Mines de rien
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Mines de rien

Chroniques insolentes

  1. 162 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Mines de rien

Chroniques insolentes

À propos de ce livre

La mine, c'est à la fois le crayon, l'expression et le potentiel explosif. Nous disons mines de rien, parce qu'il s'agit de petites choses, ces petits riens souvent passés sous silence, et qui, pourtant, nous minent.Trois professeures de lettres délaissent les formes académiques pour se donner le plaisir des billets d'humeur, de l'archéologie du quotidien, en solidarité avec toutes celles qui subissent les humiliations invisibles. Têtues, critiques, moqueuses ou graves, elles s'entendent sur un point: si le monde a beaucoup changé, si l'égalité semble à portée de main, le sexisme demeure bien vivace partout.Mines de rien, ce sont trois féministes qui mettent en commun leurs plumes grinçantes pour dépeindre nos travers avec des lunettes pas vraiment roses. Du marketing aux toilettes publiques, en passant par les médias sociaux, la culture du viol, l'instinct maternel ou la masturbation, leurs chroniques s'indignent de l'ordinaire sexiste, et prouvent qu'il est aussi arbitraire qu'anachronique. Ici la conscience aiguë du phallocentrisme n'est pas un poids, mais un moteur. Mieux vaut, paraît-il, en rire. Mieux vaut surtout s'en indigner.*Isabelle Boisclair, Lucie Joubert et Lori Saint-Martin sont auteures et professeures de littérature à l'université.

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Les ennemies no 1 et 2:
 la madame
 et la matante

L.J.

