Les activités de socialisation : expériences plurielles et biographies singulières

Christine Delory-Momberger

• Éditeur: Téraèdre
• Année: 2018
• ISBN de l'eBook: 9782336846682
• Sujet: Sciences sociales
• Sujet: Sociologie

La socialisation ne se réduit pas aux seuls mécanismes de transmission et d'intériorisation de normes et de valeurs, elle met en jeu des processus de personnalisation par lesquels le sujet participe activement à la fois à son propre développement et à celui de ses milieux de vie. Comment appréhender concrètement ces activités de socialisation? Ce dossier permet de développer une analyse des processus à l'oeuvre dans la construction de la personne. Il invite à mieux appréhender le travail d'appropriation et de re-signification des normes et des valeurs mis en oeuvre par le sujet via ses activités de socialisation.

1.
SOCIALISATION ET PROCESSUS
DE BIOGRAPHISATION :
LE RÔLE D’AUTRUI

biographies et autobiographies de collectifs enjeux épistémologiques d’une recherche tabiographique appliquée aux collectifs de travail

Brigitte Almudever & Marie Piques1

Résumé

Dès 1981, F. Ferrarotti invitait à appliquer la méthode des histoires de vie au groupe. Depuis, sous diverses appellations – histoire de vie de collectivité, récit de vie collectif… – ont été mises en œuvre des démarches, variées et plus ou moins formalisées, de ce que nous désignerons du terme générique de « biographie collective ». Nous nous attachons à rendre compte de cette diversité de pratiques en distinguant deux grandes classes de biographies collectives : les biographies de collectifs et les autobiographies de collectifs. Nous en présentons quelques exemples synthétiques et argumentons l’intérêt que les secondes présentent pour les recherches et/ou interventions en psychologie sociale clinique du travail. Deux questions d’ordre épistémologique sont discutées : quel est, dans l’application de la recherche biographique aux collectifs de travail, le statut du sujet collectif – auteur de son histoire ? Quelle est la spécificité du travail de biographisation engagé dans l’élaboration de ce qui se présente comme une autobiographie collective ?

Abstract
Biographies and autobiographies of collectives. Epistemological stakes of biographical research applied to work collectives

From 1981, F. Ferrarotti invited to apply « life story » method to groups. Since then, several approaches, varied and more or less formal, were drawn up – « community life story », « collective life narratives »… We suggest to name them « collective biography » and we present their diversity by distinguishing two classes of approaches : biography of collectives and autobiography of collectives. We illustrate them and argue the interest of applying collectives’autobiography to psychosocial research and intervention on work. We discuss two epistemological issues : what is the status of the subject-author in work collectives’autobiography ? What is the specificity of the biographisation process within such autobiography ?

MOTS CLÉS : biographie collective, biographie de collectifs, autobiographie de collectifs, collectif de travail, biographisation, sujet social.

KEYWORDS : collective biography, biography of collectives, autobiography of collectives, work collectives, biographisation, social subject.

Introduction

Le retour en force de la biographie dans les sciences humaines et sociales à partir des années 1970 s’est accompagné d’un important effort d’invention méthodologique en matière de recherche biographique, principalement appliqué à l’élaboration de méthodes ciblant l’étude du cas individuel comme le récit de vie (centré sur l’acte de narration, principalement orale, de sa vie à un ou plusieurs narrataires) et l’histoire de vie (centrée sur le travail de recomposition et re-signification, et, souvent, d’objectivation à travers l’écriture, de son histoire). C’est en ces termes et en s’appuyant sur les définitions de D. Bertaux (1997) et A. Lainé (1998) que C. Niewiadomski (2008) propose de distinguer ces deux méthodes dont la première serait l’outil biographique privilégié des recherches sociologiques et la seconde, celui des recherches en psychologie.

Au-delà de ces approches centrées sur les cas individuels, dès le début des années 1980, le sociologue F. Ferrarotti (1983) a défendu l’idée d’une application possible de la méthode biographique à des groupes et à des collectifs. Cette invite n’a pas fait, à l’époque, l’objet de développements scientifiques spécifiques. Par contre, depuis une vingtaine d’années environ, différents courants – notamment les études féministes et les recherches et interventions en sciences de l’éducation et de la formation – se sont saisis de cette ouverture : ces courants ont mis en place des pratiques, diverses et plus ou moins formalisées, que nous qualifierons ici, de manière générique, de « biographie collective », centrées sur et/ou élaborées par un collectif.

Dans cette contribution, nous nous attacherons à rendre compte de la diversité de ces pratiques de « biographie collective » en proposant de les ranger sous deux grandes catégories : les biographies de collectifs et les autobiographies de collectifs. Les premières sont mises en œuvre par des chercheurs extérieurs à ces collectifs, sur la base de données et documents biographiques divers, alors que les secondes mobilisent directement le collectif dans le récit et l’élaboration de sa propre histoire.

Il s’agira alors d’examiner, sur l’exemple des collectifs de travail et des recherches-interventions dont ils sont l’objet et les sujets, comment les pratiques de biographie collective participent à l’inter-construction des sujets individuels et d’un « Nous », irréductible à la somme de leurs singularités. Deux questions d’ordre épistémologique seront discutées : quel est le statut de ce « Nous » sujet – auteur de son histoire ? Quelle est la spécificité du travail de biographisation (Delory, 2004, 2014) lorsqu’il est engagé par un collectif ?

