Chapitre 1
RENDEZ-VOUS AVEC LE DESTIN
Cette carte situe les agglomérations des régions du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et de la CÎte-Nord les plus souvent mentionnées en lien avec cette biographie de Jules-A. Brillant.
Pour la plupart des gens, le 1er mai 1963 a sans doute Ă©tĂ© un jour comme les autres. Mais pour Jules-A. Brillant, cette date reprĂ©sente un tournant dans sa vie. Il aura bientĂŽt 75 ans. Bien droit, cigare Ă la main et sourire en coin, lâhomme dâaffaires fixe lâobjectif de la camĂ©ra. Debout Ă ses cĂŽtĂ©s, le ministre des Richesses naturelles du QuĂ©bec, RenĂ© LĂ©vesque, croise un peu maladroitement les mains devant lui. Les deux hommes posent devant les journalistes pour souligner la nationalisation de la Compagnie de pouvoir du Bas-Saint-Laurent, vaisseau amiral de ce que tout le monde appelle « lâempire Brillant ». Il y a quelques semaines Ă peine, Hydro-QuĂ©bec, par le biais dâune offre publique dâachat, a fait lâacquisition au coĂ»t de 14,3 M $ de la Compagnie de pouvoir en plus dâassumer la dette Ă long terme de lâentreprise qui sâĂ©lĂšve alors Ă 4,8 M $. Bien quâil soit satisfait du rĂšglement, puisque les actions ont Ă©tĂ© payĂ©es bien au-dessus de la valeur du marchĂ©, Brillant en a quand mĂȘme gros sur le cĆur. Il nâa pas digĂ©rĂ© les propos de certains journalistes durant le dĂ©bat sur la nationalisation de lâĂ©lectricitĂ© au QuĂ©bec. Il se souvient de Jean-Pierre Fournier dans lâĂ©mission Commentaires Ă Radio-Canada qui a osĂ© dire que le gouvernement sâapprĂȘtait Ă acheter, au prix fort, lâAbitibi Power et la Compagnie de pouvoir du Bas-Saint-Laurent, autrement dit « de la broche Ă foin ». RenĂ© LĂ©vesque lui-mĂȘme en rajoute, toujours sur les ondes de Radio-Canada, lorsquâil dĂ©clare : « Ces gens-lĂ de lâAbitibi, comme ceux de la GaspĂ©sie lĂ , dans le bout de chez monsieur Brillant, le Bas-Saint-Laurent, câest des endroits qui sont dĂ©gradĂ©s au point de vue Ă©lectricitĂ©. Les compagnies sâen sont pas occupĂ©es. Ils nâont pas fait les investissements quâils auraient dĂ». » Tout le clan Brillant accuse le coup. Lâune des filles, Suzanne, va mĂȘme personnellement sâen plaindre Ă RenĂ© LĂ©vesque.
Le ministre des Richesses naturelles, René Lévesque, semble jeter un regard admiratif à Jules-A. Brillant au moment de la nationalisation de la Compagnie de pouvoir. Photo : Louis-Paul Lavoie, Groupes de fonds Clément Claveau, collection du Musée régional de Rimouski, N.A.C. LP-1479.35.
Deux jours avant la prise de contrĂŽle de la Compagnie de pouvoir du Bas-Saint-Laurent par Hydro-QuĂ©bec, soit le 29 avril 1963, Brillant remet en bonne et due forme sa lettre de dĂ©mission Ă son conseil dâadministration. Il Ă©crit : « Messieurs, vous comprendrez certainement tout ce que je ressens aujourdâhui en vous prĂ©sentant ma dĂ©mission de la prĂ©sidence de la compagnie. On ne se dĂ©tache pas sans un serrement du cĆur de lâĆuvre de sa vie. »
En voyant ce quâil considĂ©rait comme son fleuron lui Ă©chapper, Brillant revoit ses dĂ©buts, se rappelle ses rĂȘves et pense aussi que tout cela a commencĂ© il y a trĂšs, trĂšs longtemps.
