Les Turcs à la mine
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Les Turcs à la mine

L'immigration turque dans l'industrie charbonnière belge (1956-1970)

  1. 404 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Les Turcs à la mine

L'immigration turque dans l'industrie charbonnière belge (1956-1970)

À propos de ce livre

Pourquoi et comment une immigration turque s'est développée à destination de la Belgiqueà partir de la première moitié des années 1960? Ce livre retrace cette histoire, intimement liée à celle de l'industrie charbonnière belge, en s'intéressant aux trajectoires migratoires des quelque 17000 travailleurs turcs recrutés par les charbonnages belges entre 1962 et 1965 ainsi qu'aux processus de gestion et de stabilisation familiale de cette main-d'oeuvre temporaire à long terme.

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Informations

1
Les premières tentatives de recrutement en Turquie (1956-1957)

Si la catastrophe minière survenue le 8 août 1956 aux charbonnages du Bois du Cazier à Marcinelle et son lourd bilan de 262 morts, dont 136 mineurs italiens, sonnent définitivement le glas du recrutement contingenté de main-d’œuvre au départ de l’Italie, la Belgique procède bien avant cette date à une diversification de ses sources d’approvisionnement en recrutant, dès 1955, plusieurs centaines de travailleurs grecs et en entamant, dès juin 1956, des pourparlers avec le gouvernement franquiste1.
Toutefois, l’ampleur de cette tragédie industrielle, qui confirme une fois de plus l’état de vétusté des installations houillères belges et l’extrême dangerosité des conditions de travail qui y règnent, et son retentissement médiatique international ont tôt fait de compromettre les nouveaux projets de recrutement. Les autorités italiennes entreprennent des démarches auprès des autorités espagnoles, sur le point de signer une convention bilatérale avec la Belgique, afin d’établir une ligne de conduite commune face aux prétentions belges. Les autorités portugaises décident quant à elles de suspendre l’envoi de nouveaux contingents de mineurs2.
Jusqu’à ce que l’Espagne et la Grèce assurent définitivement au patronat houiller belge la relève tant attendue, ces difficultés successives poussent les autorités et les sociétés minières à élargir encore davantage leur périmètre de recrutement3. Malgré « la difficulté qu’il y a d’assimiler des Nord-Africains », des contacts exploratoires ont lieu dès octobre 1956 avec le Maroc nouvellement indépendant4. Sans être formellement rejetée, une offre du gouvernement français visant à mettre de la main-d’œuvre algérienne à la disposition des charbonnages et d’autres secteurs industriels belges est en revanche déclinée en raison de lourdes préventions liées à des expériences antérieures5.
Bien que la Turquie ne soit pas encore non plus, à cette époque, dans le collimateur des pouvoirs publics belges, des contacts sont pris par certaines sociétés houillères avec différents intermédiaires en vue d’examiner la possibilité de recruter des travailleurs turcs6.
Parmi ces agents intermédiaires, une officine dirigée par une personnalité en vue de la Chambre de commerce belgo-turque entreprend, dès le mois d’octobre 1956, une opération de recrutement d’un millier de travailleurs turcs à İzmir7. Une première démarche auprès du bureau régional de l’Office du travail et du placement (İş ve İşçi Bulma Kurumu – İİBK) n’ayant pas donné de résultats probants, celle-ci tente de procéder par ses propres moyens à une campagne d’embauche en proposant une offre salariale particulièrement attractive de cinq à six dollars par jour, correspondant à plus du sextuple du salaire gagné par l’ouvrier mineur des charbonnages de Zonguldak (région côtière de la mer Noire)8. Elle obtient aussitôt plus d’un millier d’offres de candidature. L’organisation administrative du recrutement s’avère cependant beaucoup plus ardue que prévu. Les recruteurs, appuyés par la Fedechar, étudient la possibilité d’obtenir pour les candidats des passeports individuels et des visas de sortie sans provoquer une intervention plus importante des autorités turques, « lesquelles demanderaient sans doute la signature d’un traité, ce qui retarderait de plusieurs mois, sinon de plusieurs années, le départ des intéressés »9. La médiatisation de l’affaire, couplée à l’intérêt manifeste suscité par les promesses alléchantes des recruteurs, rend toutefois caduc tout projet de recrutement en catimini. Face à l’engouement suscité parmi la population smyrniote, le bureau régional de l’İİBK décide d’en référer à son ministère de tutelle pour connaître la position du gouvernement turc10.
