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Le conteur et le comptable
Lire les différences culturelles pour rapprocher les hommes
- 152 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
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Le conteur et le comptable
Lire les différences culturelles pour rapprocher les hommes
À propos de ce livre
Le développement des transports, les nouvelles technologies et la croissance démographique nous conduisent à nous rapprocher inexorablement les uns des autres. La cohabitation est de plus en plus forte. Cette proximité peut faire naître des tensions, fruits de l'ignorance et désir d'imposer la même vision à tous. L'auteur propose quelques actions concrètes pour construire un futur souhaitable où l'avenir des hommes sera paisible.
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Informations
II
Le droit à l’erreur, un ressenti : de la précarité à la sécurité, un rapport à la mort, au choix, à l’incertitude…
Il nous semble que la notion de droit à l’erreur mérite d’être définie de façon plus précise : que se passe-t-il lorsque qu’une personne se trompe ? Il y a une première hypothèse que nous prendrons comme point 0 dans notre raisonnement : elle meurt.
Sur la base des observations menées dans près de soixante pays du monde, nous pouvons proposer une triple définition de la précarité :
– L’erreur est synonyme de mort,
– Les personnes n’ont pas le choix,
– Les personnes disposent d’une faible capacité à contrôler les incertitudes.
Sur les hauts plateaux boliviens, ce délégué d’une ONG française s’impatiente : il est là, à argumenter auprès de ces paysans qu’il encourage et suit depuis cinq ans maintenant.
Il a beau proposer de nombreuses idées, elles ne suscitent que peu d’enthousiasme. Il commence à douter de la bonne volonté de ses interlocuteurs. Mais, doucement, son voisin de droite le ramène à la réalité contextuelle :
« Tu sais on écoute ce que tu dis, mais si on te semble si prudent c’est par ce que nous, si on se trompe, on meurt. »
Cette triple approche peut également se lire simplement : le rapport à la mort, le rapport au choix et le rapport à l’incertitude. Le rapport à la mort définit une approche plus anthropologique, le rapport au choix une approche plus socio-économique, le rapport à l’incertitude rejoint des soucis d’ordre pédagogique.
À l’autre bout du spectre du droit à l’erreur se trouvent les situations où tout est permis, où l’erreur n’a quasiment jamais d’issue fatale.
Le directeur général de cette grande banque est tout de même un peu inquiet. L’année se termine mal, son établissement va annoncer une perte de plusieurs milliards d’euros. C’est embêtant… Le téléphone sonne à cet instant : c’est le président du conseil d’administration qui est au bout du fil :
« Comme prévu vous toucherez cette année un bonus de six millions d’euros. Bravo ! »
Il est alors possible de décrire les contextes de sécurité de trois façons complémentaires :
– L’erreur n’entraîne pas la mort,
– Chacun dispose de choix nombreux,
– Les hommes disposent d’une forte capacité à contrôler les incertitudes.
Pierre n’en croit pas ses yeux : il vient d’obtenir un billet pour faire Paris-Lyon en train dans un mois et le billet comporte déjà l’heure de départ à la minute près ! Et, en plus, l’heure d’arrivée à Lyon-Part-Dieu figure également… à la minute près ! « Dans mon Cameroun natal, pense-t-il, nous ne savons même pas quel jour part le train ! Quant à savoir son heure d’arrivée à destination… »
De la grande précarité – si je me trompe, je meurs – à la grande sécurité, il y a sept milliards de points, sept milliards d’hommes qui, à chaque instant de leur vie, sont dans un contexte précis mais qui, de surcroît, peuvent se déplacer d’un côté à l’autre. Il y a d’abord la chronologie des étapes de la vie de chacun : les premiers jours d’un nourrisson définissent un contexte précaire puis, en grandissant et en acquérant autonomie et formation, il se dirige vers un contexte plus sûr. Les derniers jours de la vie de chacun sont souvent le grand âge, un retour vers une forme de précarité. Mais chacun des sept milliards d’êtres de la planète a sa propre trajectoire, et son voyage vers la sécurité est souvent entravé par la pauvreté, la misère, la guerre, la maladie, le chômage. Nombreux sont ceux qui pensent accéder à cette sécurité en quittant leur lieu de vie et en tentant leur chance ailleurs : les migrants.
