La climatisation
Le resto.
Dereck se verse à boire tout en racontant son histoire de peine de mort ratée.
Temps.
DERECK ROY – Dereck ! Tu me replaces ? Fait chaud, han ? Ça fait trois jours que la climatisation marche pas. Pis ? Les affaires ? Ça va comme tu veux ? T’as-tu réussi à parler à du monde ?
CAMILLE DUBÉ – Moyen…
DERECK ROY – T’étais pas là hier ?
CAMILLE DUBÉ – Non. Je me suis acheté un sandwich au Tim Hortons pis j’ai travaillé dans ma chambre.
DERECK ROY – J’aime pas trop le Tim Hortons.
CAMILLE DUBÉ – Moi non plus normalement… Mais là…
DERECK ROY – Ici, tout le monde capote sur le Tim Hortons. C’est le boutte de toute le Tim Hortons. Le monde pense : « Heille, on a un Tim Hortons ! On est hot ! » Pis le monde croit dur comme fer que le café du Tim Hortons est le meilleur café du monde juste parce que le Tim Hortons leur dit que le café du Tim Hortons est le meilleur café du monde. Tu vois-tu l’engrenage ?
CAMILLE DUBÉ – Je le sais.
DERECK ROY – Ça fait quasiment un an qu’y est ouvert pis depuis ce temps-là, fini les gâteaux maison, les tartes au sucre, les fondues au chocolat… Astheure, y a pas un maudit party, pas une maudite fête d’enfants ou même un mariage, calvaire, qu’y a pas une montagne de Timbits pour dessert ! Moi, astheure, je vois un Timbit, sacrament, je pars à course ! Évidemment, tout le monde s’en sacre que les beignes pis le café soient bourrés de produits chimiques pis que les employés soient exploités… L’important, c’est d’avoir grimpé dans l’échelle sociale. Aie ! Wow ! On est pareils comme le monde de la ville, astheure ! On a un Tim Hortons ! J’ai remarqué : des fois, tu tombes dans lune pis tu passes plusieurs fois sur le même mot avec ton crayon.
CAMILLE DUBÉ – Ben oui. C’est comme un tic.
DERECK ROY – Pis tu mets trois sucres dans ton café. C’est beaucoup !
CAMILLE DUBÉ – Tu m’espionnes ?
DERECK ROY – Pis tu t’arraches des bouttes de peau autour des ongles…
CAMILLE DUBÉ – OK. Tu m’espionnes vraiment !
DERECK ROY – J’ai le sens de l’observation. Chus un gars de même !
CAMILLE DUBÉ – Pis c’est dans ta nature aussi de t’asseoir comme ça à table du monde avec ta bière ?
DERECK ROY – C’est pas ça que tu veux ? Parler avec du monde d’ici ?
CAMILLE DUBÉ – Oui.
DERECK ROY – Je viens de finir de travailler. En veux-tu ?
CAMILLE DUBÉ – OK.
Il lui verse à boire.
Moi, j’ai remarqué que t’étais pas mal casse-cou !
DERECK ROY – Ah ouais ?
Elle désigne la jambe de Dereck.
Ah ! Ça ! Oui… J’ai pris une fouille en skidoo !
CAMILLE DUBÉ – En skidoo ? My god ! Ça fait combien de temps ?
DERECK ROY – Une couple de mois… L’affaire, c’est qu’à chaque fois que je pense que c’est guéri, bang !, y arrive de quoi pis je me la recasse… T’étais-tu déjà venue par ici ?
CAMILLE DUBÉ – Non.
DERECK ROY – Tu dois trouver qu’on est des durs à cuire ?
CAMILLE DUBÉ – Pourquoi ?
DERECK ROY – Parce que personne veut te parler.
CAMILLE DUBÉ – J’ai vu pire. Y a un an et demi, j’étais à Greenland en Arkansas. Y a un gars – Wallace Baker, trente-trois ans –, y a fait une prise d’otages la veille de Noël pis y a tué le chef des pompiers. Y ont jamais parlé. Pas un mot. Rien. J’ai passé douze jours là pis y a pas un chat qui m’a parlé. Des super toughs ! Mon directeur de recherche m’a dit que c’était normal. On pense pas ça de même, mais les Américains, sont pas mal plus stuck up que nous autres. Y sont vraiment réactionnaires.
DERECK ROY – Je le sais. Y ont tout le temps des réactions exagérées.
CAMILLE DUBÉ – Non. Y sont contre le progrès. Y sont conservateurs. Y ont peur du changement.
DERECK ROY – Ah !
Temps.
Tu devais tellement être bollée, toi, à l’école ?
CAMILLE DUBÉ – Je le suis encore !
DERECK ROY – Tu fais-tu d’autres choses qu’étudier ? Genre du sport ou, je sais pas, du tricot ?
CAMILLE DUBÉ – Je travaillais dans une boulangerie. Pis je vas à l’école. C’est pas mal ça !
Temps.
DERECK ROY – Mettons… Mettons que j’accepterais de répondre à tes questions – je dis pas que c’est ça que je veux, mais mettons… Ça serait quoi, genre, comme questions ?
CAMILLE DUBÉ – Je pourrais, mettons… mettons… te demander si Joé venait d’une famille reconstituée par exemple. Ou dysfonctionnelle. Est-ce qu’y a été victime de violence ? D’abus ? D’inceste ? Ce genre de choses-là. Est-ce qu’y a eu des signes précurseurs ? Est-ce que toi ou des gens que tu connais ont été témoins d’élans de violence ou d’agressivité chez lui ? Avant ? Quand y était petit genre ? Pourquoi tu penses que Joé a assassiné Sœur Laurette ? Tsé, des affaires de même…
DERECK ROY – Pis après ?
CAMILLE DUBÉ – Après je finirais par te demander, toi, comment tu vis ça. Toi, tes voisins, ta famille… comment votre vie a changé…
DERECK ROY – Non, mais je veux dire, après… tu ferais quoi avec mes réponses ?
CAMILLE DUBÉ – J’essaierais de faire un genre de portrait des différentes réactions du monde…
DERECK ROY – Pis à quoi ça va servir ?
CAMILLE DUBÉ – Ça va servir à mieux comprendre comment le monde en milieu rural réagit à des crimes graves…
DERECK ROY – Ah.
Temps.
Je vas y penser…
Ils boivent.
Moi, j’haïs ça quand y fait chaud de même ! Toi ?
CAMILLE DUBÉ – Dans mon deux et demi sur Papineau, chus sûre que c’est pire.
DERECK ROY – Robert Biron, le gars qui répare la clim, devait venir aujourd’hui, mais y a été appelé d’urgence à l’église parce que hier, Christine Couture – la fille du bureau de poste – a fait tomber le gros lustre de la chapelle. Ètait en train d’enlever les déco...