1.
COMMENT DEVIENT-ON
SPÉCIALISTE DE L’ÉTIQUETTE?
QUI EST «ÉTIQUETTE JULIE»?
Je ne suis pas née riche, ou naturellement élégante. En fait, vous pourriez même m’avoir appelée gauche! Je n’ai pas épousé un membre d’une famille royale, mais mon mari est mon vrai prince charmant. Et, comme vous sûrement, j’espère vivre heureuse jusqu’à la fin des temps.
À titre de fière gauchère, j’ai renversé d’innombrables verres de lait, environ deux par semaine pendant plus de quinze ans! Je ne pourrai jamais lancer une balle et la faire aller dans la direction que je souhaite. Ne me demandez pas non plus de courir en lançant cette balle. J’ai de la difficulté à marcher en mâchant de la gomme, tout en portant des lunettes de soleil!
Oui, tout ça, c’est moi.
Pendant des années, j’ai fouillé, cherché, pratiqué et assisté à des séminaires, tout en faisant attention aux plus petits et aux plus grands détails pour savoir quoi dire, quoi faire, comment et quand. Conséquemment, la connaissance de l’étiquette m’a donné toute la confiance nécessaire pour obtenir ma carrière de rêves, sans finishing school ni bal de débutantes.
Si je peux le faire, vous le pouvez aussi.
Comme jeune étudiante, j’étais considérée comme une nerd. En plus de quelques copines, j’avais aussi des amis garçons, avec qui je participais à des concours d’orthographe. J’ai joué à l’école dans mon sous-sol pendant d’innombrables heures. À l’adolescence, dans notre cour arrière, j’ai commencé un camp de jour pour les enfants du quartier. Tout ce que je rêvais de faire, c’était d’enseigner. C’est toujours tout aussi vrai. J’adore mon travail. Merci de me donner l’occasion de faire ce que j’aime.
| Suivez votre bonheur. – JOSEPH CAMPBELL Choisis un emploi que tu aimes et tu n’auras pas à travailler un seul jour de ta vie. – CONFUCIUS |
Comme beaucoup d’adolescents, et peut-être comme vous, j’étais marginalisée. Je voulais désespérément être comme les autres, faire partie de la gang. C’est à l’adolescence que j’ai commencé à lire sur l’étiquette et les relations interpersonnelles. Mon but était de devenir plus gracieuse, plus à l’aise en compagnie des autres. Je suis devenue une étudiante insatiable.
| Quand l’élève est prêt, le maitre apparait. – DICTON BOUDDHIQUE |
Depuis, l’apprentissage de l’étiquette a contribué à dissiper mes insécurités et mes doutes. Au lieu d’être ignorée et quelques fois rejetée pour ma maladresse et paralysée dans des situations sociales, je suis devenue confiante et en contrôle, prête à bâtir ma carrière.
Puis, juste au moment où je croyais que j’étais au sommet et à mon meilleur, avec un excellent travail comme directrice des ressources humaines, un merveilleux mari, deux charmants fils et une belle maison, ça m’est arrivé.
Crash! boom! j’ai des ailes!
«Pardon, docteur? Non. Pas moi. Ça ne se peut pas!» Superwoman ne s’épuise pas. Elle continue à tout faire, pour tous. Il le faut.
C’est du moins ce que je croyais à l’époque. J’étais indestructible, comme le lapin rose des piles Energizer. Allez, Julie, on continue, t’es capable…
Le rythme et la pression de ma vie professionnelle annonçaient pourtant que je me dirigeais vers un grand changement. À la suite d’un incident, qui est devenu un point culminant, ainsi que trois visites chez trois médecins différents, c’était un fait. J’étais physiquement, mentalement et émotivement épuisée. Mais je ne voulais pas l’admettre.
À ce moment-là, pour moi, c’était comme admettre la défaite, admettre que j’étais faible. Mais parfois, l’Univers, ou peu importe comment vous voulez l’appeler, a un autre plan.
Crash!
Mon éveil s’est produit pendant mon congé de maladie. Voyez-vous, avoir une journée de congé à moi toute seule, en plein milieu de la semaine, c’était rare. Ce jour-là, je ne savais pas trop pourquoi, j’avais un malaise, une sorte d’intuition, une prémonition des choses à venir. Je n’arrivais pas à me mettre en branle. J’étais comme dans un brouillard. C’était tellement rare de pouvoir me concentrer seulement sur moi. Qu’est-ce que je voulais faire de ces quelques heures libres avant le retour des enfants de l’école? J’ai décidé d’aller faire un tour au centre commercial. Quel chemin vais-je prendre? Tout était comme au ralenti. Vers le boulevard ou l’autoroute? Je réfléchis…
Avant d’entrer dans ma voiture, je me souviens vivement de mon discours interne: «Allez, Julie, décide. C’est banal, vas-y. Démarre ta voiture et hop! Go!» Pourtant, quelque chose m’arrêtait. Une bonne dizaine de minutes plus tard, je quitte la maison.
