Temps glacial. Arnaud, adossé contre un immense bouleau, ne bouge pas. Il gèle.
ARNAUD – Un jour, il a dit : « Mets ta main devant ta face. »
Le garçon a treize ans, l’autre huit.
Il a dit : « Y a un moment dans vie d’un tit gars. Et puis, sa main, si est assez grande, on peut presque dire que c’est un homme. Tu peux rentrer dans le bois. Tu y vas, tu regardes les arbres, pis t’en choisis un. En fait, tu le choisis pas. Tu le vois, pis tu sais que c’est lui. Tu sors du chemin, tu cales dans neige jusqu’aux genoux. Tu pars la chainsaw, pis tu le tues. Faut que tu tombes l’arbre pour laisser grandir les autres. »
Il a dit ça.
J’entends encore sa voix dire ces mots-là .
Arnaud, au milieu du chemin qui mène à la maison ancestrale. Armand l’accueille, carabine à la main.
ARMAND – Recule.
ARNAUD – C’est moi.
ARMAND – T’as pas vu la pancarte ? Ça dit No Trespassing. Pas de trépassage. Vire de bord.
ARNAUD – C’est Arnaud.
ARMAND – Icitte, t’es fuck all. T’es dead meat.
ARNAUD – Armand.
ARMAND – J’ te connais pas.
ARNAUD – Je suis venu pour papa.
ARMAND – P’pa, i’ est pus là .
ARNAUD – J’étais à l’autre bout du monde Armand, je pouvais pas le savoir. Je serais revenu.
ARMAND – Bullshit de marde. Sacre ton camp, Arnaud. J’ veux pus t’ voir la face.
Arnaud regarde derrière lui, puis revient vers son frère.
ARNAUD – Je peux pas, Armand.
ARMAND – Prends tes deux jambes pis marche.
ARNAUD – …
ARMAND – Recule, j’ai dit !
Armand met son frère en joue.
Un sifflement au loin, suivi d’une explosion.
Arnaud tombe à genoux pour se protéger.
Un téléphone sonne.
Chambre d’hôtel. Nuit chaude.
Arnaud répond.
MICHEL – T’étais où ? !
ARNAUD – J’étais sorti chercher de la glace.
MICHEL – Eille, bullshite-moi pas, Arnaud. Ça fait trois fois que j’ t’appelle.
ARNAUD – J’ai un bon lead, Michel.
MICHEL – Je t’ai dit de rester dans la chambre jusqu’à temps qu’on règle le transport.
ARNAUD – Deux frères ! Jif est le chef de la milice, son frère est dans la police. Des frères qui tuent leurs frères, c’est le résumé tout entier de la guerre.
MICHEL – C’est trop dangereux.
ARNAUD – J’ai un fixer qui va m’arranger une rencontre chez le chef de la milice. Exclusive !
MICHEL – On a aucune protection pour toi dans cette zone-là .
ARNAUD – Pense à ce que ça veut dire pour nous d’avoir cette entrevue-là .
MICHEL – On s’en fout, Arnaud. Tu sors pas de cet hôtel-là ! Je t’appelle dès qu’on confirme.
ARNAUD – Je peux pas rester pendant quatre jours à rien faire, Michel. Je tourne en rond dans ma chambre. Je tiens quelque chose, je te dis.
MICHEL – On va pas prendre des risques pour ça, ok ? Le bureau est content, moi je suis content. Là , c’est le moment de revenir.
ARNAUD – Alors ça vaut plus la peine de se forcer pour raconter quelque chose ? C’est important.
MICHEL – Important pour qui ?
ARNAUD – Si tu le sais pas Michel, eh bien ça explique pourquoi on te demande plus de faire du terrain !
Arnaud raccroche.
Explosion.
Aboiements de chiens qui s’approchent.
Des tirs de fusil.
Un petit garçon de dix ans s’avance vers Arnaud.
Arnaud est immobile.
Arnaud, en direct, sous un soleil de plomb.
LYNE – Nous nous tournons maintenant vers notre correspondant à l’étranger, Arnaud St-Onge.
Aujourd’hui fut une journée éprouvante pour vous, Arnaud, c’est le moins qu’on puisse dire. Nous sommes heureux d’apprendre que vous vous portez bien et que vous êtes en sécurité. Vous étiez en train de filmer lorsque l’attaque surprise a eu lieu, n’est-ce pas ?
Arnaud tente de parler mais n’y parvient pas.
LYNE – Il semble y avoir un problème de communication.
Arnaud, vous m’entendez ? Vous pouvez nous expliquer ce qui s’est passé ?
Un chien errant fixe Arnaud. Arnaud ouvre la bouche, mais reste muet.
LYNE – Arnaud ? Vous êtes toujours là ?
ARNAUD – …
LYNE – Arnaud ?
ARNAUD – …
LYNE – Arnaud ? !
Le chien errant se dresse sur ses pattes arrière et fait mine de tirer.
LYNE – Mesdames et messieurs, il semblerait que nous ayons perdu la communication.
Clinique militaire.
Soleil étouffant.
Le docteur Emdé ausculte Arnaud.
DR EMDÉ – Vous êtes dans la zone de conflit depuis combien de temps ?
ARNAUD – Je sais pas.
DR EMDÉ – Et ça vous est déjà arrivé, ce genre de blocage ?
ARNAUD – Quand j’étais jeune.
DR EMDÉ – Ça vous arrivait souvent ?
ARNAUD – J’étais incapable de parler, jusqu’à l’âge de treize ans. Je bloquais, sauf quand je parlais aux animaux.
DR EMDÉ – Ah, oui, j’ai connu des cas semblables. Un bégaiement par inhibition, c’est ça ?
ARNAUD – Exactement.
DR EMDÉ – Qu’est-ce qui vous a dé...