Lumières du Nord
  1. 140 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

À propos de ce livre

À la faveur d'un échange épistolaire que leur proposait la revue de culture néerlandaise « Septentrion », Stefan Hertmans et Gilles Pellerin ont esquissé l'un pour l'autre le portrait linguistique de la Flandre et du Québec. Mais voilà que le propos a glissé de son cadre initial – la langue – et de la description des inconforts que ressentent Flamands et Québécois, vers la culture, celle qui émane tantôt du monde germanique, tantôt du monde latin; celle qui lutte contre l'uniformisation à laquelle certain capitalisme contemporain aimerait la réduire pour en faciliter la commercialisation; mais aussi celle qui s'excuse d'exister. Si les intellectuels sont devenus suspects, en voilà deux qui entendent défendre le droit de parole, qui est aussi le droit au doute et à l'espoir.

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QUATRIÈMES LETTRES

QUATRIÈME LETTRE DE PELLERIN

Le folklore, comme antidote à la technologie
Québec, le 23 octobre 2006
Cher Stefan,
Cette semaine, un ancien premier ministre du Québec brandissait un rapport concluant que nous travaillons moins que les Canadiens et les États-uniens. Selon lui, et son opinion est partagée par la classe patronale, les Québécois sont moins productifs que leurs voisins, ce qui se traduit par moins de richesse, donc moins de redevances fiscales à l’État providence. Nous vivons en somme au-dessus de nos moyens et ne pourrons continuer à offrir le meilleur programme social d’Amérique encore longtemps. La réaction que ses propos ont soulevée l’a ensuite amené à dénoncer l’américanophobie ambiante. Comment ne pas admirer Harvard, treize prix Nobel à la douzaine et toutes les marques tangibles de la civilisation états-unienne ? Je ne verse pas dans l’ironie.
Ton correspondant affiche cependant, sache-le, les symptômes du mal contre lequel s’élève mon éminent concitoyen. Imagine : je milite au sein de la Coalition pour la diversité culturelle, réunion d’artistes et de producteurs culturels engagés dans la reconnaissance d’une instance internationale, sous l’égide de l’Unesco, où seraient notamment débattues les questions de culture et tranchés les litiges relatifs à la commercialisation des produits culturels, sans inféodation à l’Organisation mondiale du commerce. Or, à ce jour, il est impératif de le signaler, la lutte à la relégation de la culture comme catégorie commerciale, née au Québec, a été pour l’essentiel le fait des pays de la francophonie. S’il fallait que nous échouions, que nous n’arrivions pas à obtenir l’adhésion du nombre suffisant d’assemblées législatives hors de notre aire linguistique, l’analyse du phénomène serait facile à effectuer : ces énergumènes n’étaient que des séides au service de la France et la preuve de l’existence de son empire postcolonial5.
Au pays, nous sommes enclins, en cette période de tension entre l’Islam et l’Occident, à réprouver l’approche états-unienne dans les grands enjeux planétaires, d’autant plus que les interventions militaires de 2003 reposaient sur un grossier mensonge. Bref, nous tenons compte de paramètres internationaux dans nos rapports avec nos voisins immédiats, plutôt que de nous en tenir aux règles de courtoisie qui, d’ailleurs, prévalent au quotidien entre les citoyens de nos deux pays. Pour ma part, je n’oublie jamais que je vis en banlieue des États-Unis, du plus puissant empire de l’histoire, de celui que sa position hégémonique a établi comme modèle culturel, comme étalon de la démocratie. De plus, mon grand-père Pellerin, comme beaucoup de ses contemporains, a vécu sa jeunesse au New Hampshire, à l’ombre des filatures où les Canucks, c’est-à-dire les Frenchies, servaient de cheap labour. Il aurait tout aussi bien pu demeurer là-bas, se fondre au melting pot tant célébré, comme ses cousins qui, l’été, revenaient parmi les leurs étaler leur richesse nouvelle ; il est plutôt revenu en Mauricie, américanisé dans ses fibres, anglophile, moderne, donc incapable d’être le paysan que son lignage le destinait à être.
* * *
