Nous habitons l'inquiétude
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Nous habitons l'inquiétude

  1. 136 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Nous habitons l'inquiétude

À propos de ce livre

C'est suite à un séminaire en création littéraire sur l'écriture, la suspicion et la fiction que Cassie Bérard, professeure en études littéraires, a eu envie de partager les textes des étudiant.e.s à la maîtrise et au doctorat qui y ont participé. Les fictions qui ont été écrites dans ce contexte ont donné lieu à un imaginaire propre, celui de l'inquiétude. La qualité des voix qui se révèlent ici, dans certains cas pour une première publication, démontre que la chimie qui a opéré au cours de ce séminaire était véritablement hors normes, et laisse présager l'émergence de nouveaux talents à suivre de près.Avec des textes de: Cassie Bérard (directrice), Jennyfer Chapdelaine, Marie-Ève Fortin-Laferrière, Alizée Goulet, Marie-Pier Lafontaine, Jean-Philippe Lamarche, Catherine Anne Laranjo, Julie Roy, Joëlle Turcotte et Élise Warren.

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FICTIONS INQUIÈTES
Derrière l’aquarium
Alizée Goulet
Un orage ronronne au loin. La tension est ailleurs, dans tes yeux qui voyagent d’un serveur à l’autre, qui observent la coupe de leur pantalon, leur déhanchement. Je te regarde, mais toi, c’est le mouvement qui t’attire et j’ai peur de me figer dans le coin de ton œil, un être minéral aux valeurs stagnantes, la peau craquée, je suis vieux, beaucoup plus vieux. Si seulement tu te tournais, derrière la vitre s’agitent les yeux d’un gros poisson, coincé, bulles et lumière artificielle, derrière lui, je suis là. Les gens s’appellent, de la main s’invitent, ils s’embrassent, se retrouvent et se séparent. Les serveurs font bar terrasse, terrasse bar, trajet de fourmi jusqu’aux tables rondes qui débordent de verres, d’assiettes. Dans ma tasse, le reflet brun de mon visage. Il va peut-être pleuvoir, je l’espère et t’attends. J’ai besoin que tu me remarques, même à travers le flot des mains, des baguettes, des bouches, les algues de l’aquarium, vers la droite. Comment t’expliquer que d’ici tu ressembles à une sirène, que j’ai plongé dans l’eau bien avant que tu ne chantes pour moi ? Est-ce que je pourrais même te dire comme j’aime la manière dont tes lèvres frémissent avant que tu n’approches la bière de ta bouche ?
Ma voisine de table serre le bras de son compagnon. Elle a deux grains de beauté sur sa main droite et l’homme semble content de son geste. Elle et lui, l’intimité physique est normale, entre deux bouchées, un sourire, une graine de sésame entre les dents. C’est comique, on s’aime et l’orage s’est rapproché. Un groupe bruyant au fond de la salle, des gens qui se grimpent les uns sur les autres avec des verbes et des rires. Qui pourra régner et raconter sa fin de semaine en premier, je n’en suis pas certain. À ma gauche, une table, un homme seul, il sourit au serveur, quelle est cette connivence ? Ils se connaissent, oui, bien d’ailleurs. Quelles paroles sucrées verse-t-il dans l’oreille de cet homme attentif ? Partout des téléphones vibrent, des rires hésitent. Des regards se détournent, accrochent ceux des tables voisines. On se pousse, se cherche, au fond des autres, des ponts sont formés et brisés chaque seconde, pour bien éprouver les choses, on s’affronte, se laisse passer. Les yeux sont humides comme l’air chaud, chargé de faire voyager méfiance et abandon, les sentiments qui électrifient l’entrejambe, les gestes parlants.