Les modestes origines
Ce commencement a pour nom « Assemetquagan ». Pour les Micmacs, le mot signifie « cours dâeau que lâon a soudain en face de soi aprĂšs une courbe ». Le toponyme dĂ©signait jadis un hameau situĂ© au cĆur de la vallĂ©e de la MatapĂ©dia dont bien peu de gens se souviennent aujourdâhui. Câest lĂ , dans un territoire accidentĂ©, mais dâune rare beautĂ©, que naĂźt le 30 juin 1888 Jules-AndrĂ©, fils de Joseph Brillant et de Rose-de-Lima Raiche. La mission dâAssemetquagan ne compte alors que trois ou quatre maisons et quelques constructions en bois rond. AmĂ©nagĂ© sur les rives de la magnifique riviĂšre MatapĂ©dia, le bourg prendra plus tard le nom de Routhierville. Preuve que lâendroit est relativement isolĂ©, mĂȘme dans le dernier tiers du XIXe siĂšcle, il faudra 10 jours avant que le curĂ© missionnaire de la MatapĂ©dia, lâabbĂ© Charles-PhilĂ©mon CĂŽtĂ©, passe Ă Assemetquagan pour baptiser Jules-AndrĂ© en dĂ©pit du fait que, selon la coutume de lâĂ©poque, un bĂ©bĂ© recevait normalement ce sacrement au plus tard le lendemain de sa naissance. Lâacte a par la suite Ă©tĂ© consignĂ© dans les registres de la paroisse Saint-Jacques-le-Majeur de Causapscal. MĂȘme le parrain de Jules-AndrĂ©, son grand-pĂšre AndrĂ© Brillant, est incapable de se rendre Ă la mission dâAssemetquagan et il se fait reprĂ©senter au baptĂȘme par un dĂ©nommĂ© Nazaire Dassylva auquel il remet une procuration !
Il faut dire que la colonisation de cette rĂ©gion se produit tardivement. Au milieu du XIXe siĂšcle, la MatapĂ©dia demeure pratiquement inhabitĂ©e. Nous savons quâen 1855, 5 familles seulement sont installĂ©es dans toute la vallĂ©e. Depuis 1832, le chemin Kempt relie pourtant Saint-Octave-de-MĂ©tis Ă Ristigouche. Cependant, cette route tracĂ©e Ă la hĂąte reprĂ©sente un vĂ©ritable dĂ©fi pour les voyageurs. Si la section allant de Saint-Octave au lac MatapĂ©dia peut ĂȘtre qualifiĂ©e de passable, il en va tout autrement pour le trajet entre le futur site dâAmqui et la riviĂšre Ristigouche. Cette portion de route nâest quâune succession de prĂ©cipices et de bourbiers, tant et si bien quâen 1838, il devient trĂšs difficile dây faire le service postal. Par endroits, câest Ă peine si les chevaux attelĂ©s peuvent passer et les accidents sont frĂ©quents. On rapporte que des voyageurs meurent de froid en hiver, tandis que dâautres se noient en tentant de traverser les riviĂšres en crue au printemps et Ă lâautomne. Dans le but dâamĂ©liorer la situation, le gouvernement approuve lâinstallation le long du chemin Kempt de quatre postes occupĂ©s par autant de gardiens. Leur tĂąche consiste dâabord Ă recevoir et Ă ravitailler les postillons responsables du transport du courrier et Ă porter secours, en cas de besoin, aux rares voyageurs qui osent sâaventurer sur cette route en piteux Ă©tat. Le premier de ces postes ouvre dĂšs 1833 Ă la tĂȘte du lac MatapĂ©dia. Le second, dĂ©signĂ© sous le nom des « Fourches », est installĂ© Ă la riviĂšre Causapscal en 1839. Ă une distance de 23 km au sud de Causapscal se trouve le poste dâAssemetquagan. Il ouvre vers 1846 et Thomas Evans en sera le gardien jusquâen 1867.
Ă partir de 1857, le tracĂ© du chemin Kempt est revu. La route est Ă©largie Ă 22 pi (6,5 m) et, surtout, pas moins de 51 ponts solides permettent dorĂ©navant de franchir les riviĂšres. Elle prend alors le nom de « chemin MatapĂ©dia ». Les travaux sont terminĂ©s en 1867 et le gouvernement du QuĂ©bec met gratuitement Ă la disposition dâĂ©ventuels colons pas moins de 2 600 acres de terre. Câest cependant lâarrivĂ©e du chemin de fer en juillet 1876 qui donne vĂ©ritablement lâessor au mouvement de colonisation de la vallĂ©e de la MatapĂ©dia. La prĂ©sence dâune voie ferrĂ©e favorise lâouverture de scieries importantes, permettant aux colons de tirer un revenu non nĂ©gligeable de la vente du bois provenant de leurs lots. En 1880, soit 4 ans seulement aprĂšs lâouverture du tracĂ© ferroviaire, la population de la vallĂ©e atteint dĂ©jĂ 1 700 habitants.