Les féministes peuvent souffler un peu: on les prend encore à partie assez souvent par les temps qui courent mais, dans le hit parade des objets de moquerie, elles sont presque supplantées en ce moment par deux autres figures féminines concomitantes aussi hautes en couleur – je dis presque parce qu’on n’abandonne pas une première position, quelle qu’elle soit, sans pincement au cœur. Sonnez trompettes, le règne de la madame et de la matante est arrivé.
Elles sont presque jumelles; elles participent l’une de l’autre; elles sont intimement imbriquées. Elles ont une histoire. Leur ancêtre: la dame à chapeau qui roule lentement en voiture, garde son couvre-chef – bien peu chef, en fait – sur la tête durant les conférences culturelles, passe ses commentaires pendant un film, et s’exclame périodiquement: «On est-tu ben sans nos maris!». Cette figure n’avait jusqu’à maintenant pas beaucoup de pouvoir, sinon celui de nous irriter; on découvre aujourd’hui avec stupeur que ses descendantes sont en train de changer le visage de la société québécoise qui ne parle plus que de madamisation et de matantisation.
Cette tendance à garder le féminin dans la mire du ridicule cristallise donc des néologismes dont l’implantation dans le vocabulaire journalistique est aussi rapide que suspect. Ainsi, selon Stéphane Baillargeon du Devoir, on doit à l’une de ses collègues (féministe, on n’arrête pas le progrès) l’expression «madamisation des médias» pour illustrer la tendance télévisuelle actuelle vers la mièvrerie et le pas-de-contenu. Mais attention: n’est pas madame, donc indice de fléchissement intellectuel, qui veut. Ici, on parle, avec Baillargeon, de «l’institutionnalisation de la bourgeoise, de l’arriviste et de la faiseuse»; il faut de l’argent: ce n’est donc pas à la portée de toutes les bourses, même en comptant celles du mari. La madame nouvelle est «choyée, hors du foyer», «friquée et culturobranchouillée» (je vous avais prévenus pour les néologismes), nous entretient de ses «bobos de Bobos»; bref, elle se plaint le ventre plein et on n’en peut plus d’entendre ses récriminations. Soit.
La matante n’est pas aussi privilégiée que sa consœur: elle jouit d’un pouvoir financier et d’une aura d’influence moindres, mais, au final, se révèle tout aussi agaçante dans son omniprésence et son association avec l’idée du nivellement par le bas. On honnit ses effets en littérature: «Écrire c’est d’abord et avant tout une entreprise intellectuelle, statue doctement Pierre Samson, lâchez-nous les jarrets avec vos émois de matante». On l’institue en catégorie sociale: parlant de Louis-José Houde, Fabien Deglise relèvera «l’efficacité avec laquelle il décrispe, séduit, fait fondre la “matante” ordinaire, tout comme la jeune fille bien de son temps». Il faut noter la petite gêne suggérée par les guillemets et comprendre qu’en plus d’être énervante, la matante est iiiiiiiii nerveuse et pas sortie du bois.
Enfin, la matante est, sur tous les fronts, persona non grata. On rappellera pour mémoire cette tirade de Guillaume Wagner, l’humoriste: «On ne veut pas de matantes dans la salle. Elles ne comprendront pas mon humour. Truc rapide pour éliminer les matantes? T’as juste à faire une joke chienne sur quelqu’un de connu qu’elles aiment. N’importe qui! Du genre: “Marie-Élaine Thibert est tellement laide que ça devrait être déductible d’impôt de la fourrer”» – référence disponible partout, mais alors là partout, sur le web.
Les matantes sont un brin masochistes de payer le gros prix pour entendre cet humoriste; elles pourraient se lasser. Si j’étais lui, je les ménagerais. Je ne m’étendrai pas sur ce qu’il y a de colon – dans le sens anatomique du terme – au cœur de cette attaque gratuite contre une chanteuse; je m’attarderai plutôt au caractère sexué de ces figures du discours social. Que l’ancienne madame, la dame à chapeau, celle du canal 10, dont il faisait bon se moquer et qui venait d’un milieu modeste, ait été remplacée par son ersatz, la matante (la madame actuelle étant, on l’a vu, maintenant riche, narcissique et probablement névrosée), ne change rien au fond de la question: ces types féminins sont associés au superficiel, à l’ignorance, au culte de la bêtise institutionnalisée; ils font écran aux vrais débats, à l’information substantielle. On les tient responsables de l’écroulement de la culture.
On me dira, à l’instar de Stéphane Baillargeon, qui revient sur le sujet, que «le mot importe moins que la chose», et qu’il est très simple de trouver aux madames et aux matantes des correspondants masculins, qu’il «y a la mononc’isation aussi», «la bonhommisation», «le prout prout ma chère face au prout prout tout court», que la bêtise est équitablement répartie, hélas, entre les deux sexes. Sans doute. Il faut alors se questionner sur la fulgurante popularité du terme et sur la surenchère dans son utilisation, alors que le mononcle, lui, est absent de la place publique, et subsiste à peine dans l’expression «dis pardon, mon oncle4» ou alors comme référent libidineux des partys de Noël. (À cet égard, on constatera que le mononcle cochon, s’il est redouté par les filles, jouit auprès de tous les autres membres de la famille d’une grande indulgence car, après tout, c’est l’alcool qui le rend si entreprenant: sobre, il ne vous mettrait jamais la main aux fesses.)
Baillargeon propose, après avoir allumé le feu, de trouver un terme plus neutre comme «estivalisation des médias»; intéressant, mais cela n’enlève rien au fait que le premier réflexe a été d’imputer la dérive d’une information décervelée et sans envergure à un prototype féminin. Ce n’est pas innocent ni sans conséquence, c’est même diablement symbolique.
Songe-t-on à traiter de mononcles ces gérants d’estrade qui pérorent à l’écran sur la dernière blessure à la laine de nos millionnaires en patin? Non: on les trouve idiots, à la limite, et on change de poste. Aurait-on le réflexe de dire de Jeff Fillion que c’est un mononcle? Douteux. On le conspue ou on adore le haïr: des émotions violentes, viriles. Appellerait-on mononcles ces auteurs qui osent parler de leur vécu? Bien sûr que non: leur vie, cela va de soi, est nécessairement digne d’intérêt, contrairement aux histoires de bonnes femmes (la bonne femme, une sous-catégorie, là, sans même y toucher). Plus encore: si l’on tente de renverser la sexuation de la madamisation, il faut recourir au mot monsieur. Quand se moque-t-on d’un monsieur?
Ma mère me disait souvent que les mots ne font pas mal. C’était à une époque où on ne portait guère attention à la charge émotionnelle de certains vocables. On n’en est plus là. Le terme «madamisation» me reste en travers de la gorge à cause de toutes les connotations qu’il charrie: médiocrité, complaisance, futilité. Le recours à la matante pour indiquer un type de femme sans consistance, dépassée par les événements, malléable et pas trop brillante, ne passe pas mieux aux douanes. Je riais des matantes quand j’avais 12 ans et que j’étais mal dans ma peau. J’en suis maintenant solidaire.
4. Ou dans une publicité de voiture: Tasse-toi mononcle…

Sur les tablettes
 d’un supermarché
 près de chez vous

I.B.