L’éditorial du 17 octobre du quotidien stambouliote Son Posta (Le dernier courrier) annonce de suite la couleur. Signé de la plume de son propriétaire, Selim Ragıp Emeç, éminent parlementaire du Parti démocrate (Demokrat Partisi – DP), au pouvoir depuis 1950, il reflète une « animosité visible » à l’égard de cette entreprise de recrutement et essaie de dissuader les travailleurs turcs de répondre à de telles offres. Se référant aux dernières catastrophes minières survenues en Belgique, le journaliste-député conservateur pointe plus particulièrement du doigt l’insuffisance des normes de sécurité dénoncée à l’occasion des débats parlementaires belges, ainsi que le système du salaire à la production (salaire à marché) qui pousse l’ouvrier à négliger certaines mesures de précaution (travaux de soutènement, travail à jeun, etc.) :
La promesse de gagner 5 ou 10 dollars par jour est loin d’être un avantage pour un ouvrier turc. Car une mine de charbon où toutes les mesures de précaution ne sont pas prises ne diffère pas d’une tombe. Lorsqu’il s’agit d’aller s’enterrer soi-même, il n’y a aucune promesse qui puisse être attrayante. C’est pour cette raison que nous mettons en garde l’ouvrier turc contre de pareils engagements qui rappellent les racolages d’esclaves, et nous attirons également l’attention du Gouvernement sur ce fait. Car nous ne sommes pas en mesure de dépenser inutilement même un seul de nos hommes11.
Une dépêche parue le même jour en une de ce même quotidien indique par ailleurs que les milieux ouvriers stambouliotes ont accueilli de façon mitigée la nouvelle selon laquelle le délégué d’une société charbonnière belge se serait rendu à İzmir et y aurait entrepris des démarches pour embaucher quelque 30 à 35 000 ouvriers turcs destinés à être occupés dans les mines de Belgique. De nombreux travailleurs déclarent aux journalistes venus les interroger qu’il serait déplacé de répondre à une offre de ce genre au moment où leur pays déploie d’importants efforts pour son relèvement12.
Les services de l’ambassade de Belgique à Ankara, du consulat général à İstanbul et du consulat honoraire à İzmir laissent entendre un tout autre son de cloche et affirment recevoir de nombreuses offres de service d’ouvriers turcs de tous âges. Si Gérard Walravens, l’ambassadeur de Belgique en Turquie, estime inutile d’engager une polémique avec la presse turque, il juge toutefois opportun de l’éclairer sur l’organisation des charbonnages en Belgique et demande à cette fin que le ministère des Affaires étrangères mette de la documentation à sa disposition13.
Le journal kémaliste Cumhuriyet ne sous-estime pas non plus le succès de la campagne menée par les recruteurs belges, mais se montre tout aussi opposé à une émigration de main-d’œuvre pour les mines belges à travers un article au titre des plus explicites : « Envoyer les travailleurs turcs dans les charbonnages de Belgique ? Pas question ! ». Il reprend dans le détail les inconvénients et les risques d’un engagement au service de l’industrie charbonnière belge, en citant notamment des extraits du témoignage-réquisitoire apporté par le militant pacifiste et objecteur de conscience belge Jean Van Lierde dans une brochure publiée trois ans auparavant et rééditée au lendemain de la catastrophe de Marcinelle, intitulée « Six mois dans l’enfer d’une mine belge »14. L’un des chroniqueurs vedettes du Cumhuriyet, l’ancien communiste Vâlâ Nurettin, se demande toutefois comment le gouvernement turc va parvenir à réfréner le désir des ouvriers turcs de partir tenter leur chance à l’étranger alors qu’il n’a pas encore été capable de mettre sur pied un salaire minimum, ni une pension de vieillesse digne de ce nom15.
