ENTRE ERRANCES ET SILENCES
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ENTRE ERRANCES ET SILENCES

  1. 218 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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ENTRE ERRANCES ET SILENCES

À propos de ce livre

Ce livre interroge les liens qui soudent de grandes souffrances avec les violences sociales dont elles témoignent. La traque de liens fuyants et silencieux engage les ethnologues et les psychologues dans le travail au contact de familles en migration ou de commissions qui évaluent leurs demandes, mais aussi le long d'errances personnelles et institutionnelles, ou encore auprÚs de communautés en ligne. Ce sont les contours et certaines responsabilités du discours savant et scientifique, que ce face-à-face avec les souffrances sociales invite à questionner.

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Informations

Éditeur
Academia
Année
2017
ISBN de l'eBook
9782806121509
images13
Roberto Beneduce
Le fĂ©tiche est l’objet naturel de la conscience sociale comme sens commun ou recognition de valeur (Deleuze, 1968 : 269)
C’est quand l’objet devient « chose », c’est-Ă -dire absolument unique, qu’il prend le plus de valeur (Bazin, Bensa, 1994 : 7)

1. Une archive pas comme les autres :
corps-choses, corps morcelés, corps-fétiches

Vivant ou mort, le corps humain a toujours Ă©tĂ© un objet symbolique, politique et Ă©conomique, sans cesse manipulĂ© et recréé Ă  des fins esthĂ©tiques, thĂ©rapeutiques ou religieuses : en tant que champ de rĂ©sistance et de souverainetĂ© toujours contestĂ©es, le corps apparaĂźt comme un lieu privilĂ©giĂ© pour penser les rapports de pouvoir, les inĂ©galitĂ©s, le dĂ©sir et les diffĂ©rentes formes d’assujettissement. Aujourd’hui, nĂ©anmoins, c’est surtout la violence qui caractĂ©rise le rapport au corps : une violence d’autant plus intense que sa production et sa distribution prennent une forme particuliĂšre, et que son prĂ©sumĂ© caractĂšre « rituel » ne lasse pas de soulever de nombreuses questions.
Or, contrairement au modĂšle des techniques du corps de Mauss, ce n’est pas dans la tradition (quelle qu’elle soit) que cette « ritualitĂ© » puise son efficacitĂ©, mais dans sa puissance d’abstraction et dans la brutalitĂ© avec laquelle elle semble vouloir contrer des formes de violence de plus en plus sophistiquĂ©es88. De fait, l’expression de « crime rituel », courante en Afrique subsaharienne, se rĂ©vĂšle elle-mĂȘme contradictoire : si le qualificatif de « rituel » Ă©voque gĂ©nĂ©ralement l’idĂ©e d’une culture partagĂ©e, dont l’une des fonctions principales serait la guĂ©rison89, Ă  quoi peut bien renvoyer ce terme de « culture » quand c’est un meurtre sĂ©parĂ© de tout horizon collectif90 qui, par ses modalitĂ©s d’exĂ©cution particuliĂšres, par sa crĂ©ativitĂ© macabre, est qualifiĂ© de rituel ? Difficile de voir dans ce genre de crimes, consistant en une simple mutilation de la victime ou d’un cadavre91, ce que l’anthropologie classique, de Mauss Ă  Hubert en passant par LĂ©vi-Strauss, considĂšre comme le noyau central des rites, Ă  savoir le fait de garantir la communication avec le monde sacrĂ© (Colleyn, 1976 : 31). Mais cette question en cache une autre : pourquoi cette violence, injustifiable de tout point de vue, s’exprime-t-elle Ă  travers un vocabulaire religieux (celui du « sacrifice », du « rituel », etc.) ?
Dans la violence associĂ©e aux accusations de sorcellerie, les pouvoirs attribuĂ©s Ă  cette derniĂšre sont la source d’angoisses sociales Ă  l’issue souvent tragique : qu’on pense aux witch camps du Ghana, ultime refuge de centaines de femmes accusĂ©es de sorcellerie, aux peines prononcĂ©es pour ce mĂȘme motif par les tribunaux centrafricains ou camerounais, ou encore aux bĂ»chers oĂč de supposĂ©s sorciers sont brĂ»lĂ©s vifs Ă  Kilifi au Kenya. Dans tous ces cas et bien d’autres, la violence se nourrit d’un imaginaire traduisant en termes « mystiques » les rancunes et les conflits familiaux, sociaux ou Ă©conomiques.
