Constantinople
De 1453 à 1922, la capitale de l’Empire ottoman est la ville de Constantinople-Kostantiniyye. Elle abrite le cœur de l’administration impériale ainsi que la cour du sultan. Les ambassadeurs qui s’y pressent admirent la taille de sa population, l’activité de ses ports et l’élégance de ses bâtiments. Capitale de l’empire dominant le Moyen-Orient durant six siècles, elle devient la porte de l’Orient dans l’imaginaire européen. Mais l’histoire de la cité précède de beaucoup l’arrivée des Ottomans. Et elle se poursuit après eux.
Un emplacement exceptionnel
L’histoire de Byzance commence par une légende. En 667 avant J.-C., un Grec nommé Byzas parcourt depuis un certain temps la mer Méditerranée afin de trouver un lieu propice à la fondation d’une colonie. L’oracle de Delphes, autorité de référence du monde hellénique, lui a conseillé d’installer celle-ci « en face des aveugles ». Après bien des recherches, il jette l’ancre à Chalcédoine, une petite ville située sur la rive asiatique du Bosphore, un détroit séparant l’Europe de l’Asie et menant de la Méditerranée à la mer Noire. Le lieu lui semble particulièrement inhospitalier : des falaises rendent l’accès à l’eau difficile et le sol est peu fertile. Face à Chalcédoine se trouve pourtant un site bien plus accueillant, une péninsule contrôlant le détroit et facile à défendre. C’est sur ce promontoire que Byzas choisit d’installer sa colonie, convaincu que les Chalcédoniens installés sur leur falaise sont les aveugles de l’oracle. Byzance, la ville de Byzas, est née.
Byzance est située sur une péninsule à l’embouchure de la rive occidentale du Bosphore. Celui-ci est un détroit de 32 kilomètres de longueur et de 698 à 3 000 mètres de largeur séparant les continents européen et asiatique et reliant la mer Noire à la mer de Marmara. Il s’agit dès l’Antiquité d’un point de passage obligé pour les navires transportant blé, fourrures et esclaves des pourtours de la mer Noire aux grands centres de consommation de la Méditerranée. C’est aujourd’hui encore l’un des passages maritimes les plus empruntés au monde. Source : NASA, Wikipédia, domaine public.
Le site de Byzance-Constantinople-Istanbul est exceptionnel. Il se trouve au point de rencontre des grands itinéraires maritimes et terrestres de la région. Il contrôle les communications entre la mer Noire et la mer de Marmara en plus d’être le point de passage le plus commode entre l’Europe et l’Asie.
Le site de Byzance-Constantinople-Istanbul est entouré d’eau de trois côtés. Au nord-est se trouve le Bosphore. Au sud se trouve la mer de Marmara, mer intérieure reliant le Bosphore aux Dardanelles. Au nord se trouve la Corne d’Or, estuaire de plusieurs rivières se jetant dans la mer de Marmara. La rencontre de ces trois masses d’eau assure à la ville plusieurs avantages. Leur température et leur salinité différentes attirent près des côtes de nombreux poissons. La Corne d’Or offre un approvisionnement facile en eau douce tout en abritant les navires des courants et intempéries. La péninsule de Constantinople est facile à défendre. Carte tirée du Voyage pittoresque de la Grèce, Marie-Gabriel-Florent-Auguste, comte de Choiseul-Gouffier, Paris, 1822. Wikimedia Commons, domaine public.
Les fouilles archéologiques permettent de confirmer certains aspects de cette légende. Les premières traces de peuplement humain dans les environs du site de la cité datent du XIIe siècle avant J.-C. Ces premiers habitants sont certainement les membres de tribus thraces qui vivent à l’époque sur le territoire de l’actuelle Bulgarie. Le nom « Byzas » a d’ailleurs des origines thraces plutôt que grecques. La physionomie de l’occupation humaine de la région se transforme pourtant au cours du VIIe siècle avant J.-C. Alors que les premiers villages occupaient la rive septentrionale du promontoire de Byzance, ils migrent progressivement vers le point le plus élevé de celui-ci. Ils quittent ainsi les bords de l’estuaire de la Corne d’Or, où l’approvisionnement en eau douce est le plus aisé, pour un lieu dominant l’embouchure du Bosphore et permettant d’en taxer le trafic. Plutôt qu’un simple établissement local, la nouvelle cité est pensée rapidement dans un cadre régional et avec le but de contrôler les voies de communication entre l’Europe, l’Asie, la mer Noire et la mer Égée.