Le gouvernement turc finit par trancher définitivement le contentieux dans le courant du mois de novembre en fermant la porte à toute initiative d’émigration de main-d’œuvre pour les mines belges. Le ministère du Travail donne par ailleurs à l’İİBK des instructions en vue de prendre toutes les mesures appropriées pour faire respecter cette mesure d’interdiction16. Cette décision est officiellement justifiée par l’analyse faite par les autorités turques des conditions de travail dans les charbonnages belges, démontrant la médiocrité du matériel et de l’outillage utilisés, ainsi que le non-respect d’un minimum de sécurité17.
Cependant, la Fedechar ne se déclare pas vaincue pour autant. Vu le nombre d’offres adressées par des candidats migrants turcs à l’ambassade de Belgique à Ankara, les possibilités sont évidentes. Toutefois, leur émigration n’est possible que s’ils peuvent obtenir, d’une manière ou d’une autre, tous les documents requis par les autorités belges, ou ne fût-ce qu’un passeport, et peuvent donner des garanties suffisantes, notamment d’aptitude au travail. La Fedechar accepte alors, à titre d’essai, l’offre d’une firme qui s’occupe habituellement du placement de main-d’œuvre en Turquie, mais le contexte moyen-oriental compromet très tôt le projet.
Pourtant, l’industrie minière belge ne renonce pas18. Au début de l’année 1957, dans une note rédigée à l’intention du ministre des Affaires économiques, le directeur général des Mines, André Vandenheuvel, dresse le tableau des possibilités de recrutement à l’étranger. Ce rapport confirme l’existence d’une forte demande de la main-d’œuvre turque pour pouvoir travailler dans les charbonnages de Belgique. La Fedechar atteste avoir reçu des milliers de candidatures en provenance de Turquie. L’émigration continue cependant à être strictement interdite par les autorités turques qui se justifient désormais par la nécessité de mobiliser leur armée à cause de la montée des tensions avec la Syrie19. Si les mesures prises par la défense nationale turque venaient à être levées, la Fedechar se montrerait toute disposée à engager de suite quelques centaines de travailleurs à titre d’essai. En cas de réussite, ces premiers engagés constitueraient un noyau de référence pour l’avenir20.
Comment interpréter le refus des autorités turques de voir certains de leurs ressortissants partir travailler à l’étranger et en particulier en Belgique ? Les risques d’accidents graves que peuvent encourir les travailleurs turcs dans les charbonnages belges constituent certainement un élément psychologique majeur, comme le laisse entendre l’article au ton acerbe de Selim Ragıp Emeç. L’année 1956 a été particulièrement meurtrière pour l’industrie minière belge, avec 359 décès, soit un taux d’environ quatre morts pour mille mineurs en activité21. Les charbonnages belges n’ont cependant rien à envier à l’industrie houillère de Zonguldak. Les installations et l’outillage y sont encore bien plus vétustes et les conditions de travail plus dangereuses encore que dans les charbonnages belges avec une proportion annuelle de 3,5 % de décès et d’environ 30 % de blessés parmi les ouvriers en activité22.
Au-delà des raisons politiques (tension au Proche-Orient dans le contexte de la crise de Suez, différend turco-syrien) ou éc...

Table des matières

  1. Couverture
  2. 4e de couverture
  3. Copyright
  4. Titre
  5. Remerciements
  6. Introduction
  7. 1 – Les premières tentatives de recrutement en Turquie (1956-1957)
  8. 2 – L’immigration turque dans l’industrie houillère belge (1963-1965)
  9. 3 – L’immigration touristique et le débauchage de main-d’œuvre : un Janus migratoire
  10. 4 – L’immigration turque en tant que problème public
  11. 5 – La stabilisation familiale d’une main-d’œuvre d’appoint temporaire à long terme
  12. Conclusion
  13. Annexe
  14. Sources et Bibliographie
  15. Sigles et acronymes
  16. Table des matières