Arrivée au premier feu de circulation au coin du boulevard qui est perpendiculairement devant moi, une voiture policière file à une vitesse folle «O.K., sois aux aguets. Fais attention. Tu ne sais pas ce qui s’en vient.» La lumière passe au vert. Je tourne lentement vers la gauche. Soudainement, du haut de la colline au loin, j’aperçois des gyrophares clignotants. «Quoi? Une autre voiture de police? Oh, mon Dieu!» Une deuxième voiture de police file. Elle traverse la ligne blanche. L’auto est en sens inverse de la circulation. Tout se passe tellement vite, mais en même temps, c’est une éternité. On est maintenant face à face.
Tout aussi rapidement, une autre voiture jaune apparait dans la voie opposée. De toute évidence, c’est une poursuite policière. Et à côté de cette auto de citoyen, une troisième auto de police accélère. En sandwich, les policiers essaient d’entourer l’automobile jaune pour l’arrêter. «Ça ne se peut pas. Je ne peux pas mourir comme ça… mes enfants… Je viens à peine de commencer à leur enseigner la vie… Je n’ai même pas de testament en bonne et due forme… Je viens à peine de commencer à y penser.»
Peut-être était-ce un pressentiment, mais quelques jours avant, nous étions, mon mari et moi, passés chez le notaire pour finaliser nos dernières volontés et débuter le processus de la rédaction de nos testaments.
La pensée d’une lecture froide de ce texte à nos enfants, sans notes personnelles, m’avait incitée à leur écrire une lettre qui accompagnerait ce document final. Elle serait la transmission du savoir, d’une mère à ses fils, sur les rites de la vie avec ses passages et ses moments spéciaux. Il y aurait aussi des directives claires pour des tâches ménagères, juste au cas où, un jour, je ne serais plus là pour les guider. À l’époque, ce document était loin d’être terminé. (À noter: Je n’ai jamais terminé ce document. Je l’ai même supprimé. Sa rédaction était trop pénible. Elle me transportait dans un monde où mes enfants seraient orphelins de mère.)
Au beau milieu de cette tornade digne d’un film policier, je me tourmente. Tout tourne en couleurs dans ma tête: les beaux visages souriants de mes enfants, les gyrophares clignotants, le document incomplet sur mon écran d’ordinateur, mes mains sur le volant. Ma seule pensée crie: «Je ne peux pas mourir. Je n’ai pas fini mon travail de mère. Mes enfants ont besoin de moi. Je n’ai pas fini de leur apprendre.»
«Je dois vivre!» J’en étais convaincue. Le temps n’attend personne. Je savais que je devais faire quelque chose de drastique, maintenant! «Est-ce que ce policier qui est là devant moi me voit? Et la troisième voiture, elle, que fera-t-elle? «Julie, fais quelque chose, là.» C’est à mon tour de jouer.
Je regarde dans mon rétroviseur de droite. Un taxi approche. Il est encore assez loin derrière moi. «J’ai le temps. S’il vous plait, donnez-moi le temps.» Je prie. Toutes mes énergies sont concentrées sur cet instant. Je suis en alerte. Mes émotions ont pris un siège arrière. Mon instinct de survie est primaire. Je dois faire quelque chose, tout de suite. Les voitures avancent. Je prends mon courage. Je ne respire même pas. Je tourne à droite. J’appuie sur l’accélérateur. Je traverse une, puis les deux voies. J’accélère. Une entrée de maison apparait. Je me dirige vers elle. C’est la première fois que je la vois. Je ne l’avais jamais remarquée avant, sur ce boulevard plutôt commercial que je traverse régulièrement. Cette entrée est apparue au bon moment.
En manœuvrant soigneusement, loin de la circulation et de la collision imminente, mon plan est en action. L’une des voitures de police réagit. Elle vient de me voir. Elle tourne brusquement et entre en collision avec le côté conducteur arrière de ma voiture. Boum! Je suis tassée sur le côté. La voiture de police rebondit pour terminer sa course contre un tronc d’arbre.
Le policier ouvre sa portière d’un seul coup, puis, sans même la refermer, il court vers moi. Heureusement, il était indemne. Je n’étais pas si mal, moi non plus. Mais, comme vous pouvez l’imaginer, je suis sous le choc. Tout mon corps tremble. Je n’en reviens pas et, encore aujourd’hui, je suis abasourdie par les hasards de la vie, par les conséquences d’un seul instant. Voilà ce qui m’attendait. Voilà qui expliquait mon hésitation à partir loin du confort douillet de notre chez-nous.
Le policier m’aide à ouvrir ma portière et me sort de ma voiture. Il s’excuse sans cesse. Des sirènes s’entendent. D’autres autos de police, un camion de pompier et une ambulance arrivent sur la scène.
Les ambulanciers m’examinent, me questionnent et font quelques tests. J’ai été durement ébranlée et je suis physiquement en état de choc, mais indemne.
On m’escorte jusqu’à une voiture de la Sûreté du Québec. Trois officiers m’attendent pour m’interroger.
Secouée et incrédule, je réalise que j’...