Je crois deviner un léger pli sur ton front, une ligne d’arrêt, comment la traverser, sauter jusque dans tes yeux ? Briser la vitre de l’aquarium, libérer l’eau suspendue dans l’orage, trouver des mots pour inventer une ile, une plage, du sable pour s’assoir et regarder la tempête. La pluie commence à chanter et les mains ralentissent, certaines expressions se figent avec étonnement devant de nouveaux problèmes à régler, on n’a pas apporté de parapluie. Ton visage ne s’est pas crispé comme celui des autres, tu connaissais l’orage avant qu’il se présente. La pluie résonne sur les fenêtres, tu t’es lassée des allées et venues des clients et du personnel, le restaurant est bondé et pourtant si calme. Plusieurs serveurs sont maintenant assis au bar ou en train de fumer sous un parasol. Ils s’amusent et de loin je peux lire les boutades sur leurs lèvres, leurs corps décontractés, attentifs et rieurs. Le groupe du fond prend sa nourriture en photo, moment presque solennel où chacun retient sa respiration, ce qui me permet d’apprécier la pluie, de trouver le silence entre les gouttes, celui qui annonce le grondement du ciel.
Je crains que tu te lèves, déjà tu paies ton addition, que tu ailles te poster sous un parasol en attendant que l’un des garçons te prenne par la taille, t’éloigne de moi. Comment pourrais-tu deviner ma présence alors que les serveurs m’ont oublié, que la femme à ma droite ne voit que le compagnon qui lui fait face, que le groupe reprend ses échanges cacophoniques ? De toute façon, que verrais-tu à travers l’aquarium ? Un monstre marin, une vieille épave sans secrets, sans trésor à partager. Oui, c’est ça. Allons, lève-toi mon vieux, arrête tout ça, retourne chez toi.
Mais le voilà, le signal, un hochement de tête discret, une lueur au fond de l’œil, ton menton pointe légèrement vers le plafond. Nous n’avons pas besoin de plages, de ponts, nous savons nager, nous savons fumer sous l’eau, oui bien sûr, je vais te rejoindre sous le parasol, pas celui près de l’entrée occupé par les garçons, l’autre au bout de la terrasse. Tu m’as vu. Moi et mon paquet de cigarettes, au milieu des plats et des bouches. Tu préfères ma sclérose aux déhanchements des serveurs et je te rejoins en marchant tout droit. Tu fermes les yeux, une prière, je t’en prie, ne dis rien, laisse la tempête parler pour nous.
Où es-tu, dans quels souvenirs la pluie te reflète ? Je suis dans l’angle aveugle de tes miroirs, je m’effrite, la poussière, mes désirs se brisent, emportés par mille petits ruisseaux, tes souliers sont secs et je pleure en silence. Pourquoi ? Il suffirait d’un pas, pour que je touche tes cheveux. J’attends encore. Or, le ciel tarde à éclater, déjà tu veux partir, je le vois, je n’ai rien pour te retenir. Abandonné, simplement, l’orage me refuse comme ta bouche pincée en un rictus distant. Montre-moi, tu es irritée, ta main gauche tape ta cuisse, un petit tic, tu mesures le temps, quelque chose ne va pas. Pourtant, te voilà, tout près de moi, ton profil efface une partie du paysage, tu réclames la moitié de mon monde, confonds ce qui reste, la fumée d’une cigarette s’épuisant à tes lèvres. Il me semble que les voix sont prises dans le restaurant, dehors, tu t’amuses de tous ces captifs, ceux qui ont peur de l’eau, qui commandent une autre bière, et j’ai mal de me savoir parmi eux, de vouloir te ramener à ma table,de souhaiter cet espace où l’orage cesserait de nous chaperonner, où les bruits de vaisselle riraient pour nous.