Je suis convaincu — et je pense avoir compris que nous abordons la question d’un angle commun — que la principale guerre en cours ne se dispute pas par chars d’assaut interposés. Rappelle-toi le film Troy, sorti sur les écrans en 2004. Il a envahi les salles, porté par une presse dépourvue de tout sens critique, se bornant à être le porte-voix servile du marchéage de masse. Je partais ce jour-là pour la Pologne, avec les correspondances consécutives à la concentration des liaisons aériennes. Québec, Montréal, Toronto, Vienne, Varsovie : Achille Pitt, Pâris Bloom, Hector Bana faisaient la une. Je me sentais comme le vieux Priam devant la horde d’Achéens aux belles jambières : vaincu — mais par un cheval de baudruche. Une fois retombée la clameur de la guerre commerciale, on a eu beau convenir qu’on était en présence d’un navet, il reste que les écrans lui avaient été réservés, puis au navet suivant. D’assaut en assaut menés par ces Achéens de pacotille, nous savons un peu moins ce qu’est le cinéma.
Je n’ai pas lu Adorno — je ne m’en vante pas… Je me réjouis de me sentir près de lui : l’idéologie vise à l’invisibilité, elle n’est jamais aussi efficace qu’en laissant croire à son absence. C’est d’ailleurs son but, non ? Nous faisons en Occident grand cas de la liberté de presse et réprouvons les contrôles d’État comme le camarade Jdanov en mit au point à une autre époque. En Amérique, nul besoin d’interdire certaines formes d’art, certains points de vue : la loi du marché y veille. Elle a réussi à établir sa parfaite légitimité au centre de l’appareil moral actuel. Aux chroniqueurs culturels qui déploraient cette semaine la mort d’un chanteur western dont on vantait l’authenticité après qu’on nous eut fait entendre une ritournelle d’une prodigieuse ineptie, il ne viendrait jamais à l’esprit de parler de l’authenticité d’un intellectuel. On n’est authentique que dans l’absence de pensée, tous ceux qui ne pensent plus vous le diront.
Cette guerre-là, nous l’avons perdue depuis longtemps. La démocratie s’exprime dans la langue de la statistique : tous ceux qui ont vu Troie, bernés par la presse qui en faisait un phénomène, persuadés que les effets spéciaux sont le point de référence absolu de la qualité d’un film (tu te rends compte : nous écrivons des livres…), ne peuvent avoir tort. Finie l’ère du citoyen : voici venue celle du consommateur !
* * *
À vrai dire, les réticences québécoises à l’endroit des États-Unis n’ont pas de quoi étonner, à commencer par ceux qui suspectent chez nous une opposition systématique à la guerre, attitude dont ils se demandent s’il faut la classer au rayon de l’angélisme ou de la pusillanimité. Les mêmes redoutent que, pour cette raison, un éventuel Québec indépendant devienne, je cite, un Quebecistan, un repaire de terroristes. (La journaliste qui jetait sur nous l’opprobre ne s’est pas rendu compte qu’elle insultait la communauté musulmane, ce qui est résolument contraire à la bienséance canadienne en matière de multiculturalisme.)
Ton allusion à la Pax Romana imposait que j’enchaîne avec la Pax Americana. Les contentieux linguistiques et politiques dont nous avons dressé la liste aux fins de notre échange (néerlandais/français ; flamand/néerlandais ; québécois/français) pourraient n’être que billevesées au vu de ce qui se joue au-dessus de nos têtes. La Pax Americana est simple d’application : on doit y adhérer totalement, sans souci de nuance, sans esprit critique. Elle s’occupe du reste : business is happiness. Sur le mode de l’uniformisation. Tu as raison : le Grand Prêtre ne comprend pas qu’on ne l’aime pas. (Tu te moqueras de moi : il m’est parfois arrivé, en Europe, de défendre les Amerlos contre les mesquineries de gens qui rigolaient sur leur compte tout en profitant de leurs largesses. Dans ce risible opéra, j’exècre particulièrement cet Iago moderne, ce cancrelat qui vit du Grand Prêtre, mais qui chante faux.)
J’arrive tout juste de Bucarest, où je participais, à titre d’observateur, à un forum sur le français, doublé d’une manifestation culturelle (présentation de courts métrages illustrant dix mots et réalisés par de jeunes équipes provenant de Madagascar, du Sénégal, du Maroc, de Pologne, de Roumanie, de la Vallée d’Aoste, de la région Rhône-Alpes, de Suisse, de Belgique et du Saguenay— Lac-Saint-Jean). La Pax Americana s’installe en Roumanie, avec loquacité : d’immenses panneaux sont accrochés sur des immeubles à logements, vantant les mérites de la consommation sur trois ou quatre étages. Que le chant du bonheur consumériste condamne6 des milliers de fenêtres est un moindre détail sur lequel j’aurais tort de chipoter : mieux vaut être aveuglé par le désir d’un produit (bagnole, parfum, robe de soirée, téléphone, téléviseur) que trucidé par l’ancienne idéologie. Mais si c’était passer de Ceausescu en Scylla ? La communication est consommation : à défaut de pouvoir s’offrir les produits par lesquels on leur bouche la vue, les Roumains peuvent circuler dans l’univers des images gigantesques où des femmes affichent, sur vingt mètres carrés, un bonheur manucuré.
