doute au nom de leur religion, et nous persĂ©cutent au nom de leur religion, alors que probablement, il ne sâagit pas de cela. »
Lors de mon premier retour, trois ans plus tard du fait de ces Ă©vĂ©nements de 1988-1990, Rita Ă©tait-elle parmi les amis que je retrouvais ? Je ne la vois pas. Comment sommes-nous restĂ©es en contact ? Je ne mâen souviens pas. Comment sommes-nous devenues amies ? Je ne sais pas.
Ce que je vois, câest cette relation tissĂ©e au fil dâun temps dont jâavais oubliĂ© le dĂ©but, mais quâelle me rappelle lorsque le croisement de nos vies sâenchevĂȘtre et prend forme. Ce dont je me souviens, câest que je me suis mise Ă la voir Ă chacun de mes retours et sĂ©jours parmi les miens.
Ce que je sais, câest cette amitiĂ© qui nous fait dĂ©couvrir une autre part de nous-mĂȘmes, qui permet de rĂ©vĂ©ler ce qui, jusque-lĂ , ne se donnait que parcimonieusement.
Câest ainsi que Rita, nous servant de guide dans ce pays que je dĂ©couvrais alors que je nây vivais plus, se met Ă Ă©voquer lâĂ©pisode de son exil, alors que nous Ă©tions installĂ©es dans un cafĂ© Ă DeĂŻr El Kamar dans le Chouf, dĂ©gustant les manakichs (galette) au thym vert. Si jâavais dĂ©jĂ entendu des sĂ©quences de son histoire au dĂ©tour dâune discussion, les faits relatĂ©s ce matin dâun mois dâaoĂ»t dans la rĂ©gion qui est la sienne mâont autorisĂ©e Ă mâaventurer plus loin dans son parcours que je ne connaissais finalement pas alors que nous nous frĂ©quentions depuis des annĂ©es. Elle avait Ă©tĂ© ce quâon appelait alors une dĂ©placĂ©e câest-Ă -dire une rĂ©fugiĂ©e dans son propre pays. Tous chassĂ©s du mĂȘme village, elle, les siens et tous les autres, câest-Ă -dire tous les chrĂ©tiens, ont dĂ» tout quitter, du jour au lendemain.
Rita est de Jwar El Hawz, un village chrétien du Mont Liban. Druzes et chrétiens vivaient ensemble dans la région.
Rita : « Quand la guerre a explosĂ© en 1975, on commençait Ă sentir quâil y avait quelque chose qui nâallait pas mais pour nous ce quelque chose se passait trĂšs loin de nous ; câĂ©tait les autres. Surtout quâon vivait dans un village Ă 1 350 mĂštres ; câest une rĂ©gion rurale, câĂ©tait loin ; la notion de la guerre nâexistait pas ; et quand on parlait de guerre, pour moi, câĂ©tait le Vietnam. »
Et pourtant, « câĂ©tait le 24 mars 1976 »
Souvenir prĂ©cis dâil y a 40 ans, dĂ©jĂ , inoubliable, dâun moment oĂč lâavenir se trame, oĂč le prĂ©sent modifie la trajectoire de ce quâon pensait avoir prĂ©vu, mais oĂč lâavant devient imprĂ©cis, difficile Ă cerner.
Rita : « Je pense que câĂ©tait un jeudi mais je ne suis pas sĂ»re. Je me rappelle quâavant ce jour-lĂ , on Ă©tait Ă lâĂ©cole, Ă Hamana (village essentiellement chrĂ©tien) ; elle regroupait des enfants de deux ou trois villages et nous Ă©tions les seuls, ma sĆur aĂźnĂ©e, mon frĂšre, ma sĆur jumelle et moi, de Jwar El Hawz. La maĂźtresse parlait avec sa collĂšgue Ă voix basse et on a entendu le nom de notre village. On ne savait pas ce qui se passait. Puis on nous a dit quâil fallait quâon aille au village, quâil y avait un problĂšme. On a attendu, je me rappelle ; puis ils sont venus nous prendre ; on nous a emmenĂ©s au village et on a su : un type de chez nous, de notre village, un chrĂ©tien, a tuĂ© quelquâun dâautre, dâun village dâĂ cĂŽtĂ©, un Druze. Pour un problĂšme dans le jardin oĂč quelque chose sâĂ©tait passĂ©. »
Les Ă©vĂ©nements sâenclenchent et se dĂ©clenchent dans une folie meurtriĂšre, prĂ©parant le terreau des dĂ©parts et de lâexode.
