L'autre ciel

David Ménard

• Éditeur: Éditions Prise de parole
• Année: 2018
• ISBN de l'eBook: 9782897440749
• Sujet: Literature
• Sujet: Canadian Poetry

Obsédée par son besoin de se faire autre et belle, Marie-Madeleine se rend dans une clinique où « on a l'habitude des cœurs malades comme le sien ». Elle se remémore alors sa vie d'avant: les clients qui lui ont permis d'amasser la somme nécessaire à l'opération, les amours destructrices et les amitiés complices, les élans de l'âme et les blessures qui ne guérissent jamais.Elle est sur le point de devenir elle.Chemin de croix poétique, «L'autre ciel» emprunte à la fois aux références bibliques et à l'ambiance en strass et néons du Village gai. Le récit interroge les limites du corps et exprime les tourments liés à une irrépressible quête d'altérité.

Chemin de croix,
Chemin de pleurs

Station 1

Marie-Madeleine prend le train pour les États-Unis

avril lui ressemble, le printemps est fatigué, la neige est mouillée et le Carême aussi

dans le train, les sourires sont sincères ou moqueurs

le train passe non loin de vieux quartiers

elle tend le bras vers la fenêtre et ouvre la main vers l’horizon

elle effleure une maison dans le paysage pour réchauffer sa paume gauche

au-dessus d’elle, le ciel défile, grand, bleu marin, et torrentiel

le ciel s’offre telle une offrande immense

Assise dans son siège, Marie-Madeleine dénombre et classe les putains

il y a celles au cœur tendre, les naturelles qui s’assument complètement et qui ont les meilleures histoires de baise à raconter

il y a celles au cœur vide et tordu, qui n’ont que la conquête pour motif

il y a celles au cœur torturé, qui sont perdues et qui sont, en vérité, des imposteurs qui peuvent aller se rhabiller

il y a aussi les autres…

celles qui pensent bien plus qu’elles ne comprennent

celles qui ressentent bien plus qu’elles ne touchent

celles qui savent que, pour survivre, il faudra se parler beaucoup, avoir de longues conversations avec soi-même, se poser les bonnes questions, mais surtout se donner les réponses

celles qui se découpent des paysages dans lesquels elles ne brillent pas noir

celles qui tentent de laisser de côté les cieux hors service et qui espèrent ne plus penser aux jours froids où la neige ne tombe que pour elles, sans se soucier du temps nécessaire pour ruisseler de lumière et vivre mieux

celles qui se martèlent la tête pour oublier le vent sur lequel elles ont trop soufflé

celles qui se dessinent au-dessus de la cime des arbres, où les plus hautes feuilles tanguent dans le bleu du ciel

celles qui tracent des soleils qui ne se perdront jamais et qui, dans leurs dessins, se font voler et danser parmi tous les anges qui sont passés entre les amants qu’elles auraient voulu aimer plus longtemps

celles qui se donnent des couleurs qui ne leur ressemblent pas et des traits qui ne sont pas les leurs

celles qui, quand le cœur leur en dit, se dessinent avec des rois aux royaumes turquoises et violet rose électrique

celles qui se peignent en blanc au-dessus des horizons de leur choix

celles qui s’imaginent dans des contes de fées où elles seraient ou princesse ou bête, le charme ou le sortilège

et celles qui savent que, pour les fragments, il y aura toujours les balais; que pour les ordures, il y a d’autres mal-aimés; que pour les néants, il y a les combles et que pour les meurtrissures…

il y a le temps

Et il y a Marie-Madeleine qui traverse son époque de pieds à baiser

elle est passée de l’amour à la prostitution, comme on passe du purgatoire à l’enfer

Marie-Madeleine quitte la gare, prend un taxi et check-in dans une clinique américaine où l’on connaît le sexe des anges

ce soir, elle s’est condamnée à se mettre en croix

ici, dans sa petite chambre, on a l’habitude des cœurs malades comme le sien

en prévision de son traitement, on lui a donné des calmants

la tête lui tourne, elle a failli tout avorter un peu plus tôt

la peur l’a envahie, elle ne savait plus si elle voulait aller jusqu’au bout

elle a dit au docteur qu’elle préférait mourir

sauf qu’elle meurt depuis trop longtemps déjà

depuis qu’elle est jeune, elle se tue souvent, dans son cœur, dans sa tête, à la maison, sur terre, dans le ciel

elle se cisaille l’âme

elle est une princesse de mille et une crucifixions

Elle trépasse souvent, pour chaque inspiration, pour chaque expiration

elle a son propre meurtre au ventre, elle porte sa haine d’elle comme collier, elle a son Antéchrist entre les doigts, comme un chapelet

elle excelle aussi dans sa torture, et dans les ordures

c’est intolérable, mais les éboueurs passent souvent

elle a des amis qui souffrent dans sa mémoire et des chansons de larmes qui résonnent dans toutes ses églises

elle a un chien qui aboie dans tous ses souvenirs

elle est venue ici pour mourir, parce que ses étoiles ont besoin d’autres cosmos, parce qu’il doit bien y avoir d’autres fenêtres

elle rêve d’ailleurs meilleurs et elle se déverse dans des mers qui existeront à d’autres époques

Ses espoirs sont bibliques

et le cœur de son époque est une guillotine rouillée

elle a, si peu

elle veut, grandiose

Marie-Madeleine écrit ses visions du paradis et cultive un jar...

Table des matières

• Page couverture
• Prise de parole
• Du même auteur
• Page titre
• Crédits / Catalogage
• Dédicace
• Citations
• Prologue
• Chemin de croix, Chemin de pleurs
• Épilogue
• Remerciements
• Table des matières
• Quatrième de couverture