Le rapport à l’initiative
Suivant le contexte dans lequel l’Homme évolue, son rapport à l’initiative ne sera pas le même. Dans un contexte très précaire, où l’erreur est synonyme de mort, elle sera assimilée à un risque. Certaines langues, comme l’aymara (langue vernaculaire de Bolivie), ne disposent que d’un mot pour désigner initiative et risque. Le sentiment de précarité rapproche donc l’initiative de la notion de risque. Il ne faut pas s’étonner si des personnes ou des groupes sociaux, confrontés à une grande précarité, semblent parfois hésiter avant de prendre l’une ou l’autre initiative… Ce n’est pas une raison suffisante pour décréter, de façon générale, que telle ou telle population, en Afrique ou ailleurs, est « fataliste » ! On peut noter qu’il s’agit là du comportement collectif et il est parfaitement possible, même dans ce contexte, que l’individu prenne une initiative, même très dangereuse : « Partir, c’est mourir un peu… mais rester, c’est mourir beaucoup ! » dit Fellag, grand humoriste algérien.
Par contre, dans un contexte où la mort semble lointaine, dans un contexte de sécurité, dans un monde où un Président Directeur-Général de banque, au vu d’un résultat catastrophique se comptant en milliards d’euros de pertes, se voit remercier avec bonus, retraite chapeau et autre golden parachute, dans ce contexte il n’est pas étonnant que l’initiative puisse être valorisée : elle devient une opportunité. Chacun y va alors de son commentaire sur les vertus supposées de l’initiative, et c’est dans cette ambiance générale que les enfants sont élevés. Ils vont ensuite, devenus adultes, regarder le monde à travers cette petite lorgnette qu’ils confondent avec une vision objective du monde et des hommes.
« Responsable et pas coupable »
La France est un pays connu pour sa capacité à conceptualiser : c’est ainsi qu’il y a quelques années une éminente responsable politique a théorisé la sécurité ultime en revendiquant la rupture totale entre initiative et risque pour se défendre dans une affaire de droit commun. Elle fut la première à théoriser la sécurité absolue : « Responsable mais pas coupable ». Cette expression, intraduisible dans aucune autre langue, définit parfaitement la posture de certains hauts personnages en France : ils souhaitent être responsables de tout, mais coupables de rien, quoi qu’il arrive. Nous n’avons pas fini de payer les effets délétères de cette expression. Car si l’on peut comprendre l’intérêt qu’il peut y avoir pour la personne concernée à faire un distinguo net entre la responsabilité morale et la responsabilité pénale, il faut voir à quel point cela suppose de vivre dans un monde ultra-protégé. L’employé de base d’une entreprise ne pourra jamais arguer d’une telle distinction pour s’exonérer des conséquences d’une faute. Doutons d’ailleurs que madame Angela Merkel se reconnaisse dans ce genre de nuances ! Quant au paysan andin…
Une initiative… et deux significations
Un échange, un projet, une ambition communs à deux personnes, deux groupes, peuvent se heurter à cette différence : le volontaire d’ONG, le cadre expatrié, le travailleur social mettent dans le mot initiative une valeur positive et valorisante. Le petit paysan indien, africain, l’opérateur sur une plate-forme pétrolière, la mère de famille en difficulté dans une banlieue sensible y perçoivent un risque, parfois considérable. L’usage d’une langue commune, fût-elle le « globalenglish », n’arrangera rien dans ce domaine. Le risque est alors considérable de porter un jugement sur le « fatalisme de l’Autre », paysan ou migrant, mère de famille en difficulté, sans domicile fixe, l’un de ceux que notre société laisse régulièrement sur le bord de la route car ils ne sont pas en mesure de se lancer dans une compétition dont on prétend qu’elle constitue l’alpha et l’oméga de l’organisation du monde.
Des logiques sociales implicites : cohésion/compétition
Entre précarité et sécurité, ce sont deux visions du monde qui vont se comparer.