Or, ce qui est frappant dans cette violence, c’est toujours son « insistante grammaire visuelle »92, y compris dans le cas des violences « ordinaires » (Bouju, de Brujin, 2014). Il en est ainsi des images de lynchage collectif de voleurs pris en flagrant dĂ©lit Ă  Douala, ou Ă  Bamako de l’application du sinistre « article 320 » (« 300 FCFA d’essence et 20 FCFA d’allumettes » cf. SimĂ©ant, 2014 : 94) ou, encore, du « supplice du pneu » diffusĂ© au Congo mais infligĂ© Ă©galement Ă  des opposants politiques Ă  HaĂŻti (sous l’appellation de PĂš Lebrun, du nom d’un vendeur local de pneus) et Ă  de simples immigrĂ©s en Afrique du Sud (Hickel, 2014).
Les images de corps dĂ©chirĂ©s se succĂšdent avec une telle rapiditĂ© que l’impact Ă©motif finit inexorablement par s’émousser et s’anesthĂ©sier. La dĂ©figuration systĂ©matique de l’humain, la transformation du corps en objet vont inĂ©vitablement de pair avec une confusion cognitive et morale, voire ontologique (Bernault, 2009). Rien d’étonnant, dĂšs lors, que des termes comme « esclavage », « cannibalisme », « anthropophagie », « camps d’extermination »93, refassent surface dans notre langage quotidien. C’est nĂ©anmoins sur la question de la valeur des corps, et du rapport entre les hommes et les choses Ă  l’Ɠuvre dans ce type de phĂ©nomĂšnes que je voudrais me concentrer ici, en partant d’un exemple concret, susceptible d’éclairer et de prĂ©ciser un certain nombre de concepts et reprĂ©sentations pour le moins glissants94. Je m’appuierai donc sur une affaire survenue il y a quelques annĂ©es au Gabon, oĂč furent retrouvĂ©s dans le coffre d’une voiture des morceaux de chair, dont l’origine et la nature suscitĂšrent un vif et Ă©trange dĂ©bat. S’agissait-il d’organes humains ou animaux et, dans le premier cas, provenaient-ils d’un cimetiĂšre ou d’une morgue, ou avaient-ils Ă©tĂ© prĂ©levĂ©s directement sur des victimes ? Des experts furent chargĂ©s de trancher cette Ă©nigme macabre, comme le rapporte, pour rassurer ses lecteurs, le Gabon Matin du 11 juin 2013 :
« “Des morceaux de viande”. Le procureur de la RĂ©publique, Sidonie Flore OuwĂ©, a levĂ© l’équivoque sur le contenu du sac retrouvĂ© Ă  Oloumi, le 4 juin dernier, lors de la confĂ©rence de presse qu’elle a animĂ©e hier Ă  Libreville. Selon les analyses de l’UniversitĂ© des sciences de la santĂ© de Libreville, corroborĂ©es par le laboratoire europĂ©en “Bio Mercure”, il s’agit bien de la viande d’élĂ©phant en putrĂ©faction. »
Cette affaire, qui troubla profondĂ©ment l’opinion publique95, remit au premier plan du dĂ©bat la question des responsabilitĂ©s politiques, des intĂ©rĂȘts en jeu et de la complicitĂ© prĂ©sumĂ©e ou rĂ©elle de certains guĂ©risseurs, Ă  un moment oĂč le pays, aveuglĂ© par la manne pĂ©troliĂšre de ses gisements off-shore, Ă©tait confrontĂ© Ă  d’importants problĂšmes Ă©conomiques et Ă  des tensions politiques et sociales dont cette dĂ©couverte sinistre Ă©tait le sinistre rĂ©vĂ©lateur :
« Le fĂ©tichisme est devenu un des ingrĂ©dients indispensables pour certains pour parvenir au but ultime qui est celui de l’ascension sociale (
) D’un autre cĂŽtĂ©, il est reconnu que beaucoup “d’apprentis sorciers” ont infiltrĂ© le milieu de la tradi-thĂ©rapie en commettant beaucoup d’impairs, c’est bien le recours aux pratiques de la magie noire, de la sorcellerie qui a contribuĂ© Ă  amplifier ces pratiques obscures qui n’élĂšvent pas l’Homme. Souvenons-nous de l’affaire Mba Ntem en 1981 qui a mis au jour la pratique du cannibalisme et de l’anthropophagie. En effet, cet individu rĂ©putĂ© tradi-praticien en complicitĂ© avec son groupe de fidĂšles organisait des assassinats voilĂ©s de ses patients sous couvert de leur initiation, tout en prĂ©levant certains de leurs organes, comme par exemple la langue ou le foie, qu’ils mangeaient dans un plat concoctĂ©.96 »