Câest justement le chemin de fer qui amĂšne la famille Brillant Ă Assemetquagan. Le pĂšre, Joseph, occupe le poste de chef cantonnier Ă la Compagnie du chemin de fer Intercolonial. Ă ce titre, il supervise un groupe de journaliers travaillant Ă lâentretien de la voie ferrĂ©e. La mĂšre, Rose-de-Lima, nĂ©e le 27 avril 1868, a 5 ans de moins que son Ă©poux. Le couple est dĂ©crit comme Ă©tant des gens simples et bons. Ils sont tous deux originaires du Bic. Leur mariage a Ă©tĂ© cĂ©lĂ©brĂ© le 17 novembre 1885 dans la chapelle de la mission de Saint-Pierre-du-Lac, un regroupement de quelques maisons qui prendra plus tard le nom de Val-Brillant. Les bans ont Ă©tĂ© publiĂ©s Ă la fois au Bic et dans la mission de Saint-Pierre-du-Lac. Câest un lointain cousin de Joseph Brillant, lâabbĂ© Pierre Brillant, curĂ© de Saint-MoĂŻse ayant Ă©galement la charge des missions de Saint-Pierre-du-Lac et dâAssemetquagan, qui cĂ©lĂšbre le mariage en prĂ©sence de Jean-Baptiste Raiche, pĂšre de Rose-de-Lima, et dâAndrĂ© Brillant, pĂšre de Joseph.
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Un peu de généalogie
LâancĂȘtre de Jules-A. Brillant, Olivier Morel de La Durantaye, arrive au Canada en juin 1665 comme capitaine au sein du RĂ©giment de Carignan. NĂ© le 17 fĂ©vrier 1640 dans la paroisse Notre-Dame-de-GrĂące prĂšs de Nantes, Olivier Morel va servir 40 ans dans lâarmĂ©e. Il se distingue notamment dans les guerres contre les Iroquois. AttachĂ© Ă la garnison de QuĂ©bec de 1670 Ă 1683, il commande lâune des 6 compagnies des troupes de la Marine. En 1672, Talon lui concĂšde la seigneurie de La Durantaye dite aussi de Bellechasse. Deux ans plus tard, il reçoit de Frontenac la seigneurie de Kamouraska.
LâarriĂšre-petit-fils dâOlivier Morel, Charles-Joseph Morel de La Durantaye, prend Ă©galement le titre de Boisbrillant, donnant ainsi naissance Ă une nouvelle lignĂ©e Ă©tablie au Kamouraska. Un descendant de cette famille, Henri de Boisbrillant, Ă©pouse Marie-Anne Roy dit Desjardins le 22 janvier 1816 Ă Kamouraska. Un des fils de ce couple, AndrĂ© Brillant dit Boisbrillant, quitte Kamouraska et vient sâinstaller Ă Rimouski oĂč il Ă©pouse le 8 avril 1845 ObĂ©line Lavoie. AndrĂ© semble le premier de la lignĂ©e Ă se faire appeler uniquement Brillant. Les Ă©poux sâinstallent vers 1851-1852, sur une terre au Bic. Ils auront 13 enfants parmi lesquels Joseph, pĂšre de Jules-A. Brillant.
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Les Brillant habitent depuis 2 ans une petite maison situĂ©e Ă un jet de pierre de la gare Ă©rigĂ©e Ă Assemetquagan lorsque Rose-de-Lima donne naissance, le 28 janvier 1887, Ă un fils prĂ©nommĂ© Horace. LâannĂ©e suivante, Jules-AndrĂ© voit le jour. Trois autres garçons viendront sâajouter Ă la famille. Il y a dâabord des jumeaux, Jean et Edmond, nĂ©s le 15 mars 1890, puis Arthur qui naĂźt le 4 aoĂ»t 1893. Mais le travail de Joseph Brillant lâamĂšne Ă dĂ©mĂ©nager. Peu aprĂšs la naissance des jumeaux, la famille se fixe Ă Petit-MĂ©tis. Quelques mois plus tard, elle dĂ©mĂ©nage de nouveau, puisque le recensement de 1891 nous apprend que les Brillant habitent dorĂ©navant Saint-Octave-de-MĂ©tis.
Enfance Ă Saint-Octave
ĂrigĂ©e canoniquement en 1855, la paroisse de Saint-Octave-de-MĂ©tis, oĂč grandit le jeune Jules-A. Brillant, nâa rien Ă voir avec Assemetquagan. DĂ©jĂ en 1888, Saint-Octave est un village important dont la population atteint 2 037 habitants. On retrouve sur son territoire quatre moulins Ă scie, trois moulins Ă ...