Ça a commencé doucement, on ne sait plus quand. Déjà, quand j’étais petite, ça existait: il y avait de l’antisudorifique pour homme, et de l’antisudorifique pour femme – «Assez fort pour lui, mais conçu pour elle». Apparemment, la transpiration ne ressortit pas à la condition humaine, mais bien au sexe: les glandes sudoripares ont un genre. À l’époque, ça n’était pas questionné: ça semblait normal qu’il y ait certains produits pour les hommes, d’autres pour les femmes. Mais qui sait? Ça a peut-être surpris le jour où le premier produit pour elle ou pour lui a été «inventé», va savoir. Le fait est que lorsqu’on grandit avec ces produits, leur existence semble aller de soi. Ça meuble notre environnement, ça nous est familier, et ce qui nous est familier nous paraît bientôt «naturel»… jusqu’à ce que d’autres produits fassent leur apparition. L’étrangeté du phénomène ne nous effleure que lorsqu’un produit qui existait auparavant dans sa plus grande neutralité affiche tout à coup du bimorphisme sexuel, et encore: la pensée du genre est tellement ancrée en nous que l’apparition sur les tablettes de produits désormais déclinés en deux versions nous semble presque aller de soi.
Dans un cas comme dans l’autre, la question se pose: quelles limites au marketing genré? Car qu’il soit question de crayons ou de dentifrice, on ne peut se réclamer de la nature pour justifier l’existence de produits différenciés – surtout quand l’humanité a pu s’en passer jusqu’ici. Les biologistes et les généticiens s’entendent de nos jours pour soutenir qu’il n’y a pas de frontière nette entre l’un et l’autre sexe, comme on l’a longtemps cru. Un modèle conceptuel plus juste serait celui du spectre, du continuum. Albert Jacquard aimait rappeler que le sexe n’est rien d’autre qu’une «astuce technique» pour assurer la reproduction de l’espèce – un mécanisme de procréation parmi d’autres –, insistant sur le fait que les retombées culturelles étaient démesurées en regard de son utilité. Pensons-y: à l’échelle d’une vie, ces spécificités reproductives ne sont pas requises si souvent – car on ne parle pas de sexualité, de plaisir des corps, mais bien de procréation. Mais alors que les biologistes nous mènent à cette conclusion, les agents de mise en marché, eux, multiplient à l’envi les produits consacrant la Différence.
Il y a les classiques, ceux qui meublent le paysage depuis plus longtemps: l’antisudorifique, on l’a dit, puis le parfum. Les jouets pour enfants aussi. Mais ces derniers ne sont pas souvent mis en question – hors des groupes féministes, du moins – parce qu’ils sont justement vus comme des outils indispensables de socialisation, d’apprentissage de la Différence (sans que personne note que si le genre a besoin d’un apprentissage, c’est peut-être qu’il n’est pas si naturel que ça, hé). Qu’adviendrait-il de nos enfants si les unes perdaient contact avec leur princesse intérieure, et les autres, avec le guerrier qui sommeille en eux?, je vous le demande, ma bonne dame.
Puis il y a les nouveautés, qui se multiplient actuellement. Ainsi, en version «pour elle» et «pour lui», on trouve de nos jours des stylos, des bouchons d’oreilles (!), des téléphones portables, des brosses à dents, des boissons énergétiques, de la bière, des coffres à outils, des GPS (!), des mouchoirs, et j’en passe.
On pensait peut-être que l’alimentaire y échapperait? Nah! La viande n’est-elle pas masculine, les légumes, féminins? Mais les filles se déniaisent, il leur arrive de manger de la viande. Dès lors, il convient de reconfigurer les territoires: dans certains restaurants, on offrira des burgers pour homme, et des burgers pour femme. Voilà qu’on invente de nouvelles distinctions: du yogourt pour homme, des bouteilles d’eau distinctes pour elle et lui, des saucisses pour elle (faibles en matières grasses). Même: du laxatif pour lui, du laxatif pour elle, c’est-y pas beau, ça: la Différence intestinale! On pourrait continuer, la liste est longue et de nouveaux produits apparaissent à chaque semaine. Tiens, les derniers en date: du vin, du thé, du pain (du pain!). Sans compter que certains autres, pour n’être pas nécessairement identifiés «pour homme» ou «pour femme», n’en demeurent pas moins emballés dans des couleurs et motifs genrés et que, bien souvent, la publicité prolonge le travail de l’emballage.
Derrière tous les objets ainsi fabriqués – formatés – et destinés aux hommes ou aux femmes, se terre la perception persistante d’une Différence: ce qui est masculin est robuste, ce qui est féminin est délicat. Décidément, les stéréotypes que l’on s’emploie pourtant à questionner et à déconstruire depuis plus de 40 ans ne se laissent pas déloger si facilement. La possibilité d’une variation intrasexe n’est même jamais suggérée: de la belle grosse Différence Nette, voilà ce qui est vendu…
Tout ce qu’on souhaite, c’est que les plus absurdes de ces propositions finissent par nous faire constater l’absurdité du procédé lui-même. Mais on n’en est pas là, de toute évidence. Les enfants d’aujourd’hui grandissent dans un environnement où d’innombrables produits sont différenciés, pas seulement l’antisudorifique… Moi je dis: «À quand la banane pour homme et la banane pour femme?» Monsanto devrait s’y mettre, il y a de l’avenir, tant la pensée binaire est ancrée profondément… et qu’elle fait vendre, fait vendre et vendre…