Rita : « Il paraĂźt quâon a essayĂ© de faire des nĂ©gociations pour que les Druzes ne se vengent pas mais ça nâa pas marchĂ© : il y avait des gens dans les jardins qui attendaient, et quand ils ont vu le pĂšre du tueur, ils lâont exĂ©cutĂ© Ă dĂ©faut de pouvoir tuer le fils qui sâĂ©tait enfui. Lâessentiel, câĂ©tait de tuer quelquâun liĂ© Ă lâassassin. »
Ćil pour Ćil, dent pour dent, ce nâest que le dĂ©but dâun long tunnel sordide oĂč les cadavres des morts, les fantĂŽmes de chaque famille hurlent Ă la haine, Ă la vengeance et aux reprĂ©sailles.
Rita : « Cette nuit-lĂ , on nâa plus osĂ© allumer une lumiĂšre, ni mĂȘme une bougie. Le village sâest terrĂ© dans le noir, nâosant plus broncher ni donner signe de vie. La mort guettait. »
La mémoire fait défaut, et les souvenirs cherchent leurs repÚres. Le temps se délite et se voile mais les images sont bien là , tout comme leur évocation, trente-sept ans plus tard.
Rita : « Je ne sais pas si câest ce jour-lĂ , ou bien avant ou bien aprĂšs, ou bien un ou deux mois plus tard, je ne sais pas, je ne me rappelle pas, mais le jour oĂč on sâest dĂ©placĂ©, je me rappelle que, avant⊠»
Le mĂȘme jour, bien avant ou bien aprĂšs, un ou deux mois plus tard, quelle importance surtout lorsquâon sort tout juste de lâenfance ? Une fois de plus, la temporalitĂ© fait dĂ©faut dans cet avant ce jour inoubliable, mĂ©morable.
Rita : « ⊠avant⊠des milices, des Kataeb étaient venus. »
Les Kataeb, ou Phalanges, constituent un parti politique fondĂ© en 1936 par Pierre GĂ©mayel, pĂšre du futur prĂ©sident de la RĂ©publique BĂ©chir. En 1978, BĂ©chir GĂ©mayel, crĂ©e le parti des Forces Libanaises (FL) qui sera effectif en 1980. Il sâagit alors dâun mouvement de rassemblement de tous les partis chrĂ©tiens actifs sur le terrain. BĂ©chir GĂ©mayel sâimposera comme chef du camp chrĂ©tien et des FL : au fur et Ă mesure des tournures nouvelles prises par cette guerre camĂ©lĂ©onienne, des affrontements entre les diffĂ©rentes milices se termineront par lâĂ©radication sanguinaire de tous ceux qui gĂȘnaient.
Samir Geagea, trĂšs proche de BĂ©chir GĂ©mayel, gravit les Ă©chelons des FL et devient une figure importante parmi les militants. BĂ©chir GĂ©mayel assassinĂ© en 1982, de nouveaux leaders assurent la relĂšve. Puis, une succession dâalĂ©as politiques conduisent Samir Geagea Ă la tĂȘte du parti en 1986.
Rita : « Ils passaient par Hamana, et il y a eu quelque chose entre les Kataeb et [⊠] je ne me rappelle pas. Tout ce que je me rappelle, câest que les Kataeb sont passĂ©s par notre village avec quelque chose qui sâappelle dammbar (le dammbar est comme un petit tracteur) et le dammbar des Kataeb Ă©tait vert ; il paraĂźt quâils ont fui ; il y a eu un problĂšme qui sâest passĂ© Ă Hamana ; je ne me rappelle plus de rien ; je ne comprenais pas ce qui se passait au niveau politique. »
Que comprendre, que penser de la politique qui rĂ©duisait le quotidien Ă dâĂ©ternelles discussions oĂč chacun y allait de sa comprĂ©hension de la situation, de ses suppositions, de ses convictions jusquâĂ parfois des fractures au sein dâune mĂȘme famille ? Pour que la vie me reste possible, sans doute aidĂ©e par une capacitĂ© Ă oublier de poser des questions, je dĂ©veloppe un dĂ©sintĂ©rĂȘt obstinĂ© pour toute forme de politique. Jâen arrivais Ă ignorer ce qui se passait, Ă se demander si je vivais dans ce pays. Les bombes qui explosaient et les assignations Ă domicile me le rappelaient rĂ©guliĂšrement. Mais ça en restait lĂ . JâĂ©tais en vie. Je restais en vie. Et je poursuivais.
Car, que comprendre, que penser des affaires des grands, surtout lorsque nous étions invités à aller dans notre chambre pour ne pas entendre ce que les adultes se racontaient ? Par contre, vivaces et intenses sont ces souvenirs parfois hésitants mais bien inscrits dans une histoire qui ne fait que commencer.
