David Jaomanoro
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David Jaomanoro

Œuvres complètes

  1. 398 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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David Jaomanoro

Œuvres complètes

À propos de ce livre

David Jaomanoro (Madagascar 1953 - Mayotte 2014) a écrit toute son œuvre en français: poésie, théâtre, nouvelles. Encore en partie inédite ou difficile d'accès, la voici présentée dans cet ouvrage. Ces témoignages sur l'auteur et ces analyses sur ses textes permettront d'entrer dans cette œuvre simple, drôle, traversée par des personnages issus de régions et de milieux variés, qui est aussi le lieu d'expériences langagières étonnantes, de prises de position audacieuses et d'une réflexion subtile sur la situation sociale à Madagascar et à Mayotte.

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Informations

Éditeur
Sépia
Année
2017
ISBN de l'eBook
9791033400929

V. LES NOUVELLES

JE DESCENDS À VOHIDIALA54

Neuf heures cinq.
« Le train en provenance d’Antsirabe entrera en gare dans quelques instants… »
Voix nasillarde des haut-parleurs. Elle durcit le froid qui rampe dans le vaste hall. À vous faire fondre le nez à vous aussi. Et à vous transpercer debout comme sanglier sagayé. Beaucoup, déjà, ont été atteints en pleine carcasse : toux interminables, crachats par terre, là entre vos pieds.
Opiniâtrement, sans avoir l’air d’y penser, un gamin de six ans propose ses cornets d’arachides grillées.
Voanjo ! O lé voanjo ! O lé voanjo e !
Voanjo, madama. Voanjo ramoussé !
Mon cœur est comme pris dans un étau. Je n’arrive pas à détourner les yeux. Parce que le cou palpite sous sa gangue épaisse de crasse. Parce que la vie bouillonne derrière ces côtes saillantes. Actionnant la pompe à morve. La morve qui descend et remonte inlassablement sur la lèvre. Schrilt ! Schrilt ! Parce qu’il doit poser six ans. Mon ventre reconnaît les gosses de six ans. Mes tripes remuent aux gosses de six ans. Mon sang se retourne. Tourne. Le petit morveux sent le déplacement qu’il a provoqué en moi. Il arrive résolument sur moi. Le vieux mendiant de l’entrée du hall s’est tu momentanément. Les mouches s’acharnent sur le gamin, et le gamin sur moi.
– Voanjo, Madama.
Les yeux pétillent, à demi ensevelis sous la croûte.
– Dis-moi, quel âge tu as ?
– Six ans, Madama. Je pose six ans et deux mois. J’ai trois petites sœurs et un petit frère. Mes deux plus grandes petites sœurs font « porter madama » au marché du Zouma1.
– Et ton dernier petit frère ?
– Sur les genoux de maman, assise à l’entrée du tunnel d’Ambanidia. Six ans ! J’avais vu juste.
– Garde la monnaie, petit.
Je coince les deux petits cornets dans mon sac, entre des culottes à Beravo et des mouchoirs à moi.
Six ans ! Bientôt l’âge de Beravo. Il aurait posé aujourd’hui cinq ans et neuf mois, Beravo. Il aurait été le meilleur à l’école, Beravo. Il se serait imposé partout. Physiquement et intellectuellement. Un vrai fils à sa mère. Précoce. Courageux. Pas comme son père.
Celui-là est parti dès qu’il a appris que j’étais lourde de Beravo. Le lâche ! Et puis, quel mec ne serait pas lâche devant la perspective de bouches supplémentaires à nourrir par ces temps de Vive Madagascar pas à genoux ? Pas à genoux, mais rampant sur le ventre dans la fiente. Malgré la lâcheté de son père, Beravo, je ne l’aurais laissé manquer de quoi que ce soit.
Neuf heures quinze.
« Les voyageurs à destination de Moramanga et du lac Alaotra sont priés de gagner le quai numéro trois. Je répète : les voyageurs à destination de Moramanga… »
C’est mon train. Bousculades. Piétinements. Appels de mamans. Pleurs d’enfants. Comme si c’était monter dans un train à destination d’un camp de travaux forcés. Voyage au bout du néant. Ruée vers les voitures. On ne fait que ça : se ruer. Se ruer vers les urnes pour reconduire les vampires qui sucent le pays depuis quarante ans. Se ruer sur les soldats pour se faire massacrer et en finir plus vite avec cette vie de chien errant. Se ruer vers les universités pour obtenir des diplômes creux comme le ventre du fonctionnaire moyen. Comme les budgets de fonctionnement.
