Oubliez

Sylvie Bérard

• Éditeur: Éditions Prise de parole
• Année: 2018
• ISBN de l'eBook: 9782897440770
• Sujet: Literatur
• Sujet: Kanadische Poesie

Lorsque vous me manquez Votre absence est légion Vous vous pavanez dans des tailles de guêpe Votre talle étrangère sucrée Les espaces vacants Les miels arrêtés Ces yeux Qui ne se posent pas Destins inassumés de petites places Ces joues Sans nouvelles ni papier Sans ailes ni bruit Lorsque vous me désertez Le vide me rappelle Dans un train qui file vers l'est, une femme médite sur l'éloignement amoureux de l'autre qui ne se rappelle plus qu'elle existe. Dans une maison, une femme – est-ce la même ? – songe à sa mère diminuée par la maladie d'Alzheimer. Ces deux formes d'oubli, qui se rencontrent de manière naturelle et discordante au fil d'un récit où tout s'estompe, provoquent colère et tristesse chez la personne en proie au souvenir.

Premier oubli

Il file dans le crépuscule de mars ce

train où je suis seule parmi d’autres.

Je pourrais être en voiture, avec

vous, mais vous avez choisi un

destin parallèle. J’aimais le temps où

nos sièges s’effleuraient jusqu’à se

toucher, côte à côte tandis que nous

roulions dans les voies boréales. Le

train d’aujourd’hui fait route à mi-

chemin entre le nord et le sud, sur

ses deux rails, il va vers une espèce

d’Est symbolique qui signifie tantôt le

retour aux sources tantôt le surplace.

Car il est difficile de revenir d’où l’on

est partie, en fait, pour être honnête,

on n’en revient jamais vraiment,

notre esprit déraille toujours

imperceptiblement, seuls les trains et

les fous repassent deux fois dans les

mêmes traces. Je ne veux pas

marcher dans les mêmes ornières, je

ne veux même pas les apercevoir à

mes pieds, parce que je ne veux pas

des voyages à contresens.

Je veux chaque syllabe neuve

dans l’enfilade des jours, je veux

que ma vie soit ponctuée de

fraîcheur. Je ne veux pas l’oubli.

Dans un monde parallèle vous ne m’avez pas trahie

Les moments ont continué de se traduire

Chaque page et ses correspondances

Dans ce monde il est resté des lits

De mon côté

Les antipodes n’ont pas exercé leur force

Dans ce monde où tout était possible

Vous n’êtes pas partie en tournant les talons

En me faisant dos

En tournant le coin comme si les artères n’avaient pas existé

Vous êtes restée

Comme celle en qui j’avais toujours eu foi

La glace ne s’est pas installée

Se rappeler des heures de draps frais

Les noter bien vite entre les pages

Parce que nos corps ont été des mots heureux

Parce qu’ils se sont écrit des avenirs

Parce que les lits sont des partitions

Allez, vite, tout inscrire dans le livre

Vos mains dans mes lèvres

Nos souffles haut perchés

Les couvertures impuissantes à nous contenir

Mais l’air me manque

Vous qui souffliez aspirez tout

Vous voulez que les baies disparaissent

Vous ne regardez pas derrière tant qu’à fuir

Il y a un âge où je suis encore près de vous

Le vent n’a pas balayé les feuilles

Un âge de prières tenues

Rien n’a été piétiné

On peut encore grimper librement aux lierres des heures

Durant

Le temps

On cueille des fruits rouges

On se les écrase sur les joues en riant

Couchée en croix dans l’herbe je vous regarde debout

Vous êtes grande et encore parfaite

Vous n’avez pas vieilli d’une ride

J’ai six ans et votre âge est tout

La vie devant et derrière

Elles vont faire du cinéma

De grandes scènes

Leurs costumes bien empesés

Battent leurs talons polis

Lorsque l’on dit « coupez »

Les salles de province

Se bordent d’yeux curieux

Quand elles s’affichent

La belle sur les rails

Les héros d’opérette

Leurs noms lumières clignotent

Les mains n’écrivent pas

Applaudissent

À la moindre réplique

Il nous faut plus de maquillage

La confiance un tronc qui s’érige au milieu des jardins

Montre dans le ciel un arbre insolent

Elle fait du vent

Petite boule de peluche fragile qui s’empoussière vite si l’on n’y prend garde

Une fleur mais de soie car les vraies résistent au gel

La confiance est une pousse qui se flétrit au moindre souffle

L’automne est dur sur les feuilles

Le doute n’entend rien à rien lorsqu’il s’installe

Les mains dans les mains se figent mal étreintes

La fragilité se dresse vite dans l’ombre verticale incertaine

Un jour on aime grimper aux arbres, et puis on s’accroche aux bancs

Vous jouez à vous faire mal ...

Table des matières

• Page couverture
• Prise de parole
• De la même auteure
• Page titre
• Crédits / Catalogage
• Citation
• Premier oubli
• Second oubli
• Mémoire porteuse poreuse
• Quatrième de couverture