Rita poursuit dans ses souvenirs :
« Je me rappelle que ces personnes Ă©taient passĂ©es par notre village, et avaient demandĂ© Ă dormir chez nous, dans le village, parce quâil faisait nuit, froid et il nây avait pas dâĂ©lectricitĂ©. Donc ils ne pouvaient pas continuer leur chemin.
Le fait quâils restent chez nous cette nuit, on a su plus tard que câest pour cela quâon nous a accusĂ©s de les avoir aidĂ©s. Le lendemain, trĂšs tĂŽt, ils ont pris la route du cĂŽtĂ© de Tarchiche. En quittant, ils ont adaptĂ© une chanson de Fayrouz qui dit âYa ahel MeyssĂ©rime, dallo tzakarounĂ© ; qĂ©l ma habo tneĂŻn, tebko tzakarounĂ©â (habitants de MeyssĂ©rime, continuez de vous souvenir de moi ; dĂšs que deux sâaimeront, souvenez-vous de moi) pour âYa ahĂ©l Jwar, dallo tzakarouna ; qĂ©l ma maraâfawj, tebâo tzakarounaâ (habitants de Jwar, souvenez-vous de nous ; chaque fois quâil y aura une de nos troupes, souvenez-vous de nous).
Je me rappelle bien, et je ne les oublie jamais. »
Cette guerre qui nâen finit pas, qui se poursuit de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration, nâest pas prĂšs de nous lĂącher. Et moi je me souviens quâĂ cette mĂȘme Ă©poque, de lâautre cĂŽtĂ© de la montagne, je me prĂ©parais Ă vivre un autre exil, dâun autre genre, dâun autre style.
Rita : « Alors ils ont quittĂ©, et ce jour-lĂ , il y a eu tout dâabord des Palestiniens qui sont venus ; ils ont entourĂ© le village. »
Que je hais ces pantalons en treillis ! Que je ne supporte pas de voir des jeunes la tĂȘte cachĂ©e par une capuche, me rappelant trop ces corps fantĂŽmes zigzaguant pour fuir le danger.
Rita : « Encore aujourdâhui, je ne comprends pas pourquoi ils sont venus juste dans notre village ; jusquâĂ prĂ©sent je ne comprends toujours pas pourquoi ils ont choisi juste notre village, seul entiĂšrement chrĂ©tien alors que ceux dâalentour sont mixtes : ils regroupent chrĂ©tiens et druzes ; il nây a pas de villages autour de nous qui aient Ă©tĂ© dĂ©placĂ©s par des Palestiniens en 1976 ; il y a eu en 1975, Ă Damour (une bourgade du Chouf), le massacre entre les Palestiniens et la milice chrĂ©tienne, mais chez nous il nây a que nous ; je ne sais pas, je ne comprends toujours pas pourquoi il nây a eu que ce village Ă vivre et Ă connaĂźtre le dĂ©placement.
Je me rappelle quâils Ă©taient 3 000 Palestiniens et Druzes qui entouraient le village ; il y avait des Druzes qui soutenaient les Palestiniens qui nous ont chassĂ©s de notre village, et dâautres qui ne pouvaient plus rien faire mais sont venus pour aider un peu. Pour Ă©viter un massacre, ils sont venus pour faire des nĂ©gociations pour que ça se passe au mieux ; ils ne pouvaient rien faire dâautre⊠»
Des musulmans se sont mis Ă massacrer des druzes ; des druzes se sont mis Ă massacrer des chrĂ©tiens ; des chrĂ©tiens se sont mis Ă massacrer des druzes ; des druzes se sont mis Ă massacrer des musulmans ; des musulmans se sont mis Ă massacrer des chrĂ©tiens ; des chrĂ©tiens se sont mis Ă massacrer des musulmans⊠Tout ce monde-lĂ sâest mis Ă massacrer tout ce monde-lĂ , oubliant les annĂ©es de vie communautaire.
Appartenir Ă lâune ou lâautre des religions, dans un pays confessionnel oĂč celle-ci Ă©tait notifiĂ©e sur sa carte dâidentitĂ©, signait lâarrĂȘt de mort lorsquâon tombait sur un barrage dâune autre religion. Les confessions se sont regroupĂ©es dans un Beyrouth divisĂ© et lâEst et lâOuest se sont ainsi crĂ©...
Table des matiĂšres
- Couverture
- 4e de couverture
- Titre
- Copyright
- Préface
- Dédicace
- Scénario du partage du Liban
- Câest dans lâair
- Envol
- 1976-1977 â AlgĂ©rie
- 1977-1978 â Retour au Liban
- 1978-1979 â LâAlgĂ©rie Ă nouveau
- 1979-1980 â Nice
- 1980-1988 â Second retour au Liban
- Rita et moi, des chemins qui se croisent
- 1988 â Paris
- Vue dâailleurs
- AtmosphĂšre
- Remerciements
- Table