Tiens, c’est le même wagon que j’avais pris avec Beravo il y a cinq ans. Les cinq ans ont imprimé des arabesques indélébiles sur le cuir des sièges. En cinq ans, les traits se sont creusés davantage. Les yeux sont devenus plus hâves, les regards plus vagues, les épaules plus voûtées. Les chaussures, plus souriantes que les passagers incrédules, anéantis de devoir dilapider le salaire d’un mois pour payer ce voyage inutile. On a l’impression d’avoir déjà vu une tête, mais on n’ose pas l’aborder par crainte de s’être trompé ; la misère a uniformisé les traits. Gommé les différences. Effacé les particularités.
Neuf heures cinquante-cinq.
Le train s’ébranle dans un crissement épouvantable de ferraille fatiguée. Fatiguée de traîner cette détresse immense d’une province à l’autre. Fatiguée faute d’entretiens conséquents. Fatiguée avant même de venir servir ce pays. Pays saigné à mort, dont le sang rougit les fleuves qui le drainent vers l’océan, l’immense Bleu de tous les oublis.
Je prends le même siège qu’il y a cinq ans avec Beravo.
Il avait neuf mois à l’époque, Beravo. C’était le plus beau bébé du wagon. Admiré de tous les voyageurs, sauf deux, trois jalouses qui feignaient l’indifférence. Mon petit faisait le tour des bras et des genoux, en éclatant de rire. Il me revenait barbouillé de biscuit, les joues luisantes d’huile de beignet. Il retrouvait mon sein avec délectation. Beravo tétant. Beravo me mangeant. S’unissant à moi. Se soudant à moi. Sources profondes réveillées. Je coulais Niagara dans sa petite bouche chaude. Et il se regardait se faire plaisir dans mes yeux. Il me tétait et cela nous suffisait. Il tenait mon sein à deux mains. Il envoyait ses pieds vers mes épaules. Je laissais toujours le sein libre hors du corsage longtemps après qu’il eut tété, attendant ses moindres désirs. Il aurait eu six ans aujourd’hui, Beravo.
Quand il était rassasié de lait, gavé d’amour, ivre de plaisir, il s’écartait brutalement en tirant sur le téton. Il aimait à m’entendre crier. Je le grondais d’un sourire. Alors, il riait.
De nouveau on me le ravissait pour une nouvelle tournée des genoux. Ses babils emplissaient la voiture bondée et nauséabonde.
– Pardon Madame, votre ticket, s’il vous plaît.
– Oh ! Pardon ! Mais bien sûr, Monsieur. Tenez.
Je crois que je me suis assoupie. Je suis toute confuse. Mes yeux s’élancent à la recherche de Beravo. Un grand choc dans le cœur. Je me ressaisis. Je suis dans le train. Le même qu’avec
Beravo il y a cinq ans. Mais avec lui, je ne me serais jamais assoupie.
– Ce n’est rien, Madame. Merci, Madame.
Déjà l’arrêt de Mangoro ! La prochaine gare sera Moramanga.
Ce jour-là, avec Beravo, j’étais assise en face d’un petit vieillard sec qui se prit d’affection pour mon bébé. Il l’appelait « mon gaillard ». Il était célibataire, soldat retraité. La vue de Beravo et de moi lui avait dévoilé tout le bonheur qu’il avait raté en restant célibataire. Il fut ému aux larmes quand Beravo a fait pipi sur ses genoux. Pour un peu, il me demandait en mariage.
Treize heures.
Moramanga.
Arrêt prolongé en attendant le croisement avec le train de Tamatave. Les voyageurs se ruent – encore – hors de la voiture. L’occasion de faire quelques pas, histoire de se dégourdir les jambes. Si Beravo avait été là… Je préfère rester dans la voiture. J’ouvre mon sac en quête de lecture. Les deux cornets d’arachides grillées attendent toujours d’être mangés. Non. Pas envie. Mes doigts rencontrent le minuscule album de photos.
Mon cœur s’emballe tout d’un coup.
Doug – doug – doug !
Be – ra – vo.
Beravo dans les bras d’oncle Fety. Beravo rampant à quatre pattes. Beravo sur le dos de sa maman chérie. Beravo au dodo, Beravo au bain. Les voyageurs s’engouffrent de nouveau dans le wagon, pas mécontents de reprendre le voyage. Je distingue à peine le brouhaha qu’ils font. Mes oreilles bourdonnent. Une douleur vrille le côté de ma tête. Je referme l’album sur une dernière photo. Beravo sur les genoux d’oncle Fety pour sa première coupe de cheveux. Il avait toujours voulu me le ravir, mon Beravo, oncle Fety.
– Confie-moi donc ce petit pendant que tu prépares tes examens, Binty. Ta tante Ravola sera heureuse et fière de s’occuper de lui.
Comme si je n’étais pas capable de m’occuper de mon bébé tout en préparant mes examens ! Ne l’ai-je pas élevé toute seule, loin de tous ? Abandonnée de tous. Soi-disant parce que j’étais rebelle à la coutume. Mais a-t-on idée de donner le sein à un bébé dont on n’est pas la maman ! Et puis ils voulaient me le circoncire, mon bébé. Ils voulaient lui faire plein de choses méchantes, à mon bébé, ces maniaques de la coutume. Sans parler des tambavy, tisanes abjectes qu’ils font boire à leurs enfants et qui leur font gonfler le ventre. Ils étaient capables des pires monstruosités, dans leur obsession de la tradition.
Treize heures dix.
Le train s’ébranle avec sa cargaison vociférante et affamée. Mais ce n’est pas pour partir tout de suite, à la déception générale. Juste pour libérer de la place pour le train de Tamatave quand il sera là. Moi, ça m’est égal. Beravo n’est pas là.
Ce jour-là, oncle Fety était venu nous attendre à Vohidiala, à la descente du train. Il était dix-huit heures
– Comment vas-tu, Binty ? Comment va le petit ?
– Beravo va bien. Et toi ? Et ma tante ? Et grand-père ? Est-ce que la vache a mis bas ?
– Tout le monde va on ne peut mieux, que Dieu et les ancêtres en soient remerciés. Kalavanga a mis bas des mâles jumeaux. Mais partons vite, la nuit va tomber et il y a huit kilomètres jusqu’au village.
– Oh ! Ils ne m’ont jamais fait peur, tes huit kilomètres.
Je serrai Beravo sur mon dos avec un pagne, équilibrai le panier à provisions sur ma tête, ce précieux panier rempli des fruits de la route1, puis emboîtai le pas à Oncle. Il s’était chargé de ma valise en peau de zébu.
Des traînées sanglantes coulaient sur la cime des collines. La forêt alentour prenait une teinte violacée. Comme une étendue de meurtrissure. Oui, j’avais pensé à apporter du tabac pour grandpère. Et du sucre et du café. Tu as un pagne tout neuf, mon oncle. Oui, je cotiserai pour grand-mère à la fête du retournement des morts. Oui, j’ai des fruits de la route pour tout le monde, il n’y aura pas de jaloux.
Oui, je n’ai rien oublié.
Voilà le train de Tamatave. Ouf ! Quatorze heures cinquante-cinq ! Quel retard !
Branle-bas dans la voiture.
Oui, je n’ai pas oublié le pagne et le foulard de tante Ravola. Ils sont tout neufs. Une douce chaleur s’irradiait du ventre de Beravo, enveloppait mon dos. Le sentier devenait de plus en plus difficile. À sept heures du soir, nous avions fait à peu près les trois quarts du trajet.
– Arrêtons-nous un instant, Oncle, je vais donner le sein à mon premier. Et puis il a besoin de se reposer un peu ; il n’a pas l’habitude de voyager dans des conditions pareilles. Je dénouai le pagne. Dans mon dos ma robe était trempée à tordre.
– Oncle, tu as une lampe de poche ?
– Je n’ai que mon briquet. Qu’est-ce qu’il y a ?
– Allume, s’il te plaît. Mon Dieu ! Beravo a une de ces fièvres ! Mon Dieu, qu’est-ce qu’on va faire ? Mon petit chat est malade ! Il va mourir !
– Allons ! Ne t’affole pas. Ce n’est qu’une petite fièvre de rien du tout. La fatigue, sans doute. Reprenons la route. Une bonne nuit de sommeil et demain rien n’y paraîtra plus. Allez, en route.
Je sortis un sein fébrile que j’introduisis machinalement dans la petite bouche. Je criai tellement elle était brûlante. J’embrassai mon bébé, tandis que ses lèvres de braise tentaient de me mordre d’angoisse. Je me relevai d’un bond, réajustai fiévreusement mon bébé sur mon dos. Il délirait doucement. Je me mis à courir, folle, en me blessant les pieds aux souches et aux rochers. Mon Dieu, qu’a-t-on donné à mon bébé dans le train ? Fais qu’il ne lui arrive rien. Ô mon sol natal, fais qu’il n’arrive rien à mon agneau.
– Quelque chose ne va pas, Madame ? Si je puis vous être utile…
– Non, Monsieur, tout va très bien. Vous êtes bien aimable.
– Je suis médecin… Vous trembliez comme un roseau dans votre demi-sommeil, terriblement agité. Vraiment, vous n’avez besoin de rien ?
– Non, Docteur, je vous assure. Merci beaucoup. Au fait, où sommes-nous ?
– Nous venons de dépasser Amboasary. Le procha...

Table des matières

  1. Couverture
  2. 4e de couverture
  3. Titre
  4. Ouvrages déjà publiés par Dominique Ranaivoson
  5. INTRODUCTION
  6. I. DAVID JAOMANORO : PARCOURS DE VIE ET TÉMOIGNAGES
  7. II. ANALYSE DES ŒUVRES
  8. III. POÉSIE
  9. IV. LE THÉÂTRE
  10. V. LES NOUVELLES
  11. COLLABORATEURS DE L’OUVRAGE
  12. TABLE DES MATIÈRES