Les filles
de la construction

L.J.

Quand je vois une fille occuper un de ces emplois que l’on croyait, il n’y a pas si longtemps, réservés aux hommes, me vient en tête cette scène hilarante de Mademoiselle Autobody, des Folles Alliées: Timothée veut faire réparer sa voiture mais il est inquiet de voir que le garage local a été racheté par une fille; il dit au maire: «Son chum ou ben son mari va arriver, ça va être lui le mécanicien». Le maire répond, au grand dam de l’intéressé: «Non Mothée. A l’a dû suivre un cours de non-traditionnel».
Oserais-je avouer que moi-même, qui pratique le féminisme comme une erreligion (à prononcer en roulant les «erres» comme les Ursulines, que je salue en passant), j’ai déjà eu, dans une vie antérieure, cette réaction devant une fille qui se trouvait là où, normalement, aurait dû se trouver un gars? Si je confesse mes spasmes de misogynie passés, c’est que ce réflexe est plus répandu qu’on le pense chez les femmes, encore maintenant. Mais il est, qu’on se rassure, bien révolu le temps où je croyais qu’un homme à la quincaillerie saurait mieux mêler mes couleurs. Maintenant, je fais de la sélection positive: si j’entre dans un Rona, c’est vers la fille que je cours m’informer pour trouver les clous que je vais planter tout de travers. Je sais que les filles sont aussi bonnes que les gars pour ces questions; je me le suis répété assez souvent. Question réglée.
Ou presque: j’ai fait rénover ma cuisine récemment et j’adorerais dire que les gars et les filles ont fait un travail formidable mais, dans ce domaine, le tableau n’a pas beaucoup changé. C’est une femme qui a dessiné les plans – admirables, vous viendrez voir – et ce sont des gars qui les ont matérialisés. Même si j’aime bien voir une femme aux commandes d’un projet, je me suis demandé où étaient les filles peintres, ébénistes, les électriciennes, les maçonnes? Que des hommes dans ma cuisine, mais un progrès, que je considère ÉNORME: personne n’a insinué que mon mari m’avait offert un beau cadeau (peut-être parce que c’est moi qui signais les chèques…). On évolue, on évolue: je me rappelle avoir vu à l’Expo de Trois-Rivières un brave gars vendant des meubles qu’il fabriquait lui-même sous la bannière «Rêve de femme».
Les filles, donc, étaient absentes de ma cuisine; c’est assez ironique en soi, cet endroit étant, on le sait, du ressort du sexe féminin – à part pour la cuisine spectacle, quand il s’agit d’aligner savamment quatre crevettes et une rose de gingembre pour la modique somme de 32$. Mais elles continuent par ailleurs d’investir les bastions masculins; elles deviennent soudeuses (j’en ai eu une dans ma famille et je n’en suis pas peu fière; je ne lui ai pas dit qu’elle était pour moi un symbole féministe; je craignais confusément de l’apeurer et de la voir partir en courant pour retourner vers la tradition); elles discutent travaux de voirie, entre deux épandages d’asphalte, le casque orange bien planté sur la tête, elles salivent en entrant chez Canadian Tire autant que moi dans une librairie. Tout ça me fait énormément plaisir… et me ramène à une de mes propres contradictions.
J’ai étudié en lettres, j’enseigne la littérature, un des départements les plus féminins qui soient, où l’on a longtemps vu des classes complètes de filles boire les paroles de professeurs masculins assez au fait du pouvoir de séduction qu’ils exerçaient. Si la situation a progressé ici aussi, les statistiques favorisent encore les hommes: toutes proportions gardées, les gars sont plus nombreux à obtenir des diplômes de doctorat en littérature, à investir les responsabilités de représentants étudiants, à cogner aux portes pour demander des assistanats de recherche, etc. Souvent, j’ai envie de dire aux filles: «Qu’attendez-vous?» Et c’est là que, subitement, mon paradoxe me rattrape. Suis-je si différente de ces filles qui n’osent pas se mettre de l’avant? N’ai-je pas choisi un domaine un peu pépère (mémère serait plus juste!) par peur d’être confrontée à une résistance masculine de quelque sorte qu’elle soit? Ici même, dans mon travail, alors qu’on déplore le peu de femmes dans les hauts postes administratifs, pourquoi est-ce que je ne pose pas ma candidature? Est-ce vraiment parce que le pouvoir ne m’intéresse pas, parce que je préfère l’enseignement, la recherche? Tâtons-nous, tâtons-nous.
Dans ces instants, c’est une anecdote d’Hillary Clinton qui me vient à l’esprit, dont les détails m’échappent mais qui garde son sens: alors qu’elle invitait des fe...