Dans un contexte précaire, où l’erreur n’est donc pas permise, celui qui se trompe meurt… et donc celui qui ne meurt pas ne s’est pas trompé. Et, à force de ne pas se tromper, il va donc vivre longtemps, vieillir. Il est logique que dans un contexte perçu comme précaire, les vieux soient systématiquement perçus comme sages, références dont il faut s’inspirer. En arabe, le terme chibani désigne le vieux, le sage, celui qui a les cheveux blancs. En moré (la langue des Mossis, au Burkina Faso), le terme nkiema couvre le même champ. Mais cela n’a rien voir avec le fait que les populations soient arabes ou burkinabè : elles sont simplement confrontées à la précarité !
Dans ce contexte, pour optimiser la probabilité de survie, il est bien logique de chercher à imiter celui qui a vécu le plus longtemps, le vieux. La logique implicite qui en découle peut se résumer ainsi : tu feras comme ton père.
Il semble y avoir donc une relation forte entre le sentiment de précarité et la tendance à vouloir reproduire les pratiques éprouvées jusqu’alors : ne serait-ce pas là l’origine des traditions ?
Il est alors possible d’en donner une définition opératoire : « Ensemble des dispositions qu’un groupe en milieu hostile prend pour éviter qu’une erreur individuelle ne mette en péril la survie du groupe ».
On comprend ainsi que les traditions soient d’autant plus fortes que le milieu est plus hostile, plus précaire. Et cette définition nous mène alors à un autre constat.
En mission sur une plate-forme pétrolière, là où des ingénieurs hautement qualifiés œuvrent pour nous fournir le fameux pétrole, sang de nos économies, nous avons eu la surprise de constater les précautions prises dès notre arrivée :
« Vous êtes affecté au canot de sauvetage D. Voici votre T card. Veuillez la déposer sur le safety board, je vous conduis à votre canot pour vous montrer sa localisation ».
Au pied de la torchère, dans le vacarme de l’usine de production d’électricité, une question naïve surgit :
« Ici, qu’avez-vous comme liberté d’initiative ?
– Ici, aucune !
– Mais comment faites-vous alors ?
– Ici on respecte les procédures ».
C’est vrai, j’avais oublié : quand il s’agit d’ingénieurs blancs, on appelle cela des procédures : « l’ensemble des dispositions qu’un groupe en milieu hostile prend pour éviter qu’une erreur individuelle ne mette en péril la survie d’un groupe. »
Mais alors pourquoi des noms différents ? Les « traditions » pour les paysans, les « procédures » pour les ingénieurs ? Ne serait-ce pas pour éviter de penser que Paysans et Ingénieurs, en fait, fonctionnent de la même façon ? Ne serait-ce pas trop brutal d’être obligé de se rendre à l’évidence : en fait il n’y a qu’une seule humanité et, mise devant un risque de mort, elle agit toujours de la même façon. Il y a là un exemple précis de la question du choix du vocabulaire pour justifier un a priori : celui qui tient à marquer la différence entre « paysans noirs » et « ingénieurs blancs » mettra en avant le fait que la tradition est empirique et orale et que la procédure est expérimentale et écrite. Celui qui tient à rapprocher les hommes les uns des autres pour améliorer la cohésion sociale en faisant diminuer la peur, s’attache au fait que dans les deux cas, tradition et procédure, c’est la proximité de la mort qui donne la primauté au groupe sur l’individu. Dans le domaine de l’interculturel, les choix individuels ont une large place.
Par contre, dans un contexte de sécurité, là où l’erreur est permise, la valorisation de l’initiative se fait très tôt, de façon plus ou moins explicite. La logique collective consiste à élever les enfants dans une sorte de principe implicite : « Tu feras mieux que ton père ». Elle imprègne tous les aspects de la vie quotidienne, jusqu’à devenir une sorte de leitmotiv que d’aucuns confondent alors avec une vérité universelle.
Le lycéen paraît très content de lui. Il se dirige avec assurance et un grand sourire vers son père :
« Papa, je viens de recevoir mon bulletin. Il va te plaire !
