Peep-show (1)
(Sous-titre : 96, rue Saint-Denis, Paris 2e)
Une enfilade de neuf cabines de peep-show, aux portes garnies de petits globes lumineux de couleur rouge numérotés de 1 à 9. Le graffiteur entre avec une vadrouille et un seau. Il nettoie le plancher puis l’intérieur de la cabine numéro 9 et sort.
Frédéric entre, portant un grand sac à dos. Il s’adresse à la coulisse.
Excusez-moi… Est-ce que c’est vous, Rachid ?
Bonjour, je m’appelle Frédéric. Je suis un copain de Didier…
Non, Didier… Didier Ravot, celui qui habite la mansarde au dernier étage.
Oui, je sais qu’il est au Canada présentement, c’est la raison pour laquelle je suis ici, on a fait un échange d’appartements, et il m’a dit qu’il me laisserait la clé au comptoir dans une enveloppe, avec une petite note…
Ça vous dit absolument rien ? Est-ce qu’il y a quelqu’un d’autre dans l’établissement à qui il aurait pu confier ça ?
Et il arrive à quelle heure, votre gérant ?
Non, je peux pas vraiment l’attendre jusqu’à midi, voyez-vous, parce que j’ai un rendez-vous très important à dix heures, ce matin, au Palais Garnier. J’espérais pouvoir au moins déposer mes choses, prendre une douche, changer de vêtements… Je viens de me taper un vol de huit heures, alors je me sens un peu défraîchi…
Oui, mais est-ce que vous pouvez me dépanner ? Est-ce que je pourrais utiliser une de vos cabines pour me changer ?
Non, j’ai pas besoin de jetons… C’est pas pour regarder de la porno, c’est pour changer de vêtements…
Oui, mais il y a personne dans l’établissement.
Bon. Alors combien de jetons il me faudrait pour, disons, dix minutes ?
Il sort un billet de vingt euros de sa poche.
Je suis désolé, j’ai que des grosses coupures. Je vous l’ai dit, je viens de descendre de l’avion !
Oui, mais vous pouvez pas me faire crédit ? Je vais être votre voisin du haut pour les deux prochains mois.
Bon ! Donnez-m’en pour vingt euros et je m’organiserai pour me faire rembourser par l’Opéra de Paris. Je sais pas comment je vais faire pour justifier ça, mais bon…
De la coulisse, on lui remet des jetons métalliques.
C’est ça qu’on obtient de jetons pour vingt euros… Mon Dieu, à Paris, ça revient cher la branlette !
Il ouvre la porte de la cabine numéro 6. À l’intérieur, un fauteuil de plastique orange placé latéralement.
Vous en avez une qui a été nettoyée ?
Il referme la porte de la cabine numéro 6 et ouvre la porte de la cabine numéro 9.
Excusez-moi. La lumière s’éteint quand on ferme la porte. Il faut mettre des jetons, c’est ça ? Merci !
Il entre dans la cabine et referme la porte. La lumière rouge s’allume. On entend la bande sonore d’un film porno. Le rideau noir s’abaisse devant les cabines.
Café de la Paix (1)
Projection d’une image de la façade du Palais Garnier. Une table et une chaise de bistro. Ambiance sonore de café-terrasse. Un homme aux cheveux blancs, portant des lunettes et habillé avec élégance entre et se dirige énergiquement vers la table.
Ah ! Frédéric Lapointe ?
Tout en parlant, il retire son manteau, dépose sa mallette par terre et s’assoit à la table, face au public.
Arnaud de la Guimbretière. Je ne vous donne pas la main, ma petite fille a attrapé la varicelle et son médecin m’a bien prévenu que la maladie pouvait se transmettre par les mains, donc, je vais vous éviter cette calamité.
Écoutez, je suis vraiment très heureux de pouvoir faire enfin votre connaissance parce qu’on m’a évidemment beaucoup parlé de vous, on m’a fait lire votre curriculum vitæ, on m’a fait entendre des chansons dont vous avez écrit les paroles, et j’ai été très impressionné. Mais surtout, on m’informe qu’en ce moment, au Québec, c’est vous… Alors, nous sommes très heureux à l’Opéra national de France de pouvoir collaborer de nouveau avec l’Opéra de Montréal à ce très beau projet et, surtout, de faire profiter de notre programme d’auteur en résidence un cousin canadien et, qui plus est, un Canadien de prestige.
Bon, écoutez, je n’ai malheureusement pas beaucoup de temps ce matin pour bavarder avec vous, puisque je dois me rendre dans quelques minutes à une réunion plutôt fastidieuse avec le nouveau directeur du programme des écoles, donc je vous explique assez brièvement ce dont il s’agit.
Chaque année, l’Opéra national de France dispose de sommes supplémentaires qui lui sont octroyées par le Parlement européen pour l’encourager à coproduire avec d’autres pays membres de l’Espace économique européen. Nous avons un partenaire naturel qui est le English National Opera, qui a l’avantage d’avoir un programme jeunesse à peu près similaire au nôtre et, cette année, nous étions très enthousiastes à l’idée de pouvoir également collaborer avec nos amis les Irlandais à un projet Beckett. Mais voilà qu’on nous a un petit peu tiré l’oreille, on nous a fait la morale, on nous a dit que, ces dernières années, on avait négligé les Scandinaves et que, cette fois-ci, il fallait tenter de s’intéresser au Danemark. Bon, il faut comprendre que, derrière tous ces grands projets de collaboration internationale, il y a toujours quelque volonté politique. Il est très clair que le Parlement européen tente désespérément de ramener les Danois dans la mêlée : on sait que depuis Maastricht, il n’y a pas vraiment eu de grand geste culturel réconciliateur ni de la part de la France ni de la part de l’Angleterre, donc nous nous sommes dit que, cette fois-ci, il fallait peut-être oublier Beckett et profiter de l’occasion pour rêver à un projet Andersen.
Le problème avec Andersen, c’est qu’il a écrit des centaines et des centaines de contes, donc nous avons dû tout lire… Et nous avons arrêté notre choix sur La Dryade, qui est un fort joli conte, pas très connu, j’en conviens, mais qui a l’avantage de se dérouler ici, à Paris, donc une très belle excuse face aux coproducteurs anglais pour travailler en français.
Ça raconte, si on veut, l’histoire d’une jeune dryade – je vous explique ce qu’est une dryade : c’est un peu comme une jeune nymphe, qui incarne l’âme ou l’esprit d’un arbre. Cette petite dryade vit prisonnière d’un marronnier dont, chaque nuit, dans sa France profonde, elle rêve de s’échapper pour aller visiter l’Exposition universelle de Paris. Mais attention ! nous ne parlons pas de celle qui a eu lieu en 1900, ni de celle de 1889 avec la tour Eiffel, mais bien de celle de 1867, qui...