Un laboratoire avait mĂȘme Ă©tĂ© chargĂ© de certifier la nature des organes retrouvĂ©s, comme on le rappela en confĂ©rence de presse pour Ă©vacuer dĂ©finitivement toute suspicion. À cet Ă©gard, le recours Ă  une institution europĂ©enne et blanche (le laboratoire Bio Mercure) ainsi que la question de la neutralitĂ© des experts nationaux ou de la fiabilitĂ© des enquĂȘtes policiĂšres, mĂ©riteraient en soi une analyse des « rĂ©gimes de vĂ©ritĂ© » dans la postcolonie, tout comme l’utilisation du terme de « preuve » dans les procĂšs pour sorcellerie. Dossier classĂ© ? Loin de lĂ , surtout pour ceux qui allaient devoir continuer Ă  enquĂȘter des mois durant sur la destination de ces « morceaux de viande en putrĂ©faction ». Dans les journaux de tout bord, le constat d’une « crise gĂ©nĂ©ralisĂ©e » de la « RĂ©publique des piĂšces dĂ©tachĂ©es » (expression empruntĂ©e Ă  Joseph Tonda) allait mĂȘme pousser un journaliste anonyme Ă  rĂ©clamer l’état d’urgence pour faire face aux menaces qui empoisonnaient depuis des annĂ©es le climat social97. D’autant que, pour susciter des dĂ©bats aussi inquiĂ©tants, la question de l’origine de ces morceaux de chair n’était pas uniquement mĂ©dico-lĂ©gale. Impossible en effet, au vu des donnĂ©es sur le trafic d’organes et le marchĂ© des ossements humains, de banaliser ou d’exorciser ce genre de phĂ©nomĂšnes en les rĂ©duisant Ă  de simples on-dit.
J’ai moi-mĂȘme pu mesurer la rĂ©alitĂ© de ces inquiĂ©tudes lors d’une soirĂ©e Ă  Libreville avec des Ă©tudiants de mon cours de master, qui nĂ©gociaient entre eux afin que chacun, notamment les filles, puisse rentrer chez soi en toute sĂ©curitĂ© – on avait trop entendu d’histoires de personnes mystĂ©rieusement disparues aprĂšs ĂȘtre montĂ©es dans un taxi. À Libreville, comme au Mali, la tension et le sentiment diffus de menace se ressentent Ă  fleur de peau. Mais comment Ă©tudier des phĂ©nomĂšnes aussi hĂ©tĂ©rogĂšnes, dans une rĂ©flexion sur la valeur attribuĂ©e aujourd’hui Ă  ce qu’on pourrait provisoirement appeler des « corps-fĂ©tiches » ? Je tenterai pour ce faire, conformĂ©ment aux recommandations d’une chercheuse nigĂ©riane98, de relier entre eux des Ă©lĂ©ments, donnĂ©es et situations de nature diverse ou Ă©loignĂ©s dans le temps, en les examinant conjointement lĂ  oĂč on les traite d’habitude sĂ©parĂ©ment : une exigence qui s’impose en particulier si l’on s’interroge sur la persistance, dans la littĂ©rature et les discours africains contemporains, de mythes comme ceux de Mami Wata ou des enfants ogbanje/abiku99, mais qui vaut Ă©galement pour la « transfiguration des fĂ©tiches » Ă©tudiĂ©e, au Gabon, par Bernault (2009 : 116) et Tonda (2005), pour la dĂ©figuration des corps Ă©voquĂ©e plus haut ou, encore, pour la situation de la prostitution nigĂ©riane en Italie (Taliani, 2012 ; 2016). La question pourrait alors ĂȘtre reformulĂ©e de la maniĂšre suivante : pourquoi des auteurs tels que Labou Tansi ou Yambo Ouologem, Ahmadou Kourouma ou Mia Couto, recourent-ils constamment, pour dire la rĂ©alitĂ© politique et quotidienne africaine, Ă  des histoires de fĂ©tiches, de bĂȘtes sauvages, de coupes de sang et autres sacrifices humains ? À quelle loi secrĂšte obĂ©issent les scĂ©narios de violence extrĂȘme rĂ©itĂ©rĂ©s, d’une Ɠuvre Ă  l’autre, par les protagonistes de leurs rĂ©cits ? À quel imaginaire le « rĂ©el merveilleux »100 de l’écriture africaine invite...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. 4e de couverture
  3. Collection
  4. Titre
  5. Copyright
  6. Introduction
  7. Domination de la « famille par filiation » sur la « famille par alliance » Les migrations capverdiennes aux USA (Boston)
  8. Femmes nigĂ©rianes dĂ©placĂ©es, filles Ă  la merci Sur les usages de l’ethnopsychiatrie
  9. Mises en scĂšne, souffrances et quĂȘtes de dignitĂ© Quelle humanitĂ© dans les parcours d’asile ?
  10. La valeur des corps Notes pour une ontologie historique des corps-fétiches
  11. Avatars, guildes et joueurs intensifs De la dépendance à la reliance dans World of Warcraft
  12. Postface
  13. Les auteurs
  14. Table des matiĂšres
  15. Collection « I Nvestigations d’anthropologie prospective »