Quand l’expression « biographie collective » renvoie à l’élaboration de biographies de collectifs

Cette première acception de « biographie collective » est particulièrement représentée dans les travaux d’historiens et de sociologues attachés à rendre compte de l’histoire et du développement de certains groupes et mouvements (par ex., le mouvement ouvrier, le mouvement féministe). Différents termes peuvent être utilisés pour désigner ce type d’approche biographique : biographies de groupes, de masse, sociographie.

Dans les travaux anglo-saxons, le terme de collective biography est, la plupart du temps, considéré comme un synonyme de prosopography. La prosopographie est assimilée à une « quantification systématique des vies » (Townsend & Weiner, 2011, p. 142) : elle a souvent à voir avec la production de fiches standardisées pour caractériser et comparer les parcours des individus appartenant au collectif ciblé par l’étude. C’est à partir de telles données et par le biais de diverses opérations – de classification, comptage, construction de typologies (Lemercier & Picard, 2012) – que les chercheurs procèdent à une approche biographique du collectif. Ce type de pratique prête le flanc à la critique quand il se réduit à une compilation d’informations : la tradition des dictionnaires biographiques (voir par ex. le Dictionnaire biographique sur le mouvement ouvrier de Maitron2), rassemblant les notices biographiques d’un grand nombre de membres de tel ou tel groupe, peut illustrer ce genre de réduction. Ce qui n’interdit pas de reconnaître à ces dictionnaires une valeur intrinsèque en ce qu’ils comblent souvent des lacunes dans la connaissance historique et/ou offrent un support précieux pour d’autres recherches. C’est tout le sens de l’éloge que G. Weiner (2008) fait de la biographie collective de la première vague du féminisme réalisée par la sociologue O. Banks (1985). G. Weiner souligne qu’outre le fait d’avoir remédié à l’amnésie des historiens quant à la participation des femmes dans les mouvements sociaux et politiques, O. Banks a été une pionnière dans le champ de la recherche prosopographique : son travail a précédé le développement par P. Bourdieu, à partir de 1990, de la prosopographie comme méthode de recherche en sociologie (la French prosopography) et a soutenu les développements actuels de la biographie collective par B. Davies et S. Gannon (2006).

Par ailleurs, il s’avère tout à fait possible d’envisager une prosoprographie compréhensive telle que l’illustre la recherche, en sociologie, de M. E. David (2014) sur la seconde vague du féminisme. Dans son ouvrage Feminism, Gender and Universities, l’auteur présente la démarche qu’elle a mise en place pour étudier comment les féministes universitaires se voient elles-mêmes aujourd’hui et pour examiner si, lorsqu’elles réfléchissent à leurs contributions à la vie académique, elles se considèrent – ou non – comme des féministes de la seconde vague. Le terme de « seconde vague » « est utilisé pour distinguer les activités politiques des femmes durant le dernier tiers du XXe siècle, alors qu’elles élaboraient une approche pédagogique féministe innovante » (David, 2014, p. 51). C’est bien parce que la pertinence de la distinction d’une telle seconde vague est objet de controverse dans l’histoire du féminisme que l’auteur en teste la validité dans l’élaboration d’une biographie collective de ces femmes. Si M. E. David reprend à son compte la référence à la prosopographie, l’auteur se démarque néanmoins d’une perspective quantitative. Travaillant avec des universitaires contemporaines (contrairement à Banks dont les sujets appartenaient à une autre époque), M. E. David les sollicite directement pour répondre à ses questions et pour réfléchir à leur histoire de vie en lien avec celle du mouvement féministe. Bien que sollicitant la réflexivité des participantes, on ne peut cependant pas parler ici de ce que nous appelons, au paragraphe suivant, des « autobiographies » de collectifs : en effet, si les participantes de l’étude de M. E. David sont impliquées dans la construction du sens d’une histoire collective, elles le sont individuellement, et, en dernier ressort, ce n’est pas le « Nous » mais la chercheure qui structure et compose la biographie collective.

Quand l’expression « biographie collective » renvoie à des démarches d’autobiographie de collectifs

Souvent mises en œuvre et formalisées par des chercheurs en sciences de l’éducation et de la formation, les pratiques présentées dans cette seconde catégorie ont en commun de mobiliser un collectif en tant que co-auteur dans le ré...

Table des matières

• Couverture
• 4e de couverture
• Les activités de socialisation : expériences plurielles et biographies singulières
• Remerciements
• Sommaire
• dossier
• présentation
• 1. socialisation et processus de biographisation : le rôle d’autrui
• 2. mise en scène du processus de socialisation dans l’espace public chez les adolescents
• 3. construction de soi et engagements/désengagements citoyens
• 4. socialisation de genre et expériences de vie plurielles
• varia
• recensions d’ouvrages
• livres et revues reçus
• l’association « Le sujet dans la Cité » l’université ouverte du sujet dans la Cité
• adhésion à l’association Le sujet dans la Cité
• commande au numéro
• note aux auteurs
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• Le sujet dans la Cité Revue internationale de recherche biographique