Quelle que soit l’origine de ses habitants, Byzance affiche dès lors une culture grecque issue à la fois de l’influence des marchands et de l’arrivée de nouveaux colons. Ses monnaies portent des légendes en grec représentant son fondateur légendaire, Byzas, ou sa déesse protectrice, Hécate. Celle-ci est la déesse grecque des carrefours et des passages entre les mondes des vivants et des morts. Elle représente donc particulièrement bien la ville et son rôle de plaque tournante du commerce de cette région.
Si c’est précisément ce rôle qui assure le développement et la prospérité de Byzance, il attire aussi les convoitises. La cité est ainsi attaquée en 340 avant J.-C. par Philippe II, roi de la Macédoine voisine et père d’Alexandre le Grand. Après un long siège, il doit renoncer à son entreprise. Ce n’est qu’en 146 avant J.-C. qu’elle est intégrée, d’ailleurs pacifiquement, à l’Empire romain. Contre le paiement d’un tribut régulier, elle conserve ses propres institutions, sa langue et sa culture. Byzance n’y est cependant qu’une cité grecque parmi des centaines d’autres, poursuivant une existence paisible mais obscure. C’est à son emplacement géographiquement exceptionnel qu’elle doit de sortir de cette obscurité au début du IVe siècle.
La ville de Constantin
À partir de 235, l’Empire romain entre dans une période de bouleversements. De nouveaux adversaires, les Goths en Dacie (Roumanie actuelle) et les Perses sassanides en Mésopotamie (Irak actuel), exercent sur les frontières une pression plus forte qu’auparavant. Les légions romaines sont vaincues à plusieurs reprises, ouvrant le chemin des provinces frontalières aux raids de pillage. Ces défaites entraînent la remise en question du pouvoir impérial, et de nombreuses guerres civiles opposent des usurpateurs prétendant mettre fin aux troubles. Ces conflits internes favorisent les invasions et relancent ainsi la spirale infernale. Après des décennies de crise, un groupe de généraux parvient à rétablir la situation au prix de transformations profondes dans la structure de l’empire. Parmi ces changements figure le déplacement de la capitale de l’empire depuis Rome vers d’autres villes plus rapprochées des frontières, ainsi que la reconnaissance des chrétiens, une minorité religieuse jusque-là persécutée.
Le plus célèbre de ces généraux est Constantin, qui parvient en 324 à unifier l’empire pour la première fois depuis 235. Il est un usurpateur, ne devant son trône qu’à ses victoires militaires et à sa capacité d’assurer la tranquillité des provinces. Il insiste d’autant plus sur l’importance de son règne, se présentant comme le refondateur de l’empire. Dans un but aussi pratique que symbolique, il cherche à installer une nouvelle capitale marquant le début d’un nouvel âge d’or et lui permettant de se déplacer rapidement vers les frontières de la Dacie et de la Mésopotamie menacées. Il souhaite également profiter du dynamisme économique de la portion orientale de l’empire. C’est sur Byzance qu’il jette son dévolu, reconnaissant toutes les possibilités offertes par sa centralité géographique.
À partir du 18 novembre 324, Constantin y lance une série de travaux destinée à doter la ville d’installations dignes de la capitale du monde romain. L’ancienne cité est remplacée par un vaste palais impérial installé sur le promontoire dominant la mer de Marmara. Les habitations sont déplacées vers la base de la péninsule, triplant ainsi la superficie de la ville. Un hippodrome, des églises et des citernes sont construits à travers les nouveaux quartiers. Des trésors artistiques issus de tout l’empire sont déplacés vers le Bosphore. L’inauguration de la nouvelle cité de Constantin – Constantinople – est célébrée le 11 mai 330.
De tous les monuments de cette époque, un seul est parvenu à peu près intact jusqu’au XXIe siècle. Il s’agit de la colonne de Constantin, élevée en 328 pour commémorer la réunification de l’empire. Haute de 37 mètres, elle comprenait 8 tambours de porphyre, couleur réservée à l’empereur dans l’imagerie romaine. Elle était surmontée d’une statue de Constantin en Apollon-Hélios, le dieu du soleil révéré par l’empereur jusqu’à son baptême chrétien en 337. Des objets liés aux différentes croyances alors populaires dans l’empire sont aussi enchâssés dans la colonne : clous de la Passion et fragment de la Vraie Croix dans la statue, manche de la hache de Noé, panier de la multiplication des pains et statue d’Athéna ramenée de Troie à Rome par Énée (le Palladium) sous les fondations. En érigeant pareil monument au syncrétisme, Constantin célèbre l’unité et la renaissance de l’empire dans sa nouvelle capitale.
La colonne de Constantin, érigée en 328 sur le forum du même nom (actuelle place Çemberlitaş. Plus vieux monument de la cité parvenu jusqu’à nous, il a connu une histoire aussi mouvementée que celle de la ville. La statue de l’empereur a été remplacée en 1105 par u...