Vivre en français, aux portes de l’Empire, persister à parler sa langue, désirer l’imposer sur le territoire national grâce à une loi et faire face à l’opprobre parce qu’on a promulgué cette loi, est évidemment et immédiatement politique. Nous aimons les États-Unis pour leur inégalable vitalité, je les aime pour le baseball, le blues, la foule sur le trottoir, la solitude sur le trottoir, une manière de toucher la guitare, le road novel, j’envie leur capacité à affirmer leurs symboles (même si parfois je réprouve les symboles en question) et à réaliser ce qu’ils entreprennent. Quelle immense manufacture de réel !
Lors de mon séjour en Europe, pour moitié à Lyon, nous avons collectivement ressenti une émotion très forte dont je suis presque gêné de faire état (ne parlais-tu pas dans ta lettre du 9 mai de ce qui vous séparait les uns les autres, Flamands et Néerlandais ?). Entre débats et projections de films, nous mangions sur place. Un soir, nous avons chanté des souhaits d’anniversaire à la cuisinière, chaque pays y allant à sa façon. A suivi La bonne chanson, recueil de pièces folkloriques, héritées du fonds français, qui ont bercé mon enfance. Trois heures en compagnie de jolies filles de La Rochelle (premier port d’émigration à destination de la Nouvelle-France), à nous attendrir devant des rosiers encore fleuris, des rossignols, des prisonniers s’évadant pour retrouver leurs belles. « J’irai revoir ma Normandie » : le futur de la conjugaison m’a paradoxalement permis de remettre les pieds dans la Normandie du premier Pellerin, quelque part vers 1650. J’étais dix générations de Pellerin d’Amérique touchant de la voix la terre avranchinaise ! Mon enfance — le souvenir de l’entrain de ma mère — me reprenait, je me laissais bercer comme un gamin. La grande, la chaleureuse fraternité de l’Ordre obsolète (donc sacré) de la Double Croche, notre étonnement à nous retrouver réunis à l’unisson (« Pas vrai ! Tu connais cette chanson ? »), à chevaucher les siècles, Français, Belges, Marocains, Québécois, Sénégalais, tout nous convainquait de la chance inouïe de parler une langue commune que la folklorique circonstance nous amenait à faire entendre chacun avec son accent. Joie pour quasiment tous les participants de se dire : « Mais ce n’est pas ma Normandie ! » et de néanmoins chanter.
La francophonie, nous disent les traités, est composée des « pays qui ont la langue française en partage ». J’aurais voulu que les politiciens soient présents afin qu’ils mesurent la justesse de la formule, surtout quand notre ami sénégalais, Djibril Goudiaby, dont la voix nous avait saisis jusqu’à l’âme le matin même lors d’une criée publique au marché de la Croix-Rousse, a accepté de déposer un chant wolof dans le festin. Et les Marocains d’enchaîner en arabe. Et les Malgaches. Et… J’avais de nouveau vingt ans, je retrouvais la Superfrancofête de 1974, en cette quinzaine où mes concitoyens et moi avons découvert l’Afrique. Ce qui ne nous a pas empêchés d’y aller aussi de chansons américaines. Pourquoi nous serions-nous privés ?
Si j’éprouve un malaise, c’est en pensant aux Roumains dont la langue n’a pas le rayonnement international de la mienne — et toi, que t’arrive-t-il en présence des Surinamiens ou des Afrikaners ? Ton âme fond-elle ? Dans un restaurant de Bucarest, nous évoquions le souvenir encore vibrant de notre soirée lyonnaise. Un collègue roumain, francophone, emprunte le violon qu’un de mes compatriotes avait eu la géniale idée d’apporter (et dont il tirait de magnifiques rigodons) et laisse l’archet à sa mélancolie. Complainte, raï, turlute, français, wolof, arabe, malgache, roumain, c’était reparti, au plus grand plaisir des gens du lieu pour qui le spectacle des nègres, des bicots, des tout pâlots et des pépères en goguette, penchés au-dessus d’un violon et d’une guitare, n’est pas familier.
C’est en entendant Madonna, le lendemain, que j’ai compris ce qui me remuait : la moitié des chanteuses veut lui ressembler, et l’autre moitié à ma compatriote Céline Dion. Du succès de celle-ci, je me réjouis, mais pas du modèle de voix unique. En 1984, korè, jeune fille pure, elle a chanté chez moi pour le pape. En 2008, alors qu’on fêtera le...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Du même auteur
  3. Titre
  4. Crédits
  5. Avant-propos de Luc Devoldere
  6. Premières lettres
  7. Deuxièmes lettres
  8. Troisièmes lettres
  9. Quatrièmes lettres
  10. Cinquièmes lettres
  11. Notes
  12. Quatrième de couverture