– Education Physique et Sportive :
– note, dix-sept sur vingt,
– rang : premier,
– commentaire du professeur : « Peut mieux faire ».
Dis papa, mieux que premier, c’est combien ? »
Nombreux sont ceux qui se laissent entraîner à confondre les habitudes contextuelles avec des normes : « Tout le monde cherche à améliorer sa situation » est une de ces évidences qui participent à l’incompréhension entre les hommes.
De surcroît, l’idée de « faire mieux que son père » a été largement disqualifiée par la confusion entre faire plus et faire mieux. De très nombreux économistes, des hommes politiques, ont entretenu, sciemment ou pas, cette confusion : « Travailler plus pour gagner plus » en a été l’un des nombreux avatars qui a induit des populations entières en erreur. Est-il vraiment sûr que ce soit mieux de travailler plus pour gagner plus ? Quand des générations d’ouvriers, d’employés et de cadres se sont dévoués à leur travail, parfois même à leur employeur, y sacrifiant une part notable de leur vie personnelle et familiale, pour se retrouver au chômage à cinquante ans sans espoir de reconversion, la relation entre le plus et le mieux n’est pas évidente.
C’est justement cette confusion qui est à l’origine de ce nous appelons la crise, mais qui, selon nous, loin d’être une crise passagère n’est que la fin d’une logique. On ne peut indéfiniment produire plus dans un monde fini : « Celui qui croit qu’une croissance infinie est possible dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste » (Kenneth Boulding).
Sortir de la précarité
Cet angle d’observation fournit un éclairage particulier sur les moyens de sortir de la précarité. Il convient de ne pas se laisser emporter par un amalgame facile, et courant : la logique implicite de la précarité – tu feras comme ton père – peut faire croire que les groupes sociaux concernés ne veulent pas changer de pratiques sociales et qu’ils sont porteurs de logiques conservatrices. Cet argument est souvent mis en avant sous les formes les plus démagogiques : « Ils se complaisent comme cela », « Ils ne font rien pour s’en sortir », « Ils préfèrent se laisser vivre et profiter des services sociaux ». En réalité, il n’en est rien :
Le soleil commence à baisser sur l’horizon montagneux et désertique. Il fait encore très chaud mais, à cette heure, il est possible de se remettre à travailler un moment. Assis en cercle sur une natte, les étudiants écoutent l’enseignant qui termine une explication sur les progrès possibles dans la région en matière d’élevage ovin. Leur hôte, un nomade de la tribu des Ouled Sidi Cheikh, dessine d’improbables figures dans le sable, puis se lève, saisit la bouilloire sur le feu, remplit un petit verre de thé brûlant et très sucré, et le tend à l’enseignant :
« On écoute bien tout ce que tu dis et c’est intéressant, mais, nous, on aimerait bien faire mieux, à condition de continuer à faire pareil. »
Ce souhait peut paraître contradictoire, en réalité il dit deux choses essentielles :
– La précarité n’est pas une situation enviable et nous souhaitons en sortir. Sauf que pour le moment nous n’avons pas le choix. Ne confondons pas « ne pas avoir le choix » et « se complaire dans la situation ».
– Nous devons respecter les pratiques traditionnelles car tous ceux qui s’en sont écartés sont morts. Il faut donc bien arriver à faire mieux en continuant à faire pareil.
Il apparaît alors ici que la logique de précarité n’est pas conservatrice, mais conservatoire : faire mieux mais en continuant à faire pareil, en tenant...
Table des matières
- Couverture
- 4e de couverture
- Titre
- Copyright
- Dédicace
- Exergue
- PRÉAMBULE
- I. La peur de l’Autre et les moyens de la vaincre
- II. Le droit à l’erreur, un ressenti : de la précarité à la sécurité, un rapport à la mort, au choix, à l’incertitude…
- III. Parler ou écrire, un autre paramètre universel et négociable
- IV. D’un outil à l’autre, une matrice de lecture plus nuancée pour combattre l’obscurantisme
- CONCLUSION
- ANNEXES
- BIBLIOGRAPHIE
- TABLE DES MATIÈRES