Mais, je reste là, me retiens à notre silence, un espoir. Le jour s’assombrit, quelques grondements récupèrent mes chuchotements échappés, j’attends le tonnerre qui éclairerait mes sentiments, une foudre intense pour effacer les traits profonds de mon visage, trouver la forme polie des pierres aimées. Peut-être le sais-tu, dans la noirceur, tu m’oublies, fumes, tu es seule, toujours seule et je m’inquiète de ta volonté sur le ciel. Je retiens des mots que tu n’as jamais voulu entendre. Je fais de mon mieux, mes lèvres craquent, je connais notre pacte et j’ai peur de trop te dire, d’ajouter un fond bleu à tes cheveux, de changer l’angle abrupt de tes épaules, d’adoucir un peu tes clavicules, de te dire faux. Pourtant, l’orage, le silence qui embrouille les vitres, les fenêtres, se chargent de me renvoyer à ma place et je devrais casser un verre, m’humilier s’il le faut, tomber, qu’on me rattrape des yeux, qu’on s’exclame pour moi, que tu te retournes.
Tu rentres dans le restaurant. Il te manque quelque chose ? Je commençais à me fatiguer. Mon dos voulait m’épargner, me renvoyer chez moi, un lâche. Je cherche mes cachets, rapidement, la salle est sombre, le bruit s’intensifie, cris de joie, visages séduits. Une douleur sourde monte de mes os jusque dans mes yeux. Je te perds de vue un instant, de l’autre côté l’aquarium, deux visages, une accolade, je repère tes boucles d’oreilles dorées. Puis, ton cou, ton dos, ta taille courbés, tu remues des chaises, j’avale deux comprimés, quelques personnes te remarquent. Une jeune femme risque un échange, des mots perdus dans le désordre de la salle, elle se penche vers toi, cherche entre les pieds, abandonne. Tu les leurres tous, je connais ta danse, le mouvement fluide de ton corps. De plus loin, déjà, nous te regardons. Près de moi, ma voisine de table a déplacé sa chaise, elle ne rit plus avec son compagnon, sa carrure forte la dérange, elle te voit, elle semble agacée. Quel triste manège que ce miroir qui fait briller tes boucles d’oreilles jusque dans ses yeux à lui.
Plus loin, le groupe a terminé de manger, plusieurs cafés se dirigent vers la table, question de contrer le coma digestif qui fait baisser la tête, entrer en soi, observer la pluie, oublier de sourire, aussi. Toi, tu ris, presque, de ces cinq personnes molles, dans leur coin, tranquillement, la seule fille du groupe te suit des yeux. Tu continues, si naturelle, cherches, t’arrêtes, on t’a envoyé le prétexte parfait, une bière, tu n’as même plus à simuler pour séduire, du bout de la salle, on joue des mains sous les tables, qui est-il ? J’aurais pu le faire, te nourrir, t’inviter à rester, mais aucun signal, c’est un autre qui l’a reçu. Qui est-il ? Cet homme entré quelques minutes plus tôt ? La fille, la seule du groupe, elle continue à te regarder, sa bouche est triste, non, pas elle, alors ma voisine de table, l’homme à ma gauche, non, quelqu’un qui se cache, qui remplit son rôle de loin, en secret. Dans l’aquarium, les poissons s’agitent, comme à l’approche d’un prédateur.
C’était à prévoir, tu en conquiers plus d’un, l’homme anonyme, et voilà un serveur qui s’avance, il ne comprend pas, s’il te parlait tu disparaitrais. Je n’ai aucun souvenir de lui, peut-être une de ses mains, entre les verres qui se cognent, les têtes penchées. Surement, il vient d’entrer en poste, au courant de rien, et sa main, elle frôle ton épaule, bouscule les yeux qui s’accrochent à elle, veulent l’arrêter. J’ai suivi ton regard, du serveur à la main, à la femme, à la main, si près de moi, puis au café posé sur la table voisine, ici, au fond du restaurant, jusque dans le miroir. Lui ? Bien sûr, le seul qui te fait dos, le seul qui feint de ne pas te voir, oui, évidemment, qui d’autre, le compagnon trompeur. Et ma voisine de table n’est plus là. Où est-elle ?...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Faux titre
  3. Page titre
  4. Crédits
  5. Avertissement
  6. NOUS HABITONS L’INQUIÉTUDE - Cassie Bérard
  7. FICTIONS INQUIÈTES
  8. Remerciements
  9. Couverture 4