Table des matières

  1. Avant-propos
  2. PERSISTANTS DIFFÉRENCE, AGAÇANTE DIFFÉRENCE
  3. C’est qui, le sexiste, DÉJÀ?
  4. Comment fabriquer la différence sexuelle en 10 étapes faciles
  5. Who cares? Les femmes, comme par hasard
  6. Politique du pipi
  7. Flippe-moi ça!
  8. Cinquante ans d’écart
  9. Les ennemies no 1 et 2: la madame et la matante
  10. Sur les tablettes d’un supermarché près de chez vous
  11. Les filles de la construction
  12. MALAISES CULTURELS
  13. Cherchez les femmes
  14. Un écrivain, une écrivaine
  15. Les nœuds de la prostitution
  16. Hors cadre
  17. Détournement de fond/s
  18. Aimer. Materner. Jeter le bébé avec l’eau du bain
  19. HOMMES DE BONNE ET DE MAUVAISE VOLONTÉ
  20. Les couacs d’une cantate
  21. «Ta» femme et «tes» enfants? suivi de «Lettre à celui qui…»
  22. Les pères cool, les mères nulles
  23. L’homme des tavernes 2.0
  24. La vie sans rose
  25. Gynocide: le «y» décisif
  26. L’ÉCOLE DE LA FÉMINITÉ
  27. Aimez-vous! C’est un ordre!
  28. La nouvelle pitoune19, même vieille poutine…
  29. Poser la question, c’est y répondre
  30. Les femmes tremblent encore
  31. La peur du cirque
  32. Je fais (nous faisons) partie de ce groupe: #YesAllWomen
  33. Talons des filles, talons d’Achille
  34. Main basse sur l’imaginaire
  35. La nature dénaturée
  36. Les mots sales
  37. MSN et moi
  38. JEUNESSES DU FÉMINISME
  39. On est toujours trop gentilles
  40. Les nouvelles radicales
  41. Comment fabriquer des intellectuelles?
  42. C’est quoi, être féministe, déjà?
  43. RÉFÉRENCES