Identités laiques ?

Mayer Marc

• Éditeur: EME Editions
• Année: 2015
• ISBN de l'eBook: 9782806600301
• Sujet: Sciences sociales
• Sujet: Sociologie

Entre l'humanisme concret, mythe fondateur de la laïcité, qui se veut universaliste et l'humanisme abstrait qui nous demande de nous abstraire de soi pour aller à la rencontre de l'autre, il y a la question de savoir comment faire valoir sa conception du vivre ensemble. La laïcité est ainsi plurielle et la question des identités laïques se pose. La laïcité est un humanisme politique (humanisme concret) en ce sens que les passions individuelles doivent être neutralisées dans l'espace public....

APPROCHES PLURIELLES

Les notes et réflexions qui sont reprises dans cette section sont le fruit de débats qui ont été programmés durant l’année académique 2007-2008 au Centre interdisciplinaire de sciences des religions et de la laïcité de l’ULB sur proposition de la finalité « assistance morale » du Master en S.R.L.

Témoigner de nos valeurs laïques

Baudouin DECHARNEUX a abordé la question des identités laïques dans notre pays en s’interrogeant sur la « laïcité d’après la reconnaissance constitutionnelle ».

Il faut en convenir, la laïcité reste un objet de pensée complexe.

On peut, d’après lui, définir trois volets inégalement déployés en Belgique :

1. la laïcité d’essence sociale qui au départ du concept-même d’assistance morale va déployer et agir sur le plan de l’action sociale. À y bien regarder, on doit reconnaître qu’il y a une grande convergence entre les valeurs du socialisme et valeurs de la laïcité (« la laïcité belge est très liée au socialisme », nous dit-il).
2. la laïcité a comme horizon la séparation des Églises et de l’État (spirituel/temporel). La laïcité est un humanisme politique et ce combat est une partie non négociable du programme laïque. Il en est le mythe fondateur. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir où trouver encore des endroits où séparer É/É ?
3. la laïcité est aussi un humanisme philosophique. Elle est héritière des Lumières. C’est ce volet philosophique qu’il convient de creuser et de développer en Belgique. En effet, que peut aujourd’hui la laïcité face aux Églises post-modernes qui, se montrant plus attractives, supplantent (ou vont supplanter) l’Église instituée ? Elle a un côté trop janséniste, cette laïcité qui ne creuse pas son projet philosophique (Baudouin DECHARNEUX est philosophe et plaide d’une certaine manière pour la recherche du bonheur : philosopher aide à vivre).

La pensée critique, l’art du questionnement bien mené, sont l’antidote dont devrait se saisir la laïcité belge dans un monde où trop souvent on pense que toute proposition en vaut une autre.

La laïcité belge ne veut pas creuser la question par peur de voir supprimer le cours de morale qui laisse chacun dans son pré carré. Il est évident qu’il faudrait un cours de philosophie ouvert à tous les enfants (la France ne s’y est pas trompée). Chez nous, la formation des philosophes belges est une formation qui n’est jamais transversale (formation à côté des autres contrairement à nos voisins français, par exemple, qui ont leurs têtes de ponts philosophiques qui donnent à penser). Aussi, Baudouin DECHARNEUX pense qu’en Belgique, la laïcité n’a pas trouvé le ton pour éclairer le public.

Être laïque, c’est apprendre à être soi-même son propre philosophe et trop nombreux pensent que c’est là le travail de la Franc-Maçonnerie qui n’en n’est évidemment pas le lieu unique.

Nous devons apprendre à organiser la pensée de manière critique et retravailler la question du spirituel (mot qui fait, on le sait, peur aux laïques).

Le mot « spirituel » n’est qu’un mot. Pourquoi ne pas utiliser le mot « lucidité » dans lequel on retrouve le terme « lumière » et qui vise à l’authenticité, recherche qui permet à chacun de s’examiner librement avec esprit critique.

Le champ de la conscience n’est pas que chrétien. Nous devons nous approprier la réflexivité de la pensée et comprendre que nous mettons davantage de valeur dans le cheminement de la pensée que sur la réponse s’appuyant sur une pensée qui risque de se figer. Les laïques ne peuvent imaginer qu’un système de pensée qui laisse une ouverture.

En cela Baudouin DECHARNEUX plaide pour l’humilité de la philosophie.

Il défend donc la nécessité de la philosophie et met en garde les laïques sur le fait que les défenseurs d’une philosophie dogmatique ont intérêt à enclaver la laïcité dans cette réalité belgo-belge qui veut que ce soit une option parmi d’autres options.

Les laïques n’ont pas l’outrecuidance de ne pas laisser une place à la diversité des consciences et à la pensée complexe. Nous ne sommes pas une pensée à côté des autres.

Faut-il se désenclaver du religieux (Onfray) ? Non, la laïcité ne s’efforce pas d’éradiquer le religieux du champ des convictions. Nous sommes attachés à des valeurs (Comte Sponville parle de fidélité).

Mais ne confondons pas, pense DECHARNEUX, le débat laïque avec la défense du seul enseignement officiel. Il faut aussi témoigner de nos valeurs laïques dans l’enseignement catholique.

Aussi, il plaide pour une laïcité plus offensive et il estime que la laïcité reconnue a entraîné une fonctionnarisation de la laïcité. Elle est devenue une entreprise de tendance qui risque de ne plus pouvoir dépasser les querelles de clocher belgo-belges.

La question de la proximité

Lambros COULOUBARITSIS, historien de la philosophie, professeur émérite de l’ULB, nous a d’emblée montré la distinction qu’il entend faire entre les concepts de laïcisation et de sécularisation progressive de la société. La sécularisation ne supprime pas le retour du religieux dans le champ social – qui voit d’ailleurs aujourd’hui émerger en son sein une présence multiple de cette réalité religieuse. La laïcité, et en particulier celle qui s’est développée en France, est une exception extrême qui a le mérite de borner la question et peut-être aussi de la limiter, dans tous les sens du terme. D’autres démocraties proches (Danemark, Angleterre) ont un souverain qui est aussi chef de l’Église en place dans son pays. Sans même parler des pays où la religion orthodoxe est protégée par l’État parce qu’elle apporte le lien indispensable entre l’idée de la nation et la tradition séculaire. Elles n’en sont pas moins des démocraties pour autant.

Le modèle français, même s’il sera amené à se réformer pour tenir compte de l’évolution multiculturelle de la société, a le mérite de défendre des valeurs communes des citoyens sur la base des principes de solidarité et de dignité.

Si notre regard s’élargit à l’Europe, on peut dire que la laïcité (voir balise française) ne s’est pas imposée. La séparation du spirituel et du temporel n’est pas évidente à réaliser. En Pologne, par exemple, on accepte les non-croyants car ils ont les mêmes valeurs que les croyants (cfr. la constitution polonaise).

La laïcité a pourtant ouvert une brèche dans ce que l’on pouvait nommer la « sacralité » qui transcendait l’humain. Elle mérite d’être comprise dans ses fondements : mettre entre parenthèses ses différences pour créer un monde commun viable où les valeurs universelles conformes à la dignité humaine s’imposent. Le vivre ensemble nécessite une réflexion sur ce qui doit rester de commun, dans cette dimension kantienne qui veut qu’on considère l’être humain comme une fin et non comme un moyen. C’est l’émergence progressive de l’État de droit et des droits de l’homme et du citoyen. La laïcité a joué un rôle majeur dans cette dynamique en s’opposant tant aux structures traditionnelles de la religion qu’aux structures hiérarchisées de l’État. Elle a aussi contribué à l’émancipation de l’homme.

Le problème, comme le soulève Lambros COULOUBARITSIS, c’est qu’il n’y a plus débat sur cette question dans notre société, et surtout parce que le monde de la globalisation est un monde technico-économique où tout se marchandise (même le musée du Louvre se vend comme Coca-Cola aux Émirats Arabes Unis…).

Aussi, dans le passé, l’objet avait une sacralité. Aujourd’hui,...

Table des matières

• Introduction
• LA LAÏCITE A UNE HISTOIRE
• QU’ENTEND-ON PAR SOCIÉTÉ LAÏQUE ?
• LA QUESTION DES CONCEPTIONS DE VIE
• APPROCHES PLURIELLES
• BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE
• BIBLIOGRAPHIE : principales publications des auteurs associés au débat
• NOTES BIOGRAPHIQUES
• NOTES
• Dans la collection « EME Société »