Vivre, lire et écrire les rituels

Perenne Sophie

• Éditeur: EME Editions
• Année: 2015
• ISBN de l'eBook: 9782806601629
• Sujet: Sciences sociales
• Sujet: Sociologie

Fruit d'une certaine expérience au sein d'une Commission des rituels, ce livre apporte sa pierre au débat récurrent sur l'intérêt et le rôle de nos rituels. Sophie Perenne tente de justifier leur pertinence non pas au nom d'une spiritualité vague ou du respect de « la tradition pour la tradition », mais en éclairant les rapports étroits que cette pertinence entretient avec la société d'aujourd'hui, à la lumière notamment des acquis scientifiques de notre époque...

III. L'ÉLABORATION

Travailler de manière initiatique

Nous avons vu que les rituels s'adressent essentiellement au corps, à l'émotion et à l'intuition. Quels enseignements tirer de ce constat ?

En premier lieu, il ne faudrait pas craindre de multiplier ce qui passe par le corps et qui fait sens

Plus il y a de ressenti physique ou émotionnel, mieux on transmet et, comme celui-ci peut différer selon les personnes, plus riche sera ensuite le dialogue entre initiés d'une même promotion.

Les profanes, apprentis et compagnons frappent eux-mêmes à la porte.

Déchausser un pied est une pratique de plus en plus abandonnée, alors qu'elle présente plusieurs avantages. D'abord elle contraint au boitement, lequel, comme la cécité et d'autres handicaps, symbolise l'ignorance profane. Cela fait comprendre que l'obstacle est en soi et non à l'extérieur de soi. Ensuite il n'est plus nécessaire d'encombrer l'espace d'écueils ni de se déplacer pour les disposer et les enlever. (Le seul aléa est qu'il faut ressortir les profanes de la loge pour les rechausser avant de leur donner la Lumière).

Parfois le profane a les poignets entourés de chaînes qui sont ôtées et tombent à terre après le premier voyage.

Chez nous, au 2e degré, à chaque voyage, c'est un compagnon différent qui reçoit et porte les nouveaux outils, mais tous les compagnons sont invités à les manipuler pour mesurer, bouger, vérifier la pierre.

Dans cette perspective, n'est-il pas important au 3e degré que les coups touchent réellement le compagnon et que chaque compagnon éprouve dans son corps le fait d'être couché et relevé ? N'est-il pas moins suggestif de devoir s'identifier à celui de sa promotion qui est le seul à vivre cette expérience ? Et a fortiori, quand on ne tue aucun compagnon, de rester un simple spectateur assistant à la mise à mort d'Hiram comme à une pièce de théâtre ?

L'endroit où l'on est assis revêt aussi un sens : les nouveaux compagnons prenant la place des précédents, les nouveaux maîtres dispersés dans le temple (voir plus haut).

Deuxième enseignement : éviter d'édulcorer les séquences contenant une certaine violence physique ou verbale

Ne confondons pas la violence symbolique qui délivre un message donné par fraternité et désir de faire progresser avec l'humiliation qui rabaisse. L'humiliation c'est par exemple le fait d'annoncer que la loge conservera pour elle la montre et les bijoux de famille qui ont été ôtés.

Que penser alors d'une loge qui supprime l'interrogatoire sous le bandeau de peur de blesser les candidats ? Si l'on considère que cet interrogatoire fait déjà partie des épreuves initiatiques, qu'il n'a pas pour but de mieux connaître le candidat − ce qui devrait être terminé au deuxième scrutin − mais de le déstabiliser, pourquoi ne pas le débuter par une question absurde lui faisant perdre ses moyens ? Cette pratique, qu'on retrouve dans bien des traditions initiatiques, éviterait que le profane puisse se raccrocher à une leçon dûment préparée, comme cela arrive souvent.

L'initiation n'est pas dénuée de violence : la porte est ouverte avec fracas, le premier voyage peut être accompagné de bruits, de cris, d'imprécations, voire de heurts. Parfois les Surveillants touchent brutalement la poitrine du profane avec leur maillet quand ils le questionnent sur la raison de sa présence. En revanche, les purifications sont souvent peu impressionnantes tant pour ceux qui les subissent que pour les spectateurs : une main plongée dans l'eau, une bougie passée sous la paume, un éventail agité. Un bon rituel implique que les Colonnes s'identifient à celui qui le vit, et donc qu'elles soient également ébranlées par ce qui se joue. Il est regrettable de les entendre rire, par exemple quand on pulvérise de l'eau sur le visage du candidat au moyen d'un atomiseur. Nous préférerions que les deux avant-bras soient plongés dans l'eau ou que celle-ci soit versée sur la tête ou le front.

Lors du bandeau ou au début de l'initiation, d'un coup de maillet on coupe brutalement la parole au profane qui tente de se définir, de dire ce qu'il vient chercher en maçonnerie ou ce qu'il pense pouvoir lui apporter.

Chez nous, le candidat progresse seul à travers une allée de torches. Au 2e degré, si le compagnon se fourvoie dans le maniement des outils ou dans le tracé de l'Étoile, l'Expert le fait recommencer. Au 3e degré, le tablier est arraché avec brutalité.

L'expérience montre que cette violence provoque chez certains un éclair de compréhension intuitive : si on me coupe la parole, c'est que je suis ici pour devenir quelqu'un d'autre ; en m'arrachant le tablier, on me met à nu, on me rend à l'innocence.

À cet égard, mieux vaut donner des injonctions qu'énoncer des demandes polies ou des formulations plates. Par exemple : "Qu'on les fasse comparaître devant le juge suprême" plutôt que : "Je propose de les faire comparaître…" ; "Qu'ils fassent le premier voyage" plutôt que : "Maître de Cérémonie, voulez-vous conduire…". De même qu'on dit : "A l'ordre !" et non : "Voulez-vous vous mettre à l'ordre".

Troisième enseignement : dans les moments cruciaux ou ceux qui sont réservés à la méditation, parler le moins possible pour laisser la place au ressenti

Ne dit-on pas au début de certaines initiations : "Laissez-vous aller à vos émotions" et non : "Réfléchissez". C'est en instruction qu'on réfléchit, discute, commente. Pendant le rituel, on se laisse traverser. D'ailleurs celui auquel il s'adresse ne retient aucun commentaire. En outre il y a des musiques et des silences qui en disent plus que des paroles. C'est la ...

Table des matières

• Remerciements
• Introduction
• Première partie LES RITUELS MAÇONNIQUES
• I. RITES PROFANES ET RITES SACRÉS
• II. LE CORPS, VECTEUR DE MÉTAMORPHOSE
• III. L'INITIATION ET LES PASSAGES DE GRADE
• IV. LA TENUE ORDINAIRE
• V. CONCLUSION
• Seconde partie CRÉATION OU MODIFICATION DE RITUELS
• I. QUESTIONS PRÉALABLES
• II. L'APPROCHE
• III. L'ÉLABORATION
• IV. LA MISE EN SCÈNE
• V. L'EXÉCUTION
• VI. LA VIE DU RITUEL
• ANNEXES
• Exemple de présentation
• BIBLIOGRAPHIE
• Dans